Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la justice, sur l'importance de la cour d'appel de Versailles, le renforcement des juridictions du premier degré, et la préparation de la réforme de la procédure judiciaire, Versailles le 22 mai 1996.

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Circonstance : 20ème anniversaire de la création de la cour d'appel de Versailles, à Versailles le 22 mai 1996

Texte intégral

Messieurs les Députés,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur Je procureur général,
Mesdames et Messieurs,

Le 24 décembre 1975, M. Jacques Chirac, alors Premier Ministre, signait un décret dont l'article 1er était ainsi rédigé : « il est créé une cour d'appel à Versailles ».

La signature de ce décret marquait l'aboutissement d'un projet dont le principe avait été décidé 10 ans auparavant.

Aujourd'hui, nous sommes réunis pour célébrer le vingtième anniversaire de cet acte fondateur de la cour d'appel de Versailles.

Cet évènement est important, non seulement parce qu'il concerne la seconde cour d'appel de France par la population de son ressort, mais aussi parce que la création de la cour d'appel de Versailles constitue la dernière modification substantielle de la carte judiciaire.

Mais, en consacrant une partie des travaux de votre colloque à un approfondissement de la réflexion sur les évolutions souhaitables de la procédure civile devant les juridictions du second degré, vous avez souhaité, monsieur le Premier Président et monsieur le Procureur Général, que cette journée ne soit pas seulement une journée de commémoration mais qu'elle soit aussi tournée vers l'avenir.

La modernisation de notre procédure civile constitue également, vous le savez, l'une de mes préoccupations depuis mon arrivée Place Vendôme. C'est pourquoi, d'ailleurs, j'ai confié, sur ce thème, une mission de réflexion à M. le Président Coulon que j'ai le plaisir de saluer.

Avant d'aborder ce sujet essentiel pour l'avenir de l'institution judiciaire, permettez-moi d'évoquer brièvement, devant vous, les origines de la cour d'appel de Versailles. En effet, j'ai eu l'occasion de suivre de près ce projet, en qualité de Conseiller Technique, à l'Hôtel Matignon, de M. Jacques Chirac.

Ce projet reposait sur deux considérations essentielles.

La création de la cour d'appel de Versailles s'est d'abord inscrite dans le cadre de l'ambitieuse politique de réorganisation de la région parisienne conduite au début des années soixante et définie, notamment, dans le Schéma d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Parisienne (SDAURP) dont le maître d'œuvre a été le regretté Paul Delouvrier.

La profonde réorganisation des structures administratives de la région parisienne, résultant de l'importante loi du 10 juillet 1964 qui substitua aux départements de la Seine et de la Seine-et-Oise de nouvelles circonscriptions administratives, entraîna un remaniement de la carte judiciaire.

C'est ainsi que, dès 1965, afin d'aligner l'organisation judiciaire sur ces nouvelles structures administratives, la décision fut prise de créer des tribunaux de grande instance aux chefs-lieux des nouveaux départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Par ailleurs, il apparut souhaitable de faire coïncider le ressort de la cour d'appel de Paris, alors compétente sur douze départements, avec les limites administratives de la région parisienne.

Ainsi, par un décret du 20 décembre 1967 fut créée la cour d'appel de Reims ayant notamment dans son ressort les départements de l'Aube et de la Marne, jusqu'alors rattachés à la cour d'appel de Paris.

Dans le même ordre d'idée, il fut un moment envisagé de rattacher l'Eure-et-Loir et l'Yonne respectivement aux cours d'appel d'Orléans et de Dijon.

Toutefois, même amputée d'une partie de son ressort, la cour d'appel de Paris restait, du fait de l'énorme concentration de population dans la région parisienne, d'une taille qui n'était plus compatible avec une bonne administration de la justice.

Son ressort comptait alors plus de 10 millions d'habitants, soit le cinquième de la population française, et regroupait le quart des magistrats qui traitait 30 % du contentieux judiciaire au niveau de l'appel.

Face aux problèmes insolubles d'organisation et de fonctionnement posés par le gigantisme, la cour d'appel de Paris, il fut donc décidé de créer une seconde cour d'appel dans l'ouest parisien.

