Déclaration de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, sur l'adaptation des moyens publics d'appui à l'exportation, sur la réforme du service national et les procédures CSNE et sur le lancement du "Partenariat France" en faveur des PME, au Sénat le 28 mai 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journée et colloque sur les emplois français à l'étranger au Sénat le 28 mai 1996

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,

Le Président René MONORY aurait souhaité ouvrir cette journée consacrée aux emplois français à l'étranger et donner ainsi un éclat particulier à cette manifestation en marquant d'emblée l'intérêt qu'il porte, à titre personnel, aux questions qui seront au cœur de nos débats.

Invité à se rendre ce matin à l'Élysée, il m'a chargé de vous exprimer ses regrets de ne pouvoir être présent dès le début de cette matinée, et de remercier en son nom tous ceux qui ont accepté de prendre une part active à cet important colloque.

L'ouverture au monde de notre économie et le jeu de l'implacable logique marchande suscitent des tensions, des incertitudes, une insécurité qu'il appartient au politique de réduire. La première conséquence de la mondialisation est en effet que l'espace économique, largement ouvert sur l'international, coïncide de moins en moins avec l'espace social qui reste national, voire local.

L'étendue du chômage, l'importance des situations de pauvreté, la montée des phénomènes d'exclusion marquent désormais les risques d'une rupture entre l'économique et le social.

Je crois donc pouvoir dire que le principal enjeu pour la France est aujourd'hui de rendre compatible cette mondialisation de l'économie, cette internationalisation des échanges avec la préservation de notre communauté nationale, en particulier de sa cohésion sociale.

Le contexte économique de ces derniers mois a été, vous le savez, difficile. Et la croissance, malheureusement, ne se décrète pas. Elle est largement l'expression d'un sentiment de confiance : or, il ne peut y avoir de confiance lorsque l'endettement ne cesse de s'alourdir et se traduit tôt ou tard par des prélèvements supplémentaires ; il ne peut y avoir de croissance durable lorsque l'État finance par l'emprunt ses dépenses courantes et lorsque la charge de la dette évince peu à peu les dépenses d'investissement, étouffant chaque jour un peu plus l'économie marchande.

Pour redonner confiance, le meilleur moyen est sans aucun doute de montrer que l'on a une vision claire de la situation et que l'on est déterminé à y porter remède. C'est pourquoi le Gouvernement s'attache à inscrire son action dans la durée, à tracer des perspectives, à dessiner l'horizon. II n'y a de politique qui vaille que celle susceptible de s'affranchir de la tyrannie du court terme pour s'inscrire dans le temps.

C'est pourquoi aussi le Gouvernement s'est engagé avec détermination dans la voie de la réduction des déficits publics et de la maîtrise des dépenses publiques. La baisse spectaculaire des taux d'intérêt est un premier résultat significatif qui mérite d'être souligné.

Chacun peut mesurer, je crois, que cette remise en ordre de nos finances dont la préparation du budget 1997 illustre bien la difficulté et les enjeux, est un préalable nécessaire. Elle est la condition même de la cohérence et du succès de la politique conduite pour préparer la France aux défis majeurs du XXIe siècle. Nous devons adapter la France au monde moderne, nous devons rendre la France plus compétitive mais aussi la rendre plus attractive et conquérante.

On ne mesure peut-être pas assez le poids de l'international dans le PIB, particulièrement en termes de croissance et d'emploi. Dans une économie ouverte et soumise à une concurrence internationale très vive, la France doit se donner les moyens de capter les grands investissements internationaux et de les enraciner dans le sol français. Elle doit aussi se donner les moyens d'aller à la conquête du monde et de ses nouveaux marchés. C'est l'objectif que poursuit le Gouvernement en s''attachant à développer une véritable diplomatie économique et financière.

C'est donc à juste titre que les débats d'aujourd'hui s'organisent autour de l'idée selon laquelle c'est sur les marchés extérieurs que l'économie française trouvera ce supplément de croissance qui lui est indispensable pour créer des emplois et pour renforcer la cohésion sociale.

