Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France-Inter le 22 octobre 1998, sur l'avenir des régimes de retraite par répartition, le débat sur les fonds de pension, la capitalisation et l'actionnariat salarié.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli
En studio, Mme N. Notat. Bonjour.

N. Notat
 « Bonjour. »

S. Paoli
La privatisation de la retraite est engagée ?

N. Notat
– « La privatisation ? Parlons d’une évolution dans le financement des retraites. Je suis toujours frappée quand on oublie de parler de ce qui existe déjà. Vous savez que le principe, heureusement, de financement de nos retraites, c’est le système par répartition. Ce sont les cotisations des actifs d’aujourd’hui qui financent les retraites d’aujourd’hui. Mais vous savez, dans les fonctions publiques, il existe déjà des systèmes par capitalisation. Dans les entreprises privées, en plus du système de répartition, il existe des plans d’épargne d’entreprise qui sont un plus que les entreprises négocient avec leurs salariés, et qui apportent un plus sur la retraite, au moment où les salariés partent. Donc, vous voyez que ce sont des choses qui sont déjà en avance. Je dirais qu’elles sont en avance là où on peut se le payer. »
 
S. Paoli
Mais est-ce qu’elles garantissent, au même titre que le système de répartition, l’égalité telle qu’elle avait été proclamée par De Gaulle, au lendemain de la Guerre, en disant : il faut que les Français, devant la question de la retraite et devant celle de la maladie, aient à peu près les mêmes chances ?

N. Notat
– « Bien sûr. Je crois qu’on ne peut pas imaginer en France – j’espère aussi dans l’Europe de demain – que nos pays qui fonctionnent sur la base d’une protection sociale affirmée, qu’ils doivent garantir tous les leurs, n’assurent pas à tous les retraités de demain, quelle qu’ait été leur histoire salariale, quel qu’ait été leur statut dans la société, des retraites dignes de ce nom. C’est cela, finalement, que les retraités, aujourd’hui, expriment haut et fort. Ils expriment deux choses. D’abord, ils ont des revendications immédiates. Ils disent en clair, l’évolution de notre propre pouvoir d’achat uniquement sur la base des prix, ça ne peut plus durer, et surtout pour ceux qui ont des basses retraites et des basses pensions. On veut, nous aussi, profiter des fruits de la croissance. C’est à entendre, aujourd’hui. Mais ils expriment, effectivement, une inquiétude pour l’avenir. Car plus que d’autres, peut-être, ils sont conscients que si tout reste égal par ailleurs, aujourd’hui, nous ne serons pas, en 2005, en capacité de financer les retraites de tous ceux qui vont arriver à la retraite. »

S. Paoli
Est-ce qu’on n’est pas dans une situation paradoxale : les fonds de pension servent de plus en plus, maintenant, à ce système de capitalisation pour les retraites. Ces retraites s’instruisent sur la rentabilité de ces fonds de pension, et donc sur la rentabilité des entreprises. Il paraît qu’aux États-Unis, on demande entre 12 à 15 % de rentabilité sur les fonds de pension. La rentabilité de l’entreprise passe quelquefois par les compressions de personnels. Est-ce qu’on n’est pas en train, pour garantir les retraites, de fabriquer aussi du chômage ? Est-ce qu’on n’est pas dans un système un petit peu pervers ?

N. Notat
– « On mélange souvent les choses. Moi je compte beaucoup pour éclairer ce débat, pour qu’il ne parte pas sur de mauvaises bases, pour qu’il ne parte pas sur des peurs – légitimes, mais qui ne sont pas toutes fondées – que les choses soient mises à plat en fonction de la réalité des besoins qui sont aujourd’hui ceux que nous avons en France, et de la manière dont on peut répondre aux problèmes que nous avons. De ce point de vue, la décision que le Gouvernement a prise d’ouvrir un débat d’envergure, sous la responsabilité du Plan est une chose nécessaire. Je crois qu’il ne faut pas se précipiter dans l’énoncé de solutions qui n’ont pas été suffisamment travaillées. Il faut en la matière travailler, réfléchir, confronter sur des solutions qui ne vont pas de soi, pour que l’on puisse réussir les réformes qu’il faudra entreprendre demain. Je dirais que les fonds de pension, aujourd’hui – les fonds de pension américains, anglo-saxons, qui, aujourd’hui, financent les retraites des salariés américains – ce sont eux qui servent de capitaux pour les entreprises françaises. Il me semble qu’il y a deux débats sur les fonds de pension : il y a une première question de savoir si les entreprises françaises et européennes ont besoin de fonds, de capitaux qui ne soient pas seulement des capitaux venus d’outre-Atlantique. Cette question est posée, et nous la posons dans notre débat au congrès que nous avons à la fin de l’année : faut-il élargir la nature, le champ des capitaux dont les entreprises ont besoin ? Et on voit bien aujourd’hui, dans les entreprises, qu’à partir du moment où ces fonds arrivent, ils viennent un peu perturber les relations entre le chef d’entreprise et ses salariés. Ils viennent perturber les conditions de la négociation, parce que l’actionnaire est un acteur qui rentre de plain-pied sur le terrain de l’entreprise, modifie les règles du jeu salarial. Et donc, nous disons : cette question-là intéresse les salariés au plus haut point ; elle intéresse donc aussi les syndicats. Et puis il y a la question de la retraite. Je pense qu’il ne faut pas automatiquement associer, combiner la question du financement des entreprises françaises et la question de la réponse aux retraites de demain. »

S. Paoli
Ce qui est quand même un peu le cas aujourd’hui. Parce que la question des fonds de pension est liée directement aux retraites aujourd’hui.

