Interview de M. Jean-François Mancel, secrétaire général du RPR, à France-Inter le 24 janvier et article dans "La Lettre de la Nation magazine" du 26 janvier 1996 ("Le syndrome des moutons"), sur le débat à l'Assemblée nationale autour du projet de réforme constitutionnelle de la Sécurité sociale, l'Union européenne et le calendrier de la monnaie unique.

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Média : France Inter - La Lettre de la Nation Magazine

Texte intégral

France Inter : Mercredi 24 janvier 1996

A. Ardisson : On a l'impression que le plan Juppé va en s'étiolant.

J.-F. Mancel : C'est une très très fausse impression. La preuve, c'est que nous avons déjà bien avancé. Le Parlement, pour la première fois depuis que la Sécurité sociale a été créée par le général de Gaulle, va avoir son mot à dire. Les dettes qui ont été contractées commencent à être remboursées et le reste va suivre. La réforme de l'hôpital va venir dans les semaines qui viennent, la réforme de la médecine de ville aussi. A. Juppé a rencontré les syndicats de médecins et a créé avec eux trois ateliers de travail et de réflexion. Vous allez voir que tout le plan qu'A. Juppé avait annoncé et présenté à l'Assemblée nationale sera mis en œuvre dans des délais très rapides compte tenu de l'importance de la réforme.

A. Ardisson : Qu'est-ce que vous appelez des délais rapides ?

J.-F. Mancel : Quelques mois.

A. Ardisson : L'examen des recettes en même temps que les dépenses, est-ce que ça ressemble à une étatisation ou est-ce que c'est une concession de détail faite à des députés en quête de virgules ?

J.-F. Mancel : La difficulté, c'est que quand vous proposez au Parlement d'exercer une responsabilité nouvelle, surtout une responsabilité qu'il attend depuis très longtemps, il essaie de s'en saisir en totalité. La tentation des députés, elle est bien compréhensible, a été de dire, nous, à partir du moment où on nous demande de mettre notre nez dans la Sécurité sociale, on voudrait exercer la même responsabilité que pour le budget de l'État. Ce n'est pas possible. Il y a des partenaires sociaux qui font partie du système de la Sécurité sociale depuis 1945 et on doit donc leur laisser la place qui est la leur. C'est une assurance, la Sécurité sociale. Ce n'est pas la même chose que le budget de l'État. Donc il y a eu un grand débat pour savoir jusqu'où le Parlement pouvait intervenir. On a trouvé maintenant un compromis et c'est normal. C'est ça, la démocratie : on trouve toujours des compromis entre la majorité et le gouvernement. Le Parlement a fait son travail et je crois que le texte sera efficace lorsqu'il va être appliqué.

A. Ardisson : Le président du groupe RPR aurait préféré que la concertation se déroulât avant.

J.-F. Mancel : Les modalités de la concertation, on peut épiloguer dessus. L'essentiel, c'est qu'on arrive à se mettre d'accord. C'est ce qui s'est produit une fois de plus. Ça fait des décennies qu'on dit qu'il y a toujours des débats, des conflits entre les majorités et les gouvernements. C'est normal, sinon il n'y aurait pas de démocratie.

A. Ardisson : Vous vous apprêtez aujourd'hui à livrer vos réflexions sur l'avenir de l'Europe. Est-ce que l'heure est venue des grandes clarifications ?

J.-F. Mancel : L'heure est déjà venue de nous exprimer sur ce qui fera le débat de fond de ce qu'on appelle la conférence intergouvernementale qui va démarrer à la fin du mois de mars et qui va durer pendant toute l'année 1996. Les quinze pays de l'Union européenne vont débattre entre eux sur l'avenir de l'Union européenne, sur son élargissement à tous les pays de l'Est notamment, sur, le cas échéant, la réforme des institutions, sur le fait de savoir qu'il faut enfin avoir une politique de défense commune, s'il faut avoir une politique étrangère commune. Ce sont des sujets essentiels pour l'avenir des Français. Cela concerne la paix dont l'Europe nous fait bénéficier depuis des décennies. Cela concerne aussi la présence des intérêts français au sein de la construction européenne. Ce sont donc des sujets sur lesquels le président de la République, au premier rang, le gouvernement, vont avoir à s'exprimer. Dans cette ligne, nous avons considéré qu'il fallait en débattre d'abord avec les militants, les élus du Rassemblement et c'est ce que nous allons faire pendant deux mois.

