Déclarations de Mme Margie Sudre, secrétaire d’État chargé de la francophonie, les 13 et 14 mai 1996 à Midrand (Afrique du Sud) et conférence de presse le 14, sur l'avènement de la société de l'information, sa contribution au développement des peuples et la nécessité de maintenir la diversité culturelle et linguistique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Margie Sudre - secrétaire d’État chargé de la francophonie

Circonstance : Conférence sur la société de l'information à Midrand (Afrique du Sud) les 13 et 14 mai 1996

Texte intégral

Discours à l’occasion de la co-présidence de la première session ministérielle à Midrand, le 13 mai 1996

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais à mon tour féliciter les autorités sud-africaines de leur initiative et de la chaleur de leur accueil.

C'est avec beaucoup de plaisir que la France, qui préside actuellement le G7, a accepté de co-présider cette session ministérielle avec vous.

Je tiens à rendre hommage à la Commission européenne qui avait pris l'initiative d'organiser l'an dernier à Bruxelles une conférence avec les sept pays industrialisés. C'est, en effet, au cours de cette conférence que M. Thabo Mbeki a lancé l'appel qui nous a conduits à nous retrouver aujourd'hui en ces lieux.

Je voudrais, Monsieur le Président, vous dire combien la France attache du prix au succès de cette conférence.

En tant que Président du G7 la France, en accord avec ses partenaires, a décidé de faire du prochain sommet de Lyon les 27, 28 et 29 juin un rendez-vous important sur l'aide au développement. La présidence française veillera tout particulièrement à intégrer dans les conclusions du sommet du G7 les idées et les préoccupations qui auront été exprimées à Midrand.

Elle considère en effet que les nouvelles technologies de l'information constituent un élément essentiel et novateur pour le développement et un pont entre les pays développés et les pays en voie de développement.

Le monde est confronté à une véritable révolution technologique dont il nous appartient avec imagination et audace de relever le défi. Les autoroutes de l'information seront un vecteur déterminant d'intégration et de progrès pour un monde plus solidaire. Elles contribueront à gommer progressivement les frontières entre les pays. De nouveaux modes de transmission du savoir, de nouvelles habitudes de travail et de nouveaux services verront le jour. Les modes de production et d'échange seront sensiblement modifiés. La société de l'information est riche en promesses. Mais cette « nouvelle révolution » n'a de sens que si l'ensemble des pays de la planète y sont associés. Lors de la conférence de Bruxelles sur la société de l'information, le vice-Président sud-africain, M. Thabo Mbeki, a alerté les pays membres du G7 sur la nécessité de faire bénéficier les pays en développement des fruits de cette mutation technologique.

Son appel a été entendu par les pays industrialisés et le monde en développement. Nous sommes aujourd'hui réunis pour réfléchir ensemble au rôle moteur que les technologies de l'information et des communications doivent jouer dans le développement et aux conditions nécessaires à leur diffusion.

Ce dialogue est indispensable. L'expérience des pays du G7 dans ce domaine mérite d'être partagée. Mais la diversité du monde en développement, ses besoins spécifiques, ne sauraient se satisfaire d'un modèle unique. C'est pourquoi nous tenterons de définir ensemble les grandes lignes de la société de l'information, à charge pour les organismes multilatéraux compétents de définir avec plus de précision le cadre réglementaire.

Nos hôtes sud-africains ont proposé des documents de réflexion complets et équilibrés sur l'ensemble des thèmes de la conférence. Nous devons travailler à des conclusions qui recueillent le consensus de cette assemblée sur la base de ces objectifs, en gardant à l'esprit la finalité de cette conférence qui n'est ni une enceinte de négociations commerciales, ni une réunion financière internationale.

La mise en œuvre de la société de l'information repose, comme l'ont souligné nos hôtes, sur trois piliers :
      – des infrastructures ;
      – des contenus ;
      – une maîtrise par la population de ces nouveaux outils.

La société de l'information implique la mise en place de réseaux véhiculant des flux d'information de plus en plus importants. Cela doit être conduit de manière adaptée à chaque situation. Les choix technologiques sont vastes. Il y a autant de définitions des autoroutes de l'information que d'opérateurs et de pays. Nous sommes ici pour réfléchir à des solutions adaptées et pouvant être mises en œuvre rapidement.

Quelles que soient les solutions retenues, des investissements importants seront nécessaires. Les pouvoirs publics ne pourront y pourvoir entièrement et le secteur privé jouera un rôle majeur. Les investisseurs privés réclament un cadre réglementaire clair et prévisible comme préalable à tout engagement financier. Je souhaite donc que les négociations menées dans le cadre des organismes multilatéraux sur les conditions d'ouverture des marchés et la normalisation débouchent rapidement sur des conclusions acceptables par tous.