N. Notat
– « Ce qui est le cas, et ce qui crée de la confusion. Donc, il me semble que, quand le Gouvernement dit : nous allons avoir un problème en 2005, nous mettons de manière symbolique, aujourd’hui, des réserves dans un fonds qui sera destiné à aider à passer ce cap de 2005, je trouve que c’est dommage qu’on le fasse seulement maintenant. Mais enfin, mieux vaut tard que jamais. Mais cela peut aussi être un style de fonds de pension, avec des capitaux publics. On voit donc bien qu’il y a plusieurs solutions possibles. Ce qui est sûr, c’est que la solution… »

S. Paoli
En tout cas, on va vers un système mixte. Cela est certain maintenant : répartition et capitalisation fonctionneront ensemble ?

N. Notat
– « Ce n’est pas exclu. Il faut le mettre en débat. Ce qui est sûr, c’est que les solutions ne pourront pas seulement être réservées pour une catégorie de gens – ceux qui auront les moyens d’abonder par rapport à la retraite que leur procure la répartition aujourd’hui. Il faut quelque chose qui n’exclut personne. »

S. Paoli
Qui sera obligatoire, au fond ?

N. Notat
– « Qui sera collectif. »

S. Paoli
Est-ce qu’il faudra déplacer les curseurs ? Est-ce qu’il faudra partir en retraite plus tard ? Ce qui posera d’ailleurs à nouveau le problème de l’entrée dans le monde du travail pour les jeunes, et donc à nouveau la question du chômage ?

N. Notat
– « Je pense que les solutions sont des réponses aux problèmes qu’on a. Quels sont les problèmes à résoudre ? Nous avons une démographie qui a changé énormément. »

S. Paoli
On vit plus vieux.

N. Notat
– « On vit plus vieux, c’est plutôt heureux, c’est une bonne nouvelle ! »

S. Paoli
Mais on travaille plus tard ?

N. Notat
– « On travaille plus tard, et il y a moins d’actifs qu’hier, du même coup, pour financer les retraites. Donc, il y a un déséquilibre à ce niveau-là. Il faut donc bien trouver, non pas remettre en cause le système de répartition, mais refonder cette répartition, redéfinir les conditions dans lesquelles elle peut être utile, elle peut être efficace, elle peut être une réponse adaptée à la situation d’aujourd’hui. Et puis, on voit bien, les études… Aujourd’hui, les jeunes rentrent plus tard dans la vie active. Donc on voit bien que toutes ces données – les modes de vie aussi qui font que peut-être à 60 ans, on se sent moins vieux qu’on se sentait il y a vingt ans –, toutes ces données-là sont des données objectives, sont des réalités qu’il faut prendre en compte, et faire évoluer et proposer des réponses en tenant compte de ces réalités. »

S. Paoli
Mais la question des retraites est à poser d’urgence, parce qu’on pourrait un jour – on a parlé naguère de la fracture sociale – parler des fractures générationnelles entre le papy-boom qui aura encore un peu de capacité financière, et puis les jeunes qui vont se dire : écoutez, nous, on en a marre !

N. Notat
– « Nous avons fait partie de ceux qui étaient très impatients à l’ouverture de ce dossier. Nous avons trouvé qu’il était temps qu’arrive la décision de l’ouverture de la discussion au Plan. »

S. Paoli
L’accord sur les 35 heures dans le textile : cela vous paraît être un bon accord ? Peut-il faire jurisprudence ?

N. Notat
– « Pour le moment, on est en train d’assister à des accords de nature différente dans les branches et dans les entreprises. »

S. Paoli
C’est du cas par cas ?

N. Notat
– « Oui, c’est du cas par cas, et cela correspond peut-être à des réalités qui sont différentes. En tout cas, l’accord textile, ce qui est sûr, c’est que c’est un accord qui reconnaît que la réduction de la durée du travail doit se mettre en relation avec l’emploi, avec les conditions de travail, avec l’organisation du travail, avec la compétitivité de l’entreprise. »

S. Paoli
Est-ce que là, on peut parler de réduction effective, parce que c’est quand même là-dessus que le débat porte ?

N. Notat
– « C’est d’ailleurs essentiel. Et effectivement, cet accord induit, entraîne de la réduction de la durée effective, à partir du moment où les entreprises bien sûr s’en saisiront pour le rendre applicable. Deuxièmement, cet accord, c’est un accord applicable tout de suite, utilisable tout de suite, qui est compatible avec les dispositions légales actuelles. C’est un accord qui incite les entreprises à utiliser les aides de l’État quand elles en ont besoin. Bref, c’est un accord qui est dans l’épure de ce qui est souhaitable de faire pour que la réduction de la durée du travail soit une disposition utile pour tous. »