Texte intégral
France 2 : Jeudi 5 juin 1997
France 2 : Il n'est pas d'usage de raconter un Conseil des ministres sur le fond tout au moins. Mais pouvez-vous nous dire un mot de l'ambiance ce matin. Le président vous a serré la main à tous ?
C. Trautmann : Oui, tous les membres du gouvernement ont été présentés par L. Jospin, Premier ministre, au Président de la République. Je crois qu'on peut dire que l'ambiance était à la fois marquée par une courtoisie républicaine, à la façon d'ailleurs dont on a vu les reportages. En même temps aussi, placée dans une atmosphère de sérénité et de rigueur, puisque notre équipe est prête au travail. C'est un gouvernement resserré, motivé, enthousiaste même. Et nous avons, dès aujourd'hui., commencé notre tâche.
France 2 : Vous avez déjà été secrétaire d'État, ce n'était pas vraiment une première. Est-ce que vous avez le tract ?
C. Trautmann : C'est impressionnant. Nous sommes, je crois, quand nous rentrons dans un gouvernement, même les anciens que j'ai pu observer ce matin, à la fois conscients de la mission qui nous est confiée. Je pense que dans le contexte économique et social qui est le nôtre en France, nous avons mesuré combien L. Jospin nous a fait confiance en nous nommant ministres, ministres délégués ou secrétaires d'État. Combien en particulier il a fait confiance aux femmes dans ce gouvernement. Et nous sommes décidés à nous en montrer dignes.
France 2 : Les femmes sont en première ligne, à l'honneur. M. Aubry numéro deux dans l'ordre protocolaire. Et ensuite É. Guigou, garde des sceaux. Est-ce symbolique de l'axe prioritaire de L. Jospin, l'emploi avant tout, mais aussi la moralisation de la vie politique ?
C. Trautmann : Oui, je crois que la composition du gouvernement dénote clairement ces deux priorités qui sont finalement placées sous l'angle de la justice. La justice sociale d'un côté, mais la justice aussi qui doit être la même pour tous, et qui doit être au fond cette assurance donnée à la population de voir que chacun est traité de la même façon, avec au fond un sentiment d'être assuré par un ministère actif, et en même temps une justice plus proche.
France 2 : Ce matin, le Premier ministre a donné les règles de fonctionnement. À ses yeux, collégialité gouvernementale, impartialité de l'État, et respect du Parlement. Tout le monde est d'accord sur ces grands principes. Qu'est-ce qui va différencier le gouvernement citoyen de L. Jospin des autres ?
C. Trautmann : Ce qui va différencier ce gouvernement, c'est ce que nous allons mettre en œuvre, c'est-à-dire notre travail entre ministres. Il nous a été clairement demandé, mais en même temps nous le souhaitons aussi, de travailler de façon très proche, pour éviter de recourir en permanence à l'arbitrage du Premier ministre, et pour faciliter aussi la décision sur les orientations politiques ou bien les mesures, ou les textes de loi, qu'il faudrait avancer. Nous aurons donc un travail très politique, au niveau du gouvernement, avec des cabinets qui seront au service des orientations décidées collégialement.
France 2 : F. Laborde a évoqué les grands dossiers prioritaires économiques et sociaux du gouvernement : une décision sur Vilvorde, le Smic etc... Est-ce qu'on peut avoir déjà une première idée du calendrier et de l'agenda des annonces ?
C. Trautmann : Le Premier ministre fera une déclaration de politique générale et annoncera le calendrier et ses priorités dans quelques jours. C'est à lui d'en faire l'annonce. Pour l'instant, les différents membres du gouvernement sont en train de faire la liste des urgences mais en même temps aussi de ce qui peut être proposé au Premier ministre comme priorité. Donc ce dossier se constitue progressivement.
France 2 : L. Jospin veut des ministres à temps plein. Vous avez démissionné de votre poste de maire de Strasbourg. Est-ce qu'il n’y a pas un risque de se couper de la base, des électeurs ?
C. Trautmann : Non, une délégation de pouvoir, comme je la fais avec mon premier adjoint qui va exercer ma fonction pendant le temps où je suis ministre, ce n'est pas abandonner sa ville et les habitants auxquels on est attaché et vis-à-vis desquels on a passé un contrat de confiance. C'est la possibilité de se consacrer, avec le temps nécessaire, l'attention nécessaire, à la responsabilité ministérielle qui nous est confiée. Mais en restant élu local, on n'abandonne pas ni la ville, ni les Strasbourgeois pour ce qui me concerne. Ils m'ont fait confiance en m'élisant maire et je crois que c'est aussi grâce à eux, puisqu'ils m'ont élu député, que je peux aujourd'hui exercer cette responsabilité dans le Gouvernement de L. Jospin.
Grand jury : RTL/Le Monde : Dimanche 8 juin 1997
Passages importants
La cohabitation et les « domaines réservés »
Chacun a le souci de respecter ce que la Constitution prévoit, c’est-à-dire de faire en sorte que chacun soit à sa place et fasse son travail au mieux. La cohabitation ne doit être ni un frein, ni un prétexte à des difficultés supplémentaires, pour répondre à l'attente des Français. L'atmosphère du démarrage de la cohabitation a été studieuse, sans doute, mais aussi détendue puisqu'il y a, de ce point de vue, une convergence de vues.
Question : Y a-t-il des domaines réservés ?
Réponse : Ce que M. Chirac a évoqué représente les domaines traditionnellement sensibles et propres au Président de la République, mais dans lesquels il n'agit pas seul. Pour ce qui concerne la sécurité, étant chef des armées, il est lié au Premier ministre et au ministre de la défense. Concernant le développement des relations étrangères, il est également associé au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères. C’est vraiment dans la pratique que peut s’exercer la cohabitation, par un relais rapide et le plus francs le plus loyal possible.
La situation au Congo
Deux compagnies de militaires français ont été envoyées en appui des militaires présents sur le terrain, pour assurer la sécurité des ressortissants français qui sont actuellement inquiétés et dont certains sont vraiment en difficulté. Le Premier ministre est informé régulièrement. Toutes les mesures sont prises pour maintenir et développer la sécurité. La France souhaite que l'appel au cessez-le-feu soit respecté et elle soutient les efforts de médiation du Président du Gabon (...). L'objectif en Afrique, c'est que la France contribue à la stabilité de ces pays. Cela passe aussi par sa présence permanente dans le développement et dans la stabilité qui peut être trouvée (...).
La protection sociale
Étant présent à Lille au côté de Martine Aubry, le Président de la République prêchait des convaincus. La tâche de tous est de trouver l’équilibre du financement de la protection sociale. C'est un enjeu considérable. La volonté de garantir la meilleure protection sociale à nos concitoyens est évidemment un objectif commun.
(…) Notre volonté est de respecter le contrat de législature passé avec les Français (...). Donc, nous souhaitons avoir le temps de mener les réformes nécessaires à ce pays, et de le faire en associant le Parlement à notre travail dans des conditions de non précipitation. Nous sommes dans une phase où, notamment eu égard à la question de l'emploi, il faut à la fois s'engager vite et effectuer un travail sur le temps. La cohabitation n'est pas un but en soi, c'est une réalité. Si nous travaillons bien et si le président est dans un esprit de bonne compréhension, les choses peuvent se placer dans la durée. J'ai constaté que parmi ses amis politiques, on était déjà en préparation de la future présidentielle ou, en tout cas (…) d'inflexion de l'opposition. Nous souhaitons travailler dans le calme, dans la sérénité, parce que nous voulons faire un travail rigoureux, clair e-t transparent vis-à-vis des Français. Nous sommes un gouvernement resserré, nous avons des missions importantes, nous sommes prêts à les assumer (...).
Il est certain que le président a besoin de retrouver l'opinion (...). Nous avons perçu, les uns et les autres, que cette première journée s'était passée dans de bonnes conditions (…).
Monnaie unique et Europe sociale
En ce qui concerne la monnaie unique, Lionel Jospin a rappelé, à Malmoe, Il y a quelques jours, son intention d’rapporter un infléchissement dans le domaine social (...) sans remettre en cause le calendrier. Il y a maintenant place pour une explication sur la manière concrète dont le Gouvernement français entend mettre en œuvre cet infléchissement et les garanties que nous souhaitons. Cela sera un objet de discussion non seulement avec le chancelier Kohl, mais avec Tony Blair qui viendra rendre visite au Premier ministre français.
Question : La discussion pourra-t-elle s'engager aussi avec le Président de la République ?
