Texte intégral
L’éditorial de Marc Blondel
La Sécurité sociale à l’actualité
Le congrès du Parti socialiste qui se tient cette semaine devrait, une fois terminé, si l’on en croit nos interlocuteurs gouvernementaux, permettre quelques réponses à nos interrogations.
C’est ainsi que nous connaîtrons la position exacte du gouvernement sur les élections pour les administrateurs de la Sécurité sociale. Élections ou désignation, nous serons fixés prochainement. C’est d’ailleurs indispensable, une campagne électorale ne s’improvise pas.
Quoi qu’il en soit, la Sécurité sociale aura été à l’avant-scène d’abord sur les relations avec les médecins. Dans ce dossier difficile, nous nous sommes efforcés de ne pas nous manifester à tous propos. On notera également que nous n’avons jamais porté jugement sur les actions des différentes catégories de médecins afin de permettre à notre camarade Derlin de mener, au nom du conseil d’administration de la CNAM et en accord avec les présidents des autres régimes, des négociations délicates, bien souvent conditionnées par des déclarations intempestives de certains partenaires, voire de témoins intéressés. Nous avons cependant fait preuve de fermeté et de responsabilité, confirmé notre attachement à la pratique conventionnelle et nous nous sommes efforcés de conjuguer les droits des assurés sociaux dans l’accès aux soins et l’exercice libéral de la médecine. Nous avons conjointement insisté pour qu’une réflexion d’ensemble soit menée sans délai sur les questions de démographie et de densité médicales, sur l’intérêt de développer le nombre de médecins scolaires et du travail, sur les places non pourvues dans les hôpitaux (environ 2 300, soit 15 % des postes selon la direction des hôpitaux), ainsi que sur la nécessité de perfectionner la couverture sociale des assurés (1).
Dans ce dossier nous avons démontré la place importante et déterminante que nous prenons dans la gestion de la Sécurité sociale, et notamment de l’assurance maladie. La Sécurité sociale prendra encore l’actualité avec le projet gouvernemental de mise en place d’une “cotisation sociale de solidarité” dont l’objet n’est pas d’assurer des rentrées financières complémentaires à la Sécurité sociale, mais surtout d’alléger le coût du travail dans les entreprises, en amorçant une fiscalisation des prélèvements sociaux, avec tous les risques que cela comporte sur la nature des régimes sociaux. C’est-à-dire qu’en toile de fond ressurgit le spectre des prélèvements obligatoires qui sert avant tout à justifier des orientations politiques.
A la marge, lorsque le gouvernement crie au déficit et encourage l’intéressement en l’excluant de cotisations sociales, on peut toujours souligner l’incohérence de la démarche. Ceci étant dit, il semble en particulier que les pouvoirs publics, afin d’éviter la surchauffe toujours annoncée par les conjoncturistes, entendent remettre au goût du jour les procédures dites de “consommation différée” consistant à préférer, aux augmentations de salaires, de l’épargne bloquée pour quelques années. N’entend-t-on pas revenir l’idée, que nous avions déjà combattue en 1984, des fonds salariaux ?
Il nous faut donc, ne serait-ce qu’à titre préventif, rappeler que la priorité doit aller aux salaires, dont le pouvoir d’achat doit augmenter, et qu’il serait plus qu’inopportun socialement et économiquement de rechercher des moyens de contenir la consommation.
La Sécurité sociale c’est aussi la question des retraites pour lesquelles nous avons déclaré que si nous étions prêts à examiner sérieusement le dossier, il n’était pas envisageable de préconiser des mesures visant à restreindre les droits des salariés et retraités. En tout état de cause, les engagements de l’État devront être tenus pour l’ASF.
La solution de ce dossier, comme d’autres, suppose la transparence. Or, force est de constater que dans le domaine financier la protection sociale collective ne bénéficie pas, de la part des pouvoirs publics – et ce n’est pas nouveau – de cette transparence. Il est vrai que cela rendrait difficiles les annonces médiatico-psychologiques. Est-il normal, pour ne prendre que cet exemple, que la formation des médecins soit à la charge de la Sécurité sociale et non de l’État ? Autrement dit, doit-on laisser au régime général des charges indues ? Tous ces dossiers seront “lourds”.
Force ouvrière, en toute responsabilité et indépendance, défendra ses positions et revendications. La protection sociale collective constitue un des secteurs clés de notre société, son secteur socialisé, les deux autres étant le secteur administré et le secteur libéral privé.
