Déclaration de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi, sur le projet de loi pour le développement de l'emploi de proximité, au Conseil économique et social à Paris le 9 janvier 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée plénière du Conseil économique et social (CES) à Paris le 9 janvier 1996

Texte intégral

Monsieur le président, 
Monsieur le rapporteur, 
Mesdames et Messieurs,

Le gouvernement s'est fixé une priorité : l'emploi. La croissance est bien évidemment nécessaire, mais elle ne sera pas suffisante. Il faut donc enrichir le contenu en emploi de la croissance.

Après les travaux conduits sous votre responsabilité en 1993 et 1994, Monsieur le président, le conseil économique et social a décidé d'approfondir la réflexion et d'élaborer des propositions afin de favoriser le développement des emplois de proximité.

Le gouvernement a, pour sa part, poursuivi l'action engagée au cours des dernières années. Dès sa prise de fonction, le Premier ministre a demandé aux préfets de lui faire part des Initiatives locales et des propositions des acteurs locaux pour faciliter le développement des emplois de proximité.

Sur cette base, et au terme de la période d'expérimentation du chèque emploi-service, il a présenté au parlement, ainsi que le prévoyait la loi quinquennale sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle, un texte de loi relatif aux services rendus au domicile des ménages. Celui-ci a été discuté et voté au Sénat le 20 décembre dernier. Il sera débattu à l'Assemblée nationale le 18 janvier.

Parallèlement, dans le cadre des travaux sur la politique de la ville et la lutte contre l'exclusion, des réflexions ont été menées sur les services collectifs dont notre société ressent de plus en plus le besoin, mais qui sont actuellement insuffisamment satisfaits.

Au cours des derniers mois, nous avons, Monsieur le rapporteur, échangé nos points de vue pour enrichir nos travaux respectifs. Votre rapport achevé, le moment est venu d'en tirer les enseignements et de réfléchir ensemble aux actions qui doivent être encore engagées. J'ai en effet bien conscience que les mesures que nous avons présentées au parlement ne constituent qu'une étape.

C'est donc avec beaucoup de plaisir que je me suis rendue à votre invitation, pour discuter, au sein d'une assemblée qui réunit l'ensemble des forces vives de notre pays, d'un sujet qui constitue à la fois un enjeu pour le développement de l'emploi et pour la cohésion sociale de notre société.

1. Des services divers

Vous distinguez, dans votre rapport, diverses formes de services de proximité.

Les services collectifs. Leur développement relève d'abord de choix publics et se heurte à la contrainte budgétaire que connaissent les administrations, tant au niveau central que local. Dès lors seule l'activation des dépenses passives d'indemnisation du chômage ou du revenu minimum d'insertion semble en mesure d'apporter une réponse au financement de ces activités.

Les services de la vie quotidienne. Ils correspondent à des besoins plus faciles à identifier, car répondant à des évolutions structurelles de notre société : le poids croissant des personnes âgées, le développement du travail féminin, la plus grande fréquence des familles monoparentales. Les ménages souhaitent avoir recours à ce type de services, mais se heurtent à des difficultés, dont certaines peuvent être levées. C'est cette catégorie de services, qui constitue le cœur de votre rapport, qui va maintenant retenir mon attention.

2. Le coût du travail

Comme vous le soulignez dans votre rapport, le développement de l'activité des services constitue une tendance de fond de l'économie des pays développés. Or, le constat a été maintes fois répété : en France, le contenu en emploi des services est moindre que dans les autres pays.

Le coût du travail constitue l'une des explications de ce phénomène. Ainsi, les propositions relatives à la réduction du prix effectif acquitté par le demandeur figure en tête de votre rapport. En ce qui concerne les services au domicile des ménages, le problème est double : à la solvabilité insuffisante de la demande s'ajoute le recours au travail au noir, rendu attractif par le niveau des charges sociales.

Les mesures générales de baisse du coût du travail sont donc d'abord efficaces dans le champ d'activité qui nous intéresse. Avec la ristourne mise en place l'été dernier dans le cadre du collectif budgétaire, la baisse du coût du travail au niveau du SMIC s'élève à près de 15 %. C'est un changement considérable dans des activités dont la main d'œuvre constitue l'essentiel du coût.

Néanmoins, le coût du service reste encore trop important pour de nombreux ménages. De nombreuses aides existent déjà. Certaines sont liées à la situation des bénéficiaires et visent un service déterminé : la garde de jeunes enfants (AGED, AFEAMA), l'aide aux personnes dépendantes (ACTP, aide-ménagère, bientôt prestation autonomie). Elles sont parfois subordonnées à des conditions de revenu. La déduction fiscale est une aide générale.

Vous proposez de faciliter l'intervention de nouveaux financeurs. Le projet de loi que j’ai présenté au Sénat avec Jacques BARROT répond à votre préoccupation. Il permet notamment aux entreprises et aux comités d’entreprises d’aider financièrement les salariés de ces entreprises. Les sommes ainsi versées ne seront pas assujetties à cotisations sociales. Si seulement 5 % des dépenses des comités d'entreprise étaient réorientées vers la solvabilisation de services à domicile, 20 000 emplois équivalent temps plein seraient créés.

Vous proposez également la création d’un chèque-prestation, qui serait le support de l'intervention d'un tiers-payeur. Le gouvernement n'a pas retenu cette solution. En effet, notre souci est de ne pas segmenter l'offre de service. Or, le chèque-prestation ne permet pas la relation de gré à gré.

