Texte intégral
Les Echos : 13 octobre 1998.
Les Échos
Le Gouvernement aborde la discussion budgétaire dans des conditions plus difficiles que l’an dernier, en raison notamment des incertitudes sur la croissance. Qu’est-ce qui vous permet de rester optimiste ?
Christian Sautter
– Nos prévisions économiques ne sont pas optimistes, mais prudentes. Elles ont été refaites pendant l’été, et cet exercice nous a conduit à ramener notre prévision de croissance pour 1999 de 2,8 % à 2,7 %. Comme cette année, la croissance sera tirée par une puissante demande intérieure et non plus par la demande extérieure. La consommation est solide. Un exemple : le Mondial de l’automobile a accueilli 1,2 million de visiteurs, soit 100 000 de plus que le précédent record de 1992. Grâce à un pouvoir d’achat important, elle progressera encore de 2,7 % l’an prochain. L’investissement des entreprises devrait lui aussi être dynamique (+ 5,7 %). La demande publique apportera aussi sa contribution. Une croissance de 2,7 % est donc tout à fait crédible. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la croissance de la zone euro est autocentrée. Elle est largement à l’abri du recul de l’Asie et du ralentissement des États-Unis.
Les Échos
Certaines évolutions sont tout de même récentes. Le Budget table sur un dollar à 6 francs. Or il est plus proche de 5,40 francs.
Christian Sautter
– La baisse du dollar a bien sûr des conséquences sur nos exportations. Mais nous exportons beaucoup plus sur la zone euro qu’ailleurs : en même temps nous importons beaucoup en dollars, notamment des matières premières. Un dollar à 5,40 francs ne bouleverserait donc pas nos prévisions. Notre présence relativement faible au Japon fait que la crise que ce pays traverse a, enfin, peu d’impact sur nous, sauf, bien sûr, pour quelques entreprises.
Les Échos
Une Europe « social-démocrate » peut-elle prendre des initiatives concertées de soutien à la croissance ?
Christian Sautter
– La volonté de croissance du Gouvernement de Lionel Jospin pour la France doit être transposée en Europe. Avec la victoire des sociaux-démocrates en Allemagne, la volonté de croissance va être beaucoup plus forte dans les six mois qui viennent qu’il y a six mois. Comment peut-elle se traduire ? Par une coordination des politiques monétaires et budgétaires. Le sujet est à l’ordre du jour de déplacement du Premier ministre à Bruxelles aujourd’hui. Lionel Jospin a émis l’idée d’un grand emprunt pour financer des travaux d’infrastructures (TGV, autoroutes, réseaux de télécommunications, etc.). Il faut bien sûr que l’effort soit suffisamment conséquent pour tirer la croissance européenne.
Les Échos
Le SPD et les Verts allemands sont prêts à explorer une autre piste : celle de la baisse de l’impôt sur le revenu. Les Français resteront-ils à la traîne ?
Christian Sautter
– Les Français ne sont pas du tout à la traîne en matière de baisses d’impôts. Depuis l’été 1997, le Gouvernement a en effet engagé résolument une politique de réduction des prélèvements sur les ménages qui tranche avec celle des précédents gouvernements. Mais il y a une différence notable entre l’Allemagne et la France : en Allemagne, le rendement de l’impôt sur le revenu est le même que celui de la TVA, alors qu’en France la TVA rapporte 800 milliards de francs et l’impôt sur le revenu 350 milliards. Vous savez d’ailleurs qu’un ménage français sur deux ne paie pas l’impôt sur le revenu. Il est donc normal que, dans la chronologie au moins, les points d’application de la réforme fiscale soient différents. Mais je me réjouis qu’en Allemagne, comme en France, soient engagées des politiques de baisses d’impôts qui ne peuvent que stimuler davantage encore la croissance.
Les Échos
Passons au budget. La commission des Finances a voté plusieurs amendements sur la TVA. Les députés, qui souhaitent une baisse du taux sur les travaux à domicile, vous reprochent de ne pas faire suffisamment pression sur Bruxelles.