Réponse : Certainement. Les deux étant présents, Il y aura sans doute un terrain commun. Le Président de la République a lui-même proposé, à Lille, une troisième voie, avec son mémorandum économique et social. Dans la campagne, j'ai eu l'occasion de dire, avec un peu de malice, que la cohabitation serait peut-être une chance, dans la mesure où elle permettrait de mettre en application les intentions du Président de la République.
Lors de cette réunion des ministres des finances, il importera d'exposer la position du gouvernement français (...). Cet échange est nécessaire à la fois pour la bonne compréhension de la position française et pour connaître les conditions dans lesquelles elle peut être acceptée par les autres ministres (...). Chaque pays est confronté à une opinion très sensible sur les garanties sociales. Le problème de Vilvorde est pleinement d'actualité. Des syndicats revendiquent de s'exprimer sur l'emploi en Europe (...). Cela ne concerne pas seulement la France mais tous les États membres de l'union. Il doit y avoir moyen de trouver un terrain commun répondant à cette préoccupation sociale, très large sur le plan européen.
La construction européenne se fait toujours par la définition d'un point d'équilibre qui permet de dépasser les intérêts strictement nationaux (...). Cette étape est sensible. Si elle se déroule dans l'incompréhension des préoccupations sociales de nos concitoyens, cela sera un frein considérable (...).
Le gouvernement « pluriel » face à l'Europe
Nos collègues communistes, comme Jean-Pierre Chevènement, ont clairement exprimé un certain assouplissement, et même un assouplissement certain, sur la question du passage à la monnaie unique (...). Tout le problème est de savoir quel processus d’accompagnement est mis en place. Là, la discussion existe, non seulement entre partis sociaux-démocrates et gouvernements sociaux-démocrates, mais aussi au sein même du gouvernement, mais je pense que nous trouverons un accord sur ce point. Il vaut mieux débattre et rapprocher les positions, plutôt que d'agir dans l’ambiguïté et la contrainte, au risque d'échouer (…). Le Premier ministre s'exprimera sur cette question dans sa déclaration de politique générale (…).
Les priorités économiques et sociales
La composition du gouvernement a clairement exprimé la priorité de l'emploi. L'engagement commun du gouvernement est d'agir dans ce sens (...). Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn ont en charge de mener simultanément la relance du pouvoir d'achat par une évolution à la hausse des bas salaires et la création d’emplois. Les 700 000 emplois pour les jeunes sont prévus sur trois ans. Nous allons y travailler fortement. C'est l'un des points sur lesquels, directement, au niveau des responsables publics, mais aussi dans les entreprises, il y a matière à nourrir la conférence sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail qui sera lancée dans des temps très rapprochés (...). Si l'on veut retrouver un équilibre et permettre à ceux qui sont les plus touchés par le chômage de revenir à l'emploi, il faut engager une politique rapidement, mais aussi sur le moyen et le long terme. Cela passe par la négociation sociale ; à la fois avec les syndicats et les chefs d'entreprise. L'élaboration de la loi-cadre qui est notre objectif devra prendre en compte la situation particulière des PME et PMI. Je pense, en particulier, aux toutes petites entreprises, où la réduction du temps de travail peut avoir un impact différent.
L’audit
Pour l'instant, cet audit n'est pas enclenché. Chaque membre du gouvernement approfondit la situation financière dans laquelle se trouvent les budgets ministériels. Cela nous permet d’avoir une vision de nos secteurs respectifs. On y découvre parfois quelques difficultés, ce qui est mon cas, par exemple. Si l'on veut conduire la politique économique la plus efficace possible, il faut connaître l'intégralité des comptes. Les comptes publics de la nation et les comptes de la protection sociale sont déterminants. Cela sera également annoncé dans le discours de politique générale du Premier ministre.
Question : Un haut fonctionnaire sera-t-il chargé de réaliser cette évolution ?
Réponse : Pour l'instant, la méthode n'est pas déterminée. Par souci de transparence, cet audit est indispensable. Il l'est aussi pour définir la stratégie économique la mieux assurée.
Le « code de conduite » du gouvernement
(...) Le « code de conduite » du Gouvernement de Lionel Jospin mérite d'être connu par l'ensemble des Français. Il Importe pour nous (...) de travailler collégialement. Comme nous sommes un gouvernement resserré, avec une équipe dont les différents membres ont des responsabilités Importantes, nous devons savoir travailler ensemble et ne pas avoir des « ministères citadelles » dans lesquels chacun exerce ses responsabilités. Collégialité, mais aussi rigueur et respect du travail parlementaire (...).
La création de 350 000 emplois dans le secteur privé
Ces emplois ne seront pas tributaires du bon vouloir des entreprises, mais ils ne seront pas créés contre la volonté des entreprises (...). Plusieurs moyens sont possibles. On a beaucoup pratiqué l'exonération de charges : l'effet est assez négatif pour la création d'emplois (...). Le fait de laisser partir à la retraite les salariés qui ont cotisé pendant une quarantaine d'années représente 150 000 emplois (…). Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de solution miracle, mais qu'il doit y avoir plusieurs démarches conjointes permettant de solvabiliser la création d’emplois (...) et de sortir du système actuel dans lequel un jeune peut être engagé dans plusieurs types de contrat successifs, sans trouver de solution professionnelle (...). Il faut sortir de la précarité, permettre aux jeunes, à la sortie de leur formation, d'avoir un contrat de travail réel sur une durée suffisamment longue (...).
Les lois Pasqua-Debré
Il est nécessaire de sortir de la situation créée par les lois Pasqua et Debré, parce qu'elles ont créé la précarisation et (...) l'arbitraire pour des personnes qui pouvaient être en situation régulière et qui se sont trouvées du même coup en situation irrégulière. Il y a eu création de situations de « clandestinité » à partir d'une situation objective qui ne posait pas problème. Cela a été révélé par la situation des sans-papiers (…). Nous avons clairement évoqué la nécessité d'avoir un appareil législatif fiable, sûr, qui permette la maîtrise de l'immigration, mais aussi (…) l'intégration des populations immigrées dans notre pays (...). Le retour au droit du sol, revendiqué par les organisations qui soutiennent les sans-papiers, est un message qui rappelle que notre pays s'est constitué sur ce droit (...). Il faut pouvoir légiférer dans la sérénité, parce que tout usage politicien de ce sujet est préjudiciable à la paix sociale de notre pays.
On a fait de l'immigration un sujet central que l'on aborde mal parce qu'en fait le sujet principal, celui qui pose problème aujourd'hui, c’est celui de l’accès à l'emploi (…). L’enjeu est que les gens vivent en paix ensemble. Cela suppose que l'on assure aux Français une justice réelle, une justice de proximité, qu'il puisse y avoir (...) une sécurité dans nos quartiers pour chacun, que les règles soient claires, comprises et identiques pour tous (...). D'autres pays abordent ce problème avec beaucoup plus de doigté, de respect. Je souhaiterais qu'on puisse faire pareil dans un pays qui se targue d'être celui des droits de l'Homme (...).
Quelle politique audiovisuelle ?
Il est nécessaire de revenir sur un certain nombre de dispositions de la loi qui était en navette (...). Nous avons à réfléchir et à trancher entre la rédaction d'une nouvelle loi et des dispositions nouvelles substitutives ou complémentaires. Je serais d’avis d'aborder cette question avec un temps de réflexion suffisant, avec les parlementaires, pour arriver à avoir une loi qui tienne la route (...). Dans le domaine audiovisuel, il faut éviter de revenir constamment devant le Parlement (...). La meilleure méthode serait sans doute plutôt que de ravauder un texte qui n'est pas satisfaisant de reprendre un texte. Quels sont les points sur lesquels il me parait nécessaire de revenir ?
Pour ce qui concerne TPS, il faut revenir sur la clause d’exclusivité. Il faut revenir aussi sur les conditions de la publicité, et notamment sur les coupures publicitaires qui sont envisagées pour les chaînes privées et qui remettent en question l'équilibre du financement des chaînes (...). Les socialistes ont dit clairement qu'ils étaient contre la deuxième coupure dans les films (...). Autre problème, celui de la publicité nationale accessible à M6 (...). Cela pose le problème de fond de l’accès à la publicité pour financer des décrochages régionaux ou des chaînes locales (...).
