Interview de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "Industries" de décembre 1998, sur le développement du commerce électronique, notamment l'impact sur les entreprises et les responsabilités de l'Etat dans la mise en place du cadre juridique de la cryptologie et des systèmes de paiement sécurisés.

Prononcé le 1er décembre 1998

Intervenant(s) : 

Média : Agro industries - Industries

Texte intégral


Industries :
Comment envisagez-vous le développement du commerce électronique ? Quel sera son impact sur les entreprises ?

Christian Pierret :
Le développement du commerce électronique constitue un des enjeux essentiels de la compétitivité des entreprises. Il connaît une accélération avec la croissance rapide d'Internet. Les systèmes propriétaires développés en propre par l'entreprise disparaissent au profit d'Internet, et le commerce interentreprises se complète d'une offre vers les particuliers. Ceci introduit un changement radical dans les conditions de concurrence en favorisant l'apparition de nouvelles règles du jeu pour les entreprises et notamment les PME-PMI, qui disposent ainsi d'un accès plus facile aux marchés, en particulier à l'exportation.
Internet offre, pour un coût et un apprentissage relativement modestes, l'ouverture sur le marché mondial ou la recherche de partenaires et de distributeurs dans n'importe quel pays. Pour de nombreux produits et services, il permet, au moins au départ, de faire l'économie d'investissements locaux et des risques qui leur sont liés. Pour les entreprises, c'est le moyen de diffuser très rapidement leurs innovations, soit pour les commercialiser, soit pour trouver des partenaires et devenir, d'entrée de jeu, une référence mondiale.

Industries:
Que peuvent faire les pouvoirs publics pour encourager le développement du commerce électronique ?

Christian Pierret :
Si le développement du commerce électronique repose d'abord sur le secteur privé, à qui il appartient de développer des pratiques commerciales et des outils technologiques fiables, l'État a aussi des responsabilités. Il doit mettre en place un cadre juridique clair et stable pour les consommateurs et les prestataires de services, favorisant la compétitivité des entreprises tout en protégeant les droits des consommateurs, les libertés individuelles et en luttant contre les usages illicites des réseaux. De nombreux travaux sont en cours dans les administrations, les priorités portant notamment sur les problèmes de preuve et de signature électronique, la cryptologie, la protection des données individuelles et les conditions de mise en œuvre des nouveaux systèmes de paiement sécurisés.
Il appartient aussi à l'État de stimuler l'offre de nouveaux services. C'est pourquoi, avec Dominique Strauss-Kahn, j'ai mis en place un grand programme appelé précisément « société de l'information » et doté de 300 millions de francs, destiné à soutenir le développement de services innovants. Parmi les thèmes de recherche concernés, je citerai la cryptologie et les systèmes de paiement sécurisés - un budget de 40 millions de francs y a été consacré en 1998 - mais aussi le porte-monnaie électronique. Au-delà du soutien à l'offre, il est apparu nécessaire d'accélérer la diffusion de ces technologies dans le tissu des PMI. D'où la mise en place, au printemps dernier, du programme « Internet-PMI » en faveur des projets innovants, individuels ou collectifs d'entreprises dans le domaine des technologies d'Internet, notamment dans le commerce électronique. Doté de 50 millions de francs, ce programme sera reconduit en 1999.

Industries :
Le commerce électronique sera-t-il soumis à des règles nationales ?

Christian Pierret :
Des travaux importants sont entrepris au niveau européen et international. Pour y contribuer, la France, seul membre de l'Union à l'avoir fait, a déposé auprès de ses partenaires européens un mémorandum sur le commerce électronique, rappelant les grands principes sur lesquels devraient s'appuyer les réglementations européennes et proposant des priorités pour les travaux à conduire. Dans le domaine particulier de la gestion des noms de domaine, qui permettent d'identifier les serveurs web selon l'origine nationale ou la nature des sites, l'action conjointe au niveau européen a prouvé son efficacité et permis de contester les positions initiales du gouvernement américain, davantage tournées vers l'autorégulation. L'Union européenne a ainsi tout intérêt à proposer une vision coordonnée, et à terme des pratiques communes. Pour sa part, la France reste vigilante sur un certain nombre de principes. Lors de la conférence de l'OCDE consacrée au commerce électronique, le 8 octobre dernier à Ottawa, j'ai plaidé en faveur d'une concurrence loyale entre les acteurs et pour une protection adéquate du consommateur, car les deux parties à la transaction ne sont pas, le plus souvent, en situation d'égalité, notamment dans les transactions électroniques transfrontalières. Par ailleurs, la France encourage les acteurs des nouvelles technologies de l'information à mettre au point une démarche d'autorégulation pour les communications sur Internet et les services en ligne. Cette initiative devrait trouver prochainement un débouché concret.