Déclaration de M. Frank Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, sur la politique énergétique et l'avenir d'EDF, Paris le 5 avril 1996.

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  • Franck Borotra - ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications

Circonstance : Colloque à la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette à l'occasion du 50ème anniversaire d'EDF à Paris le 5 avril 1996

Texte intégral

Célébrer un cinquantenaire, c'est l'occasion de se pencher sur le demi-siècle écoulé mais c'est surtout l'occasion de parler des cinquante années à venir, de l'avenir du secteur électrique et de l'entreprise nationale, Électricité de France.

C'est parler de la politique énergétique de la France, une politique volontariste engageant le pays sur le long terme.

C'est réaffirmer la volonté de l'État, qui conformément à celle du législateur de 1946, est propriétaire, au nom de la Nation de cette entreprise publique. C'est à l'État de marquer les orientations stratégiques permettant à EDF de remplir ses missions.

L'avenir d'EDF doit être à la hauteur des cinquante années écoulées.

La réussite d'Électricité de France est l'aboutissement d'une grande aventure technique et industrielle qui dure depuis cinquante ans.

La loi de nationalisation ne fut pas seulement un acte politique dicté par les circonstances de la Libération. Recueillant l'adhésion quasi-générale, elle concluait une longue période de débats sociaux autour du service public de l'électricité qu'il est utile de rappeler à l'heure où ce régime pourrait apparaître en question.

Avant la guerre, la capacité des entreprises privées à assurer l'électrification des campagnes avait été mise en cause : l'obligation de desserte, la péréquation des tarifs étaient apparues nécessaires pour assurer à tous le « droit à l'énergie », l'accès aux bienfaits de la « fée électricité ». Le régime pourtant favorable des concessions hydroélectrique n'avait pas permis une mise en exploitation satisfaisante de notre énergie nationale – la houille blanche – du fait de la pusillanimité des capitaux privés à prendre le risque des investissements à long terme. Même si le service public n'a pas partout pris la forme de la nationalisation, tous les pays avaient connu semblable débats.

Davantage encore que les autres institutions de la France nouvelle, Électricité de France incarna le consensus national de la Reconstruction et de l'Expansion. L'optimisation centralisée des choix d'investissements et des réseaux eurent vite raison du régime de pénurie. Le service universel de l'électricité fut assuré à tout le pays dès 1950. Les grands barrages délivrèrent notre économie de la charge du charbon importé. L'effort de productivité fut impressionnant : sait-on qu'avec les mêmes effectifs EDF produit aujourd'hui 22 fois plus de kilowatt-heures qu'en 1946 ?

Avec les chocs pétroliers de 1973 et 1979, notre pays ressent à nouveau cruellement le handicap de la dépendance énergétique. EDF répond à nouveau présent, pour mettre en oeuvre le choix gouvernemental de substituer l'énergie nucléaire au pétrole. Un prix de revient d'un tiers inférieur aux centrales thermiques, un tarif garanti stable sur longue période. Mesurons l'ampleur exceptionnelle de l'effort accompli : sur une décennie, 1 000 milliards de francs d'aujourd'hui auront été investis sur l'ensemble de la filière nucléaire-électricité. Cet investissement dépasse à l'évidence l'échelle d'une entreprise, aussi grande soit-elle : c'est l'investissement d'une nation, l'effort d'une génération qui délivre pour longtemps les français d'une des causes majeures de leur affaiblissement industriel qui est aussi l'obsession historique de leur diplomatie : le manque de ressources énergétiques.

Avec un système énergétique non polluant, compact, automatisé, économe en matières premières, en logistique et en rejets, la France devient leader du développement durable. EDF est aujourd'hui le symbole de la réconciliation de l'écologie et de la croissance. Pour être à la hauteur de ce passé, l'avenir d'EDF doit se fonder sur des ambitions claires, conformes à ce que la collectivité attend d'une entreprise qui lui appartient.

EDF a tout d'abord une ardente obligation : continuer à servir la politique énergétique de la France, fondée sur l'indépendance énergétique, la sécurité et la compétitivité de l'approvisionnement et la protection de l'environnement.

L'entreprise se doit donc, avant tout, d'assurer l'avenir du programme électronucléaire. Cela suppose un effort constamment maintenu de sûreté afin de conserver l'adhésion de la collectivité à ce choix. Cela suppose aussi de préparer le renouvellement du parc au début du siècle prochain. Grâce à la mise en place du réacteur franco-allemand REP 2000, référence européenne en matière de technologie et de sûreté.