Le point le plus important (...), c'est la limitation de la concentration. Dans tous les pays européens existent des lois anti-trust, plus ou moins efficaces. Pour l’instant, nous n'avons pas de dispositif suffisamment clair et efficace en France, notamment par rapport à l'investissement d'entreprises qui sont bénéficiaires de marchés publics et qui peuvent aujourd’hui intervenir de façon quasi majoritaire. Nous souhaitons rebaisser le seuil à 25 % (...). L'anti-concentration est un objectif que nous devons avoir. Simplement, je souhaite pouvoir trancher une fois que j'aurai pu en discuter avec plusieurs interlocuteurs, le CSA et aussi les responsables des chaînes (...).
On ne peut pas accepter une fragilisation des télévisions publiques dans l'état actuel des choses. Il faut garantir leur place. Aujourd'hui, il y a un peu une course à la publicité, y compris dans les chaînes publiques, qui peut être critiquable ou critiquée (...).
Parmi les dossiers brûlants, figure celui de la SFP. C'est un casse-tête chinois, puisqu'aucune solution ne fonctionne. La possibilité pour l'État d’apporter du financement à la SFP ? La commission s'y oppose. À moins qu'elle ne change d'opinion, c'est pour l'instant impossible. Quant à la solution envisagée de la vente par appartement, elle ne me parait pas de nature à préserver un outil qui est très performant (...).
Par rapport à l’audiovisuel, on ne peut pas avoir une logique strictement financière. Ce qui est en jeu, c'est la liberté d'accès à l'information (...) et aussi l'activité culturelle de réalisation de programmes qui est pour nous indispensable et où la France est aujourd'hui un peu distancée. Un de mes soucis est de faciliter la création de programmes dans des conditions plus dynamiques.
La culture
La culture, ce n'est pas le strass et les paillettes (...). C’est d'abord ce qui constitue un pilier de la société et de la démocratie (…). C'est un enjeu de liberté, d'échanges et aussi de liens. De ce point de vue, la culture a, surtout en période de crise économique et sociale, un rôle majeur (...). Au-delà de la différence sociale ou économique, l'accès à la culture n'est plus aujourd'hui le même pour chacun (...).
Le rapport Rigaud
J'ai été entendue par la commission Rigaud et j'y ai dit un certain nombre de choses auxquelles je continue d'adhérer (...). Le 1 % (…) est un objectif majeur pour notre gouvernement. Je ne dis pas qu'on pourra y parvenir du jour au lendemain (…). Il faut aussi ravoir la manière dont se répartissent les charges culturelles entre l’État et les collectivités territoriales (...). Il y a dans la rapport Rigaud un certain nombre de considérations tout à fait justes et dont le ministère tiendra compte (…). L’objectif de rendre l'administration publique liée à la culture plus efficace est le mien. Permettre à ce ministère d'avoir confiance dans son travail, d'être reconnu dans son travail et de pouvoir peser sur l'évolution de ce pays, c'est aussi un objectif que j’ai (…). De même la nécessité de garantir la liberté de création et de permettre l'accès le plus large possible à toutes les formes de culture (...).
Les chorégies d'Orange
Question : Irez-vous aux chorégies d'Orange ?
Réponse : Oui.
Question : Cela ne vous gêne pas que le maire soit Front national ?
Réponse : J'irai pour les chorégies.
Question : Donnerez-vous des subventions ?
Réponse : La politique du ministère doit être fondée sur l'intérêt culturel. Elle doit permettre aux gens d'avoir accès à la culture (…). Ma responsabilité est de permettre à l'action culturelle de s'exercer librement dans ce pays.
Le préfet du Var et l’affaire de Châteauvallon
(…) Il y a eu des interventions qui allaient à l’encontre du respect de l'autorité de l'État et en particulier du gouvernement. Il y a. de la part de l’autorité représentative, sur le plan régional, un rappel à faire et des actes à engager (…).
Le Front national et les bibliothèques municipales
Le ministre de la culture ne peut pas tout régenter. Le contenu d'une bibliothèque municipale, ce n’est pas le ministre de la culture qui en décide (...). Ce qui est indispensable, c’est que la population se rende compte qu'on peut l’empêcher d'avoir accès à un certain nombre d’ouvrages dans une bibliothèque. Pour le reste, je ne dirai pas ce soir ce qui peut être fait ou envisagé (...).
La bibliothèque Mitterrand
Ce qui m'importe, c'est de rendre l'accès à cette bibliothèque le plus large possible et de lui donner son opérationnalité. Il y a deux points sur lesquels il faut avancer. D'abord, la possibilité pour les chercheurs d'y avoir accès, ensuite, la mise en réseau et l'exploitation de cette grande bibliothèque par les bibliothèques décentralisées (...). Il faut passer maintenant à une phase supérieure avec, je ne le cache pas, un financement qui est lourd.
TF1/7 sur 7 : Dimanche 22 juin 1997
Mme Sinclair : Bonsoir à tous.
Des hommes et des femmes neufs, c'est le visage du Gouvernement Jospin. Un gouvernement qui se met au travail pour appliquer le discours de politique générale de Lionel Jospin qui a eu lieu cette semaine.
J'ai choisi, ce soir, d'inviter une nouvelle figure de la vie politique, Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, porte-parole du gouvernement.
On va examiner avec elle la situation politique créée par le discours de politique générale de Lionel Jospin et les réactions dans l'opinion. La porte-parole du gouvernement nous dira le calendrier, les priorités. Nous verrons ensemble ce qu'est le pacte proposé au pays par Lionel Jospin.
À tout de suite avec Catherine Trautmann.
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Mme Sinclair : Bonsoir. Bonsoir, Catherine Trautmann.
Mme Trautmann : Bonsoir.
Mme Sinclair : Vous êtes là à plusieurs titres : ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement, surtout ce qui vous permet, ce soir, de parler en son nom. Et puis je le disais, vous êtes un nouveau visage de la vie politique, symbole d'un renouvellement que Lionel Jospin a proposé aux Français et qu'ils ont, je crois, ratifié en votant, d'ailleurs, aux élections assez massivement pour les femmes et pour les nouveaux dans la politique.
On va d'abord découvrir en image qui vous êtes ? Viviane Junkfer et Alain Badia.
Reportage - « Journaliste : Elle n'est pas une débutante, encore moins la femme alibi d'un parti. 20 ans après s'être engagée en politique, Catherine Trautmann peut savourer sa victoire. Elle entre sur la scène nationale par la grande porte, auréolée de ses succès en Alsace.
Lorsqu'elle enlève, à la surprise générale, la mairie de Strasbourg à la droite centriste en 1989, elle en devient le premier maire socialiste depuis 70 ans et la seule élue à la tête d'une ville de plus de 100 000 habitants.
Jeune, 38 ans à l'époque, féministe, elle avait hésité entre le PS et le MLF, rocardienne, autant de particularités qu'elle a su transformer en atouts. Européenne convaincue, elle a privilégié les dossiers locaux, celui du tramway notamment, et toujours milité pour une autre politique, plus citoyenne et proche des gens.
Résultat, en 1995, elle est réélue maire dès le premier tour et, deux ans plus tard, député.
Petite fille de pasteur, fille de militaire, titulaire d'une maîtrise de théologie protestante, elle est femme de méthode et de rigueur. Dans la région, on la surnomme « le seul homme politique d'Alsace ». Jean-Marie Le Pen ne l'a d'ailleurs pas sous-estimée, avec rage, il avait appelé ses troupes à battre celle qui avait osé le défier à Pâques, lors du Congrès de Strasbourg. Depuis, Catherine Trautmann est devenue un des symboles de la résistance à l'extrême-droite.
Celle qui a coutume de dire que les femmes entrent par effraction en politique apparaît aujourd'hui comme l'une des figures de proue du renouvellement socialiste ».
Mme Sinclair : On va revenir un peu sur tout cela. Vous avez fait des études de théologie, ce n'est pas très fréquent dans la classe politique, d'habitude, ils font fait l'ENA, ceux que j'interroge. Vous avez étudié la théologie avec la misogynie dans les textes bibliques, ai-je lu, pourquoi ?
Mme Trautmann : D'abord, parce que cela m'intéressait, parce que je souhaitais comprendre mieux notre Histoire, la société dans laquelle on vit et que les religions jouent toujours dans les sociétés un rôle très fondateur, très structurant. Et dans notre pays où nous sommes en République déjà depuis plusieurs siècles, il reste tout de même aussi que notre Histoire a été marquée par, à la fois, l'acquis, par la culture judéo-chrétiens et, en même temps aussi, par un certain nombre de conflits, de dépassements de conflits entre les religions. Et puis l'émergence d'une forme d'État qui a trouvé, au travers de la laïcité, une expression d'ouverture, une expression de compréhension et un droit nouveau qui a permis à chacun des Français, où chacun venant habiter en France, de trouver sa place.