L'enjeu est considérable puisque déjà 4 millions d'emplois sont directement ou indirectement rattachés à nos flux d'exportation. Je voudrais devant vous mettre en évidence quelques éléments fondamentaux de ce secteur.

Vous le savez, il existe une corrélation entre, d'un côté nos parts de marché à l'exportation, et de l'autre, le nombre relatif d'expatriés et le volume de notre investissement à l'étranger. On peut constater que, de manière globale, tout ce qui concourt à renforcer l'efficacité du statut de l'expatrié à l'étranger, se retrouve en termes de gains de performances à l'exportation. De manière parallèle, l'investissement à l'étranger apparaît comme complémentaire de l'acte d'exportation et l'implantation n'en constitue donc généralement pas un substitut.

Lorsqu'on analyse la situation de nos échanges, nous constatons qu'elle n'a jamais été aussi favorable, avec un excédent commercial de 103 Mds Fen 1995 mais que nous gardons toutefois des marges de progression conséquentes, surtout lorsque nous aurons enfin extrait de cet excédent les quelque 35 milliards de solde positif d'échanges avec les départements d'outre-mer. Ainsi, la part de marché mondiale de la France vers les économies à fort taux de croissance est de près de 6 % en 1995, avec une position forte en Europe, mais elle reste trop faible dans les économies émergentes avec un peu plus de 2 % seulement contre près de 17 % de part de marché pour les États-Unis et près de 8 % pour l'Allemagne sur la même zone.

Grâce à un effort marqué à la fin des années 1980, les entreprises françaises ont comblé leur retard en matière d'investissement à l'étranger. En 1994, les 16 000 filiales d'entreprises françaises implantées à l'étranger employaient 2 400 000 salariés, soit autant que les filiales allemandes pour un poids de l'industrie française deux fois moindre. Mais, aujourd'hui, il nous faut nuancer ce constat car l'investissement français à l'étranger a baissé pour la quatrième année consécutive.

En ce qui concerne l'expatriation, avec 1 700 000 Français expatriés, la France est en retard par rapport aux autres pays industrialisés. L'évolution depuis 1990 est favorable mais nous sommes encore loin de l'Allemagne ou de l'Italie qui comptent plusieurs millions d'expatriés dans le monde.

Les PME-PMI représentaient un peu plus de 47 % du total des exportations françaises en 1994 mais leur contribution aux échanges extérieurs reste insuffisante. 100 000 PME sur 140 000 exportateurs en France, réalisent moins de 1 % du total des exportations. Parallèlement, si le taux d'exportation s'établit à plus de 13 % pour l'ensemble des entreprises françaises, il est de moins de 10 % pour les PME qui jouent également un rôle modeste dans l'investissement français à l'étranger. Fin 1994, dans les 16 000 filiales françaises à l'étranger, la part des PME était seulement de 14 % des filiales et de 5 % des effectifs employés.

Dans ces conditions, le gouvernement s'efforce de promouvoir l'internationalisation de nos entreprises en adaptant ses structures d'appui et ses outils d'intervention.

Le Premier Ministre a chargé, en novembre dernier, le Président de l'ACTIM, M. KARPELES de lui faire des propositions pour réformer en profondeur les organismes de soutien (CFCE-CFME-ACTIM).

La réforme a pour objectif de servir plus efficacement les entreprises dans leur développement international, en leur offrant un appui mieux adapté, plus cohérent et plus économe de moyens publics. Elle devrait donc permettre, dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, de rationaliser les structures, tout en répondant au double souci de coordination et d'efficacité.

La réflexion a été étayée par une analyse de la demande des entreprises à partir de consultations organisées dans les régions -Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes auprès de plus de 250 entreprises – essentiellement des PME-PMI – et en concertation avec l'ensemble des partenaires du commerce international (organisations consulaires et professionnelles, conseillers du commerce extérieur notamment, ...).