Une première étape peut être réalisée dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce. L'Union européenne, qui ouvrira totalement son marché des télécommunications au 1er janvier 1998, a fondé de grands espoirs sur ces négociations et regrette que l'échéance ait été reportée à 1997. Ce délai supplémentaire doit être mis à profit par le plus grand nombre de pays possible pour rejoindre ce groupe de négociation. Le rôle des États est en effet essentiel dans ce domaine pour organiser une concurrence équitable.

Le problème des infrastructures est certes important mais les infrastructures ne suffisent pas à garantir l'avènement de la société de l'information. Les contenus sont la clé de cette nouvelle « révolution ». Ils se développent déjà de façon foisonnante dans les pays industrialisés. On assiste dans ces mêmes pays à une multiplication des alliances dans le secteur de l'audiovisuel, du contenu, des télécommunications et des services en ligne. Ces rapprochements sont nécessaires pour dégager une masse critique de contenus destinée à alimenter les réseaux.

L'avènement de la société de l'information ne doit pas pour autant laisser la place à une uniformisation culturelle et linguistique qui serait un frein majeur à l'épanouissement de nos expressions nationales et à la transmission de nos patrimoines respectifs. La France souhaite vivement que la diversité culturelle et linguistique soit non seulement respectée mais même considérée comme l'une des finalités essentielles des nouveaux moyens de communication qui, sous nos yeux, sont mis à la disposition du monde.

Les conclusions du sommet du G7 de Bruxelles ont pris en compte cette préoccupation comme l'avait fait le Conseil européen de Corfou et plus récemment le sommet francophone de Cotonou.

L'espace numérique qui s'offre à nous est suffisamment vaste peur accueillir toutes les cultures et toutes les langues. Pour que cette diversité soit assurée, il est essentiel que les pays en développement élaborent eux-mêmes leurs contenus et leurs services et jouent ainsi un rôle actif dans la dynamique de la société de l'information.

Le renforcement de la coopération internationale dans ce domaine est nécessaire. Cette coopération doit s'exercer non seulement en matière de production de contenus mais encore dans le domaine de la normalisation, de l'ingénierie linguistique et de la formation des hommes.

Il ne faudrait toutefois pas que le dynamisme des créateurs soit freiné par une protection insuffisante de leurs œuvres. Le régime international de protection juridique doit répondre à ce souci.

La compréhension par l'ensemble des citoyens des enjeux des nouvelles technologies de l'information est la clé de leur participation active à la société de l'information. Des campagnes d'information et des programmes nationaux de formation professionnelle devraient être élaborés pour éviter l'émergence d'une société à deux vitesses.

La conférence de Midrand est aussi l'occasion d'instaurer une nouvelle forme de coopération. Vous le savez, la conférence de Bruxelles a débouché sur le lancement de 11 « projets-pilotes ». Ces projets se sont mis en place l'année dernière, les premières réalisations sont d'ores et déjà tangibles. Elles sont partie prenante de l'exposition qui se déroule en marge de notre conférence ministérielle. Vous pourrez constater que la coopération internationale peut produire des applications au service des citoyens. Mais aussi et surtout, je l'espère, cette démonstration pourrait vous inciter à y participer, ces projets ayant eu vocation dès leur origine à s'ouvrir vers de nouveaux partenaires. À l'exemple de ces projets, d'autres expériences et d'autres réalisations pourront être étudiées. Il serait nécessaire que les organisations internationales et régionales compétentes en examinent également les financements, en liaison avec les programmes bilatéraux existants et les acteurs privés, et en assurent le suivi.

Je voudrais maintenant vous faire partager notre expérience.

En tant que membre de l'Union européenne, la France se prépare à la libéralisation complète au 1er janvier 1998 du marché européen des services et des infrastructures de télécommunications. Un projet de loi réformant en profondeur le paysage français des télécommunications est actuellement en cours de discussion au Parlement. Il prévoit la mise en place de règles du jeu claires et équitables favorisant l'investissement et une concurrence ouverte, le développement du service public des télécommunications dans un environnement concurrentiel et sous le contrôle d'un régulateur indépendant.

Sur le plan national, les pouvoirs publics français ont mis en œuvre une politique volontaire et pragmatique de soutien à l'innovation. Un appel à propositions a été lancé en novembre 1994. Il a suscité plus de 600 propositions d'acteurs privés et publics. 250 expérimentations de services et d'infrastructures seront déployées sur l'ensemble du territoire français. Notre cadre juridique a été assoupli pour permettre les expérimentations.