Préparer l'avenir du programme électronucléaire nécessite aussi de laisser largement ouvert l'éventail des options possibles en contribuant aux recherches sur l'aval du cycle, l'élimination des déchets et la valorisation du plutonium. C'est tout l'intérêt, en tant qu'outil de recherche, de réacteurs à neutrons rapides comme Super Phénix.

Enfin l'option nucléaire impose des obligations particulières en matière de démantèlement. Je souhaite qu'EDF étudie sous l'angle comptable et financier la meilleure façon de faire face aux coûts de démantèlement des centrales, et notamment la formule d'un fonds financier spécialisé.

J'attends aussi d'EDF qu'elle participe de manière plus active à la mise en oeuvre de l'autre grande orientation de notre politique, la maîtrise de l'énergie. EDF doit s'ouvrir à la politique de maîtrise de la demande en partenariat avec l'ADEME et les collectivités locales.

L'entreprise doit s'impliquer dans les initiatives décentralisées en faveur de la maîtrise de l'énergie et de l'environnement. Je pense à la cogénération, à l'éolien à la petite hydraulique... Dans cet esprit, j'ai annoncé plusieurs mesures réglementaires, tarifaires et incitatives, destinées à encourager ces filières. Il faut que les équipes d'EDF assurent leur réussite.

Renforcer encore davantage le service public de l'électricité est la deuxième ambition que je souhaite partager avec l'entreprise.

Le service public c'est essentiellement, aujourd'hui comme hier, l'égalité du traitement entre les usagers, la péréquation des tarifs pour les consommateurs domestiques. Au-delà, EDF est appelée à participer à la politique d'aménagement du territoire. Je souhaite notamment qu'un schéma national de transport d'électricité figure dans le schéma national d'aménagement et de développement du territoire institué par la loi du 4 février 1995.

Le service public c'est également la poursuite de la politique de qualité engagée depuis 1989. Il y a encore beaucoup à faire pour simplifier les relations, augmenter la disponibilité des services, accroître la plage horaire d'ouverture des locaux et celle de la permanence téléphonique. Il faut aussi réduire le nombre des litiges, tenir compte des situations sociales difficiles, continuer d'améliorer la qualité de l'électricité distribuée... C'est sur ce terrain que se mesure le dynamisme du service public en France.

Enfin, le service public, c'est aussi le principe d'obligation et de continuité de fourniture, donc de sécurité de l'approvisionnement électrique du pays. Certains concepts dogmatiques pourraient menacer cette mission, en particulier l'accès des tiers aux réseaux – l'« ATR » – qui introduirait une mobilité générale des consommateurs et s'opposerait à la programmation à long terme des infrastructures. C'est pourquoi le gouvernement, soutenu par la Représentation nationale, a récusé cette voie lors du débat européen sur l'électricité.

Pour autant, la réalisation du marché intérieur de l'électricité doit être reconnue comme une chance pour EDF, une évolution qui ouvre à l'entreprise le marché européen. EDF n'a pas à craindre l'évolution du secteur, car le choix de la filière nucléaire, sa taille et à sa bonne connaissance des métiers de l'électricité en font le leader incontestable des électriciens en Europe.

Il convient cependant de respecter une limite : l'ouverture envisagée doit être maîtrisée et ne pas menacer les principes fondamentaux de notre politique en particulier les missions de service public, le monopole du transport et de la distribution et le respect de la programmation à long terme. C'est ce qui guide notre position sur le projet de directive sur le marché intérieur de l'électricité que la France défendra, le 7 mai prochain : le principe de l'acheteur unique, que nous avons fait reconnaître, le 1er juin dernier.

Un résultat équilibré suppose simplement que l'on limite l'adaptation du système pour les gros consommateurs industriels qui sont moins dépendants des obligations de services public que les consommateurs domestiques et les PME.

Nous n'accepterons ces évolutions que si elles sont intégrées dans un accord général apportant des garanties sur la programmation à long terme des investissements et la préservation de notre organisation de la distribution d'électricité.

Voilà ce que nous défendons. Si un accord est atteint sur ces bases, il laissera bien évidemment une large place à la subsidiarité pour la transposition en droit français.

Ma troisième ambition est de donner des bases claires à la stratégie de l'entreprise, par l'intermédiaire du contrat de plan.

EDF a été l'entreprise pionnière dans l'expérimentation de la formule du contrat de plan qui a permis de moderniser les relations entre l'État et les entreprises nationales.