Mme Sinclair : La laïcité, justement, c'est la distance - enfin, il y a plusieurs acceptions du terme - mais il y a la tolérance et aussi la distance par rapport aux religions.
Mme Trautmann : C'est le rôle de l'État d'être toujours garant de la liberté, de pratiques religieuses, mais en même temps aussi de préserver l'État des influences des confessions. Mais je pense qu'aujourd'hui cette formation me permet aussi d'aborder autrement les problèmes posés par l'Islam, par exemple. Nous avons de temps en temps des grands débats sur cette question, et je pense que nous avons un défi à affronter dans cette compréhension et dans la nécessité aussi d'imposer une pratique respectueuse des lois de la République.
Mme Sinclair : Vous avez dit : « cela me permet de comprendre l'Islam », c'est parce que, au fond, vous avez un intérêt plus grand pour les textes sacrés qui régissent la vie des hommes ?
Mme Trautmann : Parce que je connais cette religion, sans doute mieux que la plupart de mes concitoyens, que je peux aussi en parler. Mais ces études ont été surtout pour moi l'apprentissage de la recherche, la possibilité aussi d'apprendre ce qui est, je dirais, la constance dans le travail, parce que c'était un travail ardu. À part cela, vous l'avez vu, j'ai aussi les pieds bien sur terre, j'appartiens à ma région et à ma ville. Et être femme en politique n'a pas toujours été une sinécure.
Mme Sinclair : Je reste un peu sur votre formation, vos origines. Vous êtes d'une famille protestante, comme le Premier ministre, en quoi cela a déterminé peut-être votre tempérament, votre caractère, votre personnalité. Vous en reste-t-il quelque chose ? On a toujours une image des protestants comme d’une grande rigueur et, en même temps, d'une certaine sévérité.
Mme Trautmann : Je pense que la sévérité qui est sensible s'adresse d'abord à nous-mêmes, c'est-à-dire que nous avons, en général, par notre éducation, acquis un certain regard sur ce que l'on fait, un sens des responsabilités, c'est parfois même un peu culpabilisant, je dois le dire, puisque, traditionnellement, on nous a appris, seuls, à observer nos actes, à les comprendre et en même temps à en mesurer les effets. Ce qui est sans doute une façon, très tôt, d'être responsabilisés, mais en même temps cela donne beaucoup de liberté.
Moi, je pense que les protestants ne sont pas toujours rigoureux et sévères, je pense qu'ils aiment aussi bien vivre et rire, et la vie est faite ainsi.
Mme Sinclair : Votre entrée en politique, pourquoi ? et pourquoi au PS ?
Mme Trautmann : Pourquoi la politique ? Parce que j'étais exaspérée de voir que les femmes n'étaient ni reconnues dans le monde du travail, ni prises en compte dans la vie des collectivités locales, par exemple, par rapport à la charge des enfants, que l'on ne leur reconnaissait pas une place sociale, et me disais qu'après tout il valait mieux, si l'on voulait avancer, être là où se discutait le pouvoir et où on pouvait avoir aussi une formation politique. C'est le choix que j'ai fait.
Le PS, parce que j'étais à Gauche et que je pensais que c'était un parti qui me permettrait d'agir.
Mme Sinclair : C'est vrai que vous avez hésité avec le MFL ?
Mme Trautmann : À l'époque, j'avais suivi un certain nombre de réunions, j'avais des amis qui étaient très engagés, et puis je souhaitais, en fait, aller au-delà de la simple question de la promotion des femmes et de leur place, je souhaitais, en fait aussi, comprendre et agir par rapport à la décision politique. Parce que, pour moi, la politique, ce n'est pas gérer un pouvoir, c'est pouvoir agir, et c'est d'abord cela qui est important, c'est moins la fonction que la capacité d'action. Et donc je l'ai d'abord connue comme militante, ensuite comme responsable dans ma fédération, et puis ensuite comme élue.
Mme Sinclair : Mais comme élue, seule femme élue d'une très grande ville, Strasbourg. Alors, vous n'êtes plus maire aujourd'hui puisqu'il y a incompatibilité dans les fonctions ministérielles avec d'autres mandats. Mais comment allez-vous rester proche de vos administrés et peut-être avoir les pieds ailleurs qu'à Paris et des ordres de la République ?
Mme Trautmann : Mais je pense qu'on découvre ce que peut être aujourd'hui un ministre ou une ministre citoyenne, c'est-à-dire la possibilité d'exercer à plein temps ses responsabilités ministérielles.
Les Français en ont eu assez de voir des gens à mi-temps, à mi-temps dans leur fonction ministérielle, à mi-temps dans leur fonction de maire, et je pense qu'ils ont souhaité, ils avaient raison, une clarification. Je pense qu'on ne peut pas faire les choses à moitié, en tout cas, ce n'est pas mon cas...
Mme Sinclair : ... L'enracinement ailleurs qu'à Paris, cela donne aussi du sens à l'action qu'on mène. Rester dans son ministère, ce n'est pas toujours...
Mme Trautmann : ... Il n'y a pas de divorce et d'abandon de Strasbourg puisque je peux porter, au sein de ce gouvernement, à la fois, mon expérience de maire, à la fois aussi des aspirations et des préoccupations des Strasbourgeois, des Alsaciens. Et que les pieds fortement ancrés dans le terrain, que je peux avoir, m'aident aussi à concevoir, de façon très concrète, ma responsabilité ministérielle, ne pas être coupée des Français.
Mme Sinclair : On vous a vue en première ligne, en mars dernier, organisatrice d'une sorte de front du refus contre le Front national et son congrès qui s'est tenu précisément à Strasbourg pendant le week-end de Pâques. Les éloges ont plu de toutes parts : courageuse, citoyenne, pédagogue...
Mme Trautmann : ... Les critiques aussi.
Mme Sinclair : Les critiques ? Oui, pas trop ! Qu'est-ce qui reste de cette fièvre citoyenne qui a tout de même rassemblée 50 000 personnes le jour de la manifestation et puis toute une ville pendant un mois ? Et où en êtes-vous dans votre combat face au Front national ?
Mme Trautmann : Ce qu'il en reste, c'est d'abord la prise de conscience qui a été celle partagée par tous ceux qui étaient engagés dans tous ces événements, à la fois dans les manifestations, mais aussi les débats, les rencontres, les manifestations culturelles. La certitude qu'il faut agir dans la durée, qu'aujourd'hui le problème est grave puisqu'il y a une banalisation des idées du Front national, et qu'en même temps c'est aussi, pour moi, la possibilité de prolonger ce qui a été engagé parce que, lorsqu'on observe les démocraties, on se rend compte que chaque fois qu'elles commencent à être malades, c'est véritablement la culture que l'on cherche à abattre. Et je pense que c'est là que se noue une part de lien social mais aussi de conscience, de conscience et d'exercice des libertés. Parce que la création est profondément liberté, parce que la possibilité de savoir, la possibilité de connaître, établir sa relation à l'autre, en respectant ce qu'il est, c'est un acte culturel par excellence et, par conséquent, la culture est aujourd'hui en jeu. Elle l'est en particulier dans certaines villes gérées par le Front national.
Mme Sinclair : Précisément, comme ministre de la culture - on va venir aux fonctions - vous allez avoir à traiter de ce problème, de la culture dans ces villes-là. Vitrolles, la semaine dernière, a annoncé que la municipalité coupait toutes les subventions aux associations. Allez-vous, vous, prendre le relais ? Qu'allez-vous faire avec Châteauvallon, avec Orange, etc. ?
Mme Trautmann : L'État doit être présent pour préserver le pluralisme et la liberté d'accès à toutes les pratiques culturelles qui sont offertes sur l'ensemble du territoire.
La deuxième chose, c'est que le droit d'associations est une liberté qui relève de notre droit français et qu'il faut respecter. À partir de là, l'État doit être présent. Il s'agit, bien sûr, de considérer avec quel niveau de moyens ? Mais en ce qui me concerne, je pense que nous devons répondre par la présence et non par l'absence.
Mme Sinclair : Mais la présence, c'est-à-dire éventuellement prendre le relais des municipalités défaillantes ?
