Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "L'Union de Reims" du 1er décembre 1998, "Le Progrès" du 10 et dans "Ouest-France" du 26, sur la crise porcine, la réforme de la PAC, le passage à l'euro et la fixation des prix agricoles au niveau européen, la loi d'orientation agricole, la responsabilité de l'agriculture dans la protection de l'environnement, l'agriculture de montagne, et sur les OGM.

Prononcé le 1er décembre 1998

Intervenant(s) : 

Média : Journal de l'Union interparlementaire - L'Union - La Tribune Le Progrès - Le Progrès - Ