Déclarations de M. Philippe Séguin, président RPR de l'Assemblée nationale, dans le cadre de la campagne des élections législatives de 1997, essentiellement sur l'emploi et l'Europe, Mantes-la-jolie, le 29 avril, Avignon le 6 mai, Saint-Etienne le 12, Nantes le 13 et Epinal le 21 mai 1997.

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Circonstance : Elections législatives anticipées des 25 mai et 1er juin 1997

Texte intégral

Discours à Mantes-la-Jolie – 29 avril 1997

Merci, tout d’abord, à vous toutes et à vous tous pour votre présence...

Merci en particulier à Pierre Bédier pour son invitation à venir m’exprimer devant vous, aux côtés des candidats qui portent les couleurs de la majorité dans ce département des Yvelines.

Je suis heureux que Mantes-la-Jolie me donne ainsi l’occasion de prendre la parole, pour la première fois, dans cette campagne législative...

Une campagne dont le tumulte finirait par m’étonner...

J’avais cru comprendre, en effet, que la minorité parlementaire se sentait bien comme elle était.

Vous l’avez entendue comme moi... Vous l’avez entendue, contre toute attente, pousser des cris d’orfraie à l’annonce de la dissolution. Comme si elle avait souhaité, tout compte fait, rester l’opposition au moins une année encore !

Mais dès lors, où est le problème ? Nous allons au-devant de ses désirs. Nous venons gentiment et généreusement lui proposer, non point une année, mais cinq ans d’opposition supplémentaires.

Voilà. C’était ma contribution, certes modeste, au maintien du bon niveau idéologique de la campagne...

Plus sérieusement, prenons garde, prenons garde de ne pas avoir à nous reprocher un jour d’être passés à côté d’une grande occasion. D’une grande occasion de peser sur le cours des choses... Une grande et décisive occasion de traiter de l’essentiel, quand il en était encore temps.

Ce rendez-vous inattendu ne doit pas être un rendez-vous manqué.

Oui, quand je vois l’expérience qu’a accumulée Pierre Bédier en matière de lutte pour l’emploi et contre l’exclusion, expérience qui a durablement inspiré le pacte national de relance pour la ville...

Quand je vois l’énergie que met Pierre Cardo à promouvoir cette politique de la ville, à faire reculer la délinquance des mineurs, à favoriser la création d’activités d’utilité sociale,

Quand je me remémore le combat admirable de Franck Borotra à Paris et à Bruxelles pour défendre et illustrer le service public à la française,

Quand je me souviens des propositions intelligentes et audacieuses qu’a pu formuler Michel Péricard pour recentrer les aides à l’emploi, en même temps qu’il m’apportait son soutien pour rénover les méthodes de l’assemblée...

Quand on sait avec quelle conviction, en parlementaire chevronné. Étienne Pinte a su dégager les lignes de force d’une grande politique de la famille.

Combat auquel chacun connaît la part que prend Christine Boutin, elle-même si résolument impliquée dans la lutte contre la drogue et contre l’emprise des sectes,

Quand je mesure l’action sans relâche que conduit Pierre Lequiller pour faire reculer l’illettrisme, ce terrible facteur d’exclusion qui, comme il le dit lui-même, n’est en rien une fatalité,

Quand je récapitule tous les efforts de Jacques Myard pour obtenir que la politique communautaire se rapproche, enfin, réellement, des préoccupations du citoyen,

Quand je me dois d’exprimer ma reconnaissance à Henri Cuq dont le concours m’a été si précieux et qui aura conduit notre réflexion dans des domaines aussi divers que l’immigration, l’évolution de la SNCF ou la situation en Corse,

Quand je fais le bilan des luttes incessantes de Jean-Michel Fourgous pour lever les obstacles qui freinent les entreprises,

Quand je me réjouis que Jacques Masdeu-Arus ait su nous faire bénéficier de sa connaissance du terrain et de sa détermination pour défendre notre production automobile,

Quand je pense à la compétence irremplaçable que peut nous apporter Anne-Marie Idrac, en particulier dans le domaine des grands équipements dont notre pays a besoin, une compétence dont elle a déjà fait preuve comme ministre,

Oui, quand je prends ainsi conscience de l’impérieuse nécessité de leur présence à eux tous, à l’assemblée – ou au gouvernement –,

Je me dis que non, décidément, ce rendez-vous inattendu ne doit pas être un rendez-vous manqué.

Et pourtant, on a beau, de part et d’autre, battre la mayonnaise avec ardeur, il est vrai qu’elle a du mal à prendre. Il est vrai qu’une part non négligeable de l’opinion a quelque peine à fixer son attention... Et c’est comme en désespoir de cause que nous nous laissons bercer par le doux et rassurant train-train, indigeste et convenu, d’un bon vieux débat droite/gauche dont nous sentons bien pourtant qu’il n’est, pour les vrais enjeux, qu’une clé de lecture bien imparfaite...

Convenons que les Français ont quelques circonstances atténuantes. Qui pourrait leur reprocher une certaine indifférence, à eux qui sont si souvent revenus de tout, à force d’en avoir tant entendu ?

Eux qui depuis vingt ans voient un mal, implacable, ronger, jour après jour, les fondements mêmes de la société qu’ils s’étaient bâtie... Société imparfaite, certes, mais société dont ils sentaient, confusément, qu’elle allait, du moins, vers toujours plus de progrès et d’équité.

Car depuis vingt ans qu’ils voient le chômage monter, inexorablement, en dépit d’assurances sans cesse répétées, les Français attendent surtout une réponse à ce qui est leur première, leur lancinante préoccupation.

En retour, on leur débite, de partout, des mots qui leur paraissent vides de sens : critères de convergence, flexibilité, mondialisation, fédéralisme... Des mots qui leur paraissent autant d’alibis à l’inaction, quand ils se voudraient l’annonce de lendemains qui chantent...

Et notre démocratie tourne à vide. Jamais peut-être, autant qu’aujourd’hui, on n’avait été conduit à un tel constat. De la démocratie, nous sommes en passe de ne conserver que les apparences. Nous ne parlons plus de la même chose. Nous ne parlons plus que pour ne rien nous dire.

Ce vide du débat, il ne tient certes pas à une insuffisance des hommes qui le conduisent.

Si le débat paraît vide, c’est pour des raisons de fond.

Des raisons qu’il nous faut tenter de comprendre si nous voulons remettre la campagne sur ses rails.

Ce sont les Français qui sont dans le vrai. Le chômage est au cœur de tout. Il est incontournable.

Et si l’on veut sauver ce qui peut l’être, il faut en faire l’enjeu, le grand enjeu de toute politique...

Car tout se tient : la perte des valeurs, la crise morale, le divorce entre les citoyens et la politique, l’enjeu européen, tout – qu’on le veuille ou non – oui, tout tourne autour de l’emploi...

Allez parler de cohésion sociale, quand vous ne vous attaqueriez pas aux causes mêmes de la fracture !

De même, on peut organiser tous les défilés qu’on voudra, on ne contiendra, on ne réduira jamais l’extrémisme aussi longtemps qu’il pourra s’enraciner dans le terreau du chômage...

On ne fera jamais rêver de l’Europe, enfin, aussi longtemps que l’on ne la mettra pas au service de l’emploi.

Je sais bien qu’en parlant d’emploi dans cette campagne, on enfreint cette règle non écrite mais inflexible qui veut qu’on neutralise le sujet. Il en est désormais du débat public comme de la guerre moderne : il est des armes interdites, car malpropres. Ainsi en va-t-il du chômage. Comme tout le monde a échoué, comme on a, paraît-il, tout essayé, comme il serait vain de s’envoyer à la face les turpitudes respectives, le sujet d’un commun accord, est tabou...

Et pourtant, il n’en est pas d’autre...

Je devine le scandale que cela peut causer... Et les mille bonnes raisons qu’on va nous donner pour revenir à la raison... Aucune ne me parait décisive...

Je sais bien que le monde change. Tout le monde sait que le monde change...

A vrai dire, on le pressent plus qu’on ne le comprend.

Et comment le comprendrait-on puisqu’on ne nous l’explique guère...

Deux phénomènes concomitants, deux phénomènes qui se nourrissent l’un l’autre, sont en train de bouleverser la donne :

- l’explosion technologique, d’abord, qui se traduit par une accélération des capacités de productivité et par la montée de ce qu’on appelle la civilisation de l’information, qui est en passe, progressivement, de poser le problème du rapport au travail en termes radicalement nouveaux...
- la libération des échanges, ensuite, qui met en compétition des systèmes économiques et sociaux différents et entraîne peu à peu une relocalisation des activités...

Face à ce double phénomène, le monde aurait un impérieux devoir d’organisation, de manière à tirer le meilleur parti possible des chances réelles qu’il recèle et pour amortir les effets des risques non moins réels dont il est également porteur...

Mais c’est très précisément l’inverse qui se produit... Et là est le défi à relever...

Car, contrairement à ce qu’on entend dire – depuis la semaine dernière ! – il ne s’agit pas de choisir entre deux civilisations. La civilisation nouvelle, elle s’imposera en tout état de cause. Nous en percevons déjà tous les signes... Tout le problème, le vrai problème est de savoir si nous allons la subir ou si nom nous donnerons les moyens de la maîtriser.

Tout le problème, le vrai problème est de savoir si elle sera mise au service du bonheur des hommes et des femmes de nos pays, ou si elle les réduira à l’état de simples instruments de je ne sais quelle « World Company ».

Or, la partie est bien mal engagée.

Les forces qui prennent aujourd’hui le dessus sont totalement indifférentes au sort des gens. Elles imposent une logique ultralibérale, qui favorise leurs intérêts immédiats... Partout, le pouvoir politique cède le pas, s’efface... La logique financière emporte tout sur son passage...

Face à cette situation, nous avions, nous conservons, envers et contre tout, une chance de résister, de faire prévaloir nos aspirations... Cette chance, c’est l’Europe.

L’Europe, constituée il y a quarante ans, pour ramener la paix sur le continent... L’Europe, constituée pour assurer la prospérité des Nations qui la composent. L’Europe, gardienne jalouse – ou supposée telle – d’un certain nombre de valeurs essentielles : la démocratie, en tout premier lieu, c’est-à-dire, la prééminence de la volonté commune sur tout autre pouvoir, la prééminence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers aussi respectables et puissants soient-ils. L’Europe, qui a inventé la solidarité, la protection sociale...

Mais au lieu de cela, l’Europe, jusqu’ici, s’est elle-même laissée aller au mouvement général. Pire, elle l’a parfois démultiplié... Engagée dans un mode de construction où le choix politique le cédait à une mécanique technocratique, l’Europe a trop souvent joué les bons élèves de l’ultralibéralisme.

Et elle a paru faire de la déliquescence sociale la seule réponse possible au problème posé.

Comme si c’était en démantelant nos systèmes sociaux que nous pourrions corriger cette situation. Comme si ne c’était pas là une piste qui ne mène nulle part. Car cette course sans fin, nous la perdrons, sauf à provoquer l’implosion de nos systèmes démocratiques : le coût du travail en France ne pourra jamais égaler le coût du travail en Chine.

Mais on n’a rien voulu entendre... Alors, bien sûr, cela a fait du dégât. Beaucoup de dégât...

Des dégâts qu’on a accueillis, le plus souvent, avec des larmes de crocodile...

Pourra-t-on ainsi jamais surpasser le festival d’hypocrisie qui a entouré l’annonce de la fermeture de l’usine de Vilvoorde ? On aura du mal... Non seulement, certains commissaires européens se sont ouvertement moqués du monde, en dénonçant un incendie qu’ils avaient contribué à allumer ! mais en les entendant, on a pu prendre la mesure de l’étendue de leur méconnaissance des problèmes concrets, des problèmes quotidiens des Européens.

Car voyez-vous, ce qui les a choqués, ça n’est pas tant qu’on ferme une usine. Une, il est vrai, parmi beaucoup d’autres...

Ce qui les a choqués, c’est qu’on ne fasse pas les choses poliment...

Du coup, on comprend ce qu’ils appellent l’Europe sociale. L’Europe sociale, ce n’est pas se donner les moyens de protéger l’emploi. Non, l’Europe sociale, c’est l’obligation pour M. Schweitzer, la prochaine fois, de mettre des gants beurre frais pour annoncer ses licenciements, comme jadis, dans les bonnes familles, on allait faire sa demande en mariage...

On a bien tenté de se reprendre depuis. Et on nous promet qu’on va voir ce qu’on va voir.

On risque pourtant de ne rien voir du tout. À moins de refaire, enfin, de la politique.

Car le traité qui vaut actuellement – si j’ose dire – mode d’emploi, le traité dans l’état où on nous l’a fait voter, est intrinsèquement asocial, pour ne pas dire antisocial.

Il est asocial pour deux raisons essentielles :

- il ignore délibérément le chômage ;
- il fait de la monnaie non point un moyen mais une fin en soi...

Entendons-nous bien : ce traité a été ratifié, de par la volonté du peuple français... Il s’impose à nous. Et ce qui a été décidé est décidé. C’est la démocratie.

Je continue à croire, pour ma part, que la méthode qu’on a adoptée n’était pas la bonne. Qu’on aurait dû démocratiser d’abord le système, et définir, ensemble, des préalables politiques au lieu de s’en tenir aux vertus supposées d’une mécanique monétaire et économique. On aura fait l’inverse : on aura aggravé la dérive technocratique, on aura joué contre l’emploi, et pire encore, sauf initiative politique forte, on ne nous offre pas d’autre perspective que de continuer à jouer contre l’emploi...

Il serait pourtant insensé de nous résigner définitivement à un système européen de banque centrale dont le seul objectif serait de maintenir la stabilité des prix...

Il serait insensé que l’Europe fasse un contresens que les États-Unis eux-mêmes ont su éviter. Parce que la Banque fédérale américaine se donne, elle, pour objectif premier le plein emploi ! Et je ne sache pas que ses statuts aient été rédigés par des étatistes forcenés !

Ainsi le continent des droits sociaux ferait moins cas de l’emploi que le pays de la déréglementation. Le pays de la libre entreprise serait plus social que le continent qui a inventé la sécurité sociale...

Est-ce cela que nous voulons ?

Or, il n’est que de constater ce qui s’est passé au cours de ces dernières années pour avoir une idée du sort qu’on nous réserverait...

Pendant six ou sept ans, nous aurons subi une situation monétaire absurde. Une situation qui nous aura pénalisés. Une situation qui nous aura asphyxiés... Une situation qui laissera pantois les historiens qui se demanderont par quel sortilège un pays comme le nôtre a pu s’adonner au masochisme le plus insensé. Masochisme qui s’est payé en centaines de milliers d’emplois perdus, en perte de notre capacité industrielle, en perte de confiance en nous-mêmes.

Et le plus fort, c’est qu’on s’en rendait compte. Mais on s’en rendait compte encore et toujours trop tard.

En 93, on nous a dit que c’était en 92 ou avant, qu’il aurait fallu faire quelque chose... Je n’invente rien. C’est M. Delors gui en fit l’aveu public... En 1995, on a entendu dire que tout compte fait, c’est 93 qui avait été une occasion perdue. Et aujourd’hui, on dit qu’en 1995, peut-être, qu’après tout, une initiative n’aurait pas été inopportune...

Comprenons bien : ce n’est pas qu’une affaire technique. C’est une affaire vraiment politique.

Car, si nous ne réagissons pas, nous contribuerons à pérenniser, à rendre définitive cette manière de faire.

Une manière décidément erronée...

N’ayons pas peur des mots. Et des constats. Nous entendons tous, vous comme moi, ce que disent beaucoup de Français. Ils nous disent qu’ils ont l’impression que, depuis des années, on a beau changer de majorité, la politique poursuivie semble désespérément la même.

C’est qu’il y a toujours ce même carcan qui limite les marges de manœuvre, qui impose sa loi, qui impose sa logique.

Vous le savez sans doute : je suis le premier à reconnaître, à dire, à proclamer que la croissance ne suffit pas, ne suffira plus à assurer spontanément le plein emploi, et qu’il nous faut poser et régler en termes radicalement nouveaux le problème de l’activité... que cela fait vingt ans que les remèdes classiques ont échoué et qu’il est inutile de s’obstiner...

Mais, pour autant, je suis le premier à reconnaître, à dire et à proclamer que sans croissance rien ne sera possible.

Or, tant qu’un tel carcan nous étouffera, tant que l’Europe qu’on nous construira sera aussi indifférente à l’emploi, il n’y aura pas la croissance désirée.

C’est dire que, dès lors qu’on a décidé de partager une même monnaie, les conditions de sa mise en œuvre constituent désormais un enjeu politique de première grandeur...

Et, à cet égard, je le dis sans esprit partisan ni polémique, les socialistes ne peuvent être d’aucune utilité à la France.

Voyez-vous, je suis prêt à beaucoup pardonner aux socialistes.

Je suis prêt à oublier qu’ils ont creusé les déficits... Après tout, ils n’ont probablement pas été les seuls...

Je suis prêt à oublier les quelques libertés qu’ils ont prises avec la morale publique... Que ceux qui n’ont jamais péché leur jettent la première pierre !

Je suis prêt à oublier leur inélégance, eux qui acceptaient tout du grand homme, de son vivant, et qui, aujourd’hui, voudraient nous faire accroire qu’ils ne l’ont jamais croisé que par hasard... Et à leur corps défendant.

Oui, je suis prêt à beaucoup pardonner...

Mais ce que je ne puis accepter, c’est l’aplomb de ceux qui mènent aujourd’hui la campagne socialiste, je dis bien : l’aplomb, pour éviter de nouvelles formules inutilement blessantes, oui leur aplomb, quand ils prennent des airs effarouchés avec ce Traité de Maastricht, dont ils découvrent les dangers et les insuffisances, et dont ils ont le culot de faire reproche au gouvernement de l’appliquer, dont certains d’entre eux ont le front de nous dire qu’il faudrait le renégocier...

Mais ce traité, qui l’a voulu, qui l’a négocié, qui l’a accepté ? Sinon les socialistes... Qui, sinon les socialistes, a tout bradé ? Qui, sinon les socialistes, avait laissé le couple franco-allemand devenir un ménage bancal où l’on ne savait que trop, à cause d’eux, qui en était réduit à porter la culotte ?

Trop, c’est trop. S’il y a encore une chance de faire l’Euro intelligemment, s’il y a encore une chance de remettre l’Europe sur ses pieds, ça n’est certes pas avec ceux qui portent une aussi lourde responsabilité devant l’histoire.

La capitulation ultralibérale, ce sont les socialistes qui l’ont signée. Le déclin de la société de solidarité, ce sont eux qui l’ont engagé...

Je suis bien placé pour vous en parler. Je les ai trouvés sur mon chemin. La mécanique qu’ils dénoncent aujourd’hui c’était, à les entendre, le paradis, le Nirvana, le Pérou... Et quand on émettait quelques doutes, on était dénoncé comme antieuropéen !

Ah, je vous en prie, n’ayez pas la mémoire courte !

Que nul ne se laisse prendre à leurs protestations d’innocence. D’ailleurs, il n’est que de voir où leurs inspirateurs vont prendre leurs modèles. Ils n’en ont plus que pour les travaillistes britanniques. Illustration supplémentaire qu’il n’est de pire ultralibéraux que les socialistes convertis. Les travaillistes britanniques dont le progressisme est tel qu’il en arriverait à faire passer M. Major pour un dangereux gauchiste...

D’ailleurs, la cause est entendue avant même d’être plaidée. Si d’aventure et par malheur, il y avait cohabitation, s’il y avait dyarchie, la politique de notre pays serait tirée à hue et à dia, et à l’heure où il faudrait parler fort, la France serait aphone... Les voilà, les perspectives ouvertes par M. Jospin !

Or, l’année à venir sera décisive.

Le rendez-vous européen de 1998 est l’occasion unique et probablement ultime d’une vaste remise à plat.

Que l’on ne vienne pas nous dire que rien n’est possible ! Que tout est joué ! Que les gouvernements n’auraient plus leur mot à dire dans l’application du traité ! Que celui-ci n’admet d’autre interprétation que celle de la commission de Bruxelles.

Les faits sont têtus, comme disait l’autre. Et ils sont incontournables...

Chacun le sait maintenant, on le dit même en Allemagne, le traité ne pourra être appliqué dans sa lettre actuelle. Qu’on le rediscute, qu’on l’adapte, qu’on le complète ou le précise, le problème n’est pas là. Les mots, les terminologies importent peu.

Chacun comprend désormais à quel point 1998 ne pourra, ne devra pas être le simple aboutissement d’un interminable processus technocratique.

Non, ce ne doit pas être un aboutissement, mais au contraire un nouveau départ. Celui de l’Europe. Celui d’une Europe qui mettra l’homme, et l’emploi, au cœur de son projet.

Il ne s’agira pas que de ramasser les copies des élèves de la classe européenne pour distribuer ensuite les bons et les mauvais points... Il s’agira de prendre un nouvel élan, un élan politique.

La France et l’Allemagne ont la capacité de le décider. C’est ce que les Européens attendent d’elles. Relance politique, relance économique, les deux étant également concertées. Voilà ce que peut, ce que doit être le message de la France...

Et une fois le carcan desserré, une fois surtout que la construction européenne aura connu ce nouvel élan, alors oui, les politiques nationales de l’emploi pourront retrouver quelque efficacité. C’est à ce moment – et à ce moment seulement – que les orientations déjà esquissées par le Gouvernement et sa majorité auront toutes les chances de produire des résultats réels, tangibles...

C’est donc essentiellement au niveau européen qu’il faut agir. Étant entendu que cela ne nous dispense pas, loin de là, d’avancer déjà nos propres réponses, et de mobiliser tous nos moyens. À condition de faire notre révolution culturelle.

Le combat contre le chômage, qui met en péril notre société, doit être un combat total, un combat sans merci, et de tous les instants.

Il doit engager toutes les ressources dont nous disposons. Les leviers économiques. Mais aussi tous les autres...

Il nous faut ainsi mieux dissocier les règles applicables au secteur protégé et au secteur exposé. Les activités soumises à la concurrence internationale imposent des contraintes de compétitivité qui appellent elles-mêmes des règles spécifiques. Sur le front extérieur, les entreprises ne sont pas comptables en termes d’emplois, elles sont comptables en termes de résultats. À nous de veiller à ne pas les envoyer à la boucherie. Et à cet égard, l’exemple de Vilvoorde est, une fois de plus, révélateur. Révélateur de ce qu’il ne faut pas faire.

Vilvoorde, c’est le résultat, le premier résultat tangible de l’accord euro-japonais d’ouverture progressive et sans contrepartie de notre marché automobile à l’industrie japonaise. Accord dont je rappelle qu’il a été signé en décembre 1991, sous la présidence de M. Mitterrand, alors que Mme Édith Cresson était Premier ministre, et que M. Lionel Jospin, que Mme Aubry, exerçaient de hautes responsabilités dans le Gouvernement de l’époque... Merci pour tout !...

Pour autant, si ce genre d’erreur peut et doit être évité, c’est dans les activités du secteur, non directement soumis à cette concurrence que nous disposons de véritables marges de manœuvre.

C’est bien pourquoi il faut poursuivre la réforme en profondeur du financement de la sécurité sociale. Notre système est absurde, puisqu’il taxe surtout le travail, notre travail. Et que là-même où ça n’est pas nécessaire, là-même où cela signifie baisse de la qualité du service rendu, on s’obstine à substituer du capital, c’est-à-dire des machines, au travail, c’est-à-dire aux hommes et aux femmes, ainsi voués au chômage et qu’il faudra indemniser à ce titre. Plus grave encore, dans une économie ouverte sur le monde, les produits et les services importés ne participent pas au financement de notre protection sociale, alors même que nos exportations, elles, sont pénalisées. Ce qui interdit à nos entreprises de se battre à armes égales.

J’aurai d’autres occasions de dire comment la réforme fiscale doit accompagner la réforme sociale pour répondre au même problème, la diminution de la part du salaire dans la distribution de la valeur ajoutée... De dire pourquoi et comment il faut réorienter le dispositif des aides à l’emploi.

Ce soir, je veux surtout dire combien il est impératif de tendre vers la pleine activité, c’est-à-dire, vers la satisfaction des besoins que le marché ne prend pas en compte.

Nous avons un potentiel. Un immense potentiel. Celui des services que l’on peut qualifier, à grands traits, de « non marchands ». Des services qui procureraient des satisfactions élevées. Des services qui participeraient au progrès du bien-être. Des services qui contribueraient à l’efficacité bien comprise de l’économie. Mais des services qui ne peuvent se créer spontanément, parce qu’ils ne sont pas rentables dans les conditions sociales, fiscales, administratives actuelles.

Le Gouvernement d’Alain Juppé a eu le mérite de poser le principe de la nécessité d’activer les dépenses passives de réparation du chômage. Il faut maintenant en tirer toutes les conséquences possibles, à grande échelle.

Car ces activités représentent des gisements d’emplois considérables, pourvu qu’on veuille bien prendre en considération – enfin – leur utilité, pour peu qu’on veuille bien mettre en place les conditions qui faciliteront leur développement, pour peu qu’on veuille bien les prendre au sérieux.

Ne nous y trompons pas en effet.

Ce n’est pas seulement l’insuffisance de travail qui explique notre situation C’est la crise de la notion même de travail qui fait que la société de demain devra être fondée sur un équilibre nouveau entre travail productif, activités sociales et épanouissement personnel...

Ce sont donc bien des cadres neufs, divers et souples qu’il nous faudra imaginer pour réorganiser l’ensemble des énergies socialement utiles...

Aurai-je assez dit l’importance du scrutin qui s’annonce ?

En réalité, ce sont deux idées fortes, deux idées simples et fortes, qui doivent émerger de cette campagne.

Deux idées que je veux, pour ma part, exprimer sans relâche.

Deux idées que je crois partager avec Pierre Bédier, Pierre Cardo, Franck Borotra, Michel Péricard, Étienne Pinte, Christine Boutin, Pierre Lequiller, Jacques Myard, Henri Cuq, Jean-Michel Fourgous, Jacques Masdeu-Arus ou Anne-Marie Idrac...

Deux idées auxquelles je crois, de toute la force de ma conviction.

La première est celle-ci : Ce n’est pas par moins de solidarité qu’on entrera mieux dans la modernité.

Ce n’est pas en sacrifiant tout ce qui a fait les principes de notre vie collective, en renonçant à nos valeurs, en abandonnant tout ce qui a fait de la société française une société certes perfectible, mais qui tendait toujours vers plus de justice et d’équité, ça n’est pas en jetant le bébé avec l’eau du bain, qu’on réussira l’entrée dans le 3e millénaire.

Je serais tenté de dire que c’est tout le contraire. Bien sûr que nous avons choisi le libéralisme.

Nous avons choisi le libéralisme parce qu’il n’existe pas de système économique qui garantisse mieux l’innovation, l’émulation, le développement, et en fin de compte, les conditions du progrès…

Nous avons choisi le libéralisme parce qu’il est juste, il est nécessaire que soient encouragés et récompensés ceux qui osent, ceux qui créent, ceux qui travaillent et rendent ce progrès possible.

Mais nous avons choisi un libéralisme légitimé, tempéré, corrigé.

Un libéralisme légitimé qui permette à chacun de bénéficier du fruit de la croissance et assure l’égalité des chances, sans laquelle il n’est pas de société d’émulation qui soit viable.

Un libéralisme tempéré par un système de protection sociale aussi complet, aussi efficace, aussi équitable que possible...

Un libéralisme corrigé par le rôle d’impulsion de l’État, rôle moins que jamais discutable dans une période de mutation telle que celle que nous avons à vivre.

Il n’est pas d’autre choix possible. Sinon, il n’y a qu’à rentrer chez nous et à laisser gouverner les marchés financiers.

La deuxième idée est celle-ci :

Je comprends – parce que je les partage souvent – les doutes, les déceptions, les frustrations qui s’expriment. Je comprends que beaucoup de Français aient le sentiment d’avoir été menés trop souvent en bateau, qu’il y ait entre eux et ceux qui les représentent, entre les Français et leurs dirigeants, comme un décalage, une incompréhension. Je comprends que notre langage leur paraisse de plus en plus loin du leur.

Et pourtant, je les en conjure : ils doivent savoir surmonter ces doutes, ces déceptions, ces frustrations.

Les choses sont ainsi faites que l’essentiel de notre destin se jouera dans les prochains mois, sur le terrain européen...

C’est là qu’on décidera si l’Europe doit continuer à n’être que ce qu’elle est, c’est-à-dire, une machine technocratique qui ignore trop souvent les hommes et les femmes des nations qui la composent. Ou si elle met enfin l’emploi, la lutte contre le chômage, le bonheur des gens au centre de son projet, au cœur de ses préoccupations. C’est là qu’on décidera, par là-même et en grande partie, ce que sera notre pays...

Alors l’enjeu est clair. Dans cette discussion finale et capitale, voulez-vous que la France pèse de tout son poids, bref qu’elle parle d’une seule voix ?

Voulez-vous qu’autour de la table, il y ait notre président et un Premier ministre qui le soutient ? Ou notre président, affaibli, avec un Premier ministre qui le contredit ?

La réponse s’impose.

Il faut une majorité au président.

Pour qu’il puisse faire entendre la voix de la France.

Mais la voix de la France, le président nous l’a rappelé – il nous l’a rappelé en décidant de nous donner la parole – c’est nous tous.

Trop souvent, les Français ont le sentiment qu’un bulletin de vote, dans une élection législative, où le manichéisme et la caricature se donnent parfois libre cours, ne saurait suffire à traduire fidèlement leur aspiration.

Qu’ils ne se méprennent pourtant point. Dans toutes les élections, leur message finit toujours par être entendu...

Et ce sera le cas, une fois encore, s’ils le veulent...

Alors, il faut que nous disions haut et clair que l’Europe doit se construire autour d’un vrai modèle de société. Un modèle qui lui soit propre, qui soit conforme à son héritage. Un modèle qu’elle devra promouvoir dans un esprit de compétition pacifique, mais ferme avec d’autres approches de l’économie de marché comme celles qui prévalent en Amérique ou en Asie...

Parce que c’est la condition de la France que nous voulons. Celle précisément, dont Jacques Chirac avait dessiné les contours il y a deux ans. Celle pour laquelle il a été élu. Cette France forte, unie et généreuse dans laquelle, plus que jamais, nous voulons vivre...


Discours à Avignon le mardi 6 mai 1997

Merci, merci d’abord, à vous toutes et à vous tous pour votre présence...

Merci, en particulier, à Marie-Josée Roig pour son invitation à venir m’exprimer devant vous, aux côtés des candidats qui portent les couleurs de la majorité dans le Vaucluse.

J’espère que ni elle, ni eux, ni vous n’auront à le regretter. Parce que mes discours sont souvent austères...

Et pourtant, je ne suis pas naïf. Enfin, pas complètement. Il ne m’a pas échappé que le mode de scrutin que nous pratiquons conduit, en fin de compte, à un affrontement binaire. Camp contre camp.

J’en accepte la logique.

Et je ne me fais pas faute de taper moi-même sur les socialistes – d’autant qu’ils le méritent souvent. Et dans cette circonscription, tout particulièrement – j’en connais qui ne perdent rien pour attendre...

Pour autant, il ne faut pas être dupe du système. Et ce n’est pas parce que deux camps s’opposent qu’il faut dire n’importe quoi. Et ne pas traiter des vrais problèmes, dans un souci de conviction, de précision et d’honnêteté.

C’est dans cet esprit, en tout cas, que je veux, d’emblée, saluer la force des convictions de Marie-Josée Roig, et la vigueur de son engagement au service de son pays, au service d’Avignon et de sa région. Un engagement et des convictions dont je n’oublie pas qu’elle les a montrés sans faiblir lorsque nous étions confrontés, naguère, à d’importantes échéances européennes.

Chacun connaît, aussi, la réflexion qu’elle a conduite sur l’aménagement de nos villes, tout particulièrement sur la reconquête et la redynamisation de leurs centres. Une réflexion qu’elle a inscrite dans les faits, ici, à Avignon, cette ville qu’elle a reprise il y a deux ans et à laquelle elle a donné un nouvel élan, en dépit d’un lourd, d’un très lourd passif.

Comment ne pas souligner également l’intérêt constant dont elle a fait preuve pour la défense de notre patrimoine ? D’ailleurs, quand il m’a fallu nommer un parlementaire comme administrateur de la Fondation du Patrimoine, c’est évidemment elle que j’ai choisie.

C’est là un combat qu’elle partage avec Yves Rousset-Rouard, qui n’a pas seulement été un défenseur énergique de sa circonscription, mais qui s’est beaucoup donné pour préserver notre environnement, en particulier nos parcs naturels, et en tout premier lieu celui du Lubéron qui en est un des plus beaux fleurons. Il a fait bénéficier le Parlement, de surcroît, de ses compétences dans le domaine de la création – compétences précieuses en ces temps où notre exception culturelle est directement menacée. Et c’est un enjeu qu’on ressent singulièrement, je le sais, ici, en Avignon, terre d’histoire, d’art et de savoir. J’ajoute qu’il s’est battu avec acharnement – et avec succès – pour la reconversion du Plateau d’Albion, afin de parer aux graves conséquences pour l’emploi et la vie locale qu’aurait eues, sinon, la fermeture des installations.

Je voudrais saluer également Jean-Michel Ferrand, dont l’engagement rejoint, à bien des égards, celui d’Yves Rousset-Rouard. Comme lui, il se passionne pour la protection de l’environnement, pour la véritable écologie, non pas celle dont on parle, mais celle que l’on pratique effectivement, sur le terrain – comme il l’a fait lui-même en prenant l’initiative de créer une réserve de biosphère dans le Mont Ventoux. Enfin et surtout, il aura été l’un des parlementaires les plus actifs et les plus écoutés, chaque fois qu’il a été question d’agriculture et de viticulture. Car Jean-Michel Ferrand est un homme qui sait se refuser à composer lorsque l’essentiel est en jeu...

Enfin, je salue Thierry Mariani, dont l’activité inlassable, notamment au sein de plusieurs grandes commissions d’enquête, illustre la volonté de renouveau du travail parlementaire. Lorsqu’il a fallu, pour une grande émission de télévision, choisir un député parmi les plus exemplaires, c’est sur lui que le choix s’est porté. Et je salue en Thierry Mariani l’homme qui a eu le courage, dans les conditions que l’on sait, de reprendre la présidence des Chorégies d’Orange, et d’incarner face à l’extrémisme la permanence des valeurs de la République.

Tous quatre, je le dis sans ambages, et je leur en apporte le témoignage, ont fait honneur à l’Assemblée nationale.

Cette assemblée que j’ai présidée, cette assemblée à laquelle ils ont appartenu, je veux d’ailleurs, devant vous, lui rendre l’hommage qui lui est dû. Rarement, en effet, majorité aussi écrasante aura su surmonter à ce point sa victoire pour prendre en compte le dialogue critique avec l’opposition. Rarement majorité issue de circonstances aussi éphémères aura su, à ce point, inscrire son action dans la longue durée.

Cette Assemblée nationale, ensemble, nous nous sommes efforcés, de surcroît, de la rénover, en modernisant ses méthodes, en recherchant toujours les moyens de lui donner une plus grande efficacité.

Il ne s’est jamais agi, dans notre esprit, d’en revenir au système qui prévalait avant la création de la Ve République. Le régime d’assemblée est un régime du passé. Et ce n’est pas mon ami, le sénateur Alain Dufaut qui me démentira...

La complexité croissante des décisions, les exigences de leur cohérence, l’internationalisation accrue des problèmes : tout cela nécessitait le renforcement et la stabilité des exécutifs. En France, comme ailleurs. Et c’est le mérite historique du Général de Gaulle d’avoir donné à notre pays des institutions à la hauteur des enjeux. Et d’y être parvenu malgré l’opposition de ceux qui n’avaient rien compris, au premier rang desquels figuraient, bien sûr, les socialistes.

Mais le mouvement d’émancipation des peuples qui s’est développé depuis la fin des années 1980 aurait suffi à nous le rappeler : le critère principal de la démocratie, c’est et cela demeure un Parlement fort et respecté.

Et voilà une bonne occasion de dire, à toutes fins utiles, que le but d’une élection législative, ce n’est pas seulement de désigner des hommes et des femmes, de les classer ensuite, de les compter enfin, et puis, sur ces bases de désigner un gouvernement, en attendant le coup d’après. C’est aussi de constituer et de mettre en état de bien fonctionner une assemblée, une assemblée qui a un rôle à jouer.

Un rôle que nous devons bien comprendre. Ce qu’il faut à nos démocraties d’aujourd’hui, c’est un Parlement qui sache se concentrer sur ces nouvelles priorités que sont le contrôle et le débat.

Je serais tenté de dire, en effet, que la fonction législative est elle-même, pour une large part, une fonction de contrôle, tant il est vrai que la conception de la loi est devenue, au fil du temps, une prérogative très largement gouvernementale, comme c’est d’ailleurs le cas dans toutes les grandes démocraties. Au demeurant, peu importe qui, dans le processus de « fabrication », apporte la matière première. Ce qui compte, c’est que la loi, au terme des choses, et à la faveur, en particulier, des modifications apportées par les parlementaires, traduise le plus précisément possible la volonté de la Nation.

Or, les Français sont lassés – et ils ont bien raison – de ces innombrables lois qui n’ont pour, but, trop souvent, que d’afficher des intentions, pour mieux ne jamais les réaliser. Je me souviens ainsi, mais c’est un exemple parmi d’autres, d’un projet de loi, sous le premier septennat de François Mitterrand, qui était consacré aux problèmes de la montagne. Il s’agissait d’encourager l’économie et la vie à la montagne. Eh bien, l’article premier était ainsi libellé : « La République reconnaît la montagne ». Vous imaginez la joie de la montagne... Il faut donc simplifier, resserrer, cibler. Et par-dessus tout, appliquer, car trop de lois restent sans suite.

C’est pourquoi le contrôle est devenu, à l’évidence, la tâche majeure. Il s’agit de contrôler, en particulier, l’action législative du gouvernement. Il s’agit de vérifier son suivi, la façon dont la loi est appliquée, les résultats auxquels elle aboutit, les difficultés qu’elle suscite. Et de corriger les erreurs éventuelles.

C’est dire que, contrôler, ça n’est pas forcément critiquer. C’est éclairer, dans l’intérêt général...

En matière de contrôle, justement, nous avons multiplié les initiatives... Session unique, pour qu’il se pratique toute l’année et non à mi-temps, nouvelle procédure des questions, offices d’évaluation, création d’une chaîne parlementaire pour travailler sous le regard d’un plus grand nombre de citoyens... J’en passe.

C’est dans le même esprit que nous avons revu l’organisation de nos débats. L’important est d’intervenir aussi en amont que possible, pour peser utilement sur le choix par le Gouvernement de ses orientations, au lieu de n’intervenir qu’en fin de parcours, lorsque tout est déjà accompli... L’exemple du service national est très significatif : on peut aimer ou non le rendez-vous citoyen, il demeure que c’est le Parlement qui, par son travail préalable, en aura imposé le principe.

Il va nous falloir aller encore plus loin. C’est une nécessité pour le bon fonctionnement des institutions, qui n’ont jamais supposé un Parlement abaissé, comme il l’a sans doute été trop longtemps, parfois de son propre fait.

J’ose dire que c’est une nécessité d’autant plus forte après la dissolution. Entendons-nous bien. Je critique d’autant moins la dissolution que celle-ci est indiscutable. Indiscutable au sens le plus fort du terme : on ne peut la discuter. C’est une prérogative que le président a en propre. Il n’a pas à se justifier. Aucune condition particulière ne lui est imposée. Parler à propos de la dissolution de coup d’État est une bouffonnerie. Parler de manœuvre est, plus simplement, incongru...

Il n’en demeure pas moins que c’est la première dissolution sous la Ve République qui intervient en dehors de toute crise nationale, type 1968, ou sans qu’il y ait eu opposition entre les orientations du Président de la République et celles de la majorité parlementaire.

Cela marque probablement une inflexion de notre pratique constitutionnelle, et cela peut sembler appeler quelques ajustements en conséquence.

Il n’y a rien là que de très normal. Les institutions sont une matière vivante, appelée à évoluer et à s’adapter.

Mais dès lors que d’une présidence qui arbitre, qui s’engage certes, mais qui, foncièrement, arbitre, on poursuit une évolution vers une présidence qui s’implique plus directement dans le quotidien, voire dans le débat politique quotidien, la réflexion est légitime. Et, pour éviter tout risque de déséquilibre ou de disharmonie de nos institutions du fait de cette évolution, la seule réponse possible et souhaitable paraît résider dans un nouveau renforcement des moyens dont dispose le Parlement pour exercer ses prérogatives.

Certains pourront estimer que la meilleure façon d’y parvenir est encore de s’orienter vers un véritable régime présidentiel à l’américaine. Je reconnais la pertinence de la démarche. Elle se traduirait, je le rappelle, par la concentration dans les mains du président de tout le pouvoir exécutif, par la suppression du droit de dissolution, par celle du poste de Premier ministre et par la concomitance des mandats législatif et présidentiel.

Sans aller aussi loin, je pense que, du moins, ce qu’on appelle le pouvoir législatif doit se voir éviter le risque d’un retour à une soumission trop marquée, donc à une situation d’interrogation et de doute sur sa propre utilité.

Au Président de la République d’apprécier si de nouveaux pouvoirs doivent être reconnus au Parlement. Il nous a déjà rappelé que nos institutions actuelles sont par essence parlementaires. Il nous a rappelé que la place du Parlement est au centre du débat politique. C’est lui qui a rendu possible la réforme constitutionnelle de 1995.

Mais d’ores et déjà, la situation doit être, pour l’assemblée, une incitation puissante à prendre les initiatives qui relèvent d’elle pour atteindre à l’objectif.

Je suggère donc que la nouvelle assemblée décide aussi vite que possible, et, sous réserve de toutes les périodes transitoires que l’on voudra, sous réserve, bien sûr, de l’achèvement des mandats en cours, l’interdiction du cumul des fonctions de député avec tout autre mandat.

J’avoue être parvenu moi-même à cette conviction au terme d’un long cheminement. Je reconnais avoir changé d’avis. Et à cet égard, mon expérience à la présidence de l’assemblée aura été décisive.

Ce n’est pas à titre principal, contrairement à ce qu’on dit, une affaire de morale publique. Ce n’est pas non plus qu’une question de disponibilité. Ce n’est pas qu’un moyen, au demeurant efficace, de diversifier les origines des élus, et plus particulièrement de faciliter l’accès des femmes aux responsabilités. C’est une question d’état d’esprit. Le mandat national a trop tendance à devenir le mandat d’appoint d’un mandat local. Or, le député ne doit être porteur que de l’intérêt national. À l’exclusion de tout autre.

Je précise que les sénateurs ne doivent pas, selon moi, se voir imposer la même règle, compte tenu de la spécificité de la haute assemblée, en particulier de sa vocation à représenter les collectivités locales.

Et je crois que, dès lors que les fonctions de contrôle et de débat de l’Assemblée nationale pourront s’exercer ainsi, avec leur pleine efficacité, il est souhaitable qu’elles puissent atteindre à une totale crédibilité, grâce à la présence, à l’assemblée, de tous les grands courants politiques de la Nation. Je propose donc qu’une autre des premières initiatives de la nouvelle législature soit de prévoir l’instillation d’une dose modeste, mais réelle, de proportionnelle dans le mode de scrutin.

J’ai la conviction que nos institutions y gagneront un respect accru de la part des Français. Et je m’en réjouirai d’autant plus qu’il y a urgence. Aujourd’hui, les Français n’y croient plus... Ils ne croient plus dans leur classe politique. Et le malaise est encore aggravé par les affaires et leur cortège de scandales. Il est des départements tout proches, je crois, où la vie politique en porte encore les stigmates. Le résultat, on ne le voit que trop : l’indifférence à la chose publique ou la montée de l’extrémisme. Il y a donc urgence à réconcilier les Français avec la politique. Ce qui ne veut pas dire uniquement réconcilier les Français avec leurs élus. L’objectif, en fait, est infiniment plus difficile, plus ambitieux : il est de convaincre nos concitoyens que la politique elle-même sert encore à quelque chose.

Mais nos institutions ont besoin, aussi, d’une plus grande lisibilité. Ce qui doit être précisé, pour que les responsabilités de la collectivité nationale soient clarifiées, ce sont les rapports avec les collectivités territoriales, d’une part, avec les instances européennes, d’autre part.

L’Europe, tout d’abord. Il est urgent de donner un contenu réel à la notion de subsidiarité. Car que signifie ce doux vocable... si limpide ? La subsidiarité, en clair, cela veut dire : l’Union européenne ne se mêle que des problèmes dont il est vraiment utile qu’elle se mêle. Quant au reste, c’est l’affaire des États... La France ne doit ménager aucun effort pour qu’il en soit ainsi. Car actuellement, il n’en est pas ainsi.

La France doit en outre déployer toute son énergie pour contribuer à une démocratisation des institutions européennes.

Il faut bien comprendre en effet que chaque fois qu’on enlève une compétence au niveau national pour la transférer au niveau européen, les choses sont ainsi faites que c’est un marché de dupes pour la démocratie. C’est un marché de dupes pour le citoyen qui perd, sinon son droit théorique de désignation, du moins son pouvoir de contrôle et de sanction. Car, lorsqu’il est impossible d’identifier la source d’une décision – parce qu’elle émane d’une floraison de comités Théodule –, lorsqu’il est impossible de sanctionner celui dont on estime qu’il a fait des choix erronés, où est la démocratie ? Et à l’inverse, lorsque le ou les décideurs n’ont aucun compte à rendre, où est la responsabilité ?

Ne vous y trompez pas, en effet : lorsqu’on prive d’un pouvoir le Parlement français, on ne le transfère pas au Parlement européen, ce qui ne serait peut-être qu’un demi-mal. Non. Ce pouvoir, pour l’essentiel, est confisqué au passage par le Conseil des ministres européen, c’est-à-dire, par un collège d’exécutifs, lui-même largement soumis aux initiatives de la commission. Admirez le tour de passe-passe. Ce qui était législatif, c’est-à-dire, traité par la représentation populaire, passe ainsi entre les mains de l’exécutif. Ni vu ni connu. Et ce sera bientôt pire, si on n’y prend garde, puisqu’une partie de ce pouvoir passera entre les mains de banquiers centraux que personne ne connaît...

Cette situation ne saurait durer. Il faut d’abord qu’on sache qui fait quoi. Il y a une conférence intergouvernementale. À elle de traiter du sujet. Il faut ensuite renforcer les prérogatives du Parlement européen (en veillant, évidemment, à ce que Madame Guigou, le jeudi après-midi, quand il n’y a plus personne à Strasbourg, ne puisse y faire voter n’importe quoi contre les décisions souveraines de la France).

Et puis, parce que les choses sont ainsi faites que ce sont eux, en fin de compte, qui représentent la vraie légitimité, il faut mieux associer les parlements nationaux au processus de la décision... Et je me réjouis que le Président de la République ait fait sienne cette position.

Un effort parallèle s’impose, chez nous, en matière de décentralisation. Tout le monde parle d’approfondir la décentralisation. C’est une évolution naturelle. Mais approfondir la décentralisation, ça n’est pas seulement donner de nouvelles compétences... C’est veiller à ce qu’elle puisse atteindre – enfin – ses véritables objectifs.

Objectifs qu’on a parfois perdu de vue. De quoi s’agissait-il ? De transformer le fonctionnement de notre démocratie. De lui donner une nouvelle vitalité en rapprochant les centres de décision du citoyen ; de rompre avec un centralisme excessif qui bridait les initiatives. On est loin du compte et il reste beaucoup à faire !

Il reste, en particulier, à renforcer le contrôle des conditions d’attribution des marchés publics. Il reste à renforcer le pouvoir de contrôle des préfets – qui a été exagérément réduit au nom des libertés locales.

Il reste à revoir des modes de décision qui sont beaucoup trop lourds, parce qu’il y a trop d’organes qui se superposent, tous assortis d’un pouvoir de trancher. Les procédures, du coup, sont interminables, les responsabilités sont diluées. On est donc d’autant plus porté à s’affranchir des procédures. Et le citoyen ne s’y retrouve plus, il ne parvient plus à exercer, en toute connaissance de cause, le contrôle politique des élus. Ce contrôle ultime que représente le vote...

Les maires le savent mieux que personne. Ils sont au plus près des Français. Par la force des choses, et étant donné le maquis des compétences, c’est à eux que l’on vient s’adresser, en désespoir de cause, pour leur demander des comptes sur des décisions qu’ils n’ont pas prises, sur des arbitrages qu’ils n’ont pas rendus. C’est pour cette raison d’ailleurs que les pouvoirs publics sont toujours trop heureux de leur repasser la patate chaude de la lutte contre le chômage et l’exclusion...

Autre vice du   la compétition entre les collectivités, qui brouille la perception de l’intérêt général au profit de logiques strictement locales. Les pouvoirs devraient se compléter : en fait, ils ont plutôt tendance à se neutraliser. C’est trop souvent le règne du « chacun pour soi », notamment lorsqu’il s’agit d’attirer des entreprises, et leur manne d’emplois et de taxe professionnelle...

Résultat : au lieu de donner un véritable élan à la démocratie, la décentralisation s’accompagne d’une forte aggravation des inégalités entre territoires. Les régions riches se sont enrichies quand les régions pauvres étaient entraînées dans la spirale de la récession et de la désertification.

Voilà qui nous rappelle une évidence : seul un État fort peut décentraliser.

Seul un État fort peut atténuer les inégalités nées de la décentralisation, en conduisant une politique résolue d’aménagement du territoire.

Oh, je sais bien que l’expression elle-même est quasiment bannie. On lui préfère celle de « développement ». Parce qu’aménagement, cela fait trop volontariste. Excusez-moi d’exister, semble dire l’État... quand il est pourtant le seul à pouvoir garantir l’égalité des chances entre les régions – au même titre qu’il est le seul à pouvoir garantir l’égalité des chances entre les individus.

Mais il est vrai que l’État, comme la Nation, n’est guère à la mode, par, les temps qui courent. Et c’est bien dommage !

Pour autant, la Nation et l’État restent plus que jamais nécessaires.

La Nation, c’est notre communauté d’appartenance, c’est une histoire que nous partageons. C’est une commune volonté de vivre ensemble. C’est surtout le terrain privilégié de la démocratie et de la solidarité...

Et l’État est l’incarnation ou, si l’on préfère, le bras séculier de la Nation.

Alors, il faut cesser de s’en prendre à tout propos à l’État, comme si c’était un corps étranger et hostile, une sorte d’être malfaisant...

L’État, ça n’est pas un mythe. C’est quelque chose de très concret. De très important pour nous tous...

L’État, c’est la traduction de la volonté de faire des choses ensemble. L’État, c’est ce que nous avons constitué après avoir constaté qu’au-delà de nos libertés individuelles, il y a des choses que nous pouvons, que nous devons faire collectivement.

À quoi bon avoir, individuellement, les moyens de s’acheter une voiture, si nous ne décidions pas collectivement de construire – et d’entretenir – des routes sur lesquelles cette voiture pourra rouler ?

De la même façon, pour pouvoir circuler en sécurité, il faut bien définir des règles communes et se donner les moyens de les faire respecter.

Et puis, enfin, l’État c’est la volonté de vivre ensemble, en bonne intelligence. Cela revient à prévoir les droits et les devoirs de chacun. Cela consiste aussi à organiser un réseau de solidarité entre les uns et les autres, pas seulement dans un souci de philanthropie, mais parce que s’il y a trop d’écarts entre les uns et les autres, si certains sont laissés sans espoir, sans chances d’avenir, sur le bord du chemin, on crée les conditions de la révolte, donc de l’insécurité pour tous.

L’État, ça se reconnaît, ça se comprend quand ça disparaît... On a vu ce qui se passait en Albanie lorsque l’État s’effondrait. C’est la loi de la jungle qui s’installe. Et comme la nature a horreur du vide, ce sont des organisations spontanées, les mafias, qui tiennent alors le haut du pavé...

L’État n’est donc pas un ennemi de l’individu. Il peut et doit être son meilleur défenseur.

Il faut se souvenir de ces quelques évidences quand on s’en prend à l’État…

Évidemment, l’État n’est pas toujours populaire...

Il a besoin d’argent...

Il nous impose des règles qui ne sont pas toujours agréables.

Mais l’État nous appartient...

Et à ceux qui nous proposent un État rabaissé, un État rabaissé qui serait forcément moins coûteux, un État qui ne s’occuperait, nous dit-on, que de l’essentiel : la police, l’armée, et quelques autres choses, un État qui pour le reste laisserait chacun se débrouiller, je veux répondre ceci : si l’État ne remplit plus ses missions, c’est parce qu’il n’en a plus les moyens.

Et les chiffres sont éloquents... De 1981 à 1997, le poids des prélèvements obligatoires est passé de 42 à 45 % du produit intérieur brut. C’est trop. Beaucoup trop.

Mais, il faut avoir le courage de reconnaître aussi que pendant la même période, la part de l’État dans lesdits prélèvements est passée de 18 à 15 %.

Donc, ne faisons surtout pas à l’État de faux procès. Ce sont les prélèvements sociaux, les prélèvements locaux, les prélèvements européens qui ont augmenté. Pas ceux de l’État. Au contraire, ils ont baissé.

Alors on ne saurait rendre l’Etat ou ses agents responsables de l’échec de nos politiques.

Et cessons de proposer des fausses solutions, sous prétexte qu’elles peuvent constituer des symboles forts. C’est facile de faire de l’ÉNA, comme s’y risquent les socialistes, le bouc émissaire de tous nos problèmes.

Si la technocratie monte, ça ne tient pourtant pas au mode de formation des fonctionnaires. C’est bien plutôt dû à l’esprit de démission du politique. Les politiques n’ont qu’à commander. Les fonctionnaires obéiront.

Que l’ÉNA doive être réformée, cela ne fait guère de doute. Qu’il faille la liquider, c’est autre chose.

Et par quoi compte-t-on la remplacer ? Par des concours séparés, comme avant-guerre, qui aggraveront les choses ? Ou par des nominations au choix, des nominations discrétionnaires, les nominations des petits copains, comme dans les années 80 ? Les socialistes sont décidément incorrigibles. À moins que tout cela ne relève de la psychanalyse. Et pourtant, pourtant, l’ÉNA ne produit pas que des clones. N’en suis-je pas une preuve vivante ?

Suis-je si loin du débat électoral en vous disant tout cela ?

Nous sommes en vérité au cœur du problème. Au cœur du choix...

Il ne faut pas croire ceux qui vous racontent que vous avez à choisir entre deux civilisations. Je ne sais plus lequel des socialistes a dit ça, ça n’a d’ailleurs aucune importance, mais cela a été dit et répété.

Vous savez bien, vous, vous sentez bien que ça n’est pas sérieux...

Personne ne peut croire à des sornettes pareilles.

Pas même le militant le plus déterminé.

Vous n’imaginez, faisant du porte à porte, dans les cages d’escalier de nos HLM : « Bonjour Monsieur, bonjour Madame. Vous l’avez sûrement entendu dire à la télé. Vous avez trois semaines pour choisir entre deux civilisations. Alors, on est venu vous montrer ce qu’on avait en magasin...

Ça n’est pas sérieux.

Je l’ai dit, je veux le répéter : la civilisation nouvelle, elle s’imposera, en tout état de cause. Tout le problème, le vrai problème est de savoir si nous voulons la maîtriser ou si nous nous résignons à la subir.

Or, la petite musique qu’on entend, elle ne va pas toujours dans le bon sens...

Et cette musique, force est bien de reconnaître qu’en 14 ans, ce sont bel et bien les socialistes qui en ont écrit la partition et qui nous l’ont jouée sans discontinuer.

J’ai cru comprendre que ça ne plaisait pas du tout à M. Jospin que je le dise. Que je dise que le pire du Traité de Maastricht, c’étaient les socialistes qui l’avaient avalé, sans broncher. Que je dise que la dérive ultra libérale, c’étaient les socialistes qui l’avaient permise... que le déclin de la société de solidarité, c’étaient les socialistes qui l’avaient entamé, que l’espoir français de s’adapter aux temps nouveaux, c’étaient les socialistes qui l’avaient – provisoirement – brisé...

Et je vais vous dire pourquoi ça ne plaît pas du tout à M. Jospin. C’est parce que – il est juste de le reconnaître –, il a probablement été l’un des premiers et des rares à s’en rendre compte, à le pressentir

Mais pour quel résultat ?

Il se démarque de l’accessoire : des Irlandais de Vincennes, des écoutes téléphoniques, des cartomanciennes... Pour le reste, il lui faut bien composer.

Alors, laissons-le à ses problèmes et revenons à l’essentiel.

L’essentiel, c’est de savoir si, oui ou non, nous restons fidèles à l’État républicain, qui se définit non par des procédures mais par des objectifs. Qui donne la priorité à la cohésion sociale. Qui fonde la citoyenneté sur l’équilibre entre la liberté individuelle et l’exigence collective.

Car, il y a une conception républicaine de l’État qui veut que celui-ci ne soit pas un simple dispositif de protection et de répartition au service de chaque citoyen ou de chaque catégorie, mais un être vivant, expression lui-même d’une communauté vivante.

L’essentiel, c’est de savoir si, oui ou non, nous croyons toujours qu’il y a un intérêt général qui n’est pas que la somme des intérêts particuliers. Et si le progrès pour nous, c’est d’abord le progrès de l’égalité des droits, tel qu’il ressort de toute l’histoire de la France depuis la lutte de la monarchie administrative contre les féodalités, jusqu’au programme du Conseil national de la Résistance, en passant par la Déclaration des Droits de 1789, par le Code napoléonien, par le programme scolaire de la IIIe République...

L’essentiel, c’est de savoir si nous faisons de la lutte pour l’emploi le cœur de toute action politique, de tout projet européen. Ou si nous nous abandonnons à ceux qui n’ont pas réagi, pas protesté quand François Mitterrand a déclaré : « Contre le chômage, on a tout essayé ! ». Si nous nous abandonnons à ceux qui, toute honte bue, nous resservent les mêmes antiennes : 700 000 emplois tout de suite et - comme si ça ne suffisait pas, 35 heures payées 39, en prime -.

J’aurai assez dit, je crois, l’importance des élections des 25 mai et 1er juin prochains.

Et pourtant, il ne m’a pas échappé, il n’a échappé à personne que bon nombre de Français avaient quelque peine à se passionner pour les échéances qui s’annoncent. Je suis le premier à convenir qu’ils y ont sans doute de bonnes raisons.

Il est d’autant plus nécessaire, d’autant plus urgent qu’ils sachent surmonter leurs déceptions ou leurs perplexités. Il est d’autant plus nécessaire, il est d’autant plus urgent qu’ils comprennent qu’une grande part de notre destin des deux ou trois prochaines décennies va se jouer dans les mois qui viennent. Et qu’il va se jouer, pour l’essentiel, sur le terrain européen. C’est là que se décidera, pour une large part, l’avenir de notre pays. Et c’est le 25 mai et le 1er juin que la France se mettra ou non en ordre de bataille.

Tout va dépendre, en effet, des conditions dans lesquelles nous allons entrer dans la monnaie unique.

Car, voyez-vous, il y a toujours une heure de vérité...

Il y a un peu plus de quatre ans, à l’occasion du référendum, nous nous sommes partagés, à parts à peu près égales, entre partisans et adversaires du Traité de Maastricht.

Or, quand on revient en arrière, on se rend compte que nous disions à peu près tous une seule et même chose.

Nous voulions l’Europe.

Mais il y avait dans ce traité bien des choses qui ne nous disaient rien qui vaille.

Or, comme les faits sont têtus, tout se retrouve aujourd’hui sur la table... Et c’est maintenant ou jamais qu’on peut procéder aux réorientations qui s’imposent...

C’est pourquoi il est indispensable qu’autour de la table en question, pour la discussion finale, il y ait notre président et un Premier ministre qui le soutient. Avec une majorité solide. Pour que la voix de la France se fasse entendre, forte et sans discordance.

C’est de l’Europe que nous ferons qu’il dépend en grande partie que nous ayons ou non la France que nous voulons.

Nous avons des principes, nous avons des valeurs dans lesquels nous croyons.

Ainsi, pensons-nous que ce n’est pas par moins de solidarité que nous entrerons mieux dans la modernité.

Or, l’affaire de Vilvoorde a eu au moins une vertu : celle de nous rappeler que ces principes, ces valeurs, nous les partageons avec un grand nombre d’Européens...

Ces principes, ces valeurs, nous avons d’autant moins à les sacrifier à une conception erronée du libéralisme.

Le vrai libéralisme, c’est celui qui garantit l’innovation, l’émulation, le progrès. C’est celui qui récompense ceux qui osent, qui innovent, qui travaillent...

Mais ce libéralisme n’a de sens que s’il assure l’égalité des chances – c’est sa légitimité.

Ce libéralisme n’a de sens que s’il est tempéré par un système équitable de protection sociale.

Ce libéralisme n’a de sens que s’il est corrigé par le rôle d’impulsion de l’État, garant de l’intérêt général.

Finalement, voyez-vous, au cœur de tout, il y a bien une certaine conception de la démocratie.

Si les Français, si les Européens, comme eux, désespèrent de la politique, c’est parce qu’ils ont le sentiment qu’elle n’a plus de prise sur les choses. Et qu’eux-mêmes n’ont plus de prise sur elle.

Que le vrai pouvoir est abandonné à des experts, autoproclamés, auto-désignés...

Et il est bien là l’État minimum qui nous est annoncé et qu’on nous dit le seul adapté à la mondialisation. C’est un jeu permanent de contre-pouvoirs. Un État partagé entre des institutions publiques qui ne font que de la régulation, qui sont toutes indépendantes les unes des autres. Des institutions qui correspondent à un type de société où les individus sont « juxtaposés », en compétition les uns avec les autres, mais aucunement animés par la recherche d’un intérêt commun, par la participation à une grande aventure collective.

C’est au nom de ce modèle qu’on a déjà donné la monnaie aux banquiers centraux, et que certains se proposent de confier aux juges le soin de régler l’ensemble des rapports sociaux. C’est au nom de ce modèle qu’on nous bâtit une société d’où la politique, d’où l’expression de la volonté générale, auront été évincées, au profit de nouveaux pouvoirs dépourvus de toute légitimité démocratique. Et c’est ainsi que l’on change insensiblement de société sans l’avoir voulu : en perdant le sens des institutions.

Allez-vous étonner ensuite que le monde qu’on nous prépare soit si indifférent au sort des hommes et des femmes de nos pays, puisque ces hommes et ces femmes ont de moins en moins le droit de dire quel monde ils veulent.

Oui, le combat pour une vraie démocratie est au cœur de tout. Mais cette démocratie, il ne faut pas seulement la préserver, il faut la renouveler.

En considérant à nouveau les hommes et les femmes de nos pays comme des citoyens, des acteurs de leur destin et non, seulement, comme des consommateurs ou des cibles pour sondages d’opinion. Car, et on le vérifiera sûrement demain, cette élection législative n’est pas un prétexte pour solder, passer par pertes et profits les choix de 1995. C’est, ce doit être, une grande chance de les confirmer... Et c’est parce que je sais que Marie-Josée Roig, Yves Rousset-Rouard, Jean-Michel Ferrand et Thierry Mariani sont conscients de ces enjeux que je suis venu les soutenir.

En leur donnant votre confiance, vous ferez mieux encore que donner à notre président la majorité dont il a besoin, vous donnerez tout son sens à notre avenir.


Discours à Saint-Etienne le lundi 12 mai 1997

Merci à vous toutes et à vous tous, pour votre présence si nombreuse et si chaleureuse...

Merci en particulier au maire de Chambon-Feugerolles, Jean-François Barnier, pour son accueil.

Merci à mon collègue et ami Michel Thiollière, maire de Saint-Étienne, pour sa présence. Je sais le bon travail qu’il a accompli ici, dans des circonstances souvent difficiles.

Je voudrais saluer aussi Lucien Neuwirth, qui après avoir été un grand député, poursuit aujourd’hui son action au Sénat dans la fidélité à ses convictions. Des convictions qui l’ont amené à s’engager, très jeune, dans les rangs de la Résistance, et qui n’ont cessé, depuis, d’inspirer son engagement politique, notamment sur les grandes questions de société où il a toujours montré une compréhension aiguë de l’avenir et de la modernité.

Avec lui, avec eux, je suis heureux de me retrouver, ce soir, aux côtés des candidats qui portent les couleurs de la majorité dans le département de la Loire.

À ces candidats, je viens apporter mon soutien, mon soutien confiant et résolu...

Et puisque je m’adresse à des députés sortants, je crois ne pas être le plus mal placé pour dire, haut et fort, qu’ils ont fait honneur à l’Assemblée nationale.

Ce témoignage, il s’adresse d’abord à Daniel Mandon, puisqu’il est à l’origine de cette invitation. Daniel Mandon, mon vieux complice depuis qu’au début des années 60, dans la même université, nous soutenions ensemble, dans des conditions parfois délicates, l’action du général de Gaulle. Parce que je connaissais sa finesse, sa lucidité, sa pondération et son humour, je n’ai pas été étonné qu’il se soit si rapidement imposé dans l’hémicycle. C’est tout naturellement que, très vite, de grands textes lui ont été confiés comme le rapport sur la Sécurité sociale. Et c’est lui que j’ai voulu à mes côtés, quand il nous a fallu travailler aux conséquences de la réforme militaire.

Un même témoignage va vers Christian Cabal, qui nous a offert le renfort de son incomparable expérience dans le domaine de la santé et qui s’est consacré de surcroît, sans relâche, à la cause des anciens combattants. Chacun sait que Christian Cabal a ainsi apporté une contribution décisive à l’amélioration du sort des anciens d’AFN...

Ce témoignage, il va aussi à François Rochebloine qui est vite devenu une figure et une voix familières de nos débats. Tout en s’occupant de Saint-Chamond – et Dieu sait qu’il s’en occupe ! – François Rochebloine a montré le même enthousiasme dans la solution des problèmes de jeunesse et de sport, que pour le devenir des liens entre la France et le Liban...

Un enracinement local qui éclaire un engagement national, c’est bien là, justement, l’exemple que donne à tous ses collègues Pascal Clément, qui m’a dit combien il regrette de ne pouvoir être à nos côtés ce soir, en raison de la tenue d’une importante réunion de coordination nationale de la campagne... L’expérience qu’il a accumulée, sa maîtrise du débat parlementaire, son sens du dialogue, ses responsabilités politiques ont valu à Pascal Clément, deux ans durant, d’occuper les fonctions de ministre chargé des relations avec l’Assemblée nationale. J’ai eu en lui – et je lui en dis ma gratitude –  un interlocuteur avisé, assidu, qui a fait beaucoup pour le renouveau de notre institution...

Une institution dans laquelle Jean-François Chossy a su rapidement se faire toute sa place.

Le combat qu’il conduit pour le développement du Forez ne l’a pas empêché d’être l’un de ceux qui se consacraient, avec le plus de dévouement, aux problèmes de vie quotidienne des handicapés, des autistes, en particulier, et de manière plus générale, à la grande cause de la protection sociale.

Cette approche active des difficultés que peuvent éprouver nombre de nos compatriotes, elle est également l’une des marques de l’action régulière de Jean-Pierre Philibert. Animateur du groupe « Audace pour l’emploi », Jean-Pierre Philibert a atteint à une notoriété méritée à la faveur de son rapport sur les problèmes de l’immigration. Il aura été de surcroît l’un des juristes les plus en vue de notre assemblée.

Tous ces hommes, avec qui j’ai travaillé, et que je connais, ont chacun leur tempérament, leur sensibilité... Mais ils sont réunis sur l’essentiel.

Et ils sont finalement représentatifs de ce qu’est la majorité. Dans sa diversité et son unité... Son unité derrière Jacques Chirac.

Dans l’opposition, les différences sont d’une tout autre nature... il ne s’agit plus de diversité, mais bien d’incohérence.

M. Chevènement a fait scission avec le parti socialiste, il a même créé un mouvement rival ; il est aujourd’hui l’allié de M. Jospin. Serait-ce à dire que leurs divergences n’existent plus ?

Le parti communiste a centré son fonds de commerce sur la critique du parti socialiste. Suffit-il que socialistes et communistes signent, il y a quelques jours, une déclaration qui traite de la pluie et du beau temps, pour en conclure que M. Hue et M. Jospin, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ?

Et que dire du couple que constituent Mme Voynet et M. Hue ? Est-il si assorti et prometteur qu’on nous le dit ?

Alors, bien sûr, que la majorité est diverse. On a assez dit et répété que c’est ce qui fait sa richesse, et sa force. Mais voilà surtout qui traduit une autre conception, une conception ouverte, libérée de la chose publique...

Une conception qui contraste avec la nostalgie de certains, à gauche, pour des partis caporalisés, idéologisés, soumis au chef parce que c’est lui qui fait gagner et apporte avec la victoire les prébendes du pouvoir.

On ne sait que trop ce que cela a pu donner pendant quatorze ans.

On accepte, on avale tout. Tout et n’importe quoi. Et puis, on vient, tout penaud, tout contrit comme M. Jospin, comme M. Delors, dire qu’on assume les erreurs du passé ! Le problème c’est qu’on assume tous avec eux ! On assume tous les conséquences de leurs erreurs...

La belle assemblée qu’on nous préparerait, d’ailleurs, si chacun était condamné à y marcher au pas cadencé. Les yeux bandés, les oreilles fermées, et, à toutes fins utiles, le nez bouché...

À quoi bon réunir, d’ailleurs, l’assemblée en question ?

Le soir des élections, il n’y aurait qu’à compter, qu’à classer. Et une fois qu’on saurait qui doit gouverner, on attendrait le coup d’après !

Ça n’est pas notre conception de la démocratie dont a besoin la France d’aujourd’hui.

Le temps des idéologies, des systèmes est définitivement révolu... Car, il n’y a plus d’idéologies, de système qui apporte toutes les réponses, clés en mains, à l’ensemble des problèmes de nos sociétés...

Il n’y a plus de certitudes. On n’entre plus en politique en adhérant par avance et définitivement à une doctrine, comme on souscrit au menu à plat unique qui est affiché sur le seuil du restaurant.

La règle, désormais ce doit être la concertation, le débat, la recherche, dans l’humilité, des solutions, et la résolution, la détermination pour leur mise en œuvre.

Les partis eux-mêmes ne sont plus des gardiens du temple. Ils doivent se donner pour objectif de représenter l’ensemble de la société française, avec toute la diversité de ses aspirations, voire même des contradictions...

Ils doivent en faire la synthèse, dégager une ligne d’action et préparer en leur sein les équipes aptes à les engager.

C’est assez dire que pour nous le Parlement – et en particulier l’assemblée à élire – doit être à l’écoute des Français, traduire leurs attentes, s’exprimer, contrôler, corriger, au besoin, l’action du gouvernement...

Pour nous, c’est la seule façon de mettre un terme à cette coupure dangereuse qui tend à se creuser entre les Français et la politique.

À cet égard, aussi, les socialistes avaient beaucoup parlé, beaucoup annoncé, beaucoup promis... Mais ils n’avaient strictement rien fait. Rien n’a changé dans la démocratie française en deux septennats socialistes...

Ceux-là même qui avaient dénoncé nos institutions comme un « coup d’État permanent », ceux-là même qui se plaignaient de l’abaissement des droits du Parlement, non seulement n’ont jamais rien fait pour y remédier, mais ont poussé jusqu’à son paroxysme la confiscation de tous les pouvoirs par la Présidence de la République, et le ravalement du Parlement au rang de chambres d’enregistrement.

C’est nous et nous seuls qui avons commencé à faire bouger les choses.

C’est à la majorité actuelle – sous l’impulsion de Jacques Chirac – qu’on doit la plus grande rénovation de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Nous avons fait la session unique, qui permet au Parlement de siéger, de débattre, de contrôler à plein temps, et non plus, comme précédemment, de le faire seulement à mi-temps.

Sait-on que, sans cette réforme, le Parlement aurait continué à être incapable, pendant six mois de l’année, de travailler et de se prononcer en temps utiles sur les projets de directives de la Commission européenne – directives qui entrent pourtant de plein droit dans notre législation, et s’imposent aux lois votées par le Parlement...

Sans cette réforme, capitale, le Parlement n’aurait plus été qu’un théâtre d’ombres...

Nous avons, de la même façon, amélioré les conditions de contrôle de l’action gouvernementale.

Car le contrôle est devenu, à l’évidence, la tâche majeure du Parlement. Il s’agit de contrôler, en particulier, l’action législative du gouvernement. Il s’agit de vérifier son suivi, la façon dont la loi est appliquée, les résultats auxquels elle aboutit, les difficultés qu’elle suscite. Et de remédier aux erreurs et aux insuffisances.

Parce que contrôler, ça n’est pas forcément critiquer. C’est éclairer, dans l’intérêt général...

C’est dans le même esprit que nous avons revu l’organisation de nos débats. L’important, c’est en effet d’intervenir aussi en amont que possible, pour peser utilement sur le choix de ses orientations par le Gouvernement, au lieu de n’intervenir que lorsque tout est déjà accompli et consommé.

L’exemple du service national est très significatif : on peut aimer ou non le rendez-vous citoyen, il demeure que c’est le Parlement, par son travail préalable, qui en aura imposé le principe.

Il faudra bien sûr aller plus loin encore dans le renforcement du rôle du Parlement. Mais à qui fera-t-on croire que ce renforcement puisse être l’œuvre d’une opposition qui n’a pas su, ou pas voulu le conduire quand elle avait tous les pouvoirs ?

La majorité sortante, elle, a su marquer son adhésion, sa fidélité sans faille aux grandes options du gouvernement, sans pour autant s’interdire des initiatives, des corrections, des inflexions...

Et comment s’en étonner ?

Encore une fois, ne sommes-nous pas unis sur l’essentiel ?

Nous avons choisi le libéralisme.

Nous avons choisi le libéralisme parce qu’il n’existe pas de système économique qui garantisse mieux l’innovation, l’émulation, le développement, et en fin de compte, les conditions du progrès...

Nous avons choisi le libéralisme parce qu’il est juste, il est nécessaire que soient encouragés et récompensés ceux qui osent, ceux qui créent, ceux qui travaillent et rendent ce progrès possible.

Mais nous avons choisi un libéralisme légitimé, tempéré, corrigé.

Un libéralisme légitimé, qui assure l’égalité des chances, sans laquelle il n’est pas de société d’émulation qui soit viable.

Un libéralisme tempéré par un système de protection sociale aussi complet, aussi efficace, aussi équitable que possible...

Un libéralisme corrigé par le rôle d’impulsion de l’État, dont le rôle dans une période de mutation telle que celle que nous avons à vivre est moins que jamais discutable.

Alors, je le répète, qu’il y ait des nuances, des différences de tempérament, des ordres de priorité différents : la belle affaire ! Et alors ? Serions-nous condamnés à être tous identiques, fabriqués sur le même moule ? Aurions-nous alors vocation à représenter vraiment la France ?

Et puis, il y a un président. Un président auquel il revient de choisir et de trancher. De choisir et de trancher en fonction des attentes et des besoins du pays.

Ces attentes et ces besoins, il a souhaité que le pays les lui dise... C’est tout le sens de ces élections.

Pour autant, nous voilà dans un vrai combat.

Si certains avaient pu croire que ce serait une simple formalité, ils peuvent constater que ce n’est pas le cas.

Même s’il ne faut pas se laisser bercer par la musique des sondages... qu’ils soient bons ou mauvais... Ce n’est pas une élection présidentielle. Nous n’avons pas le mode de scrutin des Anglais. Nous savons bien qu’il y a deux tours... Nous savons bien qu’il y a 577 circonscriptions qui sont autant de cas particuliers.

Il reste que tout indique que ce n’est une promenade de santé ni pour les uns, ni pour les autres.

Est-ce assez démontrer, d’ailleurs, que cette dissolution n’était pas une dissolution de confort ?

Si le Président de la République l’a décidée, il nous l’a expliqué, c’était parce que c’était une nécessité.

Nous sommes conviés, en 1998, à un grand rendez-vous. Nous avons choisi d’entrer dans la monnaie unique. Et l’heure va venir de décider comment nous allons le faire...

Car, là est le problème. Le seul vrai problème. Contrairement à ce qu’on nous serine à gauche... À gauche où, il est vrai, le problème... crée un vrai problème.

Vous imaginez que c’est un gouvernement avec M. Hue, Mme Voynet, et M. Chevènement qui va pouvoir aborder avec succès le passage à la monnaie unique ? Alors qu’ils ont tous dit qu’il fallait renégocier le traité !

C’est dire que si par malheur la majorité n’était pas reconduite, et si M. Jospin décidait alors de passer en force, contre les avis de ses propres alliés, son gouvernement et sa majorité éclateraient. Et on serait bien avancés ! On serait d’autant plus avancés qu’il ne serait plus possible de dissoudre à nouveau avant juin 1998...

À l’inverse, si M. Jospin payait leur dû à ces ralliés, cela signifierait que tout le processus serait stoppé. Et que tous les sacrifices consentis pendant tant d’années, tous les efforts, tous les emplois perdus, toutes les rigueurs et les austérités, n’auraient strictement servi à rien !

Le voilà l’extraordinaire paradoxe dans lequel nous nous retrouverions.

Les socialistes nous ont fait payer l’Europe au prix fort. La dépense est faite ; enregistrée ; comptabilisée. Et au moment où il devient possible de discuter de ce qui nous revient, et bien c’est fini, passez muscade !

Entendons-nous bien.

Moi-même j’avais choisi, en son temps, de faire campagne contre un traité qui, précisément, sur bien des points, me semblait propre à rendre la construction de l’Europe plus complexe et plus laborieuse.

Je me suis battu, alors, pour qu’il y ait débat, et pour que ce débat n’esquive rien, rien des incertitudes ni des ambiguïtés d’un traité que l’on nous présentait comme une panacée.

Car, j’avais le sentiment que l’on partait d’une conception étriquée du continent, ignorant les grandes transformations en cours à l’est de l’Europe, délaissant sa dimension méditerranéenne, ignorant le problème de l’emploi.

Je m’étais fait l’écho de ces inquiétudes, de ces questions qui restaient désespérément sans réponse, notamment chez les amis de M. Jospin, qui étaient alors au pouvoir – bien qu’ils paraissent l’avoir oublié – et qui traitaient par le mépris mes clameurs dans le désert.

Le peuple a décidé.

Mais au fond des choses, les Français, qu’ils aient répondu oui ou non, ont, dans leur immense majorité, dit une seule et même chose : nous voulons l’Europe, mais dans l’état où il était, ce traité ne nous disait rien qui vaille...

Or, au moment où précisément, parce qu’il y a toujours une heure de vérité, il va falloir, on va pouvoir tout remettre à plat, la France déserterait !

La France ne serait pas au rendez-vous !

Incorrigibles socialistes... qui n’ont décidément rien appris, ni rien oublié... Qui promettent la création de 700 000 emplois, comme ça, sans augmentation d’impôts... Il est vrai qu’ils restent en deçà du million d’emplois promis par M. Mitterrand en 1981... C’est sans doute ça le sens du réel acquis grâce à l’expérience gouvernementale : on passe de la grande illusion à la moyenne illusion. D’un million à 700 000.

Même effort de sérieux pour le temps de travail. On nous promet 35 heures payées 39. Avant, c’étaient 35 heures payées 40.

Et pour couronner le tout, ils casseraient eux-mêmes ce qu’ils avaient construit...

Eh bien, en regard, nous devons, nous, être d’autant plus clairs sur ce que nous voulons.

1. Oui, nous voulons une France engagée dans l’Europe.

Nous le voulons parce que, dans le contexte de mondialisation auquel nous sommes confrontés, c’est une nécessité.

Ce n’est pas par moins d’Europe, mais par mieux d’Europe que nous préserverons le mieux notre identité, nos valeurs, nos capacités d’action.

Car nous entrons, nous sommes entrés, dans un monde dont les caractéristiques sont radicalement nouvelles. Il s’agit d’une nouvelle donne. Une nouvelle donne qui a deux fondements : la libéralisation des échanges et l’explosion technologique.

La libéralisation des échanges met en compétition les économies et les produits de l’ensemble de la planète ; elle s’accompagne par ailleurs d’un désordre grandissant dans les taux de change, au moment même où nous aurions le plus besoin de règles stables.

L’explosion technologique, elle, crée la possibilité de gains phénoménaux de productivité.

Libéralisation des échanges et explosion technologique, qui se nourrissent mutuellement, peuvent être une chance immense ou un terrible danger.

Tout dépend de la manière dont nous réagissons. Si nous subissons le phénomène ou si nous nous efforçons de le maîtriser.

Et, à cet égard, l’Europe peut être pour la France et pour chacun des autres pays qui la composent un atout maître.

À condition que cet atout soit correctement joué.

Cette Europe, il faut d’abord qu’elle soit démocratique. Autrement dit, qu’elle puisse s’appuyer sur une véritable adhésion des peuples, une adhésion clairement exprimée.

Le temps est venu, en effet, de rendre au politique, seule expression légitime de la volonté des peuples, sa primauté.

D’autant que seule une approche politique nous permettra de mettre l’emploi au cœur de tout.

Car l’Europe que nous voulons doit se construire autour d’un modèle de société, et ce modèle, elle doit le promouvoir, dans un esprit de compétition pacifique mais ferme, avec d’autres approches de l’économie de marché, comme celles qui prévalent en Amérique et au Japon.

Dans cette perspective, l’Europe doit être sociale par essence. Et elle doit l’être pour tous. Chaque pays ne peut pas faire l’Europe à la carte, gardant ce qui lui convient, retranchant ce qui le gêne... surtout quand au même moment on prétend fermer la porte à d’autres... Ce serait trop commode... Ce serait comme une rencontre sportive où les Français seraient onze et auraient seulement le droit de jouer avec les pieds, alors que les autres joueraient à quinze ou vingt et utiliseraient aussi les mains.

Enfin, si l’Europe sait se doter d’un véritable projet de société, elle doit être capable aussi de l’incarner sur la scène mondiale. Et de le défendre. Et de le promouvoir. En étant pleinement elle-même.

L’Europe que nous voulons doit être un facteur de paix et d’équilibre sur la scène mondiale, qui ne saurait être abandonnée au bon vouloir d’une seule superpuissance. Elle doit tenter de répondre à la seule vraie question : comment faire en sorte que ce monde qui émerge, que ce monde délivré des conflits idéologiques, mais livré plus que jamais aux rivalités et aux conflits d’intérêt, oui, comment faire en sorte que ce monde soit un monde meilleur, et non une société en régression, abandonnée au désordre et à l’insécurité ?

2. Nous voulons l’Europe, donc, mais nous voulons aussi une France qui continue d’exister.

Les socialistes ont laissé réduire la Nation au principe de subsidiarité... La Nation, c’était ce que l’Europe abandonnerait comme n’étant pas de sa compétence... Un résidu... En caricaturant à peine, le ramassage des ordures ménagères et le traitement du chômage... Comme si – quel aveu ! – le social était quelque chose de subsidiaire pour l’Europe... Et comme si la Nation n’était plus qu’un service d’assurance contre les échecs pu les lacunes de la politique européenne...

La vérité est que la Nation est pour longtemps encore le cadre irremplaçable de l’exercice de la citoyenneté ; c’est le lieu privilégié où se nouent et se réalisent la solidarité et la démocratie.

La solidarité, parce que la Nation est la collectivité la mieux à même d’assurer les transferts sociaux, fiscaux, budgétaires nécessaires entre des territoires dont le dynamisme économique ou démographique n’est pas le même. C’est tout le sens de la politique d’aménagement du territoire... Voyez, a contrario, les impasses auxquelles conduit le repli identitaire de la Flandre sur elle-même, les conséquences qu’aurait, pour l’Europe tout entière, une indépendance de la Padanie rompant les liens avec l’Italie du Sud, pour m’en tenir à ces exemples...

La démocratie, parce que la Nation est encore aujourd’hui ce plébiscite de tous les jours, comme disait Renan, la seule instance collective à laquelle chaque individu reconnaisse légitimité et autorité pour exercer en son nom les attributs de la souveraineté.

3. Cette France, nous voulons encore qu’elle soit une démocratie moderne, terre de citoyenneté et de liberté.

Sait-on que le fonctionnement de notre système politique inspire parfois, vu de l’étranger, une forme de condescendance ? La France, pays de la Révolution, patrie des droits de l’homme, mère des Républiques, apparaît comme déphasée, voire archaïque...

Il est temps, il est grand temps de faire entrer définitivement notre démocratie dans la modernité.

De la doter, pour la bonne harmonie de nos institutions, d’un Parlement réhabilité, renforcé dans ses pouvoirs de contrôle, de débat et d’enquête ;

De faire en sorte que la corruption soit traquée, sans délai, ni demi-mesure ;

De garantir qu’on n’écoute pas, qu’on n’écoute plus les gens aux portes ou au téléphone ; et que cet engagement ne soit plus seulement pris, même sous la plume d’un ministre de l’intérieur, dans un journal du soir, par un soir d’été de 1981... Mais qu’il soit appliqué, et que les défaillances éventuelles soient poursuivies, sans qu’on puisse opposer au juge aucun secret d’aucune sorte en cette matière qui ressortit essentiellement à la protection des libertés publiques.

4. Nous voulons aussi une France qui fasse de l’égalité des chances une priorité absolue, dans un souci de justice et d’efficacité.

Il ne s’agit pas, bien entendu, de faire de l’égalitarisme ; l’égalité des chances, ce ne sont pas les quotas, l’homogénéité, le nivellement par le bas, mais l’opportunité offerte à chaque citoyen de s’épanouir et d’accéder aux activités de son choix, sans autres limites que celles de son talent et de son travail.

Je sais bien que ce concept d’égalité des chances a pris trop souvent des allures de slogan éculé et paraît relever de l’incantation... Il n’a pourtant jamais été autant d’actualité, alors même que nous voyons émerger une nouvelle civilisation qui sera fondée, plus encore que les précédentes, sur la détention du savoir et des compétences techniciennes.

Cet objectif concerne au premier chef l’école, évidemment. L’école, si injustement attaquée, à qui l’on reproche d’être la source de nos difficultés alors qu’elle n’en est que le point de convergence, le précipité. Prise dans l’étau de nos graves difficultés sociales, dans l’étau du chômage, dans l’étau de l’exclusion, elle en reproduit nécessairement tous les symptômes.

Or, l’école n’est pas une fonction parmi d’autres. Les maîtres sont bien plus que des « prestataires de service de formation », pour reprendre le jargon habituel. Ils exercent, véritablement, une mission fondatrice de citoyenneté.

L’école doit donc être une priorité absolue. Même si beaucoup des difficultés qu’elle rencontre proviennent du chômage et de ses conséquences, il est indispensable de lui donner le moyen d’assurer ses missions au service de l’égalité des chances. Point besoin de grandes réformes solennelles ou fracassantes : on a déjà donné, et bien donné.

Donnons, au contraire, toute sa place à l’innovation. Et, par exemple, à l’aménagement des rythmes scolaires, dont on commence enfin à percevoir l’importance, dès lors qu’il s’inscrit dans le cadre d’un véritable projet pédagogique, ayant pour but de lutter contre l’échec scolaire, en répartissant mieux l’effort ; de rendre l’école plus attractive, tout en développant les potentialités de l’enfant ; de favoriser l’insertion sociale de l’enfant et son intégration dans la ville ; de rendre les activités périscolaires gratuites et accessibles à tous...

Mais, il n’y a pas que l’école.

L’égalité des chances concerne aussi l’accès à la culture ; la culture qui est aujourd’hui l’une des principales sources d’inégalité de notre pays, tout autant que les inégalités dites économiques, avec lesquelles, d’ailleurs, elle va souvent de pair... La culture dont le socialisme parisien se targue d’avoir fait une priorité des deux septennats de François Mitterrand, alors que jamais peut-être les inégalités Paris-Province n’ont été aussi fortes, en ce domaine, qu’à l’issue de ces deux septennats... La culture qui doit redevenir une grande priorité, mais qui doit être mise au service de tous les citoyens et pas seulement des beaux quartiers de la capitale, qui n’en demandaient d’ailleurs pas tant...

5. Nous voulons une France où la justice soit rendue plus rapidement et plus efficacement, dans le respect des libertés individuelles, au nom du peuple français.

On aimerait ne pas avoir à proférer de telles évidences... On préférerait ne pas avoir à dresser le constat de l’état où les socialistes ont mis la justice, de la situation dans laquelle ils l’ont laissée...

Sait-on qu’en matière criminelle, la durée moyenne d’examen d’une procédure est passée en dix ans, de 1984 à 1993, de 19 à 29 mois ? Que la France est de plus en plus souvent condamnée par la Cour européenne de Strasbourg pour non-respect des délais de jugement ? Pourtant, tout doit être fait, conformément aux principes mêmes qui régissent la bonne administration de la justice, pour que toute personne ayant affaire à la justice puisse obtenir une décision dans un délai raisonnable.

Il y a plus urgent encore : rendre à l’institution judiciaire sa clarté et sa cohérence.

On s’est mis à tout confondre. Les procureurs et les juges. On a parlé d’« indépendance » à tort et à travers, et du coup, on a jeté le discrédit sur le fonctionnement de notre justice et sur ses relations avec le pouvoir.

Les juges du Siège # ceux qui rendent la justice au nom du peuple français doivent être indépendants du pouvoir politique, dans leur carrière, comme dans l’exercice de leurs fonctions. Indépendant du pouvoir et de toutes les corporations, y compris les leurs. En agissant dans le cadre des lois de la République, adoptées par les organes constitutionnels légitimes.

Les magistrats du Parquet, eux, exercent une fonction d’une nature profondément différente. Ils sont les « avocats de la République », ils exercent les poursuites en son nom, et comme tels, doivent s’inscrire dans une hiérarchie. À condition, bien sûr, que toutes les garanties soient données pour que soit conjuré le risque ponctuel d’« enterrement » des affaires.

Les carrières des magistrats du siège et du parquet doivent donc être séparées. C’est une des réformes les plus urgentes, la vraie condition d’un bon fonctionnement de notre justice, une justice réellement indépendante, rendue au nom du peuple.

Mais il y a beaucoup à faire, aussi, pour que soient effectivement respectés les droits de l’individu, lorsqu’il est confronté à la machine judiciaire.

Le vrai problème est de parvenir à concilier les impératifs de la poursuite des délits et des crimes avec le respect des droits de la personne. C’est un difficile équilibre. Il réclame simplement plus de garde-fous qu’il n’en existe actuellement. C’est vrai pour la garde à vue. C’est vrai aussi pour la mise en examen, qui devrait être motivée avec précision, et dont les motifs devraient pouvoir être rendus publics si l’intéressé le souhaite. L’objectif étant que la mise en examen – qui jette l’opprobre automatiquement sur celui qui en est l’objet – soit mieux encadrée, et que le principe de la présomption d’innocence, qui est un fondement de nos libertés publiques, reçoive un contenu concret.

La justice est, comme l’école, un des fondements de notre démocratie, la condition de toute véritable égalité. Le moment est venu, pour notre pays, d’engager une réflexion vraiment ambitieuse sur les inégalités de la justice, et sur les moyens qu’il entend lui donner. Cette réflexion engage maintes questions d’ordre technique. Mais les solutions auxquelles elle conduira ne pourront être tranchées que par les autorités politiques, seules détentrices de la légitimité démocratique.

6. Nous voulons une France qui se donne les moyens d’offrir une activité à tous.

Le combat contre le chômage doit être conduit à l’échelle de l’Europe.

Mais en France même, il doit engager toutes les ressources dont nous disposons. Ce doit être un combat total, sans merci, de tous les instants. Qui utilise tous les leviers possibles.

Nous ne pouvons plus nous contenter d’attendre, comme l’ont fait les socialistes.

Une fois établi un contexte européen enfin favorable à la croissance, nous devons mieux dissocier les règles applicables au secteur protégé et au secteur exposé. Les activités les plus directement soumises à la concurrence internationale imposent des contraintes de compétitivité qui appellent elles-mêmes des règles spécifiques. Sur le front extérieur, les entreprises ne sont pas comptables, d’abord, en termes d’emplois. Ce qu’on attend d’elles, ce sont des résultats, et c’est pour cette raison que nous devons les soutenir, au lieu de leur couper les jambes en leur appliquant uniformément les règles d’un libre-échangisme mal compris. C’est dans le même esprit que nous devons poursuivre dans la voie d’un allégement des charges, comme l’a si justement relevé Valéry Giscard d’Estaing. C’est une nécessité absolue.

Quant aux activités non directement soumises à la concurrence internationale, nous avons encore de vraies marges de manœuvre.

C’est pour cette raison que nous devons poursuivre la réforme en profondeur du financement de la Sécurité sociale. Notre système actuel est aberrant : il taxe essentiellement le travail. On s’obstine en outre à substituer du capital – c’est-à-dire des machines – au travail – c’est-à-dire à des hommes et à des femmes qui sont ainsi condamnés au chômage, avec toutes les charges que cela suppose pour la collectivité – et nous agissons ainsi dans les secteurs mêmes où cela entraîne une baisse de la qualité du service rendu. L’automatisation, dans ce cas de figure, est totalement contre-productive, en termes de qualité et en termes de coût pour le pays.

Je pense ensuite qu’il est d’autres voies qui pourraient nous permettre de tendre vers la pleine activité. Il y a notamment l’immense potentiel des services que l’on peut qualifier de « non marchands », des services qui participeraient au progrès du bien-être, qui contribueraient à l’efficacité bien comprise de l’économie, mais qui ne peuvent se créer, du moins au départ, que grâce à une impulsion publique.