En raison de son passé prestigieux et de sa position géographique, le choix de Versailles, comme siège de cette nouvelle juridiction, s'imposa tout naturellement. En outre, pour les justiciables, le chef-lieu des Yvelines présentait l'avantage indéniable d'être parfaitement desservi par un important réseau de communications.

Quant au ressort de cette nouvelle cour, il devait initialement s'étendre sur trois départements seulement, si j'ose dire : les Yvelines, le Val-d'Oise et les Hauts-de-Seine.

Mais, l'abandon du projet de rattachement de l'Eure-et-Loir à la cour d'appel d'Orléans conduisit le Gouvernement à décider d'étendre à ce département le ressort de la nouvelle cour.

Il faut ici souligner, qu'en dépit de l'incontestable progrès qu'elle représentait pour l'institution judiciaire, la décision de créer une nouvelle cour d'appel à Versailles se heurta à de très fortes résistances qui se manifestèrent y compris à l'Assemblée Nationale.

On reprochait notamment à ce projet de porter atteinte au rayonnement de la cour d'appel de Paris et à la spécialisation de certaines de ses chambres.

Il fallut toute la ténacité et la force de persuasion du Garde des Sceaux, M. Jean Lecanuet, pour convaincre les plus sceptiques que cette réforme était au contraire indispensable, si l'on souhaitait éviter la paralysie de l'appareil judiciaire.

Une fois finalement acquis le principe de la création de la cour d'appel de Versailles, restait à mettre en œuvre cette réforme d'ampleur.

Celle-ci ne pouvait évidemment pas être réalisée en un jour. Elle impliquait, en effet, l'aménagement de locaux et la création de postes de magistrats et de fonctionnaires indispensables au fonctionnement de la nouvelle juridiction.

Il fut donc décidé de donner à cette nouvelle juridiction d'appel ses compétences juridictionnelles de manière progressive. L'institution d'un tel régime transitoire, dérogatoire aux règles générales d'organisation judiciaire, ne pouvait résulter que d'une loi. Tel fut donc l'objet de la loi du 22 décembre 1975 qui autorisa le Gouvernement à conférer progressivement à la nouvelle cour ses compétences juridictionnelles.

Un premier décret du 17 mai 1977 donna compétence à la cour d'appel de Versailles en matière pénale. Il fut suivi, le 12 décembre de la même année, d'un second décret lui attribuant compétence en matière civile et de baux ruraux.

Ainsi, deux ans après sa création, la cour d'appel de Versailles exerçait une partie importante de ses compétences juridictionnelles.

La célérité avec laquelle la nouvelle cour a pu commencer à fonctionner doit beaucoup au soutien actif de la ville de Versailles dont vous étiez alors, M. Damien, le premier magistrat.

Elle doit aussi beaucoup, il faut ici leur rendre hommage, aux premiers chefs de cour, M. le Premier Président Pinot et M. le Procureur Général Chalret, qui eurent la lourde tâche d'installer la nouvelle juridiction dans les locaux où nous nous trouvons aujourd'hui.

Avec les Écuries de la Reine, la cour d'appel de Versailles a certes hérité d'un ensemble immobilier très prestigieux mais, il faut le reconnaître, assez peu adapté à l'exercice d'activités judiciaires.

Aussi, le ministère de la justice dût-il entreprendre d'importants travaux d'aménagement et de réhabilitation qui s'échelonnèrent de 1975 à 1991 : près d'un tiers des bâtiments ont été ainsi remanié pour une dépense globale dépassant les soixante millions de francs.

Toutefois, l'évolution de l'activité de la cour conduit actuellement la Chancellerie à examiner, en étroite liaison avec les collectivités territoriales et les autorités judiciaires locales, la possibilité de transférer la cour dans un bâtiment plus spacieux et plus adapté.

Les recherches qui ont été menées ont conduit, à ce stade, la Chancellerie à examiner plus particulièrement la possibilité d'une installation dans le quadrilatère de l'hôpital Richaud et son bâtiment annexe de la maternité, récemment proposée par le député-maire de Versailles, les services hospitaliers devant prochainement être réinstallés en un autre lieu.

