Interviews de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à RTL et RMC les 8 et 13 novembre 1995, sur le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale, le nouvel impôt pour rembourser la dette sociale et les mesures de maîtrise des dépenses de santé.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture du débat sur la réforme de la Sécurité sociale à l'Assemblée nationale le 13 novembre 1995-entretiens de M. Barrot avec les syndicats les 11 et 12 novembre

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - RMC - RTL

Texte intégral

RTL  : mercredi 8 novembre 1995

RTL : A. Juppé compte engager la responsabilité de son gouvernement sur la réforme de la Sécu, est-ce que le calendrier va être modifié avec ce remaniement ?

J. Barrot : Normalement non. Peut-être quelques modalités, qu’il faut arrêter dans les jours qui viennent mais la volonté est de se mettre quand même en chemin très rapidement parce que nous n’avons pas le choix. Nous bouclons une année 95 avec de nouveaux déficits et si nous voulons que 96 soit l’année du retour grosso modo aux équilibres, il faut que dès le début de l’année 96 les uns et les autres fassent un peu plus preuve de responsabilités.

RTL : Avec les forums régionaux pensez-vous avoir fait le tour de la concertation avec les partenaires sociaux ou allez-vous recommencez ?

J. Barrot : Le Parlement continue.

RTL : Mais vous-même ?

J. Barrot : Et je n’exclus pas avant que le Premier ministre ne fasse sa déclaration de faire un dernier tour de piste avec un certain nombre de partenaires sociaux.

RTL : À la fin de cette semaine ?

J. Barrot : Ce n’est pas exclu.

RTL : L’objectif est de faire disparaître le déficit pour 97, allez-vous vous attaquer en priorité aux dépenses ?

J. Barrot : C’est très clair sinon l’exercice nous mènerait nulle part. S’il s’agissait uniquement de prélever pour combler les trous, il faut vraiment éviter que les trous ne se reforment. Pour ça, il faut que chacun, aussi bien assurés sociaux que prescripteurs en maladie, chacun se voit se demander un effort raisonnable mais proportionné à ce qu’il peut faire. Ce que je voudrais, c’est que le chantier de la Sécurité sociale soit un peu vécu par tous comme porteur d’espérance au-delà des efforts immédiats mais surtout d’efforts équitables.

RTL : Est-ce que le départ d’E. Hubert montre que vous allez vous attaquer en priorité aux dérapages des prescriptions médicales avec peut-être un véritable arsenal répressif vis-à-vis des médecins ?

J. Barrot : Il faut faire avec les médecins et ne pas faire contre les médecins. Simplement, il faut que les prescripteurs qu’ils sont soient aidés dans cet effort de meilleure organisation du système et de discipline au quotidien.

RTL : Est-ce qu’ils ne doivent pas être réprimés ?

J. Barrot : Tout système qui fait appel à la responsabilité à un moment donné doit comporter sa sanction mais pour le moment on va être dans l’établissement d’un certain nombre de règles du jeu.

RTL : Elles sont déjà établies ces règles du jeu, non ?

J. Barrot : Pas complètement. Il y a eu trop – me semble-t-il – de discussion un peu complexe autour de ces quelques disciplines majeures qui ne doivent pas modifier le système de médecine à la française mais qui doivent l’amener à être compatible avec la maîtrise d’une dépense qui ne peut évoluer trop, trop vite.

RTL : Il y a beaucoup de médecins au Parlement, est-ce que cela ralentit l’action réformatrice du gouvernement de ce point de vue-là ?

J. Barrot : Je ne crois pas qu’il faut isoler les médecins des autres. On ne peut se sortir de la société française, dès qu’elle s’organise en corporatisme. Il faut bien dialoguer et une fois que le dialogue a été mené jusqu’à son terme on répartit équitablement les efforts. Mais il n’y a pas de catégories qui doivent échapper à l’effort.

RTL : En ce qui concerne les recettes, on parle d’un passage de la CSG de 2,4 à 3, le Premier ministre a dit que c’est la dernière fois que le CSG sera augmenté mais c’est toujours la dernière fois ?

J. Barrot : C’est pour cela qu’il faut parler d’abord économie et d’abord parler de nouveaux comportements. S’il faut, en effet, faire des ajustements, on les fait mais en sachant que l’on s’est donné les règles pour ne pas retomber dans les travers d’hier et d’avant-hier ?

RTL : On dit qu’A. Juppé est de plus en plus tenté d’imposer la réforme de la Sécu par ordonnance, avec plus de 500 députés de la majorité, est-ce que c’est vraiment nécessaire ?

J. Barrot : Il ne s’agit pas de faire simplement des réformes superficielles mais il s’agit de faire des réformes de structures qui aillent assez loin. On peut, en effet, penser que les ordonnances qui ont été déjà utilisées pour la Sécurité sociale pourrait l’être, au moins, pour une partie du dossier.

RTL : Pourquoi si on veut responsabilité les députés doit-on recourir aux ordonnances ?