A. Ardisson : Vous allez en débattre à l'intérieur de vos fédérations et qu'est-ce que ça va devenir ?

J.-F. Mancel : Ça va devenir, par un conseil national qui aura lieu avant la mi-mars, une assemblée qui réunit tous les cadres importants et les élus du RPR, une véritable vision de l'avenir de la construction européenne par le RPR.

A. Ardisson : Et vous n'avez pas peur de cacophonie ? Parce qu'à l'époque ou J. Chirac s'était prononcé en faveur de la ratification du traité d'union européenne, il était minoritaire dans son groupe ?

J.-F. Mancel : Il ne faut pas confondre plusieurs choses. La conférence intergouvernementale dont je parlais n'évoquera pas, dans son fonctionnement institutionnel, le problème de la monnaie unique. Ça a été traité justement avec le Traité de Maastricht et le fameux référendum.

A. Ardisson : Donc, vous ne l'évoquerez pas non plus ?

J.-F. Mancel : Ce n'est pas prévu dans la mesure où ça ne fait pas partie de ce débat-là mais il est bien évident que les militants du RPR sont libres et ils pourront poser la question, ils pourront évoquer le sujet et nous pourrons bien sûr en débattre. Je crois qu'aujourd'hui, il faut aller plus loin. On n'est plus entre pro-maastrichtiens et anti-maastrichtiens. Je crois qu'aujourd'hui, le vrai débat c'est : est-on pour l'Europe ou contre l'Europe ? Et les gaullistes ont toujours été pour. Je vous rappelle pour mémoire qu'en 1958, le général de Gaulle, s'il avait été contre l'Europe aurait eu toutes les facilités de dire aux Français : j'arrive dans une situation qui est épouvantable, la France est en lambeaux à cause de la IVe République, le Traité de Rome vient d'être signé, nous ne pouvons pas entrer dans les mécanismes européens et il à partir de là, nous repoussons l'entrée de la France dans l'Europe. Il a choisi exactement le contraire. C'est parce qu'il avait bien vu et bien compris, une fois de plus avant tout le monde, que c'était l'intérêt du pays. Eh bien c'est exactement ce que nous continuons de penser aujourd'hui à condition que les intérêts des Français au sein de l'Europe soient ardemment défendus et donc par leurs gouvernants. Et moi je vous assure que J. CHIRAC et A. JUPPÉ ne se laisseront pas faire quand il s'agit de défendre les intérêts français en Europe.

A. Ardisson : V. Giscard d'Estaing demande que le président de la République montre le cap et s'engage à l'occasion d'une conférence de presse. Est-ce qu'il y a quelque chose comme ça dans l'air, y êtes-vous favorable ?

J.-F. Mancel : Peu importent les modalités que choisira le président de la République pour s'exprimer sur ce sujet. D'abord, ça relève de son entière responsabilité et pas de quelques conseillers quels qu'ils soient. En revanche, ce que je peux vous dire, c'est qu'ayant été reçu par le président de la République comme les responsables de toutes les formations politiques qu'il a consulté à propos des perspectives de la conférence intergouvernementale, j'ai pu noter qu'il avait une vision très forte de la manière dont nous devions faire évoluer l'Europe et qu'il ne manquera certainement pas de la faire connaître.

A. Ardisson : Mais on a quand même l'impression que vous évacuez le sujet qui, actuellement, lâche, c'est-à-dire celui de l'échéancier du calendrier de la monnaie unique ?