Une telle solution permettrait à la cour d'appel de rester dans Versailles tout en disposant de l'espace nécessaire dans un bâtiment, classé pour partie monument historique, et dont l'architecture correspondrait bien à sa nouvelle mission.

Si l'opération pouvait aboutir, la Chancellerie mettrait en place rapidement les crédits nécessaires à la conservation de cet élément important du patrimoine dans l'attente des travaux d'aménagement proprement dits qui pourraient commencer d'ici 4 ans, à l'issue de l'exécution de la loi de programme actuellement en cours.

Sans que l'on puisse aujourd'hui encore se prononcer avec certitude sur les décisions finales qu'il sera possible de prendre, cette perspective paraît en tous cas fort intéressant pour la Justice.

Vingt ans après sa création, la cour d'appel de Versailles a aujourd'hui atteint sa pleine maturité.

Par son niveau d'activité, elle se situe au troisième rang des cours d'appel de France après Paris et Aix-en-Provence.

Elle a fréquemment l'honneur d'être désignée par la Cour de cassation comme cour de renvoi.

Souvent siège d'importants procès, elle connaît notamment, du fait de la formidable expansion économique de plusieurs secteurs de son ressort au premier rang desquels figure bien évidemment la Défense, d'un contentieux commercial et social en permanente augmentation. Une troisième chambre commerciale vient d'ailleurs d'être récemment créée.

En fait, l'évolution de son contentieux, tant en matière civile qu'en matière pénale, illustre parfaitement l'accroissement de la demande sociale de justice qui, dans notre pays, n'a jamais été aussi forte.

Ainsi, en quatre ans, le contentieux civil a augmenté de 43,8 % devant la cour d'appel de Versailles, passant de 10 486 affaires nouvelles en 1991 à 15 082 en 1994. Pendant la même période, les affaires pénales ont augmenté de 31,4 %.

Toutefois, malgré la très forte augmentation de l'activité juridictionnelle, la rationalisation des méthodes de travail et, surtout, les efforts fournis par les magistrats et les fonctionnaires ont permis de maintenir les délais de jugement.

Sachez que, face à cette augmentation constante du contentieux, j'ai pris un certain nombre de mesures destinées à renforcer les moyens et l'efficacité des juridictions.

Ainsi, au titre de la loi de finances pour 1996, j'ai obtenu la création de soixante emplois de magistrats. Je vous précise que pour la localisation de ces emplois, j'ai demandé à la Direction des Services Judiciaires d'apporter une attention particulière à la situation des cours d'appel.

Celles-ci bénéficieront, en outre, du renfort de conseillers en service extraordinaire dont les conditions de recrutement viennent d'être définies dans un décret en date du 19 mars 1996.

Enfin, le décret du 27 février 1996 qui autorise l'organisation d'audiences foraines et la création de chambres détachées devrait permettre d'adapter les modes d'organisation des juridictions à l'évolution des contentieux et aux attentes des justiciables.

Toutefois, si l'on veut que l'institution judiciaire soit pleinement en mesure de répondre aux enjeux auxquels elle est confrontée, il faut aller plus loin.

C'est pourquoi, dans le cadre du plan de réforme de l'État, j'ai proposé d'engager une réflexion de fond sur l'organisation des juridictions du premier degré en vue notamment de créer de véritables pôles de spécialités contentieuses.

Le souci de faciliter l’accès de nos concitoyens à la justice m'a, ensuite, conduit à envisager la création de guichets universels des greffes auxquels les justiciables pourront s'adresser.

Par ailleurs, afin de réduire sensiblement les délais de jugement, j'ai demandé à mes services de veiller à une meilleure répartition des moyens et des ressources humaines en fonction de l'activité réelle de chaque juridiction.

J'entends, enfin, approfondir l'effort de déconcentration des services judiciaires.

À cet égard, les chefs de cour doivent être en mesure d'exercer pleinement leur mission d'impulsion, de coordination et d'arbitrage des politiques judiciaires locales ainsi que de surveillance et de vérification du bon fonctionnement des juridictions du premier degré.

C'est pourquoi, par circulaire en date du 9 octobre 1995, j'ai créé la fonction de coordonnateur dont la vocation est d'assister les chefs de cour dans l'exercice de leurs attributions administratives.