Cette initiative concerne tous les acteurs potentiels : les petites et moyennes entreprises comme les citoyens pour lesquels l'accès à Internet a été simplifié. La formation n'a pas été oubliée. Les écoles et les universités seront reliées à Internet. Mais tout ce déploiement d'infrastructures serait vain s'il ne s'accompagnait en parallèle d'un développement substantiel des contenus. Un fonds d'aide a été créé à cet effet.

Une coopération internationale fructueuse a déjà été engagée notamment avec les pays africains, les pays de l'espace francophone, les pays méditerranéens, le Canada et le Québec et, bien entendu, avec les pays européens.

En Afrique, à notre coopération traditionnelle en matière de formation et d'infrastructures, se sont ajoutées de nouvelles initiatives comme la mise en place par l'ORSTOM d'un réseau scientifique électronique.

Dans l'espace francophone, le sommet, qui a réuni en décembre dernier à Cotonou les chefs d'État et de gouvernement, a accordé une attention particulière aux nouvelles technologies de l'information. Une résolution a été adoptée à cette occasion appelant les pays francophones du Nord à associer les pays du Sud à la production d'information scientifique et à la formation en matière de technologies de l'information. Une conférence des ministres francophones responsables des autoroutes de l'information se tiendra au Canada au début de l'année prochaine pour en assurer le suivi.

Entre l'Union européenne et les pays méditerranéens tiers, une nouvelle solidarité a été établie l'an dernier à l'occasion de la conférence de Barcelone. Une conférence ministérielle sur la construction de la société euro-méditerranéenne de l'information se tiendra à Rome prochainement.

J'ai essayé, Monsieur le Président, de vous faire part de nos idées et de notre expérience. Nous allons maintenant tenter de définir ensemble ce que nous attendons de la société de l'information et d'élaborer les grandes lignes d'une action commune. Je cède maintenant la parole à mon collègue sénégalais qui va évoquer les besoins du monde en développement en matière de nouvelles technologies de l'information.

 

Intervention lors de la deuxième session ministérielle, à Midrand, le 14 mai 1996

Nous savons tous que les enjeux culturels et linguistiques liés à l'avènement de la Société de l'information sont considérables.

Nous voulons que ces technologies soient au service de tous, pour un meilleur accès au savoir et pour un meilleur partage des richesses, et pour cela les questions qui nous sont posées sont nombreuses.

Comment dans un monde aux prises avec des disparités aussi graves, pourrons-nous agir pour permettre à tous d'accéder aux autoroutes de l'information et de participer à leur mise en place ?

Comment pourrons-nous nous assurer qu'elles serviront de levier efficace au développement économique, culturel et social et qu'elles ne contribueront pas au contraire à accroître les inégalités entre les peuples ?

Il nous faut éviter en tout premier lieu que l'avènement de la société de l'information n'entraîne fatalement une uniformisation culturelle et linguistique. Il y a de la place pour toutes les langues et toutes les cultures dans l'espace numérique. Ne faisons pas de la langue un obstacle supplémentaire qui empêcherait le plus grand nombre d'utiliser ces technologies.

S'il subsiste des obstacles techniques, notamment sur Internet, nous devons les identifier et les résoudre au plus vite, de façon consensuelle, en agissant efficacement ensemble auprès des organismes internationaux chargés de la normalisation. Nous devons aussi faire en sorte qu'il existe dans toutes les langues des outils qui permettent d'accéder à cette information.

Nous sommes tous riches de nos cultures et de notre histoire. Nous voulons tous pouvoir communiquer dans notre langue et dans d'autres langues.

Pour cela, il faut donner à chacun la possibilité de diffuser des contenus de qualité. Il faut par exemple veiller à la numérisation de nos fonds patrimoniaux. Ils sont la mémoire de nos nations. La France a lancé un vaste plan de numérisation de ses collections publiques. Il est également nécessaire d'encourager la production de contenus et de services variés et donc faire en sorte que nos techniciens, nos créateurs, nos scientifiques puissent recevoir une formation adaptée.

De la même façon, il ne faut pas qu'une protection insuffisante de leurs œuvres freine le dynamisme des créateurs. L'espace numérique ne doit pas être une zone de non droit. La France est particulièrement attentive à ce point.

Nous pensons que le régime international de protection juridique doit répondre à un double souci :
      – permettre une protection adéquate et efficace fondée sur les droits d'auteur, reconnus par la Convention de Berne, notamment le droit de communication au public et le droit de reproduction ;
      – maintenir la fonction essentielle de l'auteur, seul véritable créateur.