Mme Trautmann : C'est ce qui a été fait déjà par le ministère de la culture pour Châteauvallon. C'est ce qui est en question pour les associations, notamment le café musique qui m'a beaucoup touchée, parce que nous avons aussi un café musique à Strasbourg, avec les musiques nouvelles. C'est un lieu pour les jeunes, c'est un lieu associatif où les gens peuvent avoir accès à des formes nouvelles de culture. Et c'est, je crois, là aussi à maintenir parce que c'est là que l'on constate que la culture est aussi en évolution avec les modes de vie, de rencontre que préconisent les jeunes aujourd'hui.
Mme Sinclair : Un dernier mot, peut-être, sur le Front national. Vous voyez la Droite traverser de tentations de rapprochement avec le Front national ou en tout cas ses électeurs. Que dites-vous ? Que c'est sans lendemain ou que cela peut être dangereux ?
Mme Trautmann : Je crois que la Droite a beaucoup de problèmes face auxquels elle doit se trouver. Le premier, bien sûr, est de se trouver dans une situation d'échec, avec l'échec du gouvernement qui a été sanctionné. Le deuxième aspect, c'est l'éclatement de la Droite et, je dirais, la difficulté d'assumer cet héritage. Le troisième débat qui s'ouvre pour elle, c'est effectivement cette tentation pour certains de pouvoir passer des alliances ou, en tout cas, de récupérer les thèses du Front national. Je pense que c'est un sujet extrêmement sérieux. Pour ma part, je crois que cela pose le problème de l'engagement républicain. Lionel Jospin a parlé de « pacte républicain » dans son discours de politique générale, nous devons à tout prix, à Droite comme à Gauche, mesurer à quel point il faut répondre politiquement au risque que présente ce parti.
Mme Sinclair : Et vous ne faites pas, vous, des différences que font certains entre Le Pen et Mégret, en disant : « Le Pen n'est pas fréquentable, mais Mégret, après tout, il vient du RPR et il pourrait y retourner ?
Mme Trautmann : Je me méfie par-dessus tout de ce qui constitue, au fond, la double face de ce parti. Il faut lire les écrits en même temps qu'on voit les visages, c'est-à-dire savoir aussi ce que représente, aujourd'hui, la volonté. Et on le voit dans la pratique, non seulement pour les associations, pour les lieux de la culture, la censure de la presse, c'est-à-dire le refus de respecter le pluralisme, la liberté d'expression, la possibilité, tout simplement, d'avoir une démocratie locale ouverte. C'est donc un parti qui est tenté par le totalitarisme et qui représente un véritable danger pour notre pays s'il continuait, je dirais, d'augmenter ses scores. Et l'enjeu sera présent pour les prochaines régionales, en particulier.
Mme Sinclair : Je tiens à préciser la position d'Alain Peyrefitte dont j'avais, comme d'autres journalistes, résumé un peu vite les propos. Dans un article du Monde, cette semaine, il dit plusieurs choses que je résume rapidement. Il souhaite qu'on cesse d'excommunier les électeurs du Front national. Il dit : « Pour ma part, depuis 14 ans, je pose opiniâtrement cette question », et il ajoute : « ce que je souhaite, c'est que la Droite parlementaire n'insulte plus les électeurs du Front national », et il appelle la Droite a cessé de gommer ses propres valeurs.
Parlons de votre tâche de ministre de la culture. Lionel Jospin a rétabli le 1 % mythique, le 1 % qui avait été créé par François Mitterrand pour Jack Lang, 1 % du budget. Si on voit un peu les grands ministres de la culture qui ont marqué ces 20 dernières années, il y a eu Malraux qui était un peu l'identité de la France à travers son patrimoine éternel, et il y a eu Jack Lang qui était un peu l'effervescence des créateurs, relayés et à la fois impulsés au plus haut niveau. Vous, ce sera quoi ?
Mme Trautmann : Ce sera sans doute, je l'espère, une sorte de synthèse des deux. André Malraux a pensé devoir ouvrir la culture et toutes les formes de culture à tous, que ce soit la danse, la chorégraphie, le cinéma, le théâtre, les arts plastiques, le patrimoine. C'était au fond cette démarche, à la fois, de rayonnement et en même temps aussi d'affirmation et d'appropriation. Jack Lang, comme vous l'avez dit, a voulu soutenir les créateurs et encourager toutes les formes d'émergence de culture.
Aujourd'hui, ce n'est plus de lieux qu'il s'agit véritablement, parce que la culture se passe par les mots. Dans les concerts, dans la rue - on voyait la Fête de la Musique, hier - il y a une véritable attente pour de nouvelles formes de liens, de lieux aussi, et la révolution technologique qui s'amorce et que nous vivons va permettre d'amener la culture, je dirais, sur l'ensemble du territoire.
Mme Sinclair : C'est-à-dire que vous voulez parler d'une sorte de décentralisation...
Mme Trautmann : ... De décentralisation, sous deux aspects, si vous voulez.
Le premier est le rééquilibrage des budgets, des moyens culturels entre Paris et le reste des régions françaises. Je crois que beaucoup de Français attendent que l'on puisse être assurés d'avoir un accès égal à la culture sur l'ensemble du territoire, que l'on soit en ville, dans un village, dans les quartiers. C'est en même temps aussi la possibilité d'avoir, avec les nouveaux moyens technologiques, le multimédia, par exemple, l'accès à l'apprentissage, à certaines pratiques culturelles, mais aussi à l'information.
Et puis le soutien et la création. Je dois dire qu'hier soir, justement, lors de la Fête de la Musique...
Mme Sinclair : ... Qu'avez-vous fait hier soir ?
Mme Trautmann : J'étais au « Limonaire » où j'écoutais des artistes qui chantaient des chansons françaises qu'ils ont écrites. Lorsque j'ai quitté ce petit restaurant-bistrot, Alain Leprêtre, qui est un chanteur, m'a proposé de travailler avec des classes pour l'écriture de chansons. Je pense que, aujourd'hui où on travaille beaucoup sur l'image, où il faut créer l'éducation et l'image, il est important aussi de continuer à soutenir la lecture et d'entretenir la connaissance de la langue. De le faire à travers la chanson, par des résidences d'écrivains, par la possibilité de ce contact et de croisement. Je peux dire que j'en ai un peu l'expérience, car nous l'avons fait à Strasbourg, et je dois dire aussi que c'est ce qui permet d'avoir confiance, ce qui permet d'avoir le goût de découvrir, ce qui permet aussi d'assurer une forme de lien social en faisant le pari de l'intelligence.
Et c'est au fond, cela, le rôle du ministère de la culture, c'est d'impulser, créer des réseaux, permettre un accès le plus large possible, adopter aussi tous les nouveaux modes de transmission que l'on peut avoir, et je le ferai en accord avec Claude Allègre et Ségolène Royal à l'éducation nationale, avec Martine Aubry, parce qu'il s'agit aussi de nouveaux métiers que l'on peut créer à travers cela.
Mme Sinclair : Hier soir, précisément, on a chanté, on a dansé un peu partout en France. On voit là des images des concerts qui ont lieu à Strasbourg et puis à Paris.
Vous souhaitez une baisse de la TVA sur les disques, n'est-ce pas un souhait pieux ? Parce que j'ai entendu le Président de la République souhaiter la même chose sur le multimédia il y a quelques mois. Et, au fond, c'est une décision qui ne dépend pas de nous et qui dépend de Bruxelles.
Mme Trautmann : Oui, c'est une décision à discuter. Je rencontrerai, fin de la semaine prochaine, plusieurs ministres de la culture, ce sera une question que j'évoquerai avec eux. Parce que je pense que, en particulier pour les jeunes, le budget ne permet pas facilement de bénéficier, en quelque sorte, de l'acquisition d'œuvres, et la radio et le disque sont vraiment des moyens extrêmement nécessaires de diffusion.
Par conséquent, la baisse de la TVA serait très utile, très utile pour l'industrie culturelle qui est le disque, mais en même temps aussi, tout simplement, pour la diffusion de la culture qui passe par les disques.
Mme Sinclair : J'ai lu, ici ou là, dans les journaux qu'on parle d'une « jospinette » comme on a parlé d'une « juppette » ou d'une « balladurette », c'est-à-dire une facilité d'acquisition des moyens multimédias. Là aussi, est-ce une idée en l'air ou pensez-vous à cela pour permettre aux familles de s'équiper en moyens multimédias ?