Parallèlement à cet effort de modernisation de notre organisation judiciaire, je crois nécessaire de réfléchir aux évolutions souhaitables de notre procédure civile.

Bien évidemment, le vingtième anniversaire de la Cour de Versailles ne pouvait être célébré solennellement sans placer au cœur des débats de cette journée la question de la procédure civile.

Votre juridiction, comme toute Cour d'appel, occupe une place centrale sur l'échiquier judiciaire. « Juge des premiers juges », elle est aussi soumise au contrôle de la Cour Suprême.

Votre tâche est essentielle : vous veillez à la juste application du droit et au bon déroulement du procès en première instance ; pour accomplir votre office, vous appliquez un corps de règles processuelles propres à l'appel.

Vous avez ainsi une vision complète de la procédure civile.

À votre parfaite connaissance du droit processuel s'ajoute enfin une sensibilisation particulière aux problèmes de l'administration de la justice.

Nul n'ignore que les Cours d'appel se trouvent dans une situation préoccupante en raison de leur encombrement.

Je ne répondrais pas à votre attente légitime, si je n'évoquais pas devant votre assemblée les orientations que j'entends privilégier afin de remédier efficacement à ce qui pourrait bien devenir un blocage de la justice civile.

Les propos tenus dans cette enceinte sont l'écho des vives préoccupations qui me sont régulièrement rapportées depuis mon arrivée place Vendôme.

De toute part me viennent des plaintes : l'encombrement des rôles, le difficile écoulement des flux, la lenteur de la justice ... Bref, ici ou là, ici et là, la machine se grippe.

Ces préoccupations, exprimées notamment par les Chefs de Cour qui m'ont remis au début de l'été dernier le fruit de leurs réflexions, doivent impérativement trouver une réponse.

À cet égard, la mission confiée au Président Jean-Marie Coulon n'est ni le fruit du hasard, ni le produit d'une réflexion fortuite et conjoncturelle. Elle participe d'une démarche qui se veut pragmatique et volontaire.

Les besoins sont divers, les aspirations sont nombreuses, voire contradictoires.

Dans un tel contexte, il n'y a pas de solution de facilité. Une réflexion globale et particulièrement approfondie s'impose comme première étape.

C'est dans cet état d'esprit que le Président Coulon mène sa mission d'étude et de propositions sur la procédure civile.

Mon propos n'est pas d'anticiper sur ses conclusions en préjugeant du résultat de ses travaux, ni de porter atteinte à l'indépendance qui doit être la sienne.

Ce n'est qu'à ce prix qu'une réforme équilibrée et impartiale pourra être conduite.

Mais, je puis vous dire dès aujourd'hui que j'approuve sa démarche d'homme de dialogue. Il s'est imposé une double exigence, consulter afin de poser un diagnostic et commenter encore, avant de prescrire le traitement.

Le Président Coulon déposera son rapport au mois de décembre prochain. Fruit de son travail personnel et enrichi par les enseignements de la pratique, il constituera un document essentiel.

Le Gouvernement trouvera ainsi une base solide pour se déterminer et faire ses choix.

Je veux toutefois vous confier le double souci qui est le mien et qui devra guider la réforme :
    – moderniser l'institution judiciaire pour en faire un outil performant dans l'intérêt de nos concitoyens ;
    – aménager les procédures pour améliorer et accélérer le traitement du contentieux.
      
Naturellement, il est des impératifs incontournables, je pense aux principes directeurs de la procédure civile française qui font l'honneur de notre pays et que magistrats et auxiliaires de justice contribuent à préserver, tel le respect du contradictoire.

Tous ici, nous sommes animés par la même volonté d'assurer la pérennité de notre État de droit. La recherche de l'intérêt des plaideurs est notre ligne de conduite.

Cependant, notre société est à un tournant de son histoire. Et il y va aujourd'hui de la survivance même de ces principes tant est forte la menace des contraintes qui pèsent sur la Justice.

Un nouveau visage, celui du siècle prochain, doit être donné à la justice ; un nouveau souffle doit être donné à notre droit processuel. Il convient de transcender les schémas existants pour préserver les valeurs fondamentales auxquelles nous sommes attachés.