La position du gouvernement français dans la concertation internationale qui se tient actuellement a été exprimée dans sa réponse au Livre vert de la Commission européenne sur le droit d'auteur el les droits voisins dans la société de l'information.

Il est vrai que ces technologies n'auront de sens que pour ceux qui y auront accès. Ainsi le déploiement d'infrastructures performantes est-il indispensable. Négliger cependant les contenus qui vont alimenter ces infrastructures ne pourrait mener qu'à un appauvrissement culturel de nos sociétés.

Nous devons nous donner les moyens que ces innovations techniques majeures servent la liberté d'expression et permettent des passerelles entre les langues et les cultures. C'est à ce prix que nous vivrons demain dans un monde plus harmonieux.

 

Conférence de presse conjointe à Midrand, le 14 mai 1996

En quelques mots, je crois que ce qui nous a paru particulièrement important à l'occasion de cette conférence, c'est que pour la première fois autant de pays pratiquement, une quarantaine de pays du nord et du sud, ont pu confronter leurs points de vue sur ce domaine extrêmement essentiel que sont les autoroutes de l'information.

Je crois même que, pour une partie des pays présents aujourd'hui à Midrand, c'était la première fois qu'ils avaient l'occasion de s'exprimer devant autant de pays étrangers, c'est cela aussi le miracle de la communication moderne.

Quant à l'enjeu de cette conférence, pour la France, il est tout à fait clair : cette conférence doit amorcer la coopération entre les pays du nord et du sud dans le domaine des nouvelles technologies. Il ne faut pas que cette modernité creuse encore plus le fossé qu'il peut y avoir entre les pays du nord et les pays du sud.

Je crois que cette problématique a été bien entendue par tous les participants aussi bien du nord que du sud. Il y a que c'est là un point sur lequel notre convergence de vue est tout à fait totale.

Nous avons convenu aussi que les autoroutes de l'information étaient un outil indispensable pour partager nos connaissances, pour partager nos langues, et dans bien d'autres domaines. Il nous appartient donc maintenant de mettre cet outil à la disposition de tous, de favoriser l'installation des autoroutes de l'information, même dans les pays qui n'ont pas encore atteint le développement des pays industrialisés.

Il est essentiel que la diversité culturelle et linguistique de chaque pays soit respectée. La France attache une extrême importance à ne pas accepter l'uniformisation des échanges, l'uniformisation de toutes les données qui pourraient être échangées sur ces autoroutes de l'information. Il faut que chaque pays garde son identité. Il faut que chacun puisse faire une œuvre de sa langue, de sa culture, et c'est un des points sur lesquels la France sera toujours très attentive.

Voilà, je crois, les quelques points essentiels que je souhaitais soulever devant vous.

Q. : Quels sont les projets précis sur lesquels il y a eu accord ?

R. : En l'occurrence, il n'y a pas eu de projet précis. Évidemment, la conférence de Bruxelles en février 1995 avait déterminé onze projets pilotes dont les premières réalisations sont déjà en cours. Ces projets avaient pour vocation, dès l'origine, de s'ouvrir à de nouveaux partenaires. Ici, depuis deux jours, d'autres propositions sont étudiées, mais il est bien évident qu'avant de les mettre en application, il faut que les organisations internationales et les organisations régionales compétentes, en examinent la faisabilité et ceci, en liaison avec les programmes bilatéraux qui existent déjà. Donc, il ne s'agit pas de mettre en action des projets avant d'avoir bien défini si ces projets n'entrent pas en compétition avec des projets bilatéraux qui existent déjà.

Q. : Sur quel point particulier les négociations ont-elles porté pour mettre au point le texte des conclusions ? Quels ont été les points d'achoppement ?

R. : Nous avions donné les indications sur lesquelles nous étions particulièrement vigilants. Nous insistions sur la diversité culturelle et linguistique. Nous insistions sur le fait qu'il fallait que des capitaux privés et publics puissent s'investir dans le développement des autoroutes de l'information, et nous tenions aussi beaucoup à ce que tous les projets qui allaient être étudiés le soient suffisamment finement pour ne pas venir en contradiction avec des projets qui existent déjà, par exemple avec l'Union européenne. Nous étions particulièrement vigilants sur ces points-là. Sur les autres points, nous étions tous d'accord sur le fait qu'il y avait une nécessité à développer les autoroutes de l'information dans les pays du sud, à établir cette coopération entre eux et nous, parce que sinon, il est bien évident que la séparation, la fracture entre les deux mondes sera d'autant plus importante.

Q. : Quelles ont été les demandes des pays en développement qui ont participé à cette conférence ?

R. : Il faudra le leur demander à eux.