Parfois des salariés, impressionnés par la publicité, désintéressés dans l’immédiat pour raison d’âge par exemple ou fascinés par “l’argent roi” (Oh ! les golden boys et M. Minc), contestent les régimes spéciaux qui sont pourtant les seuls garants de notre dignité.
Compte tenu de leur spécificité, de notre part historique dans leur création, de leur mode de financement assis sur les salaires, de leur impact pour les salariés, nous y avons toujours tenu une place importante et efficace dans leur gestion, notamment pour le régime général des salariés.
Nous entendons la conserver, non seulement pour que les intérêts des salariés y soient pris en considération, mais aussi pour que leurs droits soient améliorés et que les sirènes de la remise en cause, sous prétexte de compétitivité et d’Europe, se taisent.
D’autant, il faut le souligner, qu’un récent rapport des pouvoirs publics vient à nouveau de confirmer que la France est un pays où les coûts salariaux se situent dans la moyenne, et sont inférieurs à ceux pratiqués par exemple en RFA, aux États-Unis, en Italie, au Japon ou aux Pays-Bas.
(1) La nomination de M. Lazar devrait, si nous nous référons à l’une de nos conversations avec le ministre de la Santé, répondre à cet objectif.
Éditorial
Droits et dignité
Dès son origine, le syndicalisme indépendant, d’abord à la CGT puis à Force ouvrière, s’est consacré à la mise en place de ce qu’on appelle maintenant la protection sociale collective, dont la Sécurité sociale constitue un des éléments essentiels. Chacun sait que le rôle de ce syndicalisme, le nôtre, par ses revendications, par la négociation, est d’obtenir pour les salariés une amélioration de leur situation. Cela touche donc au travail, à la fois directement par les conditions de travail, formation, salaires... et, indirectement, en permettant au salarié de conserver sa dignité quand il ne travaille pas (chômage), ou plus (retraite), de pouvoir se soigner (assurance maladie), de pouvoir élever ses enfants ou se loger (allocations familiales).
En conservant sa dignité, le salarié conserve sa liberté et sa personnalité. Il ne dépend de personne en particulier, et il est solidaire de tous les autres salariés, car il sait que ce qui arrive à l’un pourrait arriver à d’autres.
C’est pour toutes ces raisons que nos prédécesseurs ont fait preuve de beaucoup de détermination pour créer la Sécurité sociale, que se sont développées la mutualité, puis l’assurance chômage et les caisses de retraite complémentaire.
C’est pour cela que nous avons tenu à ce que ce soient les salariés eux-mêmes, par prélèvement de cotisations sur salaire, qui alimentent financièrement les différents régimes. S’agissant de salaires, indirects, nous avions la garantie, au moins partielle, que les travailleurs et leurs représentants auraient toujours leur mot à dire. La solidarité ainsi organisée proportionnellement aux salaires, les travailleurs se groupent collectivement pour subvenir, quand c’est nécessaire, à leurs besoins individuels, ils s’assurent devant les aléas de la vie.
Il était de notre devoir, en fidélité à ces principes, de tenir notre place, contre vents et marées, dans la gestion de la Sécurité sociale et de la protection sociale collective, pour que celle-ci n’échappe pas aux salariés et, surtout, qu’elle ne soit pas détournée de ses objectifs initiaux, les masses financières ainsi dégagées ne manquant pas de susciter des envies.
Les plus vieux d’entre nous qui se sont battus pour obtenir ces droits savent que ce ne fut pas facile. Cela explique aussi pourquoi – alors que les plus jeunes considèrent parfois que la Sécurité sociale est un acquis définitif, qu’ils en ignorent jusqu’à l’origine – les retraités sont souvent plus rapidement sensibles aux risques qui peuvent peser sur les régimes sociaux, notamment la Sécurité sociale et la retraite. Dans ce domaine, nous ne le répéterons jamais assez, rien n’est jamais définitivement acquis.
Il nous appartient donc d’être à la fois vigilants, exigeants et conquérants.
Si l’on regarde aujourd’hui l’histoire de la protection sociale collective, des progrès considérables ont été obtenus. C’est en effet grâce à elle que les salariés peuvent partir en retraite, que de nombreux hôpitaux se sont construits et développés, que la médecine a beaucoup progressé, que le nombre des médecins de ville s’est accru, que tout le monde a le droit d’être soigné. Elle est de fait la grande responsable de l'amélioration de l’espérance de vie que nous constatons et que les experts évaluent maintenant à un trimestre de plus tous les ans.