Mme Trautmann : C'est une possibilité qui peut être analysée de la même façon que l'encouragement ou, en tout cas, les mesures de soutien aux entreprises PME-PMI qui se lancent, soit dans l'édition de CD Rom, soit aussi dans la technologie elle-même. Je pense que, en effet, nous devons choisir maintenant de nous engager dans le développement industriel possible et dans l'appropriation de ces nouvelles technologies et des nouveaux services par nos concitoyens, sinon on subira. Je crois que c'est un des enjeux. Il concerne à la fois le ministre de la culture, il concerne aussi le ministre de la communication, puisque ces nouveaux services, cette société de l'information nous donnera de nouvelles possibilités pour rendre la société plus interactive, comme on le dit aujourd'hui.
Mme Sinclair : Justement, sur la communication, les professionnels attendent des précisions et de savoir comment vous allez vous saisir des dossiers de l’audiovisuel. Pouvez-vous nous en dire un peu plus que le Premier ministre, en tout cas dire comment vous allez procéder ?
Mme Trautmann : La première des choses, c'est que je souhaite rappeler quels sont les objectifs que je vais défendre, en particulier en reprenant la loi qui était en navette et qui a été arrêtée lors de son examen au Sénat sur l'audiovisuel.
Mme Sinclair : La loi sur l'audiovisuel qui a été interrompue par la dissolution.
Mme Trautmann : Voilà ! C'est d'abord la garantie du pluralisme, de la transparence, de l'indépendance des rédactions et, en même temps aussi, l'équilibre entre les médias.
La première de nos urgences porte, bien entendu, sur la presse écrite qui est dans une situation, aujourd'hui, difficile. Pour ce qui concerne l'audiovisuel, ce que je souhaite dire, c'est que, pour moi, il s'agit de pouvoir garantir, justement, cette indépendance des rédactions, de pouvoir en même temps aussi assurer, au travers de cette loi, le développement possible, que ce soit dans le service public, que ce soit aussi pour les privés. Pourquoi ? Parce que, aujourd'hui, les télévisions sont confrontées à une forte concurrence, à une démultiplication aussi des chaînes proposées. Par conséquent, l'enjeu est grave et il faut bien mesurer le risque qu'il y aurait à être déterminés par les très grands groupes, comme Ted Warner, comme Murdoch ou d'autres.
Par conséquent, il y a aujourd'hui un enjeu, je dirais, précis, concret, immédiat et, en même temps aussi, la garantie pour les téléspectateurs qui pourront avoir, grâce au numérique et aux satellites, 40 et plus de chaînes qui leur seront proposées, la possibilité de savoir que ce qu'ils regardent est appuyé sur une véritable concurrence, une concurrence transparente, mais en même temps aussi qu'il n'y a pas de confusion d'intérêts. Donc, c'est dans ce sens-là que j'aborderai, après avoir été entendue par la commission culture de l'Assemblée nationale et du Sénat, les rencontres avec les responsables de chaînes, les industriels de l'audiovisuel, les syndicats, pour préparer une proposition à l'automne.
Mme Sinclair : Dernière question, peut-être, au ministre de la culture, il y avait de beaux sujets de philo au bac, cette semaine. Je vous en propose deux, je voudrais savoir lequel vous auriez choisi ?
Le premier est : peut-on changer le cours de l'Histoire ? Beau sujet pour quelqu'un qui, justement, essaie de l'écrire.
Et puis, l'autre, pour le ministre de la culture : toute œuvre d'art nous parle-t-elle de l'homme ?
Vous auriez pris lequel de ces deux-là ?
Mme Trautmann : Je dois dire que, pour le plaisir, j'aurais pris le second. Parce que je pense que l'œuvre d'art parle de l'homme et présente ce lien intime entre ce qui est, je dirais, cette volonté et cette capacité de créer. Mais j'aurais peut-être, comme politique, choisi le premier parce que dire que l'on ne pourrait pas influer sur le cours de l'Histoire, ce serait nier la politique.
Alors, j'aurais, peut-être, un peu eu l'angoisse de la feuille blanche, mais en tout cas les deux sujets sont beaux et ils méritent réflexion. Peut-être aussi, d'ailleurs, méritent-ils d'être repensés quelques années après avoir passé le bac, parce que ce sont des sujets de fond.
Mme Sinclair : On va faire une pause de publicité et, après, on en vient à l'actualité de la semaine et à la déclaration de politique générale de Lionel Jospin.
À tout de suite (publicité).
Mme Sinclair : Vous êtes à 7 sur 7, en compagnie de Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement.
Exercice très attendu cette semaine, Lionel Jospin a décliné ses intentions et sa politique, son discours de politique générale devant le Parlement. Claire Auberger, Joseph Pénisson.
Grand oral : Audacieux sur le plan éthique, prudent sur le plan économique, dans sa déclaration de politique générale, Lionel Jospin confirme ses promesses électorales, mais il demande aux Français du temps pour les appliquer.
Mme Sinclair : C'est au porte-parole du gouvernement que je vais demander quelques commentaires supplémentaires. Le discours de Lionel Jospin, c'est l'accent mis sur la volonté politique, sur l'éthique. De quel pacte il s'agit ?
Mme Trautmann : La première des choses, c'est que je pense que les Français ne croient plus aux miracles et ne pensent pas qu'il puisse y avoir, je dirais, de mesures spectaculaires. Ils veulent une action déterminée, constante et forte, qui réponde d'abord aux situations les plus difficiles qu'ils connaissent.
Je pense que ce qu'a engagé Lionel Jospin dans son discours de politique générale, c'est une action où il a annoncé les mesures les plus rapides qui peuvent être mises en place très vite, comme la hausse du Smic, comme la décision, dont on reparlera, sur les allocations familiales, la réhabilitation des logements. Ce sont des mesures qui concernent la vie des Français et, en particulier, ceux qui ont les revenus les plus modestes. Et, en même temps aussi, il a souhaité engager l'action du gouvernement pour traduire, dans un pacte, la durée d'une action gouvernementale qui est nécessaire pour réformer profondément ce pays. C'est la réforme sur la justice. C'est, en même temps aussi, le pluralisme dont on parlait tout à l'heure, le soutien de l'éducation nationale qui doit permettre une véritable égalité des chances pour les enfants. Ce sont ces mesures qui, en même temps, ressoudent la solidarité nationale entre les Français.
Mme Sinclair : Il a commencé justement son discours par les valeurs, et les valeurs allant du droit du sol, en effet, à la justice. Est-ce pour montrer que la Gauche, ce n'est pas seulement la gestion de l'économie, ou est-ce parce que les marges sont plus grandes sur les valeurs que sur l'économie ?
Mme Trautmann : Non, c'est pour montrer que, lorsque l'on est en charge de la responsabilité de gouverner un pays, on respecte aussi ceux qui identifient profondément ce pays et ce à quoi les Français sont attachés.
Le pacte républicain, les Français ont considéré qu'il n'était plus respecté, lorsqu'ils ont vu que la politique qui était menée ne correspondait pas aux annonces qui étaient faites. Et la sanction au travers des élections, suite à la dissolution qui a été décidée par le Président de la République, montre bien que les Français veulent revenir à ce qui est en même temps une conduite constante, mais qui sache aussi en donner le sens actuel, le sens moderne.
Prenons, par exemple, les privatisations, Lionel Jospin a clairement dit que, sur ce point, il ne souhaitait pas que des entreprises du secteur public passent en propriété au secteur privé. Il y a plusieurs formes possibles, à partir de là, de répondre, à la fois, au souci d'alliances au niveau européen pour renforcer l'industrie européenne, mais en même temps aussi pour permettre, pour les entreprises soumises à concurrence, une certaine évolution.
Mme Sinclair : Jacques Delors, ce soir, à Europe 1, vient de dire qu'il était favorable à l'ouverture du capital de France Télécom et à une privatisation d'Air France. Il est dans la ligne ou il n'est pas dans la ligne ?
Mme Trautmann : Ce n'est pas à moi d'en décider, c'est le Premier ministre qui décidera, sur la base des propositions qui lui sont faites par le ministre de l'économie et des finances, ce qu'il conviendra de faire et, sans doute, nous en débattrons aussi au sein du gouvernement. Parce que, ce que je voudrais souligner dans la méthode de Lionel Jospin, c'est que, autant il est, je dirais, le pilote et celui qui peut procéder à des arbitrages lorsqu'il y a plusieurs solutions, plusieurs propositions qui lui sont faites, autant il tient à ce que nous puissions, au niveau du gouvernement, travailler collégialement, c'est-à-dire ensemble. Cela, je crois, est très important.