Christian Sautter
– Les taux de TVA ne peuvent être modifiés qu’à l’unanimité à Bruxelles. Avec Dominique Strauss-Kahn, nous souhaitons que l’intention manifestée au sommet du Luxembourg de décembre 1997 d’une baisse des taux pour un certain nombre de services à domicile se concrétise. La Commission européenne doit donc faire des propositions au Conseil des ministres en ce sens. Il faudra ensuite un vote à l’unanimité. Tout cela va prendre du temps. C’est pour cela que la commission des Finances a fait une seconde proposition : améliorer le crédit d’impôt lié à l’amélioration du logement. Nous regardons avec bienveillance cette amélioration.
Les Échos
Deux propositions concernant l’impôt sur la fortune sont sur la table : la taxation des œuvres d’art et la suppression, évoquée par François Hollande, de l’exonération au titre des biens professionnels pour les dirigeants de plus de soixante-quinze ans. Qu’en pensez-vous ?
Christian Sautter
– Sur le premier point, je comprends l’objectif. Mais il ne faudrait pas, par une mesure fiscale excessive, porter atteinte à ce secteur économique important qui fournit de nombreux emplois. Sur le deuxième point, nous verrons au cours du débat parlementaire. Même si l’idée de faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneur est souhaitable – et il y a de bonnes dispositions dans le budget 1999 sur ce point –, je ne sais pas si les modalités techniques de la mesure d’âge proposée par le PS répondent complètement à cet objectif.
Les Échos
La commission des Finances a rejeté l’article sur l’assurance-vie. Quelle nouvelle rédaction allez-vous proposer ?
Christian Sautter
– S’agissant de l’effet rétroactif de la limitation de l’exonération de droits de mutation, le dispositif proposé ne s’appliquait qu’aux successions ouvertes après le 1er janvier 1999. Le Gouvernement proposait de limiter l’exonération à un million de francs par contrat, ou, au-delà, à 30 % du patrimoine. Nous devons trouver avec les parlementaires un nouveau dispositif, sachant que l’objectif politique reste bien d’éviter que cette exonération soit détournée de son objet pour éviter de payer l’impôt lors de très grosses successions. Le débat permettra de trouver une mesure politiquement admissible et économiquement correcte.
Les Échos
La réforme de la taxe professionnelle semble inquiéter de nombreux élus locaux. N’est-ce pas le signe que l’État va sortir gagnant en reprenant la maîtrise de ses transferts aux collectivités locales ?
Christian Sautter
– La réforme de la taxe professionnelle était réclamée pratiquement depuis la création de cet impôt il y a plus de 20 ans. Nous, nous sommes passés de la velléité à l’action. Évidemment, comme pour toute réforme dans notre pays, des inquiétudes surgissent, car on sait ce que l’on a aujourd’hui et pas ce que l’on aura demain. Il est normal qu’une réforme aussi importante provoque la discussion. Mais s’il n’y a qu’une seule chose sûre, c’est que l’État est perdant, puisque le gain net pour les petites et moyennes entreprises en 1999 est de 7,2 milliards de francs. C’est donc un investissement fiscal que l’État fait pour l’emploi, en particulier dans les secteurs les plus créateurs d’emplois, dont la demande d’investissement soutiendra la croissance en 1999.
Les Échos
Martine Aubry semble considérer que ce sacrifice est trop important au regard de l’efficacité en termes d’emploi et des autres priorités comme la baisse des charges patronales…
Christian Sautter
– Cette réforme était inscrite dans le programme électoral de la majorité actuelle. C’est un acte de confiance dans la croissance, et nous sommes engagés à évaluer sur pièces le moment venu.
Les Échos
Certains, notamment au PS, souhaiteraient un découplage des impôts locaux parallèlement à l’accélération de la marche vers une taxe professionnelle unique au niveau de l’agglomération. Allez-vous prendre en compte cette demande ?