Le contrat de plan 1993-1996 a été un succès : EDF a atteint, voire dépassé, ses grands objectifs techniques et financiers : désendettement, baisses tarifaires, rémunération de l'État, disponibilité du parc nucléaire, amélioration de la qualité et de l'environnement, développement international…

La préparation du nouveau contrat de plan 1997-2000 va donner lieu à une mise à jour des orientations stratégiques de l'entreprise. Ce contrat est une des conditions de la nécessaire autonomie de gestion.

Le contexte économique et financier du futur contrat sera relativement favorable, grâce aux effets du désendettement et à la restructuration programmée du bilan. Il permettra de poursuivre dans la voie du désendettement – qui prépare l'entreprise aux investissements futurs – et de la baisse des tarifs, tout en donnant à l'entreprise les moyens d'investir dans une politique sociale ambitieuse, des investissements nouveaux en matière d'environnement, contribuant de même à l'aménagement du territoire.

À l'intérieur de ce cadre économique et financier prendront place les orientations touchant au développement d'EDF à l'étranger.

La mission nationale a été remplie, l'ambition internationale ouvre un nouvel espace aux compétences d'EDF à l'image de ce qu'elle a remarquablement réussi en Chine. Première entreprise électrique dans le monde, EDF le restera en investissant à l'étranger, comme le font ses partenaires. Première de cordée, elle pourra ainsi entraîner l'ensemble de la filière industrielle électrique et nucléaire, ou l'industrie française est au premier rang. De même EDF aura la responsabilité majeure de participer à l'amélioration du niveau de sûreté en Europe de l'Est et en Russie - enjeu du G8.

Ma quatrième ambition est de conforter la communauté humaine qui fait la richesse d'EDF.

EDF, c'est le service du public et de l'intérêt général, mais c'est aussi une autre dimension, celle d'une communauté de travail.

Les personnels d'EDF doivent être considérés avec la dignité due à leur travail et leur conscience professionnelle, celle d'hommes et de femmes qui ont hissé l'entreprise au rang qu'elle occupe aujourd'hui.

Je souhaite notamment que les formules d'intéressement soient développées pour associer les salariés aux fruits de leur travail et leur productivité et maintenant à la réussite du développement sur les marchés nouveaux. Je souhaite aussi la mise à l'étude d'un mécanisme de participation, allant au-delà de l'intéressement institué il y a une décennie. Ces dispositifs doivent continuer à être un élément mobilisateur pour le personnel, permettant d'associer les agents à la réussite de la première compagnie électrique mondiale, d'en faire l'exemple du social.

EDF, grâce à sa grande expérience du dialogue social a tous les moyens pour être en tête des solutions innovatrices, pour répondre aux besoins de solidarité de notre époque, déchirée par la fracture sociale, le chômage et l'exclusion. Être à la pointe du social aujourd'hui, c'est innover sur l'aménagement du temps de travail et de la création d'emplois, l'emploi des jeunes, le tutorat pour l'insertion dans la vie active. C'est favoriser les initiatives de terrain et les expérimentations locales dans le cadre d'une négociation globale.

La négociation nationale permet de mettre en place un cadre, de créer une dynamique mais c'est au niveau des unités que se joue la réalisation effective des objectifs. Dans une entreprise de la taille d'EDF, pour avancer en matière de réduction de la durée du travail et de créations d'emplois, il est indispensable de faire preuve de souplesse, d'encourager les actions déconcentrées et les initiatives, afin de libérer les capacités d'innovation à tous les échelons de l'entreprise.

Ma conviction est qu'il y a matière à un dialogue social constructif : responsable et créatif si l'on accepte une approche globale qui prenne en compte les conditions salariales, la durée du temps de travail l'évolution des effectifs, la participation.

Après une période d'incertitudes, ou EDF, ayant rempli avec succès sa mission d'équipement du territoire national se sentait ébranlée par les modes nouvelles et s'interrogeait sur son avenir, la refondation est en place. EDF s'identifiait presque parfaitement à l'esprit de la Libération et de la Reconstruction. Refondée, elle saura s'identifier aux enjeux de la France du XXIe siècle, en Europe et dans le monde.

Cinquante ans après sa naissance, EDF est plus que jamais l'instrument de la Nation pourvu qu'elle évite les risques d'une organisation étatisée, ou soumise à une tutelle tatillonne. Cinquante ans après, EDF se trouve ainsi stabilisée, non pour une période de stagnation, mais pour une ère de mouvement et d'action.

Cinquante ans après EDF, investie d'importantes responsabilités collectives, restera publique. La résolution du gouvernement ne variera pas sur ce point.