Ces perspectives ne sont pas utopiques. Nous en avons de multiples preuves sur le terrain. Ne nous y trompons pas, en effet. Ce ne sont pas seulement l’insuffisance de croissance, l’insuffisance de travail qui expliquent nos difficultés actuelles. C’est la notion même de travail qui est en crise, ce sont des équilibres nouveaux qui se préparent entre travail productif, activités sociales, épanouissement personnel...

Et ce sont des cadres neufs et souples qu’il nous faut imaginer pour mobiliser l’ensemble de nos forces, et pour faire en sorte que la France de demain puisse respecter le droit de tous à l’emploi – un droit qui figure dans notre pacte constitutionnel.

7. Nous voulons une France où le citoyen se sente en sécurité.

La condition, c’est évidemment une France où le chômage aura été réduit et où l’exclusion aura reculé. Une société qui aura retrouvé ses grands équilibres.

L’immigration clandestine est un danger, au moins autant pour les Français que pour les immigrés en situation régulière, qui sont les premiers à comprendre cette évidence.

On ne peut, dans ces conditions, qu’être abasourdi à la lecture d’un programme socialiste qui se contente de promettre d’abroger, purement et simplement, les lois Pasqua et Debré... sans nous dire par quoi il les remplacera. La belle façon de se donner bonne conscience... et surtout d’éluder le problème !

La France a toujours été une terre d’accueil. Dotée d’une forte identité – fondée, non sur les hasards de la géographie, mais sur la volonté des hommes –, elle a montré dans le passé une forte capacité d’intégration. Aujourd’hui, en raison du chômage – la vraie cause de tout, la vraie source du racisme et du succès des extrémismes – cette capacité est affaiblie.

Tout le monde est d’accord là-dessus.

Toutes les grandes démocraties reconnaissent la nécessité de contrôler l’immigration. Notre pays ne peut y déroger. Il ne peut, comme l’a dit un jour quelqu’un... accueillir toute la misère du monde. Et il doit donc prendre des mesures en conséquence.

Mais il conserve des devoirs particuliers envers des peuples qui ont, à un moment donné, partagé son destin et ses sacrifices.

Pour ces pays mêmes, les migrations vers la France sont un désastre puisqu’elles les privent d’une part, de leur population, souvent la plus dynamique.

Dans notre intérêt, dans l’intérêt des pays concernés, nous devons renforcer à l’échelle de la France, mais plus encore à celle de l’Europe, notre politique de codéveloppement avec l’Afrique. Sur le moyen, sur le long terme, le développement du sud de la Méditerranée sera la seule réponse durable et efficace au problème de l’immigration. Nous pouvons y travailler dès maintenant, en passant des accords bilatéraux avec les États.

C’est une exigence sur laquelle les socialistes, prisonniers de leurs slogans, sont étrangement silencieux.

8. Nous voulons enfin une France qui innove, qui invente, qui crée : et qu’on ne nous dise pas que nous demandons l’impossible.

Car elle est formidable, la France... D’être, en dépit de sa taille, une des premières puissances industrielles de la planète... Un des premiers pays exportateurs... D’être ce qu’elle est, capable de ses sursauts, de ce qu’elle a su faire, de ce qu’elle a su être...

On souligne à l’envi tous nos échecs. Mais on oublie de dire que notre pays est à la pointe de la recherche et de l’innovation dans les secteurs à haute technologie.

Nous vendons nos grandes infrastructures – voyez le TGV, voyez EDF – et nous les vendons dans le monde entier.

Notre industrie aéronautique rencontre des succès commerciaux constants. Nous sommes en flèche dans le domaine de l’espace, avec toutes les retombées économiques et industrielles que cela suppose. Notre réputation n’est plus à faire dans le secteur des télécommunications. Dans le secteur des services collectifs... Nous avons un réseau de petites et moyennes entreprises dynamique, réputé pour sa capacité d’innovation.

Je pourrais décliner la liste de tous les secteurs, de toutes les activités dans lesquels la France occupe une place éminente et reconnue, sans rapport avec son poids démographique.

Et je pourrais citer aussi cette capacité qu’elle a montrée à préserver sa culture, envers et contre tout, et notamment malgré ce mouvement général d’uniformisation auquel nous assistons. Dans tous les domaines, et notamment dans celui de la production cinématographique. Il existe toujours un cinéma français, on le verra à Cannes, il existe toujours une télévision française, dont le rayonnement dépasse de très loin le seul hexagone... voyez chez nos voisins, le bilan est moins glorieux.

La France est un pays qui compte et qui est riche de potentialités. La France peut avoir confiance en son avenir, pour peu qu’elle soit décidée à le prendre en mains.

Et puis, nous avons su résister à quatorze ans de socialisme...

Alors nous n’allons pas remettre notre destin entre leurs mains...

Nous les connaissons bien maintenant...

Nous en avons pris pour quatorze ans... Ça ne nous a pas suffi ?

D’autant que nous savons bien comment ça se passera...

Il se passera qu’ils échoueront... Demain comme hier, ils échoueront sur ce qui constitue le cœur de leur programme, le ressort de leur ambition, et, il faut bien le dire, l’enjeu du débat actuel : le chômage.

Ils échoueront sur la France, qui n’a pas besoin, en dépit de sa capacité de résistance, d’une telle médecine...

Ils échoueront sur l’Europe, dont ils finiront par dire, comme autrefois du socialisme, que c’était une fausse bonne idée...

Et quand l’irréparable aura été accompli, ils viendront vous dire : « ce n’est pas ce que nous avions voulu ».

Comme si, en politique, on était jugé sur ses intentions...

Comme si l’irresponsabilité valait quitus de gestion gouvernementale...

Alors que nous voulons une France vraiment solidaire,

Une France qui sache que la vraie solidarité ce n’est pas d’assister (comme l’ont cru les socialistes), c’est de remettre sur le chemin, c’est rendre le libre-arbitre, donner plus d’initiative et de responsabilité,

Une France engagée dans l’Europe,

Une France qui existe,

Une France dont la démocratie soit moderne,

Une France qui garantisse l’égalité des chances,

Une France où la justice soit rendue,

Une France où tous aient une activité,

Une France sûre,

Une France qui innove.

Oui, la voilà la France que nous voulons...

Nous n’avons pas à renier ce en quoi nous croyons.

Nous n’avons pas à rougir de ce que nous sommes.

Nous n’avons pas à craindre d’affirmer ce que nous voulons être.

C’est le moment de le dire. Avec force.

Dimanche 25 mai, je n’en doute pas, en apportant massivement son soutien à Pascal Clément, à Jean-François Chessy, à Christian Cabal, à Jean-Pierre Philibert, à Yves Nicolin, à François Rochebloine et à Daniel Mandon, la Loire sera au rendez-vous de la France. La Loire donnera une majorité au président !


Discours à Nantes le mardi 13 mai 1997

Merci, d’abord, à vous toutes et à vous tous pour votre présence si nombreuse et si chaleureuse...

Merci, en particulier, à Élisabeth Hubert, pour son invitation à venir m’exprimer devant vous, aux côtés des candidats qui portent les couleurs de la majorité en Loire-Atlantique.

C’est toujours un plaisir de la rencontrer...

D’ailleurs, à en croire ce que j’ai vu et entendu ces derniers temps, ce devait être le principal motif de mon déplacement...

Car, j’en étais venu à croire que j’arriverais après la bataille...

Je constatais, comme vous tous, que M. Jospin prenait des airs avantageux. Il roulait des mécaniques. Il ne se contentait plus de polémiquer avec le Premier ministre. Voilà qu’il se poussait du col et que Monsieur répondait au Président de la République et se posait en contre-président en toute simplicité... À l’évidence, il considérait qu’il allait gagner. Il était convaincu que tout était fini. Terminé. Que c’était quasiment dans la poche. Et qu’il n’avait plus qu’à conclure tout ça, au ralenti, en petites foulées...

Il paraît en effet que la campagne socialiste aurait mieux démarré que celle de la majorité...

La belle affaire !

Moi, à la place de M. Jospin, je serais quand même plus prudent.

Je ne sais pas si lui et ses amis ont bien commencé. Ce que je sais – et à Nantes, on le sait aussi –, c’est que ce n’est pas parce que les autres font des départs sur des chapeaux de roue que le sérieux, la constance, la volonté ne finissent pas, à la longue, par payer...

Après quelques journées de championnat, tout le monde disait que ces sympathiques jeunes gens qu’on appelle ici, je crois, les « canaris » étaient bons pour la 2e division, que leur entraîneur était à jeter aux chiens, et que les joueurs ne valaient pas tripette... Et puis, aujourd’hui, le FC Nantes s’apprête à une nouvelle campagne européenne... Quant aux fausses gloires du début de saison, elles ont été remises à leur place...

Alors, que M. Jospin cesse de s’y voir déjà, en coupe d’Europe...

D’autant que la compétition européenne qui s’annonce sera difficile. Et je ne suis pas sûr du tout, à considérer leur palmarès, que les socialistes soient vraiment capables d’y porter très haut les couleurs de la France...

Surtout quand je considère la qualité, la vigueur de l’engagement de ceux et celles qui incarnent la majorité dans ce département...

Et, parmi eux tous, comment ne pas saluer d’abord une personnalité exceptionnelle, qui préside depuis 25 ans aux destinées de cette région des Pays de la Loire. Proche collaborateur puis ministre du général de Gaulle, élu sans interruption à l’Assemblée nationale depuis 1967, Olivier Guichard a choisi de ne pas se représenter afin de se consacrer entièrement à ses fonctions régionales. Il laissera à l’Assemblée nationale le souvenir d’un grand parlementaire qui a profondément marqué de son empreinte tous ceux qui l’ont approché durant ces trente années de mandat.

Chacun, ici, connaît l’importance de son action au service de son pays, dans les domaines les plus divers, l’aménagement du territoire, l’éducation, ou la justice, chacun connaît aussi l’inlassable énergie qu’il a dépensée en faveur des Pays de la Loire.

Je suis d’autant plus heureux de constater que c’est cette même conviction, cette même ténacité, ce même sens de l’intérêt public que partagent l’ensemble des candidats de la majorité en Loire-Atlantique.

Et j’en mesure toute la portée, quand je vois, par exemple, l’action menée par Élisabeth Hubert en matière de politique de santé, une action qu’elle a toujours souhaité fonder, d’abord comme député, puis comme ministre en charge de ce secteur, sur une triple exigence de qualité, de modernité et de solidarité. Quand je vois aussi le dévouement dont elle fait preuve au service de sa ville de Nantes ; une ville qu’elle aime profondément, et qui a toujours été au cœur de son engagement politique depuis 1981, elle qui était de surcroît, jusqu’il y a peu, un conseiller apprécié et écouté, je le sais, du Président de la République...

De même, quand je vois l’action conduite sur le terrain par Monique Papon en faveur des plus faibles : personnes âgées, jeunes enfants, chômeurs ou exclus ; Monique Papon à qui je me dois également d’exprimer ma reconnaissance pour le concours si précieux qu’elle m’a apporté au sein du bureau de l’Assemblée nationale...

Quand je constate l’énergie qu’Édouard Landrain, rapporteur du budget jeunesse et sports, met à défendre la pratique du sport, et notamment du sport à l’école, sans oublier l’aide aux bénévoles et le soutien aux associations et petits clubs qui forment le tissu du monde sportif, associations et clubs dont il sait si bien qu’on s’obstine encore trop souvent à les tracasser inutilement par des réglementations qui donnent des résultats inverses de ceux qui sont escomptés...

Quand je me remémore les combats d’Étienne Garnier pour défendre les industries en reconversion, notamment dans le secteur de l’armement maritime, des combats qu’il mène également au nom de sa conception profondément sociale du gaullisme, sans concession et en toute conviction – chacun le sait et peut le constater...

Quand je mesure l’action sans relâche que conduit Michel Hunault pour favoriser l’emploi des jeunes, thème sur lequel il a présidé un important groupe de travail à l’Assemblée nationale et dont les conclusions sont riches d’enseignement pour la politique de l’emploi et l’insertion professionnelle...

Quand je me souviens de la détermination avec laquelle Serge Poignant partage cette préoccupation pour l’emploi et l’éducation, Serge Poignant que ses compétences ont imposé comme l’un de nos principaux orateurs sur l’éducation nationale, et qui est en outre un ardent défenseur des PME-PMI, et l’un de nos meilleurs spécialistes des questions viticoles et maraîchères, Serge Poignant qui assume avec fierté son surnom de « député du Muscadet » ...

Quand je songe, enfin, à la compétence précieuse de Pierre Hériaud, grand connaisseur de son pays de Retz et profondément engagé dans l’action locale en faveur de l’emploi et du développement industriel de sa région...

Oui, je me dis que ces hommes et ces femmes, sont bien à la hauteur du grand rendez-vous qui nous est fixé...

Car le rendez-vous qui nous est donné est un rendez-vous important, un rendez-vous capital... Suffisamment important et capital pour qu’il soit inutile d’en dénaturer ou d’en caricaturer l’enjeu...

Nous n’avons pas à choisir – en quelques semaines à peine – entre deux civilisations, comme on le dit et le répète ici ou là...

Certes, et nous le sentons bien, une civilisation nouvelle est bel et bien en train d’émerger.

Mais elle s’imposera en tout état de cause. Le seul vrai problème est de savoir si nous voulons la maîtriser ou si nous nous résignons à la subir.

Ce ne sont pas les noms qui manquent pour désigner cette nouvelle donne : mondialisation, globalisation... Peu importe, finalement, la terminologie retenue...

Ce qu’il faut, c’est bien comprendre ce qu’elle est. C’est bien comprendre qu’elle se caractérise par un double mouvement : la libération généralisée des échanges, et l’explosion des technologies, qui nous font entrer dans un monde sans frontières et en temps réel. Or, les deux phénomènes se nourrissent et s’amplifient mutuellement. La mobilisation des ressources technologiques est d’autant plus rapide et nécessaire que, les échanges se libérant, l’exigence de compétitivité se fait toujours plus impérieuse. Et, à l’inverse, les nouvelles technologies hâtent elles-mêmes la libération des échanges, ne serait-ce que grâce aux progrès de la communication - entendue dans son acception la plus large...

C’est là une évolution immense, une évolution fondamentale, que nous avons mal mesurée au départ, obnubilés que nous étions d’abord par la hausse du pétrole, puis par l’effondrement du communisme et ses conséquences, effondrement dont nous pensions, à tort, qu’il n’avait que des origines internes. Du coup, nous n’avons pas compris que notre propre système, que nous pensions vainqueur, allait être lui-même profondément bouleversé.

Or, c’est bien un monde nouveau qui s’annonce. Avec d’immenses conséquences potentielles. Économiques, bien sûr, mais aussi et surtout des conséquences sociales, culturelles et politiques.

Et il faut bien comprendre que ce peut être une très grande chance. La très grande chance de construire un monde meilleur. Ce peut être aussi un grand danger. De voir tout ce que nous avions construit ensemble irrémédiablement compromis... Chance ou danger : cela dépend de nous.

Ô, certes, notre société n’était pas parfaite. Mais nous sentions bien, quand même, qu’elle tendait progressivement lentement mais sûrement vers toujours plus de justice et d’équité. Et nous sentons bien aussi que si nous n’y prenons garde, c’est ce mouvement général qui risque de s’inverser. Au lieu de continuer à monter, à progresser, nous risquons d’être irrémédiablement attirés vers le bas.

Pour faire le bon choix, pour nous moderniser sans rien renier, notre grande chance est et demeure l’Europe...

À condition bien sûr que l’Europe soit conçue en conséquence...

À condition, bien sûr, que l’Europe cesse elle-même de se laisser aller à ce mouvement général, qu’elle se refuse à le démultiplier comme elle a pu le faire parfois. Rien ne serait pire que de jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce n’est pas en sacrifiant tout ce qui a fait les principes de notre vie collective, ce n’est pas en renonçant à nos valeurs, que nous réussirons l’entrée dans le troisième millénaire.

C’est dire qu’il faut que l’Europe soit sur les bons rails...

Et c’est tout l’enjeu de ces élections.

Elle est là, à mes yeux, la raison de fond de la dissolution.

Nous sommes conviés au début 1998 à un grand rendez-vous européen.

Pour dire et décider comment, avec qui, et pourquoi nous allons faire la monnaie unique.

Ce grand rendez-vous européen est l’occasion, et probablement l’ultime occasion, d’une vaste remise à plat.

Car chacun comprend désormais que cette échéance ne pourra pas, ne devra pas être le simple aboutissement d’un interminable processus, mais constituer plutôt, un nouveau départ.

C’est bien pourquoi je pense, pour ma part, que l’Europe doit être au cœur de cette campagne...

Certes, un sondage récent révèle que dans les préoccupations des Français, l’emploi vient bien avant l’Europe.

Il ne suffit pas de se dire que c’est parce que, comme souvent dans les sondages, la question est mal posée. Comme si l’Europe et l’emploi étaient deux problèmes qui n’avaient rien à voir...

Il faut aussi, à partir de cette réponse, prendre l’exacte mesure de la façon dont l’Europe est perçue... L’Europe, pour les Français, comme pour un grand nombre d’Européens, elle est, d’abord, perçue et vécue trop souvent comme l’internationale du chômage. On voit trop bien ce qu’ils ressentent : ils l’identifient de plus en plus à la régression économique et sociale, aux quotas de pêche, à la jachère, et j’en passe...

C’est que les Français voient, depuis vingt ans, un mal implacable ronger peu à peu les fondements mêmes de la société qu’ils s’étaient bâtie. Ils voient le chômage monter inexorablement. Et ils attendent, bien entendu, une réponse, une réponse toute autre que ces mots sans chair qu’on leur débite de partout : critère de convergence, flexibilité, fédéralisme, que sais-je encore ?

Et ce n’est pas tout : comment résoudra-t-on durablement le problème de l’emploi dans un contexte où les nouvelles technologies auront fortement réduit la quantité de travail disponible, et alors même que le travail restera, dans nos sociétés, la valeur d’intégration fondamentale ? Où est la réflexion qui devrait être conduite en Europe sur ce sujet capital ?

Il est clair qu’on ne fera jamais rêver de l’Europe aussi longtemps qu’on ne la mettra pas au service de l’emploi.

Or, précisément, tout le problème est là : quoi qu’on en pense, quoi qu’on en dise, et malgré tous les sondages : l’Europe et l’emploi sont indissociables.

Mais on n’en a pas tiré, jusqu’ici, les conséquences.

Et c’est bien pourquoi les Français ont l’impression que plus ça change, plus ça reste pareil...

On se l’entend dire. On me le dit dans ma circonscription ; on doit bien le dire ici aussi ; on a changé de président, on a changé de majorité, on a changé de gouvernement, mais sur l’emploi, rien n’a changé.

C’est injuste, bien sûr.

Le Gouvernement a fait des efforts méritoires pour réduire la dette qui lui avait été léguée, pour réduire les déficits. Toutes actions impopulaires, frustrantes, mais qui étaient autant de préalables. Car, les déficits nous plombent littéralement et nous entraînent vers le fond.

Mais cela n’a pas suffi. Cela ne peut suffire.

C’est que tout le monde s’est retrouvé tour à tour – et ce gouvernement comme les précédents – dans un même carcan.

C’est que l’Europe n’a pas su, jusqu’ici, faire de l’emploi son objectif primordial. À la différence des États-Unis... Elle est restée obsédée par la crainte du retour de l’inflation, et a conçu toute sa politique monétaire dans cette optique. Cette crainte est un héritage du passé. Elle est particulièrement forte en Allemagne, où l’on se souvient des années 20 et de la façon dont l’inflation avait sapé les bases de la démocratie. Mais cette crainte est désormais sans fondement. Et un autre danger s’est substitué à celui-là...

Vous me direz (ils me le disent eux-mêmes) : c’est à peu près ce que soutiennent aujourd’hui les socialistes.

Eh bien, je répondrai qu’ils y ont un sacré culot.

Les voilà qui veulent désormais renégocier le traité. Un traité qu’ils ont eux-mêmes voulu, négocié, signé. Et aujourd’hui, ils viennent reprocher au gouvernement d’appliquer ce qu’ils ont décidé, et fait ratifier !

C’est bien M. Delors qui affirmait naguère que les opposants au traité étaient indignes de faire de la politique dans une démocratie développée... et qui aujourd’hui, a le front de venir nous dire qu’il avait bien eu raison de nous mettre en garde contre les illusions de Maastricht...

Et pourtant... souvenons-nous un instant.

Quant au moment de Maastricht, un pays membre de l’union a refusé d’adhérer au protocole social... quand le Gouvernement socialiste a accepté cette exemption, et a donc admis qu’il puisse y avoir une Europe sociale à deux vitesses, que faisait Lionel Jospin ?

Plus profondément, quand on a omis de faire figurer parmi les grands objectifs de l’union... l’emploi, quand on a préféré parler d’« allocation efficace des ressources » et faire ainsi du travail une simple variable d’ajustement, où était Lionel Jospin ? Quand on a négligé de prévoir une politique commune de l’emploi – alors qu’on organisait des politiques communes pour les transports, pour l’éducation, pour la culture –, où était Lionel Jospin ?

Quand on a donné ses pouvoirs à la Banque centrale européenne, et qu’on a écarté les peuples des grands choix les concernant, où était Lionel Jospin ?

Quand on a défini, pour l’entrée dans la monnaie unique, les critères de convergence et tenu l’emploi à l’écart, où était Lionel Jospin ?

Alors, oui, je sais bien... M. Jospin nous dit qu’il assume les erreurs du passé ! C’est bien gentil. Le problème, c’est qu’il n’est pas le seul à assumer. Parce que, si lui assume ses erreurs, nous, on en assume les conséquences...

Et puis c’est un peu facile, comme méthode. On fait des bêtises pendant 14 ans. On passe à confesse pendant 5 minutes, pas plus. Un pater, deux ave. Et voilà, c’est reparti : on est redevenu des poulets de l’année !

Qu’on nous pardonne d’avoir un peu de mémoire. Après tout, le passé est le meilleur garant de l’avenir...

Alors, au moment où il faut parler de choses sérieuses, on préférerait plutôt des gens sérieux...

En 1992, les Français, qu’ils aient voté oui ou non, ont dit une seule et même chose. Ils ont tous dit, à leur manière, qu’ils voulaient l’Europe. Mais beaucoup d’entre eux trouvaient qu’il y avait dans ce traité bien des incertitudes ou des ambiguïtés. Et bien des oublis. Beaucoup pensaient que l’on s’obstinait à vouloir construire l’Europe sans les peuples, en catimini. Que l’on partait d’une conception étriquée du continent. Que l’on s’enfermait dans un carcan monétaire. Que l’on oubliait l’emploi.

Or, les faits sont têtus. Et, aujourd’hui, c’est l’heure de vérité. Il ne s’agit surtout pas de triompher. Peu importe finalement qui a eu tort ou raison. Nous sommes parvenus au moment où nous pouvons, où nous devons procéder à toutes les réorientations qui s’imposent. Et il se trouve que c’est maintenant ou jamais.

Encore faut-il savoir quelle Europe nous voulons. Et le dire.

Cette Europe, bien évidemment, nous voulons tout d’abord qu’elle soit démocratique. Autrement dit, qu’elle puisse s’appuyer sur une véritable adhésion des peuples, une adhésion clairement exprimée # car sans cette adhésion, l’édifice, même s’il voyait enfin le jour, serait tôt ou tard appelé à s’effondrer.

Tout le monde, ou presque, s’accorde aujourd’hui sur le constat d’un déficit démocratique européen, qui concerne tout le fonctionnement de l’Union.