Christian Sautter
– Il est clair que le Gouvernement comme sa majorité veulent éviter que les baisses d’impôts qui résultent de la suppression progressive, en cinq ans, de la base salaire soient « rattrapées » par des augmentations de taux de la taxe professionnelle qui conduirait, au final, les collectivités à ajouter à la compensation substantielle de la part de l’État le produit de la taxe antérieure. Il y a des risques à la déliaison des taux, non pour la majorité des collectivités locales, qui sont responsables, mais pour celles qui pourraient chercher à avoir « le beurre et l’argent du beurre ». C’est un sujet sur lequel il faudra discuter avec beaucoup d’attention.
L'usine Nouvelle : 17 décembre 1998
L’USINE NOUVELLE
Des statistiques décourageantes, surtout dans l’industrie, ont été publiées récemment. La prévision officielle d’une croissance à + 2,7 % en 1999 est-elle crédible ?
Christian Sautter
– Il y a des indicateurs préoccupants et des indicateurs encourageants. La consommation des ménages progresse à un bon rythme : + 3,7 % l’an. Les créations d’emplois par les entreprises s’élèvent à 300 000 en un an. L’inflation recule, ce qui accroît le pouvoir d’achat des ménages. Tout cela installe un nouveau climat de confiance. De bonnes nouvelles émanent aussi du bâtiment. Ce secteur est sorti d’une longue période de marasme, et sera soutenue par toute une série de mesures dans le budget 1999.
Les points d’interrogation concernent l’industrie manufacturière. Après une reprise, on sent qu’une inquiétude s’exprime. D’une part, les entreprises ont tapé dans leurs stocks au troisième trimestre pour servir leurs clients. D’autre part, après de bonnes réalisations sur l’année 1998, les intentions exprimées en matière d’investissement productif sont ternes pour 1999. Cela dit, ces dernières informations ont été influencées par deux types de phénomènes. D’abord, elles renvoient au plus fort de la crise financière mondiale, entre septembre et octobre. Ensuite, l’Allemagne et l’Italie, qui sont des clients importants pour la France, ralentissent davantage que prévu. Or on a dépassé le stade aigu de la crise financière, et, si l’on regarde les enquêtes auprès des ménages en Allemagne en Italie, on voit qu’elles continuent d’y traduire une grande confiance.
Au total, je garde le chiffre de + 2,7 % comme objectif pour la croissance française en 1999. Cela suppose que les consommateurs gardent leur moral actuel et que les entreprises voient que la consommation est au rendez-vous.
L’USINE NOUVELLE
Pourquoi affirmer que le pic de la crise financière est passé ?
Christian Sautter
– Le Brésil a reçu une aide substantielle et devrait retrouver son équilibre. Et, surtout, le Japon a pris des mesures importantes. Ce pays était confronté à deux graves problèmes. D’abord, les banques supportaient un tel montant de créances douteuses que, pour certaines, leur viabilité était mise en question. Un dispositif de soutien au secteur a été bouclé en octobre. Il bénéficie de moyens colossaux. Le Japon a des atouts pour s’en sortir. C’est le premier créancier du monde. Il est à l’épargne ce que le Moyen-Orient est au pétrole. Deuxième problème, la production au Japon était sur une pente descendante, à – 2 % l’an. Il fallait enrayer cette chute. Les chiffres du programme de relance décidé par le Gouvernement sont également faramineux. À la lumière des précédents plans, je pense que les dernières mesures devraient arrêter la récession, mais ne pas suffire à faire rebondir le Japon. Un rebond ne viendra que de la confiance des Japonais.
L’USINE NOUVELLE
La France est-elle assez sérieuse en matière budgétaire ? Une croissance de 1 % en volume de dépenses de l’État en 1999, n’est-ce pas trop élevé ?
Christian Sautter
– Si nous avions six ou sept années de croissance assez soutenue, la France serait, comme les États-Unis, en excédent. Il nous faut non seulement une croissance de l’économie, donc des recettes fiscales, mais aussi un bon contrôle des dépenses publiques. Un rythme de progression des dépenses à + 1 % en volume est inférieur à une perspective de croissance du PIB à + 2,7 %. Surtout, il permet le financement de la montée en régime des programmes nouveaux que nous avons lancés : emplois-jeunes, exclusion, rénovation de la justice et de la police, réduction du temps de travail. Quand ces programmes auront atteint leur vitesse de croisière, nous pourrons stabiliser les dépenses.