Sur les bases du rapport final que M. KARPELES remettra au Premier ministre dans le courant du mois de juin, le gouvernement devrait arrêter :
    – un recentrage immédiat des organismes sur leurs missions essentielles : recueil et diffusion de l'information sur les marchés étrangers pour le CFCE ; participation aux seules manifestations prioritaires pour le CFME développement de la promotion en « amont » des industries françaises pour l'ACTIM ;
    – la fusion des deux associations CFME/ACTIM avant la fin de l'année 1996 ;
    – la création d'un groupement d'intérêt public, structure légère de coordination qui permettra non seulement la mise en place immédiate d'un guichet d'accueil unique et une meilleure programmation des actions des organismes en y associant tous les partenaires concernés mais aussi de se donner un cadre pour évoluer vers la fusion effective des organismes.

L'évolution des services de l'expansion économique et l'adaptation de leurs missions est également nécessaire. Depuis plusieurs années, nos postes d'expansion économique ont considérablement amélioré leurs prestations, leur efficacité et leur image auprès des entreprises. Il faut aller plus loin ; l'objectif est de redéployer vers les pays émergents d'Asie et d'Amérique le quart des effectifs aujourd'hui présents en Afrique et dans l'OCDE et d'ouvrir une quinzaine d'implantations nouvelles.

Vous aurez noté également l'effort important consacré aux PME-PMI. Dans le cadre du plan PME qu'il a annoncé en novembre dernier, le Premier Ministre a souhaité faciliter l'accès des PME à certaines procédures de soutien. Cette orientation s'est d'ailleurs traduite dans la loi de finances pour 1996.

Ce sont notamment l'assurance prospection, le Codex et le volet commerce extérieur des contrats de plan État-régions.

Enfin, la procédure des coopérants du service national en entreprise est devenue un véritable instrument d'aide à l'emploi des jeunes et à l'expansion internationale des entreprises.

Depuis sa création en 1983, cette procédure a connu un développement rapide et massif, qui reflète bien l'intérêt qu'y portent les entreprises. De 228 incorporations en 1983, nous serons passés à près de 3 000 en 1995 et un contingent de 3 400 a été arrêté pour 1996. Cette procédure fait maintenant une place croissante aux PME, devenues majoritaires parmi les entreprises qui accueillent des CSNE ; 53 % d'entre elles ont en effet un chiffre d'affaires inférieur à 400 MF et au sein de cette catégorie, 80 % ont un chiffre d'affaires inférieur à 200 MF. Le taux de recrutement à l'issue de la coopération atteint en moyenne 55 % et jusqu'à 70 % pour les PME réalisant un chiffre d'affaires de moins de 200 MF.
D'ores et déjà, un certain nombre de mesures ont été prises par mes services pour adapter la formule aux besoins des PME :
    – le temps partagé permet à plusieurs entreprises de partager le coût du CSNE et aura déjà bénéficié à 117 PME en 1995 ;
    – la mise en place des CSNE multi-pays est désormais possible grâce à l'assouplissement du régime des missions introduit en décembre dernier ; ainsi un jeune coopérant peut plus facilement prospecter plusieurs pays voisins à partir de son lieu d'affectation ;
    – le recours au parrainage est encouragé pour pallier l'absence de structure à l'étranger de nos PME Cet encadrement est, en effet, une condition indispensable à la réussite de la mission tant pour l'entreprise que pour la formation du jeune. Je ne doute pas que les conseillers du commerce extérieur qui disposent d'un formidable réseau à l'étranger améliorent encore leurs efforts pour parrainer les coopérants.

La réforme du service national voulue par le Président de la République ne remettra pas en cause, quant au fond, ce levier puissant de développement à l'exportation de nos PME-PMI. Le ministre délégué, chargé des Finances et du Commerce extérieur, Yves GALLAND, qui suit particulièrement ce dossier et moi-même avons deux objectifs :
    – l'élargissement de la base de recrutement des jeunes bénéficiaires ;
    – l'abaissement du coût de la prestation afin qu'un nombre plus important de PME-PMI puissent avoir accès à cette procédure.

