Texte intégral
Q - Vous défendez, devant les députés, votre projet de loi sur l'intercommunalité. Un sujet moins médiatique que la violence dans les banlieues ou la délinquance des mineurs ?
Et pourtant nous restons dans le même sujet. Je répéterai bien entendu, autant qu'il le faudra, que la violence urbaine génère de la ségrégation sociale, contribue à la ghettoïsation des quartiers. Quand sévit l'insécurité, ceux des habitants qui le peuvent quittent ces banlieues. Ne restent que ceux qui ne peuvent pas partir. Il faut combattre cela. L'intercommunalité, au niveau pertinent, celui des agglomérations, est un moyen de lutte contre cet apartheid social qui revêt de plus en plus la forme d'un apartheid spatial. C'est le bon niveau pour une politique de la ville et de l'habitat. C'est là que l'on peut agir pour maintenir ou restaurer une certaine mixité sociale.
Q - Vous redoutez une situation à l'américaine ?
Nous n'en sommes pas encore là. Au fil des ans, cependant, des populations en difficulté, particulièrement celles qui sont nées des dernières vagues de l'immigration, se concentrent dans certains quartiers, La montée des communautarismes accompagne naturellement cette ghettoïsation, Le social - s'ethnicise - et l'extrême droite en fait son miel. Un modèle de ville inégalitaire s'édifie sous nos yeux, Il est grand temps de réagir.
Q - Que proposez-vous ?
Il faut renforcer la décentralisation de 1982, en donnant aux maires l'entité juridique, politique et les moyens financiers pour élaborer et prendre en commun des décisions qui engagent le long terme : une nouvelle répartition de l'habitat, le remodelage des banlieues... Ils doivent pouvoir mener des politiques ciblées de formation et d'emploi... Le projet de loi vise aussi à simplifier l'intercommunalité autour de trois grandes formes. La communauté de communes, en milieu rural. La communauté urbaine pour les grandes villes. Et, pour celles de plus de 50 000 habitants autour d'un centre de 15 000 habitants au moins, le projet prévoit une nouvelle sorte d'établissement public : la communauté d'agglomération. Elle concerne 141 aires urbaines recensées sur le territoire national.
Q - Qu'est-ce qui va inciter les maires à créer ces communautés d'agglomérations, à rapprocher quartiers riches et quartiers pauvres ? L'État met de l'argent sur la table ?
L'esprit de clocher ou de beffroi doit être dépassé. Je sais qu'il sera difficile de convaincre les maires et les citoyens qu'ils ont davantage à gagner à une certaine mixité sociale, Qu'elle a moins d'inconvénients que la ségrégation, mère de toutes les violences. L'État doit proposer des incitations fortes. Les communautés d'agglomération bénéficieront d'une dotation globale de fonctionnement de 250 F par habitant. Soit plus du double de ce qui est versé actuellement aux districts ou aux communautés de ville. Le coût de cette réforme est évalué à 500 millions de francs par an pendant cinq ans, si la moitié des villes concernées adoptent ce projet. Mais ces 2,5 milliards de francs ne seront pas prélevés sur la dotation globale versée actuellement aux communes, mais sur le budget de l'État. Je considère que la loi sera un succès si 40 % des 141 aires urbaines concernées y adhèrent.
Q - Cette réforme est avant tout urbaine, Ne craignez-vous pas d'accélérer encore la désertification rurale ?
Au contraire, la recomposition de l'intercommunalité qui est proposée permet à la communauté de communes, formule plus adaptée au milieu rural, de retrouver sa vocation initiale. Elle s'affirme comme la structure de référence pour les communes qui souhaitent organiser leur coopération avec prudence et progressivité. Ce projet de loi ne se fait donc nullement au détriment du monde rural. Le financement de la dotation globale de fonctionnement versée aux communautés de communes ne sera plus en concurrence avec celui des groupements urbains. Cette intercommunalité en milieu rural va continuer à être soutenue.
Q - La fiscalité locale ne sera pas alourdie par cette réforme ?
L'intercommunalité, au contraire, devrait contribuer à une moindre pression fiscale, surtout avec l'unification progressive du taux de la taxe professionnelle. Une péréquation volontaire de la richesse doit permettre à la fiscalité pesant sur les ménages de baisser. Elle doit aussi permettre de corriger les inégalités, car la taxe d'habitation est d'autant plus élevée que la commune se trouve plus pauvre en taxe professionnelle. Il n'est pas normal que les habitants les plus défavorisés soient aussi souvent les plus imposés.
Q - Ces communautés d'agglomération, pour exister politiquement, ne doivent-elles pas élire au suffrage universel leur représentant ?
Ne mettons pas la charrue avant les boeufs il faut que les identités collectives se constituent avant de songer à instaurer le suffrage universel. Le mieux serait l'ennemi du bien. Soyons pragmatique. La commune est une réalité puissante Ne créons pas de blocages inutiles.
Q - Pour lutter contre l'insécurité, vous souhaitez une police de proximité, Mais votre projet de redéploiement police gendarmerie a échoué ?
Cette réorganisation des zones de compétences entre la police et la gendarmerie n'est pas abandonnée. Elle se poursuivra après une concertation approfondie. Mettre les moyens là où ils sont les plus nécessaires est le principe même du service public. Cette année, 1900 policiers et gendarmes seront affectés dans les zones les plus sensibles et 7000 au total d'ici à 2001. Et je ne désespère pas de mettre en oeuvre des moyens supplémentaires.
Q - Les résultats du récent Conseil de sécurité intérieure vous ont totalement satisfait ?
La police de proximité est l'une des orientations, déjà donnée par le colloque de Villepinte en 1997. Il faut une police préventive, dissuasive autant que répressive. Par ailleurs, il faut apporter une réponse à l'impunité des mineurs délinquants multirécidivistes qui trouble gravement nombre de nos concitoyens. Le Conseil de sécurité intérieure, présidé par le Premier ministre, a, notamment décidé la création de 50 centres de placements immédiats strictement contrôlés et de 77 unités supplémentaires d'encadrement éducatif renforcé, avec les moyens nécessaires à leur fonctionnement. Finalement, le ministère de la Justice n'a donc qu'à se louer des résultats du débat initié par le ministère de l'Intérieur qui est bien obligé de constater les progrès de la délinquance des mineurs.
Q - Ces centres seront-ils fermés, semi-ouverts ?
Je m'en tiens à la définition du Premier ministre. Centres de placements immédiats strictement contrôlés. Le ministère de la Justice a évidemment une obligation de résultats. Seule une bonne coopération de la police et de la Justice peut permettre de juguler les violences urbaines.