Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
En ce début d’année, je ne peux commencer mon propos qu’en respectant la tradition et en vous présentant mes vœux. Ils s’adressent à chacune et chacun d’entre vous, à votre association grâce à laquelle nous sommes réunis aujourd’hui. Ils s’adressent aussi naturellement à chacune des entreprises dans lesquelles vous exercez vos activités. Qu’elles prospèrent en 1996, c’est notre souhait commun.
Former des vœux, c’est aussi de projeter dans l’avenir.
Pour le faire, il faut que l’environnement dans lequel on évolue soit clair. Je voudrais ce matin vous apporter plus que des vœux, des perspectives sur l’environnement économique dans lequel s’insère votre activité.
C’est incontestable : notre économie connaît depuis le début de 1995 un net infléchissement de sa croissance et contrairement aux prévisions initiales, celui-ci s’est poursuivi au cours du deuxième semestre. Nos principaux partenaires révisent, comme nous, leurs estimations de la croissance en 1995 : d’un demi-point au Royaume-Uni, d’un point en Allemagne. Dans chacun de nos pays les moins-values fiscales sont substantielles.
Ce ralentissement doit s’interpréter comme une pause dans le cycle de croissance, et non comme l’amorce d’une récession.
Plusieurs éléments incitent à penser en effet que l’activité en Europe, et en France ne particulier, devrait progressivement se raffermir dans le courant de 1996, l’incertitude portant davantage sur la date de ce raffermissement plutôt que sur son éventualité.
Tout d’abord, l’environnement international sera plus stimulant pour l’Europe en 1996 qu’en 1995 : d’une part à cause du redressement de l’économie américaine (après sa pause du premier semestre 1995), et d’autre part parce que l’évolution du dollar devrait être moins défavorable (je rappelle qu’il y a un consensus du G7 pour considérer que le dollar a un potentiel d’appréciation).
Ensuite, la confirmation du recul de l’inflation dans le monde est favorable à la poursuite de la détente des taux d’intérêt. La forte hausse des taux longs intervenue en 1994 (dans le cadre de la France, ils sont passés de moins de 6 % fin 1933 à plus de 8 % fin 1994) a fortement pesé, compte tenu des délais d’action, sur la croissance mondiale en 1995. Inversement, leur décrue enregistrée tout au long de 1995 (ils sont revenus en France à près de 6,5 % au début de 1996) devrait soutenir l’activité cette année. De même, les taux à court terme ont récemment baissé tant aux Etats-Unis qu’en Europe. En France, les taux à trois mois se situent aujourd’hui à moins de 5 %, à comparer à près de 7,5 % avant l’intervention du Président de la République du 26 octobre. Ces baisses de taux d’intérêt déjà acquises produiront leurs pleins effets cette année et soutiendront l’activité en favorisant l’investissement et la consommation
Par ailleurs, même si l’Allemagne vient de réviser à 2 % sa prévision de croissance pour 1996, la composition de cette croissance devrait être plus favorable à la France qu’elle ne l’était en 1995 : elle devrait être davantage tirée par la consommation (du fait d’une politique budgétaire moins restrictive qu’au cours des années précédentes) que par les exportations et le BTP.
Les entreprises françaises ont à la fois de larges capacités de financement et des besoins d’investissement importants (pour moderniser et renouveler leurs équipements) : les industriels interrogés en octobre par l’INSEE prévoient d’accroître leurs dépenses d’investissement de + 13 % en valeur en 1996, après + 10 % en 1995.
Enfin, je constate que le taux d’épargne des ménages s’est encore accru en 1995 pour atteindre environ 14 %, soit son plus haut niveau moyen des dix dernières années. S’il revenait simplement à son niveau moyen des dix dernières années (12,7 %), cela représenterait environ 70 MF de consommation supplémentaire, soit près d’un point de croissance du PIB. C’est pourquoi, il faut encourager les ménages à adopter des comportements moins attentistes. C’est là notamment le sens des mesures d’activation de l’épargne annoncées le 21 décembre par le Premier ministre dont je vous rappelle les principes :
– elles sont temporaires, elles visent seulement à anticiper le mouvement de retour de la croissance sur un rythme plus soutenu ;
– elles sont ciblées sur les secteurs où les comportements attentistes sont plus marqués : consommation, logement.