Il a formé une équipe. Cette équipe est formée en cohérence avec le rassemblement qu'il a provoqué autour de lui pendant les élections. C'est une responsabilité pour tous les partis qui composent ce rassemblement. C'est en même temps, aussi, une responsabilité pour l'équipe à laquelle j'appartiens, à laquelle j'ai la fierté d'appartenir, de pouvoir conduire cette politique. Et mon rôle à moi est celui d'expliquer aux Français, à la fois ce que nous faisons, en même temps aussi ne pas cacher les difficultés que nous pouvons rencontrer, les contraintes dans lesquelles nous devons agir. Je crois que c'est ainsi que l'on peut respecter ce pacte qu'il a proposé aux Français.
Mme Sinclair : Il a dit, et cela a été salué, d'une manière générale, comme une volonté évidente de vouloir tenir les promesses de la campagne, ii n'y aura ni pause, ni recul, ni reniement. Et vous avez vu, les Français, depuis des années, sont assez patients et attendent très vite des résultats d'un gouvernement. Est-ce que vous saurez les faire attendre ou avez-vous peur qu'ils se lassent d'attendre ?
Mme Trautmann : Il ne s'agit pas d'attendre puisque les Français, au travers de la conférence sur l'emploi et les salaires et la réduction du temps de travail, vont être de fait associés à ce qui va être l'un des grands débats, les états généraux de la santé aussi.
Mme Sinclair : C'est vrai que l'accent mis sur les cinq ans, et Lionel Jospin a été très clair là-dessus, laisse montrer une certaine prudence et de dire : « pas tout, tout de suite ».
Mme Trautmann : Je crois que, sur l'ensemble de ce qui a été annoncé dans le programme, pendant cette dernière campagne électorale, l'ensemble de nos propositions que nous avons faites aux Français sera enclenché pendant cet été. Le Gouvernement va être au travail. Les ministres auront été entendus par les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous aurons une anticipation de la rentrée de l'assemblée en septembre et, dès lors, nous pourrons enclencher la procédure.
Simplement, il faut être aussi tout à fait clairs que l'on ne peut se contenter de mesures, je dirais, d'apparence, de mesures spectaculaires et puis de reporter à plus tard les résultats. Nous l'avons entendu, ces derniers temps, à plusieurs reprises, on nous disait qu'on pouvait réformer la France en 40 jours, je crois que, aujourd'hui, personne n'y croit.
Mme Sinclair : Vous la réformerez en combien de temps ?
Mme Trautmann : Le résultat peut se juger sur une législature.
Mme Sinclair : 5 ans.
Mme Trautmann : Cela engage aussi, non seulement le Gouvernement, mais en même temps, aussi, les députés et l'ensemble des Français. C'est d'ailleurs le message qu'il a passé clairement vis-à-vis de la majorité, comme vis-à-vis de l'opposition, qui doivent, l'une et l'autre, jouer leur rôle et un rôle constructif pour répondre à ce qu'attendent nos concitoyens.
Mme Sinclair : Les réactions à ce discours ont été plutôt favorablement accueillies dans l'opinion, les sondages le montrent. Une réaction négative, en revanche, dans les familles modestes et moyennes, et de la part des associations familiales, sur le plafonnement des allocations familiales à 25 000 francs de revenus ?
Mme Trautmann : Je pense qu'il faut comprendre cette mesure comme une mesure de solidarité, et qu'on ne peut pas, d'un côté, souhaiter plus de justice dans le domaine de la solidarité et critiquer une mesure qui, en fait, ne doit pas être comprise comme un couperet, avec ce seuil des 25 000 francs. La concertation qui va être engagée par Martine Aubry portera sur...
Mme Sinclair : ... Ce qu'on reproche, justement, c'est l'absence de concertation avant l’annonce de la mesure.
Mme Trautmann : Ce qui a été fait, c'est, pour ces allocations qui sont les seules, qui ne sont pas soumises à conditions de revenus, de pouvoir rétablir un certain équilibre. Vous savez que, pour les familles qui sont soumises à un impôt, qui sont imposables, il y a aussi des abattements liés à la présence d'enfants, ce qui n'est pas le cas pour les smicards, par exemple. Et donc, ce que je voudrais dire, c'est qu'il y a, d'abord, un pourcentage de familles concernées qui est relativement restreint, que le nombre d'enfants qui pourrait faire concerner ces familles est de deux, et qu'au-delà de deux, évidemment la question ne se pose pas pour des familles qui ont 25 000 francs de revenus.
Mme Sinclair : C'est-à-dire que les allocations seront maintenues au-delà de deux ?
Mme Trautmann : Absolument ! Par conséquent, les modalités par rapport à l'effet de seuil, en même temps aussi l'application et la façon dont tout cela va être enclenché sera discuté avec les représentants des associations familiales.
Mme Sinclair : Cela concerne combien de familles ?
Mme Trautmann : Dans l'état, telle que la mesure est annoncée, 10 % des familles françaises.
Mme Sinclair : Et cet argent sera, au fond, redistribué juste, comme vous le disiez, aux familles ou cela servira à boucher les trous d'un déficit ?
Mme Trautmann : Non, cela ne servira pas à boucher les trous d'un déficit. Je crois qu'il faut bien comprendre cette mesure avec tout ce qui a été déjà engagé en décisions, comme l'augmentation du Smic de 4 %, comme l'évolution de l'APL, comme l'augmentation de la prime de la rentrée scolaire. La quadrupler pour la prochaine rentrée, c'est une aide aux familles.
Il y a deux choses : à la fois, les allocations qui sont destinées aux enfants, mais il y a aussi le pouvoir d'achat des familles. Et Lionel Jospin a été très clair dans son souci de pouvoir améliorer le pouvoir d'achat des familles les plus modestes. Et c'est ainsi qu'il faut replacer à la fois ce qui est assuré pour ces familles les plus modestes et une certaine justice pour ceux qui ont le plus de revenus.
Mme Sinclair : À Droite, vous avez entendu, on dit « archaïsme, beaucoup de dépenses, peu de recettes ».
Mme Trautmann : Je pense qu'il ne faut pas dramatiser les dépenses que cela peut représenter, cela suppose des choix. Je crois que le budget pourra le supporter. Nous aurons ce débat avec un travail sur le collectif budgétaire et l'élaboration du budget de l'année prochaine, mais cet effort de solidarité est premier.
Mme Sinclair : Archaïsme, vous refusez le terme ?
Mme Trautmann : Archaïsme, je refuse le terme. Parce que est-ce que c'est archaïque de considérer que relancer la politique de réhabilitation des logements, en particulier des logements sociaux, c'est archaïque, quand on est en train de se lamenter sur la situation des sans-abris. Je crois que le progrès de ce pays passe aussi par un progrès social, et c'est ce qui nous est lancé aussi comme défi.
Quand on voit, aujourd'hui, l'inquiétude des métiers du bâtiment, je le comprends très bien puisque je le vois dans ma région, les PME qui licencient, les entreprises qui sont en dépôt de bilan, eh bien, on a le moyen de pouvoir, avec une telle politique, relancer aussi l'activité économique et, en particulier, dans le domaine du bâtiment.
Mme Sinclair : Vous n'avez jamais nié - et quand je dis « nous », c'est le Parti socialiste - avoir été pris de court par ces élections. Gilles de Robien dit qu'il a le sentiment d'une impréparation socialiste à gouverner ?
Mme Trautmann : Ce qui est sûrement la découverte un peu amère pour l'opposition, c'est de constater que, alors que cette dissolution a été engagée très vite, alors que nous avons été amenés à connaître aussi tous les problèmes qui étaient restés en suspens dans les différents ministères, nous avons entrepris immédiatement le travail. Et, aujourd'hui, Lionel Jospin conduit une équipe qui ne baisse pas les bras, qui est à l'œuvre et qui pourra faire ses preuves.
Mme Sinclair : Le calendrier européen était très chargé. À peine nommé, le Gouvernement français a dû faire entendre sa voix au Sommet européen d'Amsterdam.
Petit pas : à vélo ou à pied, à Amsterdam, les quinze ont eu bien du mal à avancer dans la même direction.
Mme Sinclair : À ce sommet, globalement, cela n'a pas permis aux quinze de faire progresser l'union et de savoir comment on gouvernerait, demain, avec vingt ou vingt-cinq États. On a parlé d'échec. Vous le ressentez comme cela ?