Cela m'amène au deuxième point de ma réflexion : la structuration de l'offre.

2. La structuration de l'offre

Pour que les dispositions prises pour solvabiliser la demande atteignent leur pleine efficacité, il faut que l'offre puisse se structurer. Il faut qu'elle puisse se développer afin que les ménages ne se tournent pas vers le travail au noir, faute de trouver un prestataire.

Comme vous le relevez, il faudrait que tous les prestataires, quel que soit leur nature, puissent s'inscrire dans des règles communes. La relation de gré à gré est actuellement très développée. Elle correspond à un mode de fonctionnement des services à domicile dans lequel les réseaux personnels jouent un rôle important. Les associations ont su depuis de nombreuses années développer une offre répondant aux besoins des ménages avec une attention particulière pour les plus faibles.

Vous proposez également que les entreprises puissent offrir leurs services. C'est aussi notre souhait et le projet de loi va dans ce sens. Mais il faut engager cette évolution avec prudence, afin de ne pas déstabiliser les structures existantes. C'est pour cette raison qu'il est proposé de subordonner l'accès aux aides mises en place par l'État pour favoriser le développement des services à domicile à un agrément géré au niveau local. C'est en effet sur le terrain que les besoins peuvent le mieux s'apprécier. À la demande du Sénat, le projet a été amendé afin d'assurer un agrément renforcé pour tous les services qui touchent directement à l'aide aux personnes.

Cette procédure d'agrément, auquel s'ajoute l'obligation faite aux entreprises de se consacrer exclusivement avec services au domicile des ménages, devraient répondre aux préoccupations de M. Teilleux de voir s'instaurer une concurrence déloyale vis-à-vis des artisans.

De plus, dans un premier temps, il n'a pas paru souhaitable d'aller vers une égalité de traitement complète entre les différents prestataires, qui n'interviennent selon les mêmes modalités. Ainsi, les associations gardent un avantage de coût par rapport aux entreprises.

Il est nécessaire que les évolutions ainsi engagées se fassent sans rupture. L'équilibre entre les différentes mesures que nous avons retenues va dans ce sens. Celui-ci a été obtenu après une concertation organisée par Jacques BARROT avec le CNPF et les représentants des grandes associations. À la demande du Sénat, un suivi et une évaluation seront réalisés. Cela permettra notamment d'approfondir l'analyse du système d'aides dont bénéficient les activités de services aux personnes. Il faudra probablement en effet simplifier les aides existantes pour qu'elles soient plus lisibles et donc plus efficaces.

3. L'information

Comme vous le signalez, l'offre de services aux ménages est multiple ; les aides nombreuses. Cette complexité nourrit le travail au noir, les ménages renonçant face à la difficulté à recueillir l'information dont ils ont besoin.

Le chèque emploi-service a permis de simplifier les formalités administratives pour les particuliers employeurs. Il a connu un fort développement permettant à la fois de créer de nouveaux emplois et de blanchir des emplois existants.

Le groupe des professions libérales a souhaité, dans le même esprit, simplifier le statut de la pluriactivité. Le gouvernement sera amené à faire des propositions sur ce sujet au cours des prochains mois.

Par ailleurs, des structures locales peuvent se développer pour favoriser le rapprochement entre l'offre et la demande, informer les ménages sur les aides auxquelles ils peuvent prétendre.

Des initiatives locales existent dans ce sens. Je pense notamment au dispositif « conseils emplois familiaux » mis en place dans les Yvelines, ou encore à l'opération Qualidom menée dans le Rhône. Je veillerai à ce que ces expériences se développent sous l'impulsion des acteurs locaux.

4. La qualité

La structuration de l'offre, c'est aussi la qualité du service et la qualification des personnes. Vous avez raison d'insister sur ce point : les services aux ménages ne sont pas des petits boulots. Il s'agit de vrais métiers, qui nécessitent une expérience, une formation.

Le développement des formes d'offre les plus structurées va naturellement dans ce sens. De nombreuses associations ont ainsi engagé depuis longtemps des actions visant à assurer la formation de leurs salariés. Il est prévu par le projet de loi que les particuliers employeurs contribuent au financement de la formation professionnelle afin que leurs salariés puissent bénéficier des formations dont ils ont besoin.

Il faut également valoriser ces métiers. Cette remarque vaut pour les services aux ménages, mais elle a une portée beaucoup plus large. De nombreux métiers souffrent d'une mauvaise image et connaissent des difficultés pour renouveler leur personnel. Il faut donc améliorer l'information auprès des jeunes. Lors du sommet social qu'a réuni le Premier ministre le 21 décembre dernier, les partenaires sociaux ont insisté sur ce thème, et ont souhaité renforcer l'orientation professionnelle des jeunes. Plusieurs branches ont déjà mené des actions innovantes en direction des lycéens. Il faut s'inspirer de ces exemples.

Pour conclure, les analyses que vous avez menées se sont appuyées sur de nombreuses initiatives locales. Celles-ci ont permis de dégager des orientations claires en ce qui concerne les services aux ménages. La même maturation reste en partie à faire en ce qui concerne les nouveaux services d'intérêt collectif (environnement, cadre de vie).

Je constate avec satisfaction la grande convergence d'analyse qui existe entre ce rapport et l'action engagée par le gouvernement avec le projet de loi relatif au chèque service. Vos propositions vont plus loin sur certains aspects. Cela nous permettra d'approfondir notre réflexion pour adapter le cadre réglementaire aux besoins d'un champ d'activité qui recèle encore d'importantes possibilités de développement.