Cela étant, si l'option liée à la constitution d'une armée de métier devait aboutir à un service volontaire, il conviendrait évidemment de redéfinir ces formes de stages en entreprises à l'étranger. Il serait sans doute judicieux d'établir un lien plus perceptible entre la formation professionnelle en entreprise, en l'occurrence à l'étranger, et l'entrée dans le monde du travail.

Je vous ai présenté les décisions du Gouvernement pour favoriser le développement économique des entreprises sur les marchés extérieurs. Je n'oublie pas le rôle actif du Parlement à cet égard. Ainsi, développant une idée soutenue par un parlementaire, M. Olivier DASSAULT, le ministre chargé du Commerce extérieur a lancé le 13 mai dernier l'association « Partenariat-France-Entreprises pour l'export » dont l'objet est de développer ce que l'on appelle traditionnellement le « portage ».

Il s'agit d'offrir aux PME, qui ont la capacité et la volonté d'exporter, des prestations d'accueil, d'information, de conseil et d'appui sur les marchés étrangers qu'elles ne seraient pas en mesure de se procurer autrement.

« Partenariat France », qui réunit déjà une cinquantaine de grands groupes, développera donc des formules novatrices de portage dans deux directions qui correspondent aux attentes des PME :
    – d'abord apporter de nouvelles prestations telles que le lobbying, l'accès aux institutions multilatérales de financement ou la compensation ;
    – la seconde direction touche au mode de rémunération des prestations fournies qui doit constituer une incitation forte pour les PME.

Dans ce nouveau cadre de coopération, librement négocié par les entreprises entre elles, les pouvoirs publics mettent à disposition leurs moyens : les Directions régionales du commerce extérieur identifieront, avec le concours de chambres de commerce, les PME candidates et feront connaître à la cellule Partenariat mise en place à la Direction des Relations Économiques Extérieures les demandes susceptibles d'être présentées aux membres de l'Association.

La Haute Assemblée n'est pas en reste ... Afin d'inciter plus de jeunes Français à l'expatriation, le Président de VILLEPIN suggère d'accorder pour la première année à l'étranger un allégement des charges sociales et de la fiscalité. J'ai demandé à mes services d'étudier attentivement cette proposition.

Nous sommes ici au cœur de l'économie mondialisée. Les situations fiscales et sociales des pays en cause illustrent, au regard du statut des expatriés, les nouvelles donnes.

Faute d'allégements significatifs, le risque est réel d'assister à une mutation des contrats dont le contenu ne manquerait pas de s'écarter rapidement des prescriptions françaises pour ne plus prendre en compte que les dispositions locales.

Nous comprenons bien que l'intérêt de la Nation nous dicte de nous projeter avec ardeur et détermination dans l'économie globale. L'heure est venue de déployer nos forces là où les intérêts français ont leur place. Les communications instantanées font disparaître toutes les barrières, toutes les frontières. C'est en fortifiant notre patriotisme économique que nous déploierons l'énergie et l'audace de nouvelles et légitimes conquêtes. L'éducation que nous donnons à nos enfants doit être imprégnée d'ouverture sur le monde et d'une impatience de maîtriser plusieurs langues étrangères. Dès lors, la formation professionnelle ne sera complète que si elle comporte de longs séjours hors de l'hexagone. C'est à ce prix que nous gagerons notre croissance dont l'emploi et la cohésion sociale mesureront les bienfaits.

Je remercie le Président MONORY et les sénateurs représentant les Français de l'étranger d'avoir pris l'initiative de ce colloque. Dans la guerre économique que nous menons, nous devons trouver les moyens de donner aux jeunes générations de Français l'esprit de conquête qui permettra à la France de garder son rang dans le concert des nations. C'est une tâche que nous devons accomplir ensemble, Gouvernement, Parlement et acteurs économiques. Je suis sûr que ce colloque participera de cet élan.