Mme Trautmann : Je pense qu'il faut bien prendre en compte ce qui est un résultat contrasté de ce Sommet d'Amsterdam : un succès sur la prise en compte de la nécessité d'avancer par rapport à un gouvernement économique, ce que nous avons appelé ainsi, ce qui est un pôle économique ou une coordination. La possibilité de pouvoir rapprocher les économies de nos différents pays est une condition essentielle pour pouvoir avoir des résultats au niveau de l'emploi. Et cette préoccupation affirmée, prise en compte, qui va être reprise par la réunion au Sommet de Luxembourg est une première étape.
Mme Sinclair : C'est cela qu'on appelle le volet social.
Mme Trautmann : Oui, tout à fait !
Mme Sinclair : ... compris dans le pacte de stabilité ?
Mme Trautmann : Je pense qu'il ne faut pas comprendre qu'il est accolé, il est parti intégrante. Ce qui permet, aujourd'hui, à la commission, au Parlement européen - on oublie parfois qu'il peut être aussi déterminant - d'influer sur les choix qui peuvent être faits, notamment budgétaires, pour soutenir l'activité et aller dans le sens de ce rapprochement économique et d'un pilotage économique. Parce qu'on ne peut pas imaginer, les Français ne l'accepteraient jamais, que ce soit la Banque centrale qui détermine absolument toutes les décisions qui les concernent.
Mais il y a une déception. Et cette déception, c'est, au fond, sur l'évolution des Institutions européennes. C'est, au fond, cette espèce de résultat un peu mitigé par rapport à la CIG, contrairement à ce que la France souhaitait...
Mme Sinclair : ... La CIG, c'était la conférence qui devait déterminer comment l'Europe fonctionnera demain.
Mme Trautmann : Voilà ! avec une commission, c'est-à-dire la commission qui élabore et qui propose la politique européenne, avec une équipe plus resserrée, un contrôle du Parlement aussi renforcé, une plus grande démocratisation et des Institutions plus solides pour accueillir les nouveaux États. Je dirais que c'est là qu'on peut être déçus. En tant qu'européenne convaincue, je suis un peu déçue, mais en même temps, ce que je pense aussi, c'est qu'il était nécessaire qu'avec l'attitude déterminée du Premier ministre et du gouvernement, l'appui du Président de la République, cette première étape soit franchie. Je pense que chacun aura compris, dans les 14 autres pays, que, désormais, il faut aussi compter avec les choix politiques français.
Mme Sinclair : Vous disiez à l'instant que le Gouvernement avait remporté un succès en ce qui concerne ce pacte de stabilité, mais est-ce que cela en est vraiment un dans la mesure où ce pacte qui avait été qualifié d'absurde par les socialistes, pendant la campagne, a finalement été ratifié, même si on y a ajouté le volet social dont vous parliez ?
Mme Trautmann : Il a été ratifié. Il était engagé par rapport à toutes les décisions qui avaient été discutées et négociées préalablement. En même temps, je l'évoquais dans mon propos, ce qui est important, c'est d'avoir la possibilité de consolider ce contrepoids politique au pacte de stabilité. Et pour ce qui concerne la France, elle continuera de peser pour faire avancer les choses en ce sens.
Mme Sinclair : la monnaie unique, le Parti socialiste avait des conditions à l'entrée dans la monnaie unique. Où en êtes-vous et comment allez-vous faire pour que les autres pays européens s’y rallient ?
Mme Trautmann : Il faut évidemment continuer de les convaincre. Certains ont été convaincus puisque, après, en quelques jours, un certain nombre de pays se sont ralliés à la position française, sinon aucun texte, aucune orientation, aucune décision n'aurait pu être prise...
Mme Sinclair : ... Mais vous les maintenez ces conditions ?
Mme Trautmann : Ces conditions sont discutées, elles sont posées sur la table. Elles sont à discuter aussi dans la durée - Lionel Jospin l'a clairement exprimé devant l'Assemblée nationale - de façon à ce que l'on puisse faire réussir le projet européen.
Aujourd'hui, nous avons une étape nouvelle à ouvrir. Avec le passage à la monnaie unique, nous pourrons connaître d'autres conditions économiques : une plus grande stabilité, une plus grande force aussi par rapport au dollar et par rapport à l'enjeu de la place des industries françaises dans le marché international, mais il faut aussi toujours revenir à ce qui est le cœur du projet européen, c'est que l'économie est au service de l'homme. Le projet européen a consolidé la paix pour nos pays, il faut maintenant, aussi, consolider la démocratie et le progrès social. C'est un enjeu majeur, c'est celui que nous affirmons.
Mme Sinclair : Je vous entendais, à l'instant, parler du Président de la République, en disant : « avec l'appui du Président de la République ». La cohabitation a l'air de se passer assez bien à Poitiers et à Amsterdam. Est-ce à cause du caractère des hommes ou parce que Jacques Chirac sait assez bien comment peut se passer une cohabitation qui ne se passe pas très bien ?
Mme Trautmann : La première des choses, c'est que nous avons une Constitution qui permet la cohabitation et chacun est censé la respecter. Et, d'autre part, les Français ont déjà connu des cohabitations, et ce qui les intéresse, ce n'est pas comment fonctionnerait ou ne fonctionnerait pas la cohabitation, ce sont les résultats. Et donc c'est en vertu aussi de cela qu'il faut gouverner avec ce respect institutionnel, mais en même temps aussi, je dirais, avoir la capacité de répondre à l'attente des Français.
Mme Sinclair : Le Président de la République ne vous a pas encore embrassée ? Parce que vous aviez dit, à l'issue du premier conseil des ministres, qu'il était très chaleureux, mais il ne nous a pas encore embrassées. Ce n'est toujours pas fait ?
Mme Trautmann : Non, c'était une boutade parce qu'un journaliste...
Mme Sinclair : On a compris.
Mme Trautmann : ... m'avait posé la question comme cela.
L'ambiance est assez sérieuse dans le travail et, en même temps aussi, respectueuse des responsabilités de chacun. Et ce que l'on peut souhaiter, c'est que cela continue ainsi.
Mme Sinclair : Il nous reste très peu de temps, et on n'a pas, hélas ! le temps de voir en image le reste de l'actualité de la semaine. Il y avait, cette semaine, des affaires de pédophilie, encore et encore ! toujours terrifiantes. Est-ce qu'à votre avis, depuis l'affaire Dutroux, on est plus vigilants, on traque davantage, on dit plus qu'avant ou est-ce que, depuis quelque temps, il y aurait une sorte de recrudescence des affaires de pédophilie ?
Mme Trautmann : Malheureusement, je pense qu'il n'y a pas de recrudescence des affaires de pédophilie, mais que l'on a pâtit de la loi du silence. Mais ce que je crois aussi, par respect pour les victimes et leurs familles, c'est qu'il ne faut pas ajouter le spectacle à ce qui est un drame. Et on voit, avec les suicides qui viennent de se passer, à quel point cette affaire doit être considérée, en particulier par l'État... avec la volonté d'éviter ce double écueil : le silence pour ne pas voir et le spectacle pour ne pas ajouter au drame.
Mme Sinclair : Dans cette actualité, aussi, de la semaine internationale, quand vous voyez, on parlait de l'Histoire tout à l'heure et du cours de l'Histoire, Pol Pot, le fantôme de Pol Pot ressuscité, puis de nouveau les rumeurs sur lesquelles il serait mort. Cette histoire abominable du Cambodge qui remonte à la surface. Comment réagissez-vous ?
Mme Trautmann : Je considère que ce qui s'est passé au Cambodge, par cette espèce de folie meurtrière où un homme a organisé la mort de son propre peuple ou une partie de son propre peuple, comme une histoire à méditer, après avoir connu le nazisme et le génocide - à cette occasion-là, la Shoah en particulier - et, aujourd'hui et ces dernières années, ce qui s'est passé au Cambodge.
Cela rappelle que, lorsque certains ont une idéologie qui consiste à vouloir opposer un homme nouveau, tout simplement, aux citoyens qui vivent dans un pays, l'on arrive parfois dans des excès qui sont destructeurs pour l'homme. Ce qui est important, maintenant, c'est que, après cet épisode, ce pays puisse, enfin, se structurer.
Mme Sinclair : Catherine Trautmann, merci d'avoir donné à 7 sur 7 votre première longue interview à l'émission.
La semaine prochaine, je recevrai le nouveau tandem de l'éducation nationale avec Claude Allègre, ministre de l'éducation, de la recherche et de la technologie, et Ségolène Royal, qui est son ministre déléguée, chargée de l'enseignement scolaire.
Merci beaucoup.
Dans un instant, le journal de 20 heures de Claire Chazal.
Merci à tous. Bonsoir.