J. Barrot : D’une part une ordonnance exige une loi d’habilitation, elle exige ensuite un suivi avec les parlementaires. Donc on peut combiner l’usage éventuel des ordonnances avec un suivi très quotidien, très suivi du Parlement.

RTL : A. Juppé a dit que ce qui manquait était le moral, est-ce votre avis ?

J. Barrot : Écoutez, moi, je prends un tâche difficile…

RTL : Et vous avez le moral ?

J. Barrot : Oui, parce que j’aime la Sécurité sociale et que je crois que les Français sont capables lorsque l’on sait faire appel à leur sens de leurs responsabilités, de résoudre les problèmes difficiles.


RMC : lundi 13 novembre 1995

RMC : « Super ministre », on pourrait vous décrire ainsi M. Barrot tellement vos compétences sont étendues.

J. Barrot : Ce qualificatif devrait plutôt s’appliquer au chantier. C’est un chantier super, parce qu’il intéresse la Sécurité sociale et parce qu’il est difficile. Mais je ne suis pas tout seul, Dieu merci. C’est une équipe qui doit aborder ces questions et essayer de mobiliser l’ensemble des Français. C’est un vrai problème pour la France tout entière.

RMC : Quels problèmes et quel week-end M. Barrot ! Vous avez rencontré tous les partenaires sociaux, hier et avant-hier, les syndicats patronaux et salariés. Je voulais vous demander ce matin si vous avez trouvé en face de vous, et pour tout le monde, un accord général sur le principe qu’il faut absolument, dans les jours qui viennent, modifier les règles de la Sécurité sociale en France et les réformer ?

J. Barrot : Je ne suis pas sûr que si chacun des interlocuteurs avaient eu à composer le plan de redressement, il l’aurait fait de la même manière. Mais ce dont je suis sûr, c’est que tous, s’ils étaient appelés à élaborer ce dispositif de redressement et de consolidation de la Sécurité sociale, ils le feraient – le feraient avec un certain courage – parce que tout le monde se rend compte aujourd’hui que nous avons hérité d’un très beau dispositif de solidarité de 1945 mais que si on n’y met pas un surcroît de responsabilité personnelle de chacun, à la mesure des moyens de chacun, on n’y arrivera pas. Par contre, ça n’est pas du tout impossible d’avoir un système de Sécurité sociale transparent, clair, délimitant bien les responsabilités de chacun, et permettant ainsi de ne pas accepter chaque année des dépenses qui s’ajoutent inutilement à certaines dépenses qui, elles, sont utiles, et qui entravent ainsi l’avenir de la Sécurité sociale.

RMC : Les manifestations sociales prévues demain vous inquiètent M. Barrot ?

J. Barrot : Elles expriment d’abord un attachement à l’institution. Il faut prendre les choses aussi de manière positive. On est à la veille d’un effort exigeant, je l’ai dit hier. Si l’effort est très équitable, je pense, par contre, que tout le monde se mettra au travail, une fois que les décisions seront prises.

RMC : Vous venez de réutiliser l’expression M. Barrot. Vous avez dit peu de chose jusqu’à présent, puisque c’est A. Juppé qui annoncera les mesures, mais vous avez dit quand même que des efforts exigeants seront inéluctables. En d’autres termes, et ce matin tout le monde le dit, il y aura un impôt nouveau en France bientôt – CSG bis ou un autre nom. Est-ce que ce nouvel impôt, tout le monde devra le payer ? Quand vous dites plus équitables, ça veut dire quoi ?

J. Barrot : Si vous permettez, pourquoi un effort financier supplémentaire ? Ça n’est pas pour éviter de faire des économies. C’est pour régler des arriérés. Vous savez, dans une entreprise, dans un ménage, à un moment donné, on décide de repartir d’un pied nouveau à ce moment-là, il y a des arriérés. Ces arriérés, mieux vaut se donner les moyens de les régler durant quelques années, en les distinguant bien des exercices actuels et à venir. Autrement dit, il faut bien qu’on rembourse. Nous avons fait de la solidarité à crédit, nous avons emprunté ces dernières années pour faire les fins de mois de la Sécurité sociale. Il faut que ce soit réglé. C’est pour ça qu’il faut demander à chacun de mettre un petit peu la main à la poche. Mais ça n’est pas ça le fond du problème. Le fond du problème va être de décrire à chacun les économies dont il peut être lui-même l’auteur sans qu’on touche, bien sûr, à la qualité des soins. C’est ça le vrai problème. Le plan, ce sera d’abord la manière de bien gérer la Sécurité sociale, et à chacun de respecter aussi cette Sécurité sociale, qui est une solidarité dont on ne doit pas abuser.

RMC : Un mot sur ce que vous avez appelé l’apurement des arriérés. Il faudra commencer quand ? En janvier ?

J. Barrot : Si on regroupe toute la dette, il faut, bien sûr, commencer chaque année à mettre un peu d’argent de côté justement, pour pouvoir régler l’arriéré, sans que ça ne pèse sur les exercices à venir.

