Texte intégral
À l’heure de la construction européenne, il était urgent que la France se dote d’instruments qui redonnent à l’aménagement du territoire une place centrale. Les nombreuses réflexions que la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) a conduites et le grand débat sur l’aménagement du territoire ont montré que, si nous voulons une Europe qui ne soit pas soumise à l’hégémonie d’une économie globale de marché aux règles implacables, il nous faut repenser nos territoires, les adapter aux nombreuses évolutions en cours et faire preuve de volontarisme.
Penser l’Europe de demain, c’est organiser nos territoires aujourd’hui. Penser à la France dans l’Europe de demain, c’est refonder une architecture territoriale à la fois spécifique à notre histoire et ouverte à l’histoire de l’Europe qui se recompose sous nos yeux.
L’aménagement du territoire en France a eu comme objectif fondamental, pendant des décennies, de rééquilibrer la France par rapport à Paris et à la région parisienne, de passer d’une armature urbaine hiérarchisée et mono-centrique dominée par Paris et l’Île-de-France, à des systèmes urbains provinciaux polycentriques.
Il fallait remettre en cause « l’étoile de Legrand », cette organisation territoriale ancienne, dessinant en toile d’araignée, le réseau de chemin de fer qui fut légalisé en 1842.
Il faut aujourd’hui dépasser cet objectif. Certes, l’hyper-concentration, en Île-de-France, constitue encore un déséquilibre contre lequel il convient de lutter, et les grèves de décembre 1995 ont bien montré les handicaps qu’elle représentait. Mais il faut être réaliste. La métropolisation est une donnée forte du développement de nos économies. Parce que les entreprises considèrent que la concentration des activités contribue à faciliter les échanges, à stimuler les progrès technologiques, à diminuer les risques face à la concurrence. Parce que les ménages ont plus d’occasions de trouver à proximité un emploi pour le mari et la femme.
Face à cette tendance, l’aménageur et la puissance publique se doivent de trouver des réponses qui, à la fois, tiennent compte des tendances fortes de l’économie, proposent un schéma rééquilibrant et évitent le face-à-face de la surconcentration et du sous-peuplement.
Il ne s’agit pas d’opposer la métropole francilienne au reste du territoire français. Il s’agit de contribuer à asseoir l’armature territoriale française sur des réseaux métropolitains structurés.
C’est dans ce cadre qu’il convient de réfléchir pour donner à la France du Sud l’ensemble métropolitain de son avenir. Toutes les prévisions convergent pour dire que, hors région parisienne, les trois régions françaises appelées à la plus grande croissance démographique, dans les vingt ans à venir, sont Rhône-Alpes, Provence-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon. Sur 6 millions d’accroissement de population entre 1995 et 2015, 3 millions de plus viennent dans ces trois régions. Quinze millions d’habitants au total, l’ensemble est impressionnant.
Ces trois régions disposent, en outre, d’une exceptionnelle armature urbaine avec des villes comme Marseille, Lyon, Montpellier, Grenoble, Saint-Étienne, Toulon, Nice, Avignon, Nîmes, Perpignan…, et d’économies diversifiées et riches.
Une des grandes questions auxquelles l’aménagement du territoire doit répondre est celle de l’organisation économique, sociale et spatiale de ce qu’on a appelé, il y a vingt ans, « le Grand Delta ». Cette grande idée porteuse ne saurait se concevoir sans l’émergence d’une coopération forte et active entre l’aire métropolitaine lyonnaise et l’aire métropolitaine marseillaise, et donc, sans l’organisation de l’axe rhodanien qui les relie.
Nous sommes convaincus que le rééquilibrage de la région parisienne et la recomposition territoriale de la France dans l’Europe passent aujourd’hui, en partie, naturellement, par la mise en synergie des deux grandes métropoles du Sud dont la complémentarité est beaucoup plus forte que la concurrence à laquelle elles se sont livrées au cours des siècles…
Il faut regarder les réalités en face. L’agglomération marseillaise n’est plus, aujourd’hui, réductible à la ville entre mer et collines. Marseille, c’est aujourd’hui, un ensemble métropolitain dont la taille se confond presque avec celle du département des Bouches-du-Rhône et en connexion permanente avec des villes comme Montpellier ou Toulon. C’est un ensemble métropolitain qui comprend, outre Marseille, plusieurs pôles urbains économiquement importants, comme Aix-en-Provence et le pays aixois, les rives de l’étang de Berre, Aubagne-Gémenos, La Ciotat… au cœur d’un arc méditerranéen en rapide recomposition. C’est un ensemble économique diversifié en pleine reconversion, même si cette reconversion conduit, à Marseille en particulier, à de réelles et douloureuses difficultés sociales. Enfin, Marseille reste le port français en Méditerranée qui, animé d’une réelle volonté de relance partagée par tous tes acteurs, doit trouver, dans les échanges avec l’Asie et le Moyen-Orient, les bases de son redéploiement.
De même, Lyon ne se réduit pas à la Communauté urbaine. Lyon est aussi au cœur d’un ensemble métropolitain qui forme une véritable région urbaine mordant sur plusieurs départements : l’Isère, l’Ain et la Loire, et en connexion étroite avec des villes comme Saint-Étienne, Roanne, Vienne, etc. C’est un espace économique riche d’une industrie puissante dans de nombreux secteurs importants. C’est un territoire ouvert sur l’Europe lotharingienne et sur la puissante Italie du Nord.
L’avenir du Sud français passe à la fois par l’organisation de l’arc méditerranéen et la construction de relations étroites entre les grandes métropoles marseillaise et lyonnaise. Marseille et Lyon doivent sceller leur avenir commun.
Ce qui fait encore obstacle à la mise en place de synergies fortes entre ces deux ensembles métropolitains, ce sont les insuffisances des liaisons de métropole à métropole, mais, demain, cet obstacle sera levé. Dans trois ans, le TGV mettra Marseille et Lyon à une heure l’une de l’autre. Cette nouvelle donnée changera beaucoup de choses. Elle n’est pas suffisamment intégrée dans les raisonnements. Et les deux métropoles doivent s’y préparer dans le cadre d’une vraie recomposition territoriale du Sud français à laquelle devraient aussi participer des villes comme Montpellier, Toulon ou Avignon. C’est là, à notre sens, un des grands enjeux de l’aménagement du territoire de la France.
Un des enjeux du schéma national pour l’aménagement et le développement du territoire est bien le renforcement et le couplage des dynamiques de Lyon, de Marseille, du couloir rhodanien et de la façade de la Méditerranée.
D’ores et déjà, cette dynamique est à l’œuvre. Mais il faut, d’une façon volontariste, avec persévérance et pugnacité, la renforcer. Nous souhaitons que les acteurs locaux, économiques, politiques, scientifiques, s’engagent sur cette voie, ouvrent le débat et fassent des propositions.