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Le Monde : L'Association pour la recherche contre le cancer (ARC) s'ajoute à la liste des associations de type de loi 1901 impliquées ces dernières années dans des scandales financiers, après Carrefour du développement, le Centre national de transfusion sanguine (CNTS), les associations paramunicipales de Jacques Médecin ou la galaxie associative d'Urba Gracco. Cela vous conduit-il à envisager une refonte de la loi de 1901 ?
M. Debré : Il faut absolument éviter que les affaires regrettables dont vous parlez conduisent à remettre en cause le principe constitutionnel de la liberté d'association. Il est au cœur de la loi de 1901 et notre devoir est de la préserver. J'ajoute que le phénomène associatif prouve quotidiennement sa vitalité, à la fois comme instrument de solidarité, de fraternité et comme outil de développement de la vie locale. Prenons garde à ne pas entraver son essor. Mon objectif est d'accentuer la vigilance de l'État pour prévenir un certain nombre de dysfonctionnements. Sa réalisation passe vraisemblablement par une meilleure utilisation de la loi de 1901, afin de mettre la puissance publique, et notamment le ministère de l'intérieur, en situation de sanctionner les détournements de toute nature et les usages abusifs du droit d'association.
Le Monde : Dans quels domaines voulez-vous renforcer en priorité le contrôle de l'État ?
M. Debré : Quelques chiffres nous permettent de situer l'extraordinaire expansion du phénomène associatif. En vingt ans, le nombre des créations annuelles est passé d'environ 20 000 à plus de 70 000. On dénombre aujourd'hui quelque 700 000 associations, qui s'attachent les services de l'ordre de 500 000 salariés et d'environ 800 000 bénévoles. Parallèlement, les fonds gérés par l'ensemble de ces structures ont connu une croissance exponentielle. C'est vous dire combien il est aujourd'hui difficile d'accompagner le phénomène associatif dans sa gestion et d'en suivre l'évolution. Plutôt que de déterminer des domaines où la vigilance de l'État devrait s'exercer en priorité, je proposerais de définir des cibles privilégiées. À mon sens, il faut principalement renforcer la surveillance des associations reconnues d'utilité publique. Leur nombre – 2 000 sur l'ensemble du territoire – le permet et leur objet même l'exige.
Le Monde : Quels sont les principaux types de dysfonctionnements que vous avez repérés ?
M. Debré : N'oubliez pas que le rôle du ministère de l'intérieur et des préfectures n'a jamais consisté, jusqu'à présent, à s'immiscer dans le fonctionnement interne des associations. On se bornait à une vérification formelle de la régularité des statuts et de l'existence des critères donnant droit à la reconnaissance d'utilité publique. Pour résumer, le ministère n'était pas un observatoire des associations, mais plutôt un guichet d'enregistrement de leur création. On peut le regretter, mais cette politique était conforme à une certaine conception du droit des associations fondées sur la prééminence du principe de liberté. Il faut sans doute évoluer sans le remettre en cause. C'est toute la difficulté de la tâche.
Le Monde : Quelles décisions avez-vous prises en ce qui concerne, tout d'abord, la grande masse des 700 000 associations ?
M. Debré : J'ai tout d‘abord décidé de renouveler et de renforcer les services compétents au sein de la direction générale de l'administration, qui ne fonctionnaient pas dans des conditions satisfaisantes au regard de l'évolution de la matière. Les moyens mis à leurs dispositions seront accrus et l'informatisation accélérée.
J'ai parallèlement décidé d'étoffer la cellule spécialisée qui, au sein de la direction centrale des renseignements généraux, à la charge de veiller à déceler ceux qui, sous couvert de générosité, utilisent la loi de 1901 à des fins intéressées ou détournées de leur objet déclaré.
Ce n'est pas tout. Je vais adresser une circulaire aux préfets afin qu'ils accroissent leur vigilance dès la création d'une association. À l'heure actuelle les préfectures se comportent comme une chambre d'enregistrement et ne sont pas en mesure de suivre l'activité des associations. Il faut que cela change. C'est pourquoi, à l'avenir, elles ne pourront rester indifférentes à la concordance entre le but déclaré et l'activité réelle de l'association.