Par exemple, le déblocage anticipé de l’épargne salariale rend disponible pour les ménages, d’ici au 30 juin, 50 MF supplémentaires ;
– elles ne remettent pas en cause les équilibres budgétaires.
Sur ce point, j’ajoute que le redressement de nos finances publiques et sociales est durablement engagé et la détermination du Gouvernement à mettre en œuvre cette stratégie est totale. Comme l’a précisé le Président de la République, il n’y aura plus de hausse additionnelle de prélèvements obligatoires, ce qui signifie que toutes éventuelles moins-values de recettes fiscales seront compensées par des économies correspondantes, les ménages ont donc désormais un horizon dégagé et éviteront d’épargner par crainte d’une hausse future de la fiscalité.
Nous pouvons donc être optimistes pour l’avenir. Les conditions sont réunies pour favoriser à terme la consommation et l’investissement. L’économie française demeure très compétitive comme en témoignent notre faible inflation et notre excédent de la balance des paiements courants. Ma conviction est que malgré le net ralentissement économique que nous connaissons, notre pays dispose des atouts indispensables à une croissance saine, durable, au service de l’emploi.
Je voudrais vous parler d’un sujet qui me préoccupe, le crédit interentreprises qui est beaucoup plus développé dans notre pays que chez nos partenaires.
Dans la conjoncture actuelle, les entreprises doivent être particulièrement attentives à la stabilité des délais de paiement. Ces derniers sont aujourd’hui un problème pour de nombreuses entreprises, notamment de petites tailles. Je tiens à ce que les travaux entrepris sur ce sujet par les fédérations professionnelles soient poursuivis.
En matière financière, j’ai annoncé, à l’occasion de la présentation du projet de loi de modernisation des activités financières, un programme d’ensemble pour développer notre place financière dont le projet de loi de modernisation constitue le socle.
Le titre même de ce projet de loi montre toute son importance pour la place de Paris et pour son avenir dans l’Europe unifiée de demain. C’est une réforme considérable qui nous a conduit à repenser profondément l’organisation de la place financière de Paris.
Laissez-moi vous indiquer tout d’abord dans quel état d’esprit ce projet de loi a été conçu. Ma préoccupation est de construite une organisation de place sûre, simple et ouverte au service du financement de l’économie.
La directive sur les services en investissement a pour objet de tracer le cadre qui régira le futur marché unifié des services financiers. Cette directive pose trois principes :
– premièrement chaque Etat choisit les modalités pour agréer les établissements installés sur son territoire dès lors naturellement que ces modalités respectent quelques règles communes ;
– en second lieu, un établissement ainsi agréé pour effectuer un métier dans un pays de l’Union peut exercer ensuite ce même métier dans tous les autres Etats de l’Union soit directement (libre prestation de service) soit par l’intermédiaire d’une succursale (libre établissement) ;
– enfin chaque établissement est soumis au contrôle prudentiel du pays d’origine.
Ce texte va donc modifier le fonctionnement des marchés financiers en Europe sur deux points essentiels : il unifie les marchés et instaure une concurrence générale.
Ainsi toutes les entités qui en Europe fournissent des services d’investissement seront désormais placées en situation de concurrence.
Les marchés eux-mêmes seront en situation de concurrence. Sous réserve des règles d’affiliation propres à chacun des marchés, une entreprise d’investissement pourra indifféremment passer un ordre à Paris ou à Londres. Il en résulte que l’on ne peut plus raisonner en terme de cote officielle ou de second marché, de marché parisien ou de marché allemand : il y a désormais au sein de l’Union européenne plusieurs marchés réglementés, c’est-à-dire offrant des garanties en terme de sécurité des transactions et d’organisation des échanges, par opposition aux marchés de gré à gré, totalement libres.
L’unification des marchés ensuite : tous les marchés sont soumis aux mêmes règles, qu’il s’agisse de marchés à terme ou au comptant, de marchés d’actions ou de produits de taux. La directive tire ainsi les conséquences de l’interpénétration croissante des marchés.