L’USINE NOUVELLE
Les prélèvements obligatoires représentent 46 % du PIB en France. Atteint-on le seuil du supportable ?
Christian Sautter
– Le Gouvernement, le Premier ministre, Dominique Strauss-Kahn et moi-même estimons qu’il faut faire baisser ce niveau dans notre pays. Une décrue de 0,2 point de PIB a été acquise en 1998, et sera de nouveau accomplie en 1999. La tendance est bien à la réduction, après la hausse de deux points effectués entre 1994 et 1996.
L’USINE NOUVELLE
Les prélèvements allant in fine aux collectivités locales – mes impôts locaux et les transferts versés par l’État – sont ceux qui frappent de plus en plus fort les contribuables. De 28,5 % des impôts revenant à l’État en 1983, ils sont passés à 45 %. Comment justifier cette dérive ?
Christian Sautter
– Il y a deux phases dans le comportement des collectivités locales. La période allant de 1982 à 1995 a constitué le rodage de la décentralisation. Les collectivités locales ont dû faire face aux compétences qui leur étaient transférées, mais beaucoup sont allées au-delà. On a assisté à une montée de la pression fiscale locale. Après la crise de 1993, qui a affecté les recettes de taxe professionnelle de 1995, les collectivités locales ont compris qu’elles devaient s’installer sur un palier. À présent, elles essaient de contenir leurs dépenses davantage que par le passé. La preuve : globalement, elles dégagent un excédent. Elles constituent en outre un précieux apport à la croissance – par leurs investissements – et à la lutte contre le chômage – par les emplois-jeunes.
L’USINE NOUVELLE
Le Gouvernement a décidé d’alléger la taxe professionnelle en supprimant en cinq ans sa part salariale. Mais l’État devra reverser ce manque à gagner aux collectivités territoriales. En régime de croisière, combien lui coûtera cette mesure ?
Christian Sautter
– Le coût net, c’est-à-dire l’allègement des charges des entreprises, sera de 20 à 25 milliards environ par an, compte tenu des ressources fiscales nouvelles qui ont été décidées. Par exemple, la cotisation minimale de taxe professionnelle sera relevée de 0,35 % de valeur ajoutée à 1 % en 1999, puis à 1,5 %. Je rappelle que le taux moyen de la taxe professionnelle dépasse 3 %.
L’USINE NOUVELLE
Parmi les entreprises, quelles seront les gagnantes et les perdantes des différentes réformes de la taxe professionnelle ?
Christian Sautter
– La première année, c’est-à-dire dès 1999, les 820 000 établissements dont la masse salariale est inférieure à 550 000 francs ne paieront plus du tout la partie salariale. Elles vont bénéficier d’un allègement qui sera de 50 % dans le BTP et dans les services, de 20 % dans l’industrie. Mais en 1999, il y aura quelques entreprises perdantes. Celles qui, à la fois, ont une taille trop importante pour tirer un grand bénéfice de la première étape et qui, soit sont situées sur des communes à faible taux, soit paient peu de taxe. En régime de croisière, cependant, tout le monde devrait y gagner.
L’USINE NOUVELLE
Le budget 1999 prévoit-il d’autres réformes fiscales en faveur des entreprises ?
Christian Sautter
– D’abord, plusieurs mesures sont destinées à soutenir le bâtiment. La diminution des droits de mutation à titre onéreux, notamment pour les immeubles professionnels, va faire bouger le secteur de la construction. La TVA de 20,6 % sur les terrains à bâtir est remplacée par une taxe de 3,8 %. Les crédits d’impôts pour les travaux d’entretien font plus que doubler. Ensuite, des dispositions vont faciliter la donation des entreprises. Le crédit d’impôt recherche est renouvelé. Enfin, des mesures simplifieront la vie des entreprises de moins de 500 000 francs de chiffres d’affaires, pour les activités d’achat-revente et de location, et de moins de 175 000 francs pour les prestataires de services. Ces entreprises sont notamment exonérées de déclaration, ce qui allège l’impôt-papier. Tout considéré, ce sont 15 millions de formulaires qui disparaîtront l’année prochaine.