Il existe bien des voies pour le résoudre, bien des voies pour que les peuples soient effectivement associés aux décisions qui engagent leur existence et leur avenir. Ainsi, on peut envisager de renforcer le rôle du Conseil européen... On peut vouloir étendre l’autorité et les compétences du Parlement européen... Mais on peut surtout, surtout, faire des parlements nationaux, qui restent aujourd’hui le lieu par essence de la légitimité démocratique, des acteurs à part entière du processus de réflexion et de décision... Cette dernière option est une idée qui m’est chère, et je suis heureux que le Président de la République ait fait sienne cette position.

Bref, plusieurs schémas sont possibles. Mais ce qui compte, c’est le résultat : que le citoyen puisse exercer, à un moment ou à un autre, de manière réelle, concrète, son pouvoir de contrôle et de sanction. Alors qu’aujourd’hui, ni lui, ni ses élus, n’ont de véritable prise. Ce qui suppose des pouvoirs responsables, clairement identifiés comme étant la source des décisions. Ce qui suppose aussi que soit pleinement respecté le principe de « subsidiarité ». Autrement dit, pour traduire ce si joli terme, que l’Europe ne se mêle que de ce qui la concerne vraiment, qu’elle n’intervienne que dans les seuls domaines où elle peut apporter un plus. Et que, pour le reste, ce soient les États qui règlent eux-mêmes leurs affaires.

Tel est, en principe, l’objet de l’actuelle conférence intergouvernementale : clarifier, réformer, pour démocratiser. On ne peut pas dire qu’elle suscite un intérêt enthousiaste. Elle représente pourtant un enjeu considérable. Et une échéance plus proche, plus pressante encore que la monnaie unique. Il ne faudrait pas que l’on se contente, ici et là, de quelques modestes retouches, et que la montagne accouche d’une souris... Ce serait une source de nouvelles déceptions, de nouvelles frustrations. Et ce, au moment précis où l’Europe a besoin de prendre un nouveau départ.

Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui font leur deuil d’une grande réforme des institutions européennes. Je ne m’y résous pas. Si l’Europe est si souvent critiquée pour son fonctionnement bureaucratique, il faut moins incriminer les fonctionnaires de Bruxelles que les institutions elles-mêmes. Leur réforme est donc indispensable si l’on veut réellement démocratiser l’union.

Et si nous voulons démocratiser l’union, ce n’est pas seulement pour la beauté du geste ou la justesse du principe. C’est surtout parce que l’union a besoin d’être gouvernée, réellement gouvernée. Parce que c’est à cette condition, et à cette condition seulement, qu’elle pourra s’affirmer comme une Europe politique.

Le temps est venu, en effet, de rendre au politique, seule expression légitime de la volonté des peuples, sa primauté.

Parce que seule une approche politique nous permettra de mettre l’emploi au cœur de tout, et de répondre ainsi à l’attente des Européens : l’Europe que nous voulons doit faire en effet de l’emploi sa priorité absolue. Elle ne peut être identifiée plus longtemps par nos concitoyens à une zone où la récession deviendrait une technique de gestion, où le sous-emploi serait chronique, et où la jeunesse serait condamnée à la recherche désespérée d’une activité qui fuit.

C’est à la lumière de cette exigence que nous devons concevoir désormais la monnaie unique. Jusqu’ici, on a fait découler trop systématiquement le politique du monétaire, quand le raisonnement aurait dû être inverse.

Il y a eu, il y a encore dans la construction de l’Europe une obsession monétaire.

Il est grand temps que nous fassions de l’emploi notre obsession commune.

Il a fallu attendre le Conseil européen de Turin, il y a un an, pour qu’un dirigeant ose le dire publiquement. Et ce dirigeant, ce chef d’État, c’était Jacques Chirac.

Certes, il faut faire la monnaie unique : les Français en ont décidé ainsi. Mais ne la faisons pas pour elle-même, pour le seul plaisir de la faire. Faisons-la dans une perspective politique. Elle doit être un levier pour l’action, et au tout premier chef pour l’action contre le chômage. C’est ainsi qu’elle aurait dû être conçue... et qu’elle peut encore l’être pour peu qu’on en décide ainsi.

Elle ne saurait être instaurée dans la résignation et l’amertume. Il s’agit là d’un acte fondateur majeur, qui ne doit pas être pour les peuples l’aboutissement d’un chemin de croix.

Il faut donc, répétons-le, tout remettre à plat. Et faire de la monnaie unique un atout, l’instrument de nos ambitions, et non l’alibi de nos renoncements.

Ce qui suppose qu’on la réalise dans des conditions claires et satisfaisantes, ce qui suppose aussi que la politique monétaire, qui est elle-même un outil politique autant qu’économique, soit conduite sous le contrôle d’une autorité légitimement investie.

L’objectif assigné actuellement à la future Banque centrale européenne – prévenir l’inflation – n’est pas seulement ridiculement exigu : il est, encore une fois, insupportablement réducteur. Il faut le dire avec clarté. Et en tirer toutes les conséquences. La gestion de la monnaie doit nous protéger de l’inflation, certes, mais elle doit aussi, elle doit surtout favoriser les conditions de la croissance et de l’emploi. Ce ne serait d’ailleurs pas une révolution : c’est bien là une des missions, si je ne me trompe, de la Banque fédérale américaine ! Nous ne demandons rien de plus. Mais rien de moins non plus. Ce serait tout de même un comble, si les Européens se montraient plus ultralibéraux que les Américains...

J’ajouterai qu’on ne peut laisser à la seule Banque centrale européenne la responsabilité de conduire la politique économique de l’Europe, c’est-à-dire indirectement celle des États membres. Ce n’est pas sa vocation. Car de telles décisions, qui engagent tout notre avenir, ne sont pas de simples décisions techniques, mais des décisions politiques. Le pouvoir de décider doit donc appartenir aux instances politiques de l’union.

S’il fallait, une fois pour toutes, nous convaincre que le problème a avant tout une dimension politique, il suffirait de prendre l’exemple du taux de change entre l’euro et le dollar. Ce sera l’une des premières décisions importantes à prendre dans les temps qui viennent. Ce n’est pas un débat purement technique, ni un débat à trancher dans la quiétude de quelque comité d’experts... C’est une question fondamentale, qui se posera à tout gouvernement, quel qu’il soit, et qui va déterminer la compétitivité de toute l’économie européenne. Autrement dit, l’avenir de beaucoup de nos emplois. La question, la vraie question qui se pose, à travers la fixation du taux de change, est donc : quelle attitude allons-nous adopter vis-à-vis du reste du monde ?

Pour cela, il faut sortir du carcan des chiffres... Après tout, il s’agit bien de faire une union économique et monétaire, et pas seulement une monnaie unique. Ce qui devrait nous conduire, enfin, à mettre l’emploi au cœur véritable de nos préoccupations.

Et renoncer à toute tentation d’exclure du système, jusqu’à des jours meilleurs, des pays comme l’Italie – l’Italie, pays fondateur de la communauté, l’Italie où tout a commencé, en 1957 –, et l’Espagne, et le Portugal – ces États qui ont trouvé dans l’Europe leur épanouissement démocratique.

Il faut, bien au contraire, retrouver l’esprit du grand projet européen... Pour ceux qui l’ont conçu, les seuls critères d’adhésion qui comptaient vraiment étaient l’appartenance au continent, l’attachement à la démocratie, la volonté d’adhérer à une vaste entreprise commune. Il ne s’agissait pas de fabriquer un « club des riches », mais bien de parvenir, un jour, à une grande Europe, solidaire, pacifique, prospère – et prospère précisément parce que solidaire et pacifique.

Elle est là, l’Europe que nous voulons : une grande Europe. Une Europe qui marchera sur ses deux jambes, qui prendra en compte pleinement la Méditerranée, c’est-à-dire toute une dimension de son Histoire, toute une dimension de son avenir, toute une dimension d’elle-même... et non une Europe centrée seulement sur le Nord et l’Est du continent. Il serait absurde de limiter l’acte majeur de la construction européenne aux seuls partenaires respectant des critères comptables. En acceptant, d’un cœur léger, d’en éliminer nos voisins du Sud...

J’ajoute que nous éviterons ainsi de nouveaux chômeurs... Notre pays subit aujourd’hui encore – dans le textile, dans l’automobile, d’autres secteurs encore... – les contrecoups des récentes dévaluations –  on les appelle dévaluations « compétitives » – de nos voisins du Sud... C’est pourquoi il faudra éviter par-dessus tout, en faisant la monnaie unique, d’institutionnaliser un décrochage entre les prétendus bons élèves du Nord et les prétendus mauvais sujets du Sud, car sinon, ce seraient des centaines de milliers d’emplois que nous perdrions à nouveau.

À nous de voir les choses de manière beaucoup plus dynamique.

Le chômage ne reculera pas tout seul : il ne suffit pas d’attendre les retombées de la croissance américaine. Non, l’emploi n’est pas une vulgaire variable d’ajustement... Il est avant tout un problème de volonté politique. Pour le faire reculer, nous devons tout mettre en œuvre pour créer de la croissance, pour créer de l’emploi, pour organiser la pleine activité.

Il faut donc que la monnaie unique traduise cette volonté. Le contexte s’y prête, à dire vrai. Les esprits, confrontés aux échéances, commencent à comprendre. Voyez les réactions suscitées par Vilvoorde... On découvre soudain ici et là, que dans le schéma prévu – les critères chiffrés au plus serré –, certains impératifs seraient moins impératifs que d’autres... Et pourquoi ? Tout simplement en vertu du pouvoir d’appréciation politique dont disposera le Conseil européen pour fixer la liste des États admis à participer à la « première phase » de l’Euro.

Nous y voilà... quoi qu’on en dise, tout reste possible... les critères ont cessé d’être notariaux pour devenir discrétionnaires... et donc éminemment politiques. Si l’esprit du traité est bien que le plus grand nombre de pays participent à l’euro, les conditions de passage à l’euro seront essentiellement politiques, et accessoirement économiques ou budgétaires.

Oui, il est là, l’essentiel.

La question n’est pas de savoir si le niveau de déficit de l’année 1997 représentera 3 %, 3,1 % ou 3,4 % du PIB...

À 3,1 % du PIB, vous êtes encore qualifié ? À 3,3 %, vous ne l’êtes plus ? La construction de l’Europe, l’avenir de nos sociétés : tout cela n’est pas un jeu ! Citez-moi l’économiste qui pourrait nous démontrer qu’à 3 % de déficit public – calculé on ne sait trop comment –, une monnaie serait forte, alors qu’à 3,4 % elle deviendrait faible. Tout cela n’est pas une affaire de statistiques. Des statistiques au demeurant « pas sûres et fantaisistes » comme vient de le rappeler Valéry Giscard d’Estaing, qui critique fort justement « l’exercice de divination » auquel s’est livré la commission à propos de l’Italie...

C’est au Conseil européen – c’est-à-dire, aux chefs d’État ou de gouvernement des pays membres – de décider qui fera partie de l’UEM. Car, il s’agit bien d’une décision politique. Et de rien d’autre.

Une décision politique donc au service d’une vision politique, avec des outils adéquats. Mais cette vision doit elle-même s’incarner dans un projet, un projet qui permette d’introduire un minimum de rationalité dans un monde qui a perdu ses repères.

Ce projet, pour qu’il entraîne l’adhésion des peuples européens, pour qu’il soit promis au succès, doit être conforme aux valeurs dans lesquelles nous croyons, en Europe. Des valeurs qui s’inscrivent dans notre culture, dans notre vision de l’Homme, et dont j’ai la faiblesse de croire qu’elles conservent toute leur vigueur.

Ces valeurs sont celles de l’égalité des chances et de la solidarité. La solidarité, qui trouve son premier cadre d’expression naturel dans la nation, est la plus ancienne des valeurs européennes. Elle a connu – c’est vrai – une nouvelle ampleur après 1945, avec l’apparition des grands systèmes de protection sociale... mais ce n’est pas l’État-Providence, – que l’on accable de tous les péchés –, qui a inventé la solidarité.

Certes, le modèle social de l’après-guerre est en crise. Certes, nos systèmes de protection collective doivent être réformés, et doivent l’être, qui plus est, dans un contexte difficile, en un temps ou les ressources publiques sont très tendues. Mais cela ne signifie nullement que nous devions renoncer à nos valeurs communes. Réformer ne veut pas dire détruire ou laisser se déliter. Le libéralisme, le vrai, a toujours considéré qu’une société libre et équilibrée supposait que les mécanismes de la concurrence puissent être tempérés en faveur des plus faibles, qu’il s’agisse de l’accès à l’enseignement, de la gestion des villes, de l’environnement, des grandes infrastructures. Et pour le bénéfice de tous.

Cessons donc de faire comme si nous devions démanteler notre protection sociale, abaisser sans cesse nos salaires, rendre notre système toujours plus « flexible », afin que le coût du travail en Europe puisse un jour redescendre au niveau des pays dits « émergents ». À ce jeu-là, nous serons toujours perdants. Nous ne rejoindrons jamais les Chinois, les Ukrainiens ou les Sri-Lankais ! Tout aura explosé avant...

Nous devons produire, en réalité, un puissant effort d’imagination, et proposer un modèle de société rénové, qui permette de moderniser en profondeur nos systèmes sociaux – pour préserver leurs acquis fondamentaux –, et de résoudre durablement le problème du chômage. Ce problème, nous ne le résoudrons pas par de faux remèdes, en gérant la pénurie, en nous contentant de réduire le temps de travail, comme si les hommes étaient toujours parfaitement substituables les uns aux autres, comme s’il n’y avait pas, dans nos sociétés, de nombreux besoins non satisfaits qu’il faut aider à s’exprimer.

Ce n’est pas en jetant aux orties des décennies de progrès, ce n’est pas en faisant bon marché des valeurs qui fondent nos sociétés démocratiques, ce n’est pas avec moins de solidarité que nous entrerons mieux dans la modernité... Mais, il ne s’agit pas de rester immobiles, comme nous le proposent les socialistes, ni de conserver la façade de notre protection sociale pendant – qu’à l’intérieur tout s’effondre... Ne cédons pas au mirage de la fausse sécurité, comme en d’autres temps on croyait aux vertus de la ligne Maginot. Notre approche doit être dynamique, créatrice, novatrice, et non se limiter à gérer une régression acceptée d’avance. Et c’est de l’affirmation de solidarités communes que naîtra progressivement une citoyenneté européenne qui, aujourd’hui, constatons-le, n’existe pas encore.

C’est pourquoi nous devons affirmer hautement que l’Europe doit se construire autour d’un modèle de société, et que ce modèle, elle doit le promouvoir, dans un esprit de compétition pacifique, mais ferme, avec d’autres approches de l’économie de marché, comme celles qui prévalent en Amérique et au Japon.

Dans cette perspective, l’Europe sociale, ce n’est pas un volet comme un autre de la construction européenne – comme l’Europe de l’espace ou celle de l’atome...

L’Europe doit être sociale par essence. L’Europe sera sociale ou ne sera pas. Et elle doit être sociale pour tous. Chaque pays ne peut pas faire l’Europe à la carte, gardant ce qui lui convient, retranchant ce qui le gêne... surtout quand au même moment on prétend fermer la porte à d’autres... Ce serait trop commode... Ce serait comme un match de foot où les Français seraient onze et auraient seulement le droit de jouer avec les pieds, alors que les autres joueraient à quinze ou vingt et utiliseraient aussi les mains. Inutile de dire qui gagnerait avec de telles règles... !

Enfin, si l’Europe sait se doter d’un véritable projet de société, elle doit encore être capable aussi de l’incarner sur la scène mondiale. Et de le défendre. Et de le promouvoir. En étant pleinement elle-même.

Il y a, de par le monde, un grand besoin d’Europe, un besoin d’autant plus ressenti que l’insuffisance de l’engagement politique de l’Union européenne est en décalage complet avec le poids de sa présence économique. Le phénomène est particulièrement sensible dans le bassin méditerranéen, zone trop longtemps négligée par la communauté. L’Europe, c’est un fait, n’est pas encore perçue comme une puissance. Elle n’est pas perçue comme une puissance, car elle n’a pas décidé de l’être.

La puissance américaine, elle, est aujourd’hui sans rivale. Les États-Unis en ont d’ailleurs bien conscience, au point de traiter parfois l’ONU ou leurs alliés avec une certaine désinvolture, voire une certaine condescendance... Mais les choses, déjà, commencent à changer : ce n’est plus la suprématie que nous avons connue au temps de la guerre froide et de ses avatars. Nous n’en sommes plus au temps où les États-Unis garantissaient la paix, et les grands équilibres mondiaux. Ils veulent toujours la prépondérance, mais ils n’en acceptent plus les charges, ni les responsabilités. Il y a les zones « utiles », auxquelles ils consacrent tous leurs soins. Et puis il y a le reste.

C’est une raison supplémentaire, s’il en fallait, pour que l’Europe, dans un monde aussi instable que le nôtre, parvienne à jouer pleinement un rôle d’équilibre.

D’autant que – sur un plan strictement économique – la domination des marchés financiers n’est pas une fatalité. Il est encore possible d’en corriger les effets pervers. Les marchés, et leurs fameuses anticipations, seront moins instables le jour où les conditions politiques seront clarifiées, et une volonté européenne véritablement affichée. Les marchés, contrairement à une idée reçue, ne sanctionnent pas tant une politique que l’absence, chez les gouvernants, d’une vision et d’une volonté à longue portée.

Il faut donc revenir à une vision résolument politique du monde, et envoyer des signaux clairs.

C’est cela que doit être aussi et surtout la monnaie unique : un instrument de puissance et d’expansion pour le continent. Comme le dollar. Qui nous fera croire que le dollar est une monnaie forte uniquement parce qu’elle exprime l’état de l’économie américaine ? Le dollar exprime la puissance des États-Unis dans toutes ses composantes. Un point c’est tout. La force du dollar nous dit que les États-Unis sont la première puissance politique du monde. La force du dollar nous dit qu’ils ont la première armée du monde... Nous ne pèserons donc que si nous nous donnons les moyens d’une puissance comparable.

Il faut donc que nous nous l’avions, sans complexe aucun, de ce péché originel dont l’Europe s’est chargée au fil des décennies, de tous ces conflits qui, pendant trop longtemps, l’ont conduite à laisser à d’autres la garantie de sa sécurité, quand ce n’est pas l’arbitrage et le règlement de ses propres problèmes.

Ce qui suppose que nous en tirions toutes les conséquences. Et que nous dotions, enfin, notre continent d’un vaste système de sécurité, d’une véritable identité européenne de défense.

L’Europe doit passer à l’offensive politique, après plusieurs décennies de repli défensif sous parapluie américain.

Car l’Europe que nous voulons doit tenter de répondre à la seule vraie question : comment faire en sorte que ce monde qui émerge, que ce monde délivré des conflits idéologiques, mais livré, plus que jamais, aux rivalités et aux conflits d’intérêt, oui, comment faire en sorte que ce monde soit un monde meilleur, et non une société en régression, abandonnée au chômage, au désordre et à l’insécurité ?

Les grandes échéances européennes représentent notre dernière chance de changer les choses. L’Europe s’est trop longtemps laissée porter par le fleuve des événements, naviguant dans le sens du courant et se donnant ainsi l’illusion de vivre, et d’agir.

Elle a été conçue pour apporter la paix. Et avec la paix, la prospérité.

Elle est gardienne de valeurs essentielles, héritées de l’Histoire : au premier rang desquelles la démocratie. C’est-à-dire la prééminence de la volonté commune sur tout autre pouvoir. La prééminence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers.

C’est pour cela que le projet européen ne doit plus être conçu comme le déroulement quasi mécanique d’un processus immuable, qu’il doit être relancé sur une vision large et ambitieuse de l’avenir. L’Europe ne doit pas être un simple rouage dans le nouveau paysage mondial, mais bien plutôt redevenir le modèle, la référence pour un véritable monde de progrès.

C’est pourquoi il n’est que temps que l’Europe redevienne elle-même : une Europe libre, solidaire, maîtresse de son destin, qui remette l’homme au cœur de tout.

Une Europe dans laquelle la France, si nous le voulons, si nous nous en donnons les moyens, sera un élément moteur, une force de proposition et d’entraînement.

Car, ne nous y trompons pas. C’est bien de l’Europe que dépend largement la France que nous voulons.

Il est là, le motif essentiel de la dissolution. Il est là, l’enjeu de 1998. Il est immense.

Il s’agissait que, pour des échéances capitales, la France soit en ordre de bataille. L’alternative est désormais simple et claire : autour de la table où tout se décidera, voulons-nous un président et un Premier ministre qui parlent d’une seule voix, haut et fort ? Ou nous résignons-nous à avoir un président et un Premier ministre qui se contredisent, qui tirent à hue et à dia, qui se disputent la chaise réservée à la France ?

En votant pour Élisabeth Hubert, Monique Papon, Edouard Landrain, Étienne Garnier, Michel Hunault, Serge Poignant, Pierre Hériaud, vous ne choisirez pas seulement les meilleurs défenseurs possibles de ce département. Vous contribuerez à donner au président la majorité dont il a besoin pour porter la voix de la France.

Alors, je n’en doute pas : le 25 mai et le 1er juin, vous ferez en sorte que la Loire-Atlantique soit au rendez-vous de la France...


Discours à Epinal le 21 mai 1997

Merci d’abord à vous toutes et à tous. Merci pour votre présence si nombreuse et si chaleureuse...

Merci à ceux qui ont pu venir d’ailleurs que d’Épinal et de cette partie des Vosges, pour m’accompagner, m’entourer en ces instants. Comme pour témoigner que ce qui se passait ici dépassait peut-être les limites de cette circonscription...

Merci à Jean-Pierre Thomas, de m’avoir apporté le témoignage de son amitié, et celui, aussi, de l’union de la majorité...

Merci à tous ceux qui, ici, à Épinal et dans chacune des 82 autres communes de nos cinq cantons, m’ont apporté leur aide – et qui vont continuer de me l’apporter – tout au long d’une campagne qui, pour être brève, n’en est pas moins intense et éprouvante.

Merci tout particulièrement à Jean-Luc Cuny, une nouvelle fois à mes côtés. C’est chez lui samedi, à Dogneville, que j’irai mettre un terme à ce marathon et rendre l’hommage qui lui est dû pour la fidélité de son engagement...

Mesdames, Messieurs, chers amis,

Il est de tradition que nous nous donnions rendez-vous en ce chef-lieu, à quelques jours de chacune des grandes échéances.

C’est toujours le point d’orgue, c’est toujours le temps fort de cette période de dialogue et d’échange que constitue toute élection.

Au terme de nos rencontres précédentes, et à cinq reprises, déjà, vous m’avez accordé votre confiance. Je n’ai eu d’autre but que de m’en montrer digne... Je me suis efforcé de traduire vos aspirations, l’idée qu’ensemble nous nous faisions de la France. Et je n’ai eu de cesse de promouvoir, défendre, jour après jour, les intérêts des habitants, des associations, des collectivités, des entreprises de ces cantons de Châtel, d’Épinal, de Rambervillers, et de Xertigny, qui forment la première circonscription des Vosges...

Ma détermination, vous l’avez jugée à l’épreuve des faits. Et vous savez que vous pouvez compter sur moi pour continuer de donner le meilleur de moi-même.

Vous connaissez mes convictions. Tout simplement, parce que c’est ici, auprès de vous, que je les ai forgées. C’est ici, à Épinal et dans cette circonscription, que j’ai appris à peu près tout ce que je sais en politique. En observant. En vous écoutant. En étant au contact de la réalité quotidienne. En partageant les angoisses et les espoirs, les réussites et les échecs de chacune et chacun d’entre vous.

Oui, vous connaissez le sens de mon engagement. Vous savez que jamais je n’en ai dévié. Que jamais je n’en dévierai.