Cependant, à divers titres, des menaces pèsent aujourd’hui. Et au moment où il faudrait encore apporter des améliorations sous différents aspects, les risques de remise en cause, au moins partielle dans l’immédiat, sont réels. Quels sont ces risques ?
La crise de 1975 et la politique économique suivie depuis plusieurs années ont d’abord conduit à un accroissement important du chômage (donc des pertes de ressources pour la Sécurité sociale), puis à privilégier les revenus du capital (placements financiers) au détriment des revenus du travail salarié (pertes de pouvoir d’achat, donc autant de “manque à gagner” pour la Sécurité sociale). Enfin, de manière à faciliter le traitement social du chômage sous prétexte de faciliter l'embauche, différentes exonérations de cotisations sociales ont été décidées.
De fait, les différents pays se sont engagés, au nom d’une compétitivité quasi sauvage, à privilégier de toutes les manières possibles la situation financière des entreprises ; de cette optique découle les réductions d’impôts, les avantages fiscaux et sociaux supplémentaires à leur égard, l’appel au développement de l’épargne, la réduction des dépenses publiques en termes d’administration et de service public, et des amorces de privatisation de certains services.
Il faut d’ailleurs dire que les employeurs n’en ont jamais assez, ils réclament à nouveau et sous prétexte de la construction de l’Europe, à cor et à cri, l’allégement du coût global du travail pour l’entreprise dont, disent-ils, les charges seraient trop lourdes.
Pourtant, et personne ne peut le contester, la France est loin d’être le pays où les coûts salariaux, c'est-à-dire lorsque la comparaison se fait salaires et charges comprises, sont les plus élevés. Enfin, il faudrait aussi (encore une idée reçue) diminuer les prélèvements obligatoires et harmoniser le système français avec celui de ses homologues (moins de cotisations sociales et plus d’impôts).
D’où l’idée de mettre en place une contribution sociale dite de solidarité qui serait, en fait, un impôt nouveau et qui amorcerait une fiscalisation de la Sécurité sociale, c’est-à-dire un renforcement de la tutelle des pouvoirs publics qui conduirait inéluctablement à un interventionnisme plus grand de la part de l’État. Finalement, la contribution sociale généralisée aurait pour résultat : un allégement de charges pour les entreprises et une augmentation de la part supportée par les salariés. Vous comprendrez dès lors pourquoi Force ouvrière n’est guère favorable à cette contribution nouvelle, même si elle est présentée comme un développement de la solidarité nationale.
Considérée comme charge insupportable, la retraite à 60 ans commence aussi à être dénoncée. Il faudrait ainsi réduire les droits à la retraite en rendant plus difficile l’acquisition des droits ou en revalorisant moins les retraites, ce qui est socialement et économiquement intolérable.
Toutes ces raisons conduisent à une présentation cyclique du soi-disant “trou de la sécurité sociale” qui apparaît et disparaît comme par magie, au gré des besoins ou des argumentaires.
Tout cela n’est ni sérieux, ni acceptable.
Chaque année, le produit national brut de la France (sa richesse en quelque sorte) s’accroît.
Mais, chaque année, depuis quelque temps, cela s’accompagne d’un élargissement des inégalités ; c’est le problème : les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent.
Le principal frein aux inégalités est constitué par les régimes sociaux. Ce qui est aujourd’hui inacceptable, c’est que la sécurité sociale ne puisse répondre à tous les besoins de son ressort et que les salariés sans emploi soient laissés de côté.
L’objectif n’est donc pas de la restreindre, mais de l’étendre.
Ce qui est inacceptable c’est que les régimes de salariés supportent des dépenses qu’ils ne devraient pas supporter, c’est aussi que les régimes supportent des charges indues qui devraient figurer au budget de l’État.
Comme elle l’a toujours fait, Force ouvrière, dont le rôle historique dans la création et le développement de la Sécurité sociale n’est plus à démontrer, se battra pour défendre, garantir et améliorer le droit des salariés actifs, chômeurs ou retraités.
La Sécurité sociale est l’un des éléments essentiels de lutte contre les inégalités qu’il ne suffit pas de dénoncer dans un discours. C’est pour toutes ces raisons et afin que les travailleurs comprennent mieux “leur Sécurité sociale” que nous avons publié ce numéro spécial.
L’enjeu est de taille, il s’agit d’aborder le XXIe siècle avec suffisamment de garanties pour éviter que la vie de chacun soit basée sur l’égoïsme et la loi du plus fort.
Amicalement
Marc Blondel
Secrétaire général de Force ouvrière