Nous avons eu clairement à l’esprit l’intérêt d’émetteurs tels que vous dont le souhait est de pouvoir choisir tel ou tel produit en fonction de considérations financières et non pas des contraintes juridiques.
Laissez-moi vous préciser maintenant les trois principes simples sur lesquels le projet de loi est fondé : unité, professionnalisme, sécurité.
Le projet de loi est fondé sur l’idée d’une unité des métiers du titre, quel que soit le statut des entreprises qui les exercent, quel que soit le marché, réglementé ou non, sur lequel elles interviennent.
L’unité des métiers du titre est synonyme d’une concurrence plus équitable et d’une simplification des procédures pour les intermédiaires mais au bénéfice des émetteurs.
Le deuxième principe, c’est le professionnalisme. Tout d’abord ce texte donne plus de liberté aux entreprises de marché pour édicter leurs règles de fonctionnement. Cette liberté est à mon sens le gage d’une plus grande efficacité. Elle incitera les entreprises de marché à adopter une démarche plus commerciale, à nouer les alliances internationales nécessaires à leur développement et à élargir leur offre de services aux émetteurs.
Le professionnalisme, c’est également le rôle conféré au Conseil des marchés financiers. Il édictera des règles déontologiques applicables à toutes les entreprises d’investissement, quel que soit le marché sur lequel elles interviennent. Conformément aux vœux de la place, le Conseil des marchés financiers est désormais qualifié organisme professionnel et élit en son sein son président. Au CMF seront représentés à la fois les émetteurs, les investisseurs et les professionnels. Je souhaite que cet organisme permette de renforcer l’esprit de place, qu’il favorise l’éclosion de nouvelles entreprises d’investissements nécessaires à la vitalité du marché parisien. Sa composition relèvera du décret et sera par conséquent déterminée après la promulgation de la loi. Sachez que je suis conscient de l’usage pertinent que constitue aujourd’hui la présence du président de votre association au Conseil du marché à terme.
Le troisième principe, c’est la sécurité des marchés.
Plusieurs dispositions y concourent. Je les rappelle brièvement.
Le système de protection des investisseurs ou de fonds de garanties sont généralisés. Le projet de loi énonce des règles déontologiques que devront respecter tous les intermédiaires, quel que soit le marché sur lequel ils interviennent.
Pour les émetteurs que vous êtes, le projet de loi de modernisation des activités financières abolit les monopoles qui limitent l’offre de services qui vous est faite. Le gré à gré est placé sur le même plan que les marchés réglementés qui se substituent aux bourses. Comme aujourd’hui, les entreprises industrielles et commerciales pourront réaliser pour leur propre compte leurs opérations financières. Les conditions dans lesquelles le recours à un intermédiaire pour réaliser des opérations sur titres cotés sur un marché réglementé ne sera plus nécessaire ont été élargies. Les cessions de titres entre entreprises d’un même groupe pourront être entièrement désintermédiées.
Je vous indique aussi que si ce texte veille à inscrire dans la loi les principes déontologiques applicables aux opérations financières, il permet de discriminer entre les opérateurs professionnels et les investisseurs moins réguliers dont les transactions seront plus sécurisées.
La normalisation des activités financières est enfin encouragée par la faculté offerte au CMF de « labelliser » des contrats-type d’opérations financières. Ceci sera pour vous un instrument de simplification et de sécurisation de vos transactions.
Le texte de loi présenté au conseil des ministres la semaine dernière n’est donc à mon sens que la première d’une série de mesures qui toutes convergent sur cet objectif stratégique, cohérent avec notre politique de construction de l’Europe monétaire.
Plusieurs chantiers doivent être ouverts dans les mois qui viennent. Je pense en particulier à la réforme de la procédure d’élaboration des règlements comptables pour laquelle j’ai lancé une concertation de place. Il s’agit de faciliter la modernisation de notre droit comptable, et de rendre plus aisé l’usage de normes internationales par les entreprises qui en ont besoin pour lever des capitaux sur les marchés internationaux. La contrepartie devrait être une plus grande rigueur dans les modifications de règles comptables par les entreprises.