J’ai abordé cette nouvelle campagne avec humilité, mais aussi avec résolution et confiance.

C’est une circonscription où la partie n’a jamais été gagnée d’avance... Elle est difficile et exigeante, compte tenu de l’importance des mutations qu’elle vit...

Des mutations que connaît notre pays tout entier, mais qui ont ici une ampleur toute particulière...

Certes, nous avons encore bien du chemin à parcourir. Mais nous n’avons pas à rougir de celui que nous avons déjà accompli...

Nous en avons longuement parlé ensemble, ces dernières semaines.

Ensemble, nous nous sommes interrogés sur l’avenir...

Et, ensemble, nous sommes tombés d’accord sur quelques idées simples...

Sur la dissolution, tout d’abord. Puisqu’elle est à l’origine de ces élections anticipées... S’en est-on posé, en effet, des questions à propos de cette dissolution !!

Certains ont dit qu’il s’agissait d’une dissolution « de confort », quand on voit bien, pourtant, que tout cela ne sera une promenade de santé pour personne... Ne cédons pas, en conséquence, à la tentation d’organiser des défilés de la victoire avec remise de décorations, quand la bataille n’est pas encore terminée. Et ne nous laissons surtout pas prendre à la musique # que dis-je ! – à la cacophonie des sondages des jours passés... Ce n’est pas une élection présidentielle. Il y a – généralement – deux tours, il y a 577 circonscriptions, qui sont autant de cas particuliers. Aucune enquête d’opinion ne pourra mettre tout cela en équation...

Certains ont dénoncé dans la dissolution, je ne sais qu’elle « magouille », pour reprendre leur vocabulaire fleuri. Ils ont même poussé la bouffonnerie jusqu’à parler de « coup d’État » ... Tout cela est irrecevable...

Oh, je sais bien que quelques-unes des explications qui ont été données n’ont pas contribué à clarifier les choses... et ont accru la perplexité de beaucoup. Entre les deux ans écoulés, les dix mois qui restaient, les quarante jours à exploiter, ou les cinq années à venir, on avait quelque peine à s’y retrouver...

Je serais tenté de dire : peu importe. Ce qui compte, c’est le sens que nous-mêmes nous entendons donner à cette dissolution et à cette consultation.

Il est évident, tout d’abord, que cette dissolution suscite des questions, et des réflexions sur le devenir de nos institutions.

Les institutions, la République : ce sont des sujets qui nous sont chers, ici, dans les Vosges. C’est d’ailleurs pour cette raison que le général de Gaulle avait choisi Épinal, en 1946, pour y prononcer l’un de ses plus importants discours constitutionnels, dans ces Vosges dont il disait qu’on y avait toujours « pratiqué la vie publique avec ardeur et avec raison ».

Or, notre raison nous dit, me semble-t-il, que cette dissolution n’est pas sans conséquences.

Entendons-nous bien : il ne s’agit évidemment pas de critiquer la dissolution. Je la critique d’autant moins qu’il s’agit d’une prérogative constitutionnelle du Président de la République. Et qu’elle est indiscutable. Indiscutable au sens où on ne peut la discuter, au sens où elle n’a pas à être justifiée...

Il reste que c’est la première dissolution, dans l’histoire de notre régime, qui intervient hors de toute crise nationale – comme ce fut le cas en 1968 –, ou sans qu’il y ait eu opposition entre les orientations du Président de la République et celles de la majorité parlementaire – comme ce fut le cas en 1962, en 1981 ou en 1988...

Il y a sans doute là une inflexion de notre pratique constitutionnelle, ce qui n’a rien pour nous surprendre, d’ailleurs : les institutions sont une matière vivante, elles évoluent sans cesse, elles s’adaptent. Elles doivent évoluer. Elles doivent s’adapter...

Nous avons eu jusqu’ici, pour l’essentiel, une présidence qui arbitrait. Arbitrer, cela ne veut certes pas dire rester neutre, ne pas s’engager. Mais cela suppose une certaine distance. Dès lors que l’on poursuit une évolution vers une présidence qui s’implique plus directement dans le quotidien, voire dans le débat politique quotidien, la réflexion est donc légitime. Et si l’on veut éviter tout risque de déséquilibre ou de dysharmonie dans le fonctionnement de nos institutions, la seule réponse souhaitable est de renforcer encore les moyens dont dispose le Parlement pour exercer ses prérogatives. Pour continuer de bien gouverner, ou pour gouverner mieux.

Ce serait d’ailleurs poursuivre dans une voie où nous avons déjà beaucoup progressé, avec l’appui de Jacques Chirac. Après quatorze années de conservatisme socialiste, qui avaient presque momifié nos institutions...

C’est nous, en effet, qui avons produit le plus grand effort de rénovation dans ce domaine, depuis que fut décidé le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Vous savez combien je me suis personnellement dépensé pour cela.

Nous avons ainsi fait la session unique, qui permet au Parlement de siéger, de débattre, de contrôler à plein temps, et non plus seulement à mi-temps, comme il le faisait avant... Nous sommes loin du « cinéma sans film » que dénonçait récemment M. Le Pen – qui prend sans doute ses désirs pour des réalités...

Nous avons profondément amélioré les conditions de contrôle de l’action gouvernementale. Car le contrôle est bel et bien devenu la tâche majeure au Parlement. Contrôler l’action législative du gouvernement, c’est vital. Cela permet de vérifier son suivi, la façon dont la loi est appliquée, les résultats auxquels elle aboutit, les difficultés qu’elle suscite... bref de faire en sorte qu’elle traduise vraiment la volonté de la nation, et qu’elle réponde vraiment à ses attentes.

C’est dans le même esprit que nous avons revu l’organisation de nos débats, de façon à intervenir aussi en amont que possible, pour bien peser sur le choix de ses orientations par le Gouvernement... Nous en avons été les témoins, ici même, en recevant la mission parlementaire sur la réforme des armées. On peut aimer ou ne pas aimer le rendez-vous citoyen : force est bien de reconnaître que c’est le Parlement qui en aura imposé le principe.

Alors, il faudra sans doute aller encore plus loin. Qui, mieux que nous, pourrait le faire ? Les socialistes ? Comme toujours, ils sont en retard d’une guerre... ils en sont restés au « coup d’État permanent » ... Et pendant 14 ans, ils n’ont strictement rien fait pour changer les choses...

Je dis seulement que pour prétendre légitimement à de nouvelles prérogatives, le Parlement devra se donner les moyens de tirer tout le parti possible de celles qui lui sont déjà reconnues. Ce qui est loin d’être le cas. C’est tout le sens des propositions que j’ai moi-même formulées sur les cumuls. Là est l’une des clés de la réponse qu’attendent les Français à leur aspiration à être gouvernés autrement...

Il y a donc, c’est certain, des conséquences institutionnelles à tirer de l’événement lui-même... Nous en sommes tous conscients. Nous en sommes convenus. Mais nous devons dépasser les seules perspectives de la dissolution pour en venir à ce qui forme vraiment l’essentiel, l’enjeu capital, pour nous, de ces élections : les échéances européennes de 1998.

Car c’est alors que notre pays devra décider des conditions dans lesquelles il entrera dans la monnaie unique. C’est alors qu’il devra peser de tout son poids sur les réorientations nécessaires de la construction européenne.

J’ai été frappé de constater combien vous étiez conscients de l’importance de l’enjeu... Ceux qui ont tenu l’Europe à l’écart de la campagne auraient dû venir ici, ils auraient été frappés de la maturité de notre peuple...

Je me réjouis d’autant plus qu’hier soir, le Président de la République ait remis l’Europe au centre du débat...

Vous avez ainsi parfaitement compris qu’il ne s’agit pas, il ne s’agit plus de conclure un interminable processus technique, comme on l’a cru trop longtemps, qu’il ne s’agit plus seulement d’apporter une touche finale à un édifice si laborieusement conçu...

Vous avez compris que la perspective est toute autre. Elle est de donner à l’Europe un nouveau départ, une nouvelle impulsion. Pour qu’elle en finisse avec les erreurs du passé. Pour qu’elle retrouve la voie des vraies priorités. Et en particulier celle de l’emploi...

Car l’emploi, vous me l’avez dit et répété, à moi qui suis le plus convaincu de tous, l’emploi est plus que jamais votre préoccupation majeure...

Comment s’en étonner ?

Le chômage est à la racine de tout.

Nous le savons bien, dans les Vosges. Nous en voyons tous les jours les effets.

Bien sûr que le chômage n’explique pas, à lui seul, tous les maux de notre société. Ni la pauvreté et l’exclusion, ni le racisme, ni la perte des valeurs, ni la crise morale, ni même le divorce entre les citoyens et la politique ne sont vraiment des réalités nouvelles. Nous ne sommes pas naïfs.

Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur que prennent ces phénomènes, à cause du chômage. Ce qui est nouveau, c’est l’incapacité de notre société à les surmonter. À cause de ce cancer qui la ronge et qui affaiblit ses défenses.

Ce qui est nouveau aussi, c’est l’idée, qui s’est insinuée dans les esprits, que le progrès ne va plus de soi. Que la société dans laquelle nous vivrons demain, dans laquelle vivront nos enfants, ne sera pas forcément une société meilleure, mais pourrait être une société en régression, plus inégalitaire, avec moins de bien-être partagé.

Parce qu’on sent, plus ou moins confusément, qu’il y aura moins de travail... tout en étant conscient que le travail restera bien la valeur fondamentale de l’intégration sociale.

Non que notre société ait jusqu’ici été parfaite. Non que l’objectif républicain de l’égalité des chances n’ait jamais été pleinement atteint. Mais on avait au moins toujours l’impression que les choses allaient en s’améliorant. Tout simplement parce qu’on était convaincu d’avoir une action sur elles.

Aujourd’hui, les choses sont bien différentes. De nombreux Français estiment que la politique a perdu toute utilité, toute maîtrise sur les réalités. On leur a expliqué, il est vrai, par le passé, qu’on avait « tout essayé ». Et ils ont bien vu que les recettes traditionnelles ne marchaient pas : que le chômage continuait d’augmenter, inexorablement – un chômage de masse, de longue durée, sapant les bases mêmes de notre société. Ils ont vu aussi qu’un grand nombre des décisions qui les concernent n’étaient plus prises là où ils avaient l’habitude qu’elles le fussent. Que ceux qu’ils désignaient avaient de moins en moins de prise sur les choses... Et qu’à l’inverse, ceux qui décidaient échappaient à leur vue, à leur contrôle et, a fortiori, à leur sanction.

Alors ils se sont convaincus que notre démocratie tournait à vide, que toutes les politiques se valaient... et que changer d’équipe n’avait, de ce fait, plus d’importance, puisque le jeu était perdu d’avance.

Et cela donne des avertissements comme celui de la semaine dernière, où l’on apprend que près de 80 % des moins de trente ans estiment que les élections législatives représentent, je cite, « un choix entre deux camps politiques qui ne changera pas grand-chose ». Et pour le reste de nos compatriotes, tous âges confondus, c’est à peu près la même chose. Le point de vue des jeunes n’a guère qu’une singularité : il est seulement un peu plus sombre que la moyenne...

Cela veut sans doute dire que nous, les politiques, nous n’avons pas fait notre travail. Cela veut sans doute dire que nous n’avons pas été capables d’expliquer les vrais enjeux du débat actuel.

Pourtant, vous me l’avez entendu dire sans relâche : nous ne vivons pas une « crise » classique, comme on s’est obstiné pendant des années à le penser – une crise que le retour de la croissance devait suffire, à lui seul, à guérir, comme par enchantement... Nous vivons, à l’échelle mondiale, une mutation sans précédent. Une mutation qui affecte notre système capitaliste, et que nous n’avons pas vu venir assez tôt, obsédés que nous étions par l’effondrement du vieil adversaire communiste...

Or, je persiste à penser que rien n’est perdu. Que notre pays est bourré d’atouts. Qu’il possède un avenir, pour peu que nous soyons décidés à le prendre en mains. Et que tout n’a pas été essayé, loin de là, contre le chômage... qu’il y a au contraire bien des solutions à explorer. Et que nous aurions tort de nous contenter de demi-certitudes.

Regardez ce que nous avons fait, à Épinal et dans les Vosges, depuis vingt ans !

Nous n’avons pas attendu d’entr’apercevoir un quelconque « bout du tunnel ». Nous avons agi, nous avons agi sur le terrain. Pour désenclaver. Pour former toujours plus et mieux. Pour moderniser, évoluer...

Nous sommes d’autant mieux placés pour comprendre que les Français ont raison, et bien raison, de mettre l’emploi au cœur de tout.

Mais nous sommes parvenus aussi à la conviction que l’Europe est dans ce domaine une clé majeure. Une clé qui n’a pas encore été utilisée ou si mal ! Et que rien de durable ne se fera sans elle.

Au plan national, c’est un fait, nous n’avons plus suffisamment de prise sur les choses. Les défis auxquels nous sommes confrontés sont désormais trop immenses pour que nous puissions les relever seuls.

Nous pouvons en revanche y faire face, solidairement, avec les autres pays européens.

C’est pourquoi, comme l’a si bien dit Jacques Chirac, l’Europe est notre chance. C’est pourquoi la lutte contre le chômage est indissociable de la réalisation du grand projet européen.

Je le dis sans complexe aucun. Et notamment à l’intention des socialistes qui ont le culot de venir nous donner des leçons. À moi, en particulier...

Contrairement à ce qu’ils voudraient nous faire croire, et d’autres avec eux... je ne me suis pas renié. Pas plus que je ne suis tiraillé entre des positions contradictoires...

Tout le monde sait – et on le sait bien, ici, dans les Vosges – que je me suis battu contre la ratification du Traité de Maastricht. Si je l’ai fait, ce n’est pas parce que j’étais contre l’Europe – pas plus, en réalité, que n’était contre l’Europe cette presque moitié des Français qui a voté « non ». C’est parce que j’avais le sentiment que ce traité était mal conçu et mal rédigé et qu’il risquait, précisément, de mener dans bien des impasses le grand projet européen. Et puis, disons-le tout net, puisque M. Jospin vient de le découvrir : il ignorait l’emploi, qu’il laissait aimablement à la discrétion des politiques nationales – ce qu’on appelle pudiquement la « subsidiarité ». Et il faisait de la monnaie unique une fin en soi, sans dire clairement à quoi elle nous servirait-, notamment pour lutter contre le chômage.

Il se trouve que les Français ont voté. Que le traité a été ratifié en l’état. Et il ne sert à rien de réclamer un référendum, qui a déjà eu lieu... C’est se tromper de combat ! Mais cela ne veut pas dire que le traité ne peut être interprété, voire amendé, précisé, complété... qu’importe la terminologie ! L’essentiel, c’est de corriger les erreurs d’approche initiales. Pour qu’en 1998 l’Europe reparte d’un bon pied.

C’est cela que viennent enfin de comprendre les socialistes. Et maintenant, ils en rajoutent, pour faire oublier qu’ils sont des convertis de fraîche date. Et ils viennent reprocher au gouvernement de mettre en œuvre ce qu’eux-mêmes avaient négocié, décidé, ratifié... Décidément, ils ne reculent devant rien. J’ai été stupéfait d’entendre M. Jospin déclarer, hier soir, en gros, qu’une cohabitation ne poserait aucun problème puisque Chirac, moi-même, désormais, nous pensions comme lui ! Qu’il nous avait convaincus... Qu’il nous avait convaincus qu’il fallait changer l’Europe. Lui qui partage la responsabilité de l’état dans lequel elle se trouve !

Mais laissons de côté tout cela, et regardons les choses en face. Avec sang-froid. En personnes raisonnables – nous qui ne nous sommes jamais reniés.

La monnaie unique est devant nous.

Il faut la faire.

Pas pour elle-même, bien sûr.

Mais parce qu’elle peut être un atout.

Cela ne veut pas dire que nous devions nous résigner définitivement à un système européen de banque centrale dont le seul objectif serait de maintenir la stabilité des prix... alors qu’il doit être aussi, alors qu’il doit être surtout de favoriser les conditions de la croissance et de l’emploi – savez-vous que c’est la mission première de la Banque fédérale américaine : nous ne pouvons tout de même pas faire moins ! Nous ne ferons pas moins.

Hier, dans son texte, pourtant bref, sur l’Europe, le Président de la République, a utilisé cinq fois le mot « emploi ».

Personne n’a semblé le remarquer. Alors, moi, je vous le dis !

Qui pourrait encore douter qu’à ses yeux les deux problèmes – l’Europe et l’emploi – sont bel et bien liés ?

Qui pourrait croire qu’il ne va pas se battre pour mettre l’Europe, désormais, au service de l’emploi ?

Cela ne veut pas dire non plus que nous devions nous résigner à faire la monnaie unique, et donc l’Europe elle-même, à cercle restreint, comme s’il y avait de bons et de mauvais élèves, comme s’il s’agissait de ramasser les copies à la fin de la classe en appliquant un barème fixé au dixième de point...

L’Italie, pays fondateur de la communauté, l’Espagne, le Portugal, doivent participer au mouvement. Veut-on que l’Europe se réduise à un club de riches, quand sa vocation est d’être une grande Europe unie, avec ses forces et avec ses faiblesses, une Europe solidaire, pacifique, prospère – et prospère parce que, précisément, solidaire et pacifique ?

L’Europe que nous voulons est une Europe qui marche sur ses deux jambes, qui prenne en compte pleinement la Méditerranée, c’est-à-dire, toute une dimension de son Histoire, toute une dimension de son avenir, toute une dimension d’elle-même.

Sans parler des nouveaux chômeurs que nous éviterons ainsi – nous sommes bien placés dans les Vosges pour le savoir. Car, il faut éviter par-dessus tout, en faisant la monnaie unique, d’institutionnaliser un décrochage avec les pays du Sud de l’Europe, qui se traduirait chez nous par de nouvelles destructions massives d’emplois, à coup de dévaluations compétitives. Nous connaissons, nous avons déjà donné...

Il n’est donc que temps de prendre l’échéance de la monnaie unique pour ce qu’elle est vraiment : une chance ultime qui nous est donnée de tout remettre à plat. De prendre un nouveau départ.

En faisant de cette monnaie la traduction d’une volonté politique. Une volonté qui s’incarne dans un projet.

Un projet qui devra être conforme aux valeurs dans lesquelles nous croyons, en France et en Europe, valeurs qui s’inscrivent dans notre culture, dans notre vision rie l’Homme, et dont j’ai la faiblesse de croire qu’elles conservent toute leur vigueur.

Ces valeurs, ce sont notamment celles de l’égalité des chances et de la solidarité. La solidarité, qui trouve son premier cadre d’expression naturel dans chacune des nations européennes. La solidarité est la plus ancienne de nos valeurs européennes. Elle a connu une nouvelle ampleur après 1945, avec l’apparition des grands systèmes de protection sociale... des systèmes aujourd’hui en crise. Des systèmes qui doivent être réformés, dans un contexte d’autant plus difficile que le poids du chômage réduit nos marges de manœuvre.

Mais réformer ne veut pas dire détruire, ou laisser se déliter. Nous sommes attachés à notre conception du libéralisme. Et c’est cette conception que nous devons faire prévaloir à l’échelle de l’Europe. D’autant que nous la partageons avec de nombreux européens...

Cette conception, elle est simple. Et je ne l’ai pas découverte pour les besoins de la campagne... Je l’exposais déjà, mot à mot, avant 1986, quand il s’agissait, rappelez-vous, de « Réussir l’alternance ». Je l’indique à certains éditorialistes. C’est encore disponible dans les bonnes librairies. En tout cas à Épinal...

Nous croyons dans le libéralisme parce qu’il n’existe pas, à nos yeux, de système économique qui garantisse mieux l’innovation, l’émulation, le développement, et en fin de compte les conditions du progrès... et parce qu’il est juste que ceux qui osent, ceux qui créent, ceux qui innovent, soient encouragés et récompensés.

Mais ce libéralisme n’a pour nous de sens et de légitimité que s’il assure l’égalité des chances, sans laquelle il n’est pas de société d’émulation qui soit viable ; que s’il est tempéré par un système de protection sociale aussi complet et équitable que possible ; que s’il est corrigé par le rôle d’impulsion de l’État, rôle d’autant plus important dans des périodes comme celle que nous vivons...

C’est dire que ce libéralisme-là n’a rien à voir avec cette version « ultra-libérale » dont on nous rebat les oreilles, et qui, prétend-on, devrait libérer les énergies de leurs carcans...

L’ultralibéralisme, c’est la négation même du vrai libéralisme. C’est la liberté sans sa valeur sociale. C’est un égoïsme qui détruit la cohésion de la société, et qui donc à terme, se condamne lui-même. En voulez-vous un exemple ? Nous en avons de tout proches...

Lorsque la direction d’une entreprise, confrontée à une situation momentanément difficile, a décidé tout bonnement, comme ça, qu’il fallait tout lâcher. Lorsqu’elle rejette les solutions de redémarrage, largement soutenues pourtant par les pouvoirs publics alors même qu’on se trouve à la veille de réaliser un important projet d’agrandissement... Lorsqu’on met en balance de confortables primes d’assurances avec le sort des salariés qui croyaient aux promesses d’un nouveau départ... Et ce, je le répète, malgré les propositions d’aides multiples, malgré les efforts de la préfecture, malgré les réunions avec le personnel, malgré les courriers, malgré les coups de téléphone... Oui, nous avons un exemple tout frais de ce que ne doit pas être le libéralisme, tout près d’ici...

L’exemple à ne pas suivre.

Non, décidément, ce n’est pas cela, notre modèle social.

Alors, nous devons le dire, clairement et fermement. Nous devons le dire pour la France. Nous devons le dire pour l’Europe.

C’est pour cela que nous devons produire, à l’échelle du continent, un puissant effort, de volonté et d’imagination, qui nous permette de moderniser en profondeur nos systèmes sociaux, afin de mieux préserver leurs acquis fondamentaux.

C’est cela, et rien d’autre, l’Europe sociale. L’Europe sociale, ce n’est pas un volet parmi d’autres de la construction européenne. Un enjoliveur qu’on rajoute, histoire d’épater... ou de rassurer ! L’Europe sera sociale ou elle ne sera pas. Et elle devra l’être pour tous. Avec les mêmes règles du jeu pour tout le monde.

Oui, nous devons affirmer sans hésiter que l’Europe doit se construire autour d’un vrai modèle de société, un modèle qu’il lui appartient de promouvoir dans un esprit de compétition pacifique, mais ferme, avec d’autres approches de l’économie de marché – l’approche américaine, l’approche japonaise, qui ont peut-être leurs vertus, mais qui n’obéissent, ni aux mêmes valeurs, ni aux mêmes finalités que les nôtres.

J’ajouterai que ce modèle, ce projet, l’Europe doit être capable de l’incarner sur la scène mondiale. Parce que dans le monde instable, privé de repères idéologiques, qui a émergé de la guerre froide, elle est un élément d’équilibre indispensable.

C’est un rôle qu’elle n’a pas encore décidé clairement d’assumer...

Là encore, il n’est que temps. Là encore, la monnaie unique peut en fournir l’occasion. Elle doit être un levier d’action contre le chômage. Mais elle doit être plus encore : un instrument de puissance et d’expansion pour le continent. Comme le dollar. Mais qui nous fera croire que le dollar est une monnaie forte, uniquement parce qu’il exprime l’état de l’économie américaine ? Le dollar exprime l’état de la puissance des États-Unis dans toutes ses composantes – politique, économique, militaire. Un point c’est tout. Tant que nous ne serons pas décidés à construire une Europe qui pèse, qui compte, qui s’exprime haut et fort, le reste ne servira pas à grand-chose...