Nous avons enfin besoin d'un dépoussiérage de nos pratiques administratives. À cette fin, l'inspection générale de l'administration réalisera, dans un délai bref, un audit sur la capacité des préfectures à mieux appréhender l'activité des associations. J'attends de l'IGA des propositions sur la possibilité de mettre en place dans l'administration préfectorale un mode d'organisation permettant, à échéances régulières, de savoir si telle ou telle association n'existe plus, si elle a révisé son objet ou encore élargi son rôle. Mais il doit être bien clair pour tout le monde qu'il ne s'agit pas de jeter la suspicion sur le mouvement associatif. Mieux, il doit être question avant toute chose de l'aider à se développer, de mettre en valeur ses atouts comme l'a déclaré le premier ministre récemment devant le Conseil national de la vie associative.
Le Monde : Comment envisagez-vous de renforcer le contrôle des 2 000 associations reconnues d'utilité publique ?
M. Debré : Distinguons, si vous le voulez bien, une minorité d'associations qui manient des fonds considérables, bénéficient de supports publicitaires et de l'attention des médias, sollicitent des dons et legs de la part du public. Leur gestion doit évoluer dans le sens d'une plus grande rigueur et pouvoir faire l'objet d'un examen sérieux. Il convient de faire un effort pour améliorer la publication des comptes, leur régularité et leur transparence.
Aujourd'hui, si les comptes sont transmis chaque année aux services de l'État, leur présentation est telle que l'administration n'est pas capable de déceler d'éventuelles anomalies. C'est peut-être étonnant, mais c'est la vérité. L'ARC en est la meilleure illustration. J'en tire comme conclusion qu'il faut envisager la possibilité pour les pouvoirs publics de s'attacher la coopération d'experts chargés d'analyser les comptes des associations. Il importe de faire ressortir annuellement un certain nombre d'indicateurs précis et pertinents pour des non-spécialistes et surtout pour le public : montant exact des sommes recueillies par la générosité publique, niveau des dépenses de fonctionnement, rapport entre les sommes affectées au but de l'association et celles relatives la communication ou à la gestion courante.
Je crois qu'il serait également souhaitable de mieux utiliser les compétences des corps d'inspection interministériels. Et j'ajoute que la Cour des comptes doit continuer de jouer pleinement son rôle pour ce qui intéresse les organismes faisant appel à la générosité.
Le Monde : Cela voudra dire que la Cour des comptes pourra continuer d'intervenir dans les contrôles des associations et que les trois inspections pourront, elles aussi, procéder à des contrôles ?
M. Debré : C'est souhaitable. Mais revenons à nos réflexions antérieures. Il convient de réfléchir sur l'éventuelle séparation entre les fonctions de participation à la décision et au contrôle qui incombent à l'État dans les associations reconnues d'utilité publique. Vous avez par exemple qu'un représentant de l'État siège au conseil d'administration des fondations et de certaines associations. Est-il sain que celui qui participe à la décision soit chargé dans le même temps de la contrôler ? Je ne le crois pas. À l'avenir, le renforcement du contrôle de l'État s'accommodera mal d'une présence au sein du conseil d'administration qui cautionne ou entérine des décisions d'une instance indépendante. Il faut imaginer un dispositif assurant la vigilance de l'État sans la participation aux prises de décision.
Le Monde : Faut-il accentuer la collaboration entre les ministères compétents ou bien pensez-vous que le ministère de l'intérieur doit être l'instance de contrôle ?
M. Debré : Accroître la coopération interministérielle, pourquoi pas ? Démanteler la vocation généraliste du ministère de l'intérieur, sûrement pas ! Ce serait éteindre l'esprit même de la loi de 1901 que de spécialiser les associations. Le ministère de l'intérieur doit rester le ministère de référence.
Le Monde : Un véritable pouvoir de contrôle suppose que des sanctions effectives soient prises…
M. Debré : Qui dit contrôles dit sanctions. Notre droit les prescrit. L'administration a la faculté de refuser de donner aux associations le droit de recevoir des dons et legs et, le cas échéant, de le leur retirer. Le retrait de la qualité d'utilité publique ainsi que la dissolution judiciaire sont également des possibilités. Mais, comme souvent dans notre pays, les textes existent et ne sont pas appliqués. Dans les dix dernières années, seuls quatorze retraits de reconnaissance d'utilité publique ont été opérés. Encore faut-il préciser que la plupart sont intervenus à la suite de fusions ou de réorganisations ou à la demande de l'association concernée. Cela veut dire concrètement que les dysfonctionnements, ou pire les abus constatés, n'ont pas été véritablement sanctionnés.