RMC : Le nouvel impôt, c’est pour janvier ?

J. Barrot : Oui, vraisemblablement. Mais le Premier ministre donnera le détail de tout cela.

RMC : Un nouveau plan d’équilibre des comptes sociaux, c’est ce qu’on fait en France depuis 40 ans, vous le disiez tout à l’heure. Qu’est-ce qui fera que le plan Barrot ou le plan Juppé sera différent de tous les autres précédents ?

J. Barrot : L’heure est venue maintenant de mettre dans le système des règles du jeu, si je puis dire, qui permettent de suivre au mois par mois la dépense. Qui permettent de remettre de l’ordre dans l’offre de soin. Nous savons qu’il y a peut-être trop de médecins dans la prescription, pas assez dans la prévention. Nous savons qu’il y a parfois trop de personnels dans un service hospitalier et pas assez dans un autre et que si chacun ne porte pas son concours à une juste répartition des effectifs, ce sont toujours des dépenses supplémentaires, alors qu’on pourrait faire aussi bien avec autant d’argent. C’est vraiment mettre à l’intérieur du système un souci de bonne gestion. C’est mettre fin aussi à ces comportements abusifs qui font qu’on va voir dix médecins alors qu’on n’a pas besoin d’avoir trente-six conseils, il suffit de s’en remettre aux généralistes.

RMC : C’est vraiment ça qui fait le trou ?

J. Barrot : Ce sont tous ces comportements additionnés les uns aux autres. Ce sont ces services hospitaliers qui ne sont pas suffisamment gérés, au point d’avoir pour les uns excédent de personnel, pour les autres, insuffisance de personnel. C’est tous ces laissez-allers quotidiens qui font dériver le système.

RMC : Vous diriez, M. Barrot, ce matin, que dans le trou de la Sécu, il y a beaucoup de gaspillages, c’est essentiellement du gaspillage ?

J. Barrot : Oui, c’est un manque d’application dans le bon usage de l’argent : 550 milliards pour l’assurance-maladie. Il y a encore beaucoup de moyens de très bien soigner les Français mais il faut en faire un très bon usage. J’insiste beaucoup parce que je sens que ces nouveaux mécanismes vertueux vont être l’essentiel des mois qui viennent. Il faut que les Français entrent dans ces nouveaux comportements.

RMC : Tout le monde vous écoute ce matin M. Barrot avec beaucoup d’attention, vous l’imaginez, et il y a peut-être quelque chose qui a inspiré les Français, c’est E. Balladur hier à la télévision. Il a dit dans une sorte de manière de critiquer ce que vous allez annoncer : il faut préférer des économies à des cotisations nouvelles, sinon on va casser la croissance et on va détruire la confiance. Est-ce que ça n’est pas inquiétant qu’E. Balladur ait dit ça hier ? Est-ce qu’il n’y a pas du vrai dans ce qu’il dit ?

J. Barrot : Si E. Balladur est objectif, et il le sera – j’en suis sûr – il reconnaîtra que notre volonté de faire des économies est, de loin, le premier souci qui nous anime. Mais il doit reconnaître aussi que nous avons contracté des dettes, parce que nous avons fait de la solidarité à crédit, et qu’il faut bien, à un moment donné, arrêter cet endettement, mettre les pendules à zéro et rembourser ce que nous devons. Je ne sais pas faire autrement.

RMC : Quand vous dites : tout va dépendre de la responsabilité sociale de chacun, chacun, c’est qui ?

J. Barrot : C’est à la fois l’assuré social qui va éviter de se faire refaire des examens. Il va arriver avec son petit carnet de soins et de santé et il va dire : écoutez docteur, je suis passé de la médecine de ville à l’hôpital, puisqu’on m’a demandé de passer à l’hôpital. Vous n’allez peut-être pas me refaire tous les examens que l’on m’a fait il y a huit jours mais voilà mon carnet de santé pour vous, pour moi, pour la Sécurité sociale, c’est mieux d’entrer tout de suite dans le diagnostic. C’est un exemple. C’est vraiment les Français qui se serrent les coudes pour arriver ensemble à utiliser au mieux la Sécurité sociale sans en abuser.

RMC : Pour finir M. Barrot, deux mots. Vous ne craignez pas que dans quelques mois on dise : M Barrot, finalement, ça été le début de la fin de la Sécurité sociale facile ?

J. Barrot : Je voudrais surtout apporter ma pierre à la consolidation de la Sécurité sociale. Parce que j’aime la Sécurité sociale. Ça n’est pas une déclaration comme ça à la légère. C’est parce que depuis des années, j’ai considéré que si on voulait vraiment aller au-devant des détresses les plus craintes, soigner vraiment ceux qui souffrent le plus, eh bien on n’avait pas le droit de laisser ici et là des gaspillages inutiles et que la meilleure gestion, c’est aussi la meilleure garantie du soin le meilleur aux plus défavorisés.