Oui les réponses aux défis que nous avons à relever sont bien, largement, des réponses européennes. Et voilà qui donne tout leur sens à ces élections.

Ici, dans notre circonscription, vieille terre agricole, vieille terre industrielle, nous savons bien quelles sont ces difficultés. Nous n’avons pas besoin de grandes théories, ni de cours magistraux sur la « mondialisation ».

Car les mutations, nous connaissons...

En vingt ans, nous en avons vécu, des situations délicates ou pénibles. Et nous en avons appris, des choses, ensemble. Nous avons appris que si l’on ne veut pas subir, eh bien il faut tout simplement maîtriser... C’est d’autant plus vrai que la civilisation nouvelle qui émerge, et qu’on nous décrit de toute part, s’imposera en tout état de cause. Et qu’il nous faut donc réagir, anticiper.

Alors, les mutations, nous essayons déjà de les accompagner, de les prévenir. Et avec des résultats. Sans attendre l’Europe, même si c’est d’elle, encore une fois, que viendront les réponses durables...

Parce que nous gardons confiance. Parce que nous savons que notre région est une région qui compte.

Parce que nous avons appris qu’il ne faut jamais baisser les bras, jamais se résigner. Ce n’est d’ailleurs pas dans le tempérament vosgien. Ce tempérament, que le passé et ses épreuves ont contribué à endurcir...

Nous avons fort bien compris l’originalité de la période que nous vivons, de cette révolution technique et industrielle qui ne ressemble à aucune autre, et qui se caractérise par deux phénomènes qui s’alimentent mutuellement.

Le premier de ces phénomènes, c’est l’explosion technologique. Elle se traduit par une progression vertigineuse des capacités de productivité, et par la montée de ce qu’on appelle la civilisation de l’information. Et elle pose en termes radicalement nouveaux le problème du rapport au travail.

Le second phénomène, c’est la libération généralisée des échanges, qui met en compétition des systèmes économiques et sociaux différents, et entraîne, peu à peu, une relocalisation des activités, qui, pour nous, se traduit malheureusement par des délocalisations...

Ces deux mouvements sont indissociables... Nous vivons désormais en temps réel et à l’échelle du monde...

Les effets les plus violents jouent évidemment dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale.

Pour le constater, nous n’avons pas besoin d’aller bien loin... pour comprendre, il suffit d’aller voir nos tissages, nos filatures, NSI ! Pour comprendre ce qu’est l’évolution technologique. Ce qu’est la libération des échanges...

Oui, nous avons bien des exemples, dans les Vosges, avec l’industrie papetière et cartonnière, avec les activités de la filière bois, le BTP, la métallurgie. Mais, c’est bien le textile qui est le plus directement touché. C’est bien l’ensemble de cette filière qui, depuis longtemps, connaît une situation critique.

C’est pourtant une de nos plus vieilles activités manufacturières, une de celles qui ont contribué à forger notre identité culturelle.

Mais, il se trouve que le textile est, par excellence, une industrie de main-d’œuvre, particulièrement menacée par la concurrence des nouveaux pays industrialisés – où le coût du travail est très inférieur. Songez qu’il peut être jusqu’à 70 fois inférieur !

Des efforts importants de restructuration et de modernisation ont été accomplis chez nous ces dernières années. Ils n’ont pas toujours suffi. À moins d’engager une course sans fin à la baisse du coût du travail – qui serait à la fois socialement insupportable et irrémédiablement vouée à l’échec – car, jamais nous ne « rattraperons » des pays comme le Pakistan, l’Inde ou le Sri Lanka...

Alors, il faut réagir autrement, et ne pas nous laisser entraîner dans cette spirale infernale.

Une chose est certaine, et il est indispensable de la comprendre, où que nous soyons : ce n’est pas seulement l’insuffisance de travail qui explique notre situation actuelle. C’est la crise de la notion même de travail qui fait que la société de demain devra être fondée sur des équilibres nouveaux. Et ce sont des cadres neufs, divers et souples, qu’il nous faudra imaginer pour fédérer l’ensemble des énergies.

Elle est là, la nouvelle donne.

C’est pourquoi, dans l’immédiat, et tout en préparant l’avenir, le combat contre le chômage doit être un combat total, sans merci, de tous les instants. Comme nous le faisons dans les Vosges. Il doit engager toutes les ressources dont nous disposons. Les leviers économiques, mais aussi tous les autres.

Là où nous pouvons agir le plus directement, c’est dans les secteurs qui restent relativement protégés de la concurrence extérieure.

En créant, tout d’abord, des conditions plus favorables à l’emploi. Et cela, nous pouvons le faire au plan national. Il faut poursuivre la réforme en profondeur du financement de la Sécurité sociale. Nous avons un système absurde : un système qui taxe surtout le travail. Résultat : on s’obstine à substituer du capital – autrement dit des machines – au travail – c’est-à-dire, des hommes et des femmes. Et on le fait là même où ce n’est pas nécessaire, là où cela se traduit, comble de l’absurdité, par une baisse de la qualité du service rendu. Quant à celles et ceux qui se retrouvent ainsi au chômage, il faudra évidemment les indemniser – si bien que la collectivité aura perdu sur toute la ligne. Et cela vaut plus encore pour nos exportations, pour lesquelles nos entreprises partent avec un lourd handicap. Il faut donc réformer de fond en comble ce système de financement, qui est contre-productif.

En explorant ensuite le potentiel considérable de tous les besoins sociaux qui ne sont pas, satisfaits par le jeu spontané du marché. Je pense à ces gisements d’emplois que représentent les services que l’on peut qualifier de « non-marchands ». Il s’agit, pour beaucoup, de services de proximité, dont les besoins sont ressentis aussi bien dans les villes que dans les zones rurales. Ils concernent les plus jeunes ou les plus âgés, les activités périscolaires, les transports, l’environnement, bref notre vie collective dans ses aspects les plus quotidiens.

Entendons-nous bien... il n’est nullement question de ressusciter sous d’autres noms les « petits boulots » sans lendemain, qui servent habituellement à habiller les statistiques du chômage. Ce sont bien de vrais métiers qui sont en cause. Mais pour apparaître, puis pour se développer, ils ont besoin, au début du moins, du soutien actif des pouvoirs publics.

De nombreuses expériences ont déjà été tentées localement. Et notamment dans les Vosges. Elles n’auraient sans doute pas abouti sans le soutien actif des entreprises et des associations qui œuvrent dans le domaine de l’insertion. Nous en avons un exemple particulièrement fort avec IDEES 88, qui, en un peu plus d’un an, a déjà réussi à monter des actions, notamment dans le domaine du bâtiment et des espaces verts, et devrait atteindre rapidement ses premiers objectifs en termes d’emplois d’insertion. La force de telles initiatives est de savoir s’adapter au terrain, d’identifier ses faiblesses, puis de déceler ses forces pour mieux les exploiter ensuite. Il y a aussi les associations intermédiaires, qui font un travail formidable. Je pense, par exemple, à Emploi-Services, association pionnière qui achevait encore, il y a peu, une formation qualifiante pour une trentaine de femmes privées d’emploi. Je pense à Renouveau, à tant d’autres... Toutes ces associations font en sorte que l’intégration dans le monde du travail ne soit pas simplement une solution d’attente, mais une réalité, une réalité vécue pour des hommes et des femmes, menacés par la précarité.

C’est cela la lutte, la lutte concrète contre l’exclusion.

Nos associations travaillent en concertation constante avec les collectivités locales et les services de l’État. Il y a aussi le comité de bassin d’emploi, le pôle des métiers, les pépinières d’entreprises, dont l’objectif premier est de fédérer les efforts de tous. De tous ceux qui ne se posent pas de questions métaphysiques. De tous ceux qui ne se demandent pas si tous ces projets sont conformes ou non aux canons de la vulgate néo-libérale. De tous ceux dont la seule préoccupation est d’agir, de venir en aide aux autres. Je me réjouis, en tant que député, d’avoir toujours pu compter sur leur entière mobilisation.

Mais ce n’est pas tout. Nous pouvons agir aussi dans les secteurs les plus directement exposés à la concurrence internationale.

Certes, on ne peut pas toujours éviter les mutations, les restructurations industrielles... On ne peut pas toujours faire de miracle. Mais, si on se refuse à baisser les bras, si on se décide à réunir toutes les énergies, qu’elles soient publiques ou privées, on peut du moins en atténuer les effets, et chercher, inlassablement, des solutions de reprise pour les sociétés en difficulté.

Nous l’avons fait, lorsque 95 salariés d’Épinal se retrouvaient à la rue, au mois de janvier dernier, à la suite de la liquidation judiciaire de leur entreprise. Nous avons mis en place une cellule de reclassement, nous avons inventorié toutes les possibilités de reprise des salariés dans d’autres emplois. Et si nous avons pu obtenir des résultats, ce n’est pas sans raison. C’est parce que tout le monde s’y est mis : les représentants du personnel, les services de l’État, la mairie... C’est aussi parce que le savoir-faire du personnel était reconnu dans toute la profession, et que la production de l’entreprise était réputée pour sa qualité.

Même chose pour telle autre entreprise, à Rambervillers, lorsqu’il a fallu chercher des repreneurs, puis les convaincre de réembaucher un nombre de salariés supérieur à l’effectif initialement envisagé. Les salariés supplémentaires ont été placés en formation, pour qu’ils puissent s’adapter aux nouveaux marchés visés par l’entreprise. Tout n’était donc pas perdu. Parce que, là encore, il y avait une volonté. Et un réflexe de solidarité.

Et, encore et toujours, un savoir-faire...

Car, ce qui est vrai ici peut l’être à plus grande échelle, si l’on y met les moyens, la volonté nécessaire. Une politique audacieuse peut permettre de sauver les grandes filières industrielles de pays comme le nôtre, et leur éviter de devenir de vastes espaces de services où l’on ne consommerait que des produits exclusivement fabriqués ailleurs.

Pour rester compétitifs, il faut certes ne pas hésiter à afficher d’abord un certain nombre de règles en matière de commerce extérieur, qui nous assurent de ne pas envoyer nos entreprises à la boucherie, comme cela a été le cas pour Vilvoorde.

Mais il faut aussi agir sur d’autres facteurs que le seul coût du travail : sur la valeur ajoutée, sur l’expérience, sur la qualité, sur la bonne adaptation du produit à la demande. Ils sont là, nos meilleurs atouts. Nos économies, contrairement à une idée trop répandue, ne sont pas affligées d’une faiblesse congénitale. L’énergie de nos entrepreneurs doit relever les vrais défis, qui sont la clé de l’économie de marché.

L’innovation est à cet égard une source essentielle d’impulsion, comme le montre le redressement en cours de la filière bois dans les Vosges, dû en particulier à une excellente articulation – une véritable symbiose – entre l’enseignement, la recherche et l’industrie. L’exemple de l’ENSTIB est édifiant... On voit ce que peut donner un enseignement novateur, en prise permanente sur l’évolution des techniques, et sur celle des besoins du consommateur. Et cette réussite est d’autant plus remarquable qu’elle est fondée sur l’exploitation et la mise en valeur du plus traditionnel des matériaux, le bois. L’aventure de l’ENSTIB est, à cet égard, indissociable de celle du CRITT-Bois, qui en est à la fois l’émanation et le complément nécessaire.

Comment douter, dès lors, de l’utilité de l’investissement collectif de la Nation dans le domaine de la recherche, de l’éducation, de la formation ? Comment douter de l’importance de la créativité – le meilleur des gages de la compétitivité des entreprises, et de leur capacité à être présentes avec succès sur les marchés internationaux ?

L’exemple des Vosges, et plus généralement celui de la Lorraine, montrent que lorsque l’on refuse de subir la logique prétendument inéluctable du déclin, lorsque l’on sait tirer parti de ses atouts, de l’excellence des savoir-faire accumulés depuis des générations, lorsque l’on sait valoriser son potentiel scientifique, la régression, alors, n’est plus une fatalité.

Et il n’y a pas que l’industrie. Le respect de la qualité, le sens de l’innovation, la maîtrise des techniques nouvelles, sont aussi les meilleurs atouts de notre agriculture, comme le montre le dynamisme de l’élevage vosgien, qui a su réagir contre les dérèglements symbolisés par la crise de la vache folle.

Oui, j’en suis convaincu, tous ces exemples le montrent, nous pouvons maîtriser les choses. À force de volonté. Nous avons commencé de le prouver, ici, dans les Vosges. Il faut faire de même à l’échelle de la Nation. Et plus encore à l’échelle de l’Europe.

Tout nous conduit à vouloir continuer ensemble.

J’y suis prêt.

Je suis prêt à défendre plus que jamais cette circonscription.

Je suis prêt, plus que jamais, à défendre, à porter, sur le plan national, ces convictions que nous partageons.

Sous quelle forme, et dans quel cadre, le problème n’est pas là, pour l’instant... Peu importe les humeurs et les rumeurs, les calculs et les sondages, les estimations et les supputations !... Ce ne sont que des contre-sens... et des calembredaines...

Il faut bien s’entendre sur le sens de ces élections. Il ne s’agit pas d’élire, comme on finirait par le croire, un Premier ministre au suffrage universel. Il s’agit de tout autre chose, de quatre autre choses.

Il s’agit d’abord – et je le répète à dessein – d’élire 577 députés, dans 577 circonscriptions. Et celle-ci est une circonscription, parmi 577. Même si, c’est vrai, celle-ci sera suivie avec une attention particulière... Ce qui nous donne la mesure de notre responsabilité...

Il s’agit ensuite de dégager une majorité. Une majorité sur la base de laquelle le Président de la République désignera un Premier ministre. C’est sa compétence. C’est son choix. Ils n’appartiennent qu’à lui. Bien fol serait celui qui chercherait à lui forcer la main...

Il s’agit encore de constituer une assemblée qui va avoir un rôle propre à jouer. Car, il n’y a pas que le Gouvernement qui compte. Si on désigne des députés, ça n’est pas seulement pour les compter et les classer... en attendant le coup d’après... C’est pour qu’ils légifèrent, pour qu’ils contrôlent, pour qu’ils débattent. Pour qu’ils aient une vie propre. Et qu’ils comblent, par leurs initiatives, leur vigilance, leur capacité d’écoute et d’expression ce fossé qui se creuse si dangereusement entre les citoyens et la chose publique...

Il s’agit enfin de permettre au pays de dire ce qu’il a à dire... Car toute élection, au-delà de ses résultats bruts, est l’occasion pour les Français de faire passer un message, leur message. C’est cela qu’a voulu le Président de la République. À nous de faire en sorte que ce message soit clair et fort...

En tout état de cause, demain comme hier, j’entends pour ma part me situer résolument dans la grande tradition des Vosgiens qui ont pris part à la vie politique nationale. Quand ils y sont allés... ça n’a jamais été pour faire de la figuration !

Donc, continuons ensemble...

Parmi mes adversaires, il en est qui disent, paraît-il, que vingt ans – dix-neuf pour être plus exact –, c’est trop. Trop, pourquoi, on ne sait pas. Les électeurs ne semblent pas le savoir davantage, puisqu’ils se sont obstinés, jusque-là, à me faire confiance... J’ai la faiblesse de croire que ce qui compte, c’est ce qu’on a fait, et ce qu’on propose de faire. Sur ces deux plans, je n’ai pas à rougir de la comparaison. Mais nul ne songe à s’y aventurer...

Et puis, il y a les dinosaures... Mon infatigable adversaire socialiste – parce que, contrairement à ce qu’il veut laisser croire, ça n’est quand même pas un poulet de l’année ! – mon infatigable adversaire socialiste s’est fait le champion d’une vaste croisade : le rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement. Il est le seul en France. Vous pouvez le vérifier tous les jours. On se distingue comme on peut. Ça c’est vraiment une idée à lui. Il est vrai qu’à défaut d’analyser des faits, il brandit des symboles. En oubliant que lorsqu’elle existait, l’autorisation administrative de licenciement n’a jamais empêché... les licenciements. Et, qu’à l’inverse, sa suppression a été assortie de nouveaux dispositifs imposant les plans sociaux, permettant un contrôle a posteriori autrement plus efficace et réaliste. Comme nous venons de le voir, tout près d’ici, à Rupt-sur-Moselle... Le plan de licenciement a bel et bien été rejeté par les pouvoirs publics, à la suite d’un examen approfondi. Et d’ailleurs, l’autorisation administrative de licenciement, on la regrette si peu que les socialistes eux-mêmes n’ont pas cru bon de la rétablir, entre 1988 et 1993...

Si c’est cela, le rempart que mon adversaire se propose de dresser contre les effets les plus dangereux de la mondialisation, je me dis qu’avec lui nous serions sacrément protégés... Ce n’est plus la World Company, c’est Jurassic Park. Cela vaut bien, il est vrai, les 700 000 emplois que ses amis nous promettent par ailleurs, comme ça, tout de suite, franco de port... sans augmentation d’impôts, par génération spontanée... il est vrai qu’ils restent en deçà du million d’emplois promis par M. Mitterrand en 1981. C’est sans doute cela, le sens du réel, acquis grâce à l’expérience gouvernementale... C’est comme les 35 heures payées 39 qu’on nous promet. Et puis voilà, maintenant, qu’on vient nous dire que non, décidément, la monnaie unique, l’Europe, il faut revoir tout ça... après nous avoir ressassé qu’ils étaient notre horizon indépassable...

Non, décidément, tout cela n’est pas sérieux... Ces gens ne sont pas sérieux. Et dans les Vosges, c’est un comportement qui ne passe pas... Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie.

J’ai été très frappé par un sondage récent organisé par la presse locale. Il portait sur l’état d’esprit de nos concitoyens dans les principales municipalités vosgiennes. Je me souviens des résultats, notamment pour Épinal. Mais le plus important n’est pas là. L’important, c’est que les habitants des Vosges ont le sentiment d’appartenir à une même communauté de destin, au sein de cette plus vaste communauté qu’est la nation toute entière. Ils sont bien dans leur peau, solidement installés dans leur environnement. Ils n’aiment pas qu’on leur raconte des histoires. Ils ont confiance dans l’avenir –  même lorsqu’il s’agit de l’emploi. Ils savent se prendre en charge, parce qu’ils ont une certaine fierté d’eux-mêmes, fierté de ce qu’ils ont su faire, fierté de ce qu’ils veulent continuer de faire ensemble. Bref, ils ont une volonté.

Car, oui, ici, dans les Vosges, nous avons les pieds sur terre.

Oui, nous nous obstinons à considérer l’avenir avec confiance.

L’heure de vérité est venue. Alors, nous n’allons pas nous défiler. Nous n’allons pas nous réfugier derrière notre petit doigt. Ce n’est pas notre style.

Nous allons dire, nous allons dire clairement, quelle France nous voulons. Pas la France déboussolée, sans ambition, ouverte à tous les vents, pour laquelle les socialistes ont tant travaillé et sont prêts à travailler encore, avec l’efficacité qu’on leur connaît...

Mais une France engagée résolument dans l’Europe. Dans une Europe démocratique, proche des peuples, qui mette l’emploi au cœur de tout, et qui sache être elle-même, à la hauteur de sa civilisation, pour elle et pour le reste du monde.

Une France qui continue d’exister pleinement comme nation, c’est-à-dire, comme une démocratie solidaire, et non comme le reliquat subsidiaire d’un ensemble plus vaste et anonyme. Une France où personne ne soit laissé pour compte. Une France où les régions s’épaulent. Une France qui n’oublie pas sa dimension rurale, sans laquelle elle ne saurait garder son équilibre et sa vigueur.

Une France dotée d’institutions modernes, qui soit une terre de citoyenneté et de liberté, et qui soit à nouveau une référence pour les autres.

Une France qui fasse de l’égalité des chances sa priorité absolue. C’est la base même de notre grand projet républicain tel qu’un Vosgien illustre l’a défini, il y a plus de cent ans. Il s’appelait Jules Ferry. Ce discours-là est ancien : mais il n’est pas démodé. Il l’est d’autant moins que cet objectif, non seulement nous ne l’avons pas pleinement atteint, mais en plus il n’a jamais été aussi menacé.

Et cet objectif concerne au premier chef l’école. L’école, si injustement attaquée, à qui l’on reproche d’être la source de toutes nos difficultés alors qu’elle n’en est que le point de convergence. L’école, qui n’a pas besoin de ces grandes réformes fracassantes dont les socialistes se sont fait, plus que les autres, une spécialité, et qui ne demande qu’une chose : qu’on lui rende ce qui lui est dû.

Nous en savons quelque chose. C’est nous qui avons montré la voie en matière d’aménagement des rythmes scolaires, une innovation que l’on a crue, bien à tort, secondaire, alors que, inscrite dans le cadre d’un vrai projet pédagogique, elle est l’un des instruments les plus efficaces de l’égalité des chances et de la lutte contre l’exclusion : elle répartit mieux l’effort, et combat ainsi l’échec scolaire ; elle développe les potentialités de l’enfant ; elle favorise son insertion sociale et son intégration dans la ville ; elle rend gratuites, et réellement accessibles à tous, les activités périscolaires...

Et l’égalité des chances, c’est encore l’égal accès à la culture, cette pseudo-priorité des deux septennats mitterrandiens..., Nous n’avons pas attendu les effets de cette « politique », ici, dans les Vosges – d’ailleurs, ce sont surtout les beaux quartiers de la capitale, qui n’en demandaient pas tant, qui en ont profité... Nous avons été des pionniers dans le domaine du câble. Nous avons créé notre propre télévision, notre chaîne de proximité : cela fait sept ans qu’elle fonctionne, avec ses propres moyens, alors que tant d’autres ont échoué ou avorté ailleurs... Nous avons développé nos créations théâtrales, musicales... Bref, nous avons fait preuve, toujours, du même volontarisme.

Et c’est au nom de ce volontarisme que nous aspirons à une France qui se donne les moyens d’offrir une activité à tous, à une France où le citoyen se sente en sécurité, mais qui, en même temps, sache se montrer ouverte et accueillante aux autres, avec honnêteté et réalisme, sans céder à de vieux démons qui ne sont pas dignes de nous, ni de notre passé.

Enfin, nous voulons une France qui innove, qui invente et qui crée... au lieu de gémir et de se complaire dans l’autodénigrement, qui n’est que l’antichambre de la soumission et de la résignation.

Oui, voilà la France que nous voulons, ici, dans les Vosges. Cette France qui doit se mettre en ordre de bataille pour 1998. Autour de Jacques Chirac, avec un gouvernement solide, une majorité soudée, tous tendus vers un même but : faire entendre, haut et fort, la voix de la France en Europe.

Alors, je vous en prie, au cours de ces tout derniers jours, dites-le, répétez-le autour de vous : il ne faut surtout pas céder à la propagande misérable de mes adversaires, qui vont partout répétant : de toute façon, Séguin sera élu... alors, vous ne risquez rien à voter FN ou socialiste au premier tour, si vous voulez marquer – aux autres – votre réprobation...

La voilà leur grande ambition : obtenir un ballottage. Faire en sorte que cette circonscription n’ait pas de député dès le 25 mai, mais qu’elle doive attendre le 1er juin... En réalité, nos candidats locaux sont en service commandé... Leurs états-majors tremblent à l’idée que, du 25 au 1er, je puisse aller ailleurs, porter la bonne parole, et faire du dégât, là où ils pensaient être tranquilles...

Alors, non, il ne faut pas les écouter...

Il faut voter, faire voter, dès le premier tour. Ce n’est pas seulement cette circonscription que nous devons gagner. C’est la victoire de la France que nous devons contribuer à assurer...

Une fois de plus, amis, nous avons ensemble un grand rendez-vous.

Et ce rendez-vous, vous et moi, nous y serons...