J.-F. Mancel : Moi, je considère qu'il ne faut pas évacuer ce sujet. J'estime que la monnaie unique est une bonne chose parce qu'aujourd'hui nous souffrons essentiellement de ce que nous appelons les dévaluations compétitives, d'un certain nombre de pays comme l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne qui ont des monnaies qu'elles ont volontairement fait baisser pour être plus concurrentiels. La monnaie unique empêchera ça. Et nos paysans, par exemple, sont confrontés aujourd'hui, dans un certain nombre de régions françaises, aux inconvénients de ces dévaluations dites « compétitives ». La monnaie unique peut nous permettre d'arranger cela. Par ailleurs, aujourd'hui, on est collé au mark, il faut bien dire les choses comme elles sont. Eh bien demain, si nous avons la monnaie unique, la France aura son mot à dire alors qu'aujourd'hui, elle n'a rien à dire quand la Bundesbank prend ses décisions. Tout cela, ce sont les avantages, .je crois, pour notre pays. Et puis, par ailleurs, arrêtons de prendre l'Europe comme bouc émissaire permanent, comme responsable de nos difficultés. Aujourd'hui, nous avons la tâche difficile de remettre de l'ordre dans la maison France. Que nous soyons à l'intérieur ou à l'extérieur, il aurait fallu de toute façon remettre de l'ordre parce que quand les finances d'un pays sont malades, comme c'est le cas pour la France, il faut bien les remettre en bonne santé, qu'on soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Europe.


La Lettre de la Nation Magazine : 26 janvier 1996

Le syndrome des moutons

Le 15 novembre, lors de sa présentation par Alain Juppé, la réforme de la protection sociale a été saluée unanimement par tous les commentateurs.

Il y a à cela une raison. Contrairement à tous les replâtrages successifs, le plan d'Alain Juppé ne se contente pas d'éponger un déficit. Il garantit durablement l'avenir en menant de front l'assainissement des déficits passés et une refonte profonde de l'organisation de la Sécurité sociale dans le but de responsabiliser et de clarifier.

Quelques semaines plus tard, le ton a brutalement changé. Ces mêmes commentateurs hier si élogieux n'ont de cesse de gloser sur « les reculs du gouvernement » et de répéter en chœur que la réforme a été « vidée de sa substance ».

L'examen des faits suffit pourtant à réfuter ce virage à 180 degrés.

Les mesures d'urgence pour réparer les erreurs passées ? Elles sont aujourd'hui en place.

La clarification du fonctionnement de la Sécurité sociale ? L'Assemblée nationale vient de voter le projet de révision de la Constitution qui va lui permettre dès cette année d'exercer un droit de regard sur les comptes, réclamé, en vain, depuis longtemps.

La fiscalisation des allocations familiales ? Le discours du 15 novembre fait foi : il a toujours été prévu que l'éventualité n'en serait étudiée que « dans le cadre d'une réforme de l'impôt sur le revenu ».

Les réformes de la gestion des caisses, de l'hôpital et la maîtrise des dépenses de santé ? Les trois ordonnances les concernant seront prises dès le printemps, au terme de la concertation aujourd'hui en cours. Qui peut croire raisonnablement que ces semaines de dialogue sont du temps perdu et la marque d'une « reculade » ?

La vérité est que la réforme – présentée il y a seulement deux mois – se déroule selon le calendrier prévu et qu'elle a déjà commencé à atteindre son but.

Que penser alors de cette curieuse unanimité dans le pessimisme et l'erreur ?

Par-delà le cas particulier de quelques opposants de principe, elle est, hélas, la conséquence d'une fâcheuse tendance de nos commentateurs à s'aligner sur l'avis le plus critique, et donc réputé le plus intelligent, au nom du vieux principe selon lequel : « c'est vrai puisque tout le monde le dit ».

C'est un mode de fonctionnement anodin lorsqu'il est le fait de moutons, mais plus ennuyeux quand il touche des réformes déterminantes pour l'avenir de notre pays.

Ne nous alarmons toutefois pas trop.

Nous n'avons pas suivi les commentateurs il y a un an, lorsqu'ils nous prédisaient la défaite de Jacques Chirac. Nous ne faiblirons pas plus aujourd'hui, à l'heure de mettre en œuvre les réformes dans notre pays a tant besoin.

C'est cela la politique et c'est cela le gaullisme : ne jamais se laisser détourner du chemin que nous tracent nos convictions.

C'est ainsi que Jacques Chirac a gagné le 7 mai dernier. C'est ainsi que nous allons continuer de faire gagner la France.