Les autres chantiers que je ne ferai que citer concernent le « gouvernement d’entreprise », l’industrie de la gestion de capitaux qu’il faut conforter, la création du nouveau marché ou la libéralisation des investissements étrangers en France.
Cet ensemble de réforme doit nous permettre d’affronter le véritable enjeu de la transposition de la DSI, c’est-à-dire la préparation de la place de Paris à l’échéance de 1999.
Celui-ci est désormais plus prévisible : le sommet de Madrid a permis d’établir un scénario crédible de passage à la monnaie unique et en a assuré l’irréversibilité.
Les décisions de Madrid sur le scénario d’introduction de la monnaie unique ouvrent la voie à l’introduction irréversible de la monnaie unique le 1er janvier 1999. Elles dissipent de nombreuses incertitudes sur le cadre de l’introduction de la monnaie unique.
Je me dois de dire que le souci d’éviter toute confusion et de minimiser les coûts du passage à la monnaie unique pour les opérateurs et en particulier les entreprises, nous a guidés en permanence dans nos travaux.
Je vous rappelle les principaux résultats du sommet.
La monnaie unique a désormais un nom : l’euro. C’est un nom complet, auquel on n’ajoutera pas le nom des anciennes dénominations nationales.
En outre, il est clairement établi que la substitution de la monnaie unique aux monnaies nationales n’affectera pas la continuité des contrats.
Enfin, le scénario confirme également, pour les contrats actuellement libellés en écu-panier, que le traité stipule le passage à l’euro au taux de un pour un, sauf bien entendu disposition spécifique contraire du contrat.
Un nom, une continuité juridique, et une parité financière entre euro et écu, Madrid apporte aux agents économiques la clarté nécessaire pour leur propre préparation.
Le basculement d’un ensemble significatif d’opérations en monnaie unique dès le 1er janvier 1999 est indispensable pour garantir l’irréversibilité du processus.
Il est acquis que, dès le 1er janvier 1999, les opérations de politique monétaire du système européen de banques centrales seront conduites en monnaie unique. La France a plaidé en ce sens et ce principe est clairement établi dans le scénario adopté par les chefs d’Etat et de Gouvernement.
Ensuite, la politique de change sera également conduite en monnaie unique. Les marchés des changes réorganiseront leurs pratiques en cessant de coter les devises tierces contre les monnaies nationales.
Enfin, la France a obtenu l’émission de tous les titres de dette publique négociable par l’ensemble des Etats membres participants dès l’entrée en troisième phase. Cet engagement constitue une preuve essentielle de leur détermination.
La France, qui est le plus gros émetteur en écu sur le marché, possède déjà une grande expérience dans ce domaine et je ne doute pas que la place de Paris pourra rapidement occuper un rôle de premier plan sur ce marché. Il est bien établi que l’écu-panier sera converti en euro sur la base d’une stricte parité de un pour un.
La France procédera également à la conversion rapide en monnaie unique du stock de dette émise en francs dès la fixation irrévocable des parités dans le souci d’accroître la liquidité du marché.
Le sommet de Madrid n’a pas épuisé la question. Parmi les chantiers qui restent ouverts, je voudrais citer celui qui vous tient je crois le plus à cœur : la stabilité des changes au sein de l’Union. Elle est en effet indispensable au bon fonctionnement du marché unique. Cet objectif justifie la mise en place d’un système de change, en troisième phase de l’UEM, entre la monnaie unique est les autres monnaies européennes.
Les conclusions de Madrid permettent d’aller plus avant dans la préparation pratique de la troisième phase de l’union monétaire à laquelle vous allez naturellement prendre une part active, comme vous l’avez fait jusqu’à présent, dans le cadre notamment du groupe de travail que vous avez créé sur ce sujet.
La monnaie unique est aujourd’hui l’affaire de tous les agents économiques. Chacun doit en avoir définitivement conscience. L’Etat s’y prépare et doit montrer l’exemple.
J’en suis convaincu, notre pays a beaucoup d’atouts pour réussir. Mais son succès implique la confiance de tous. Je compte sur vous pour, dans chacune des entreprises diffuser ce massage de confiance et pratiquer à l’effort collectif que nécessite la politique ambitieuse de réforme dans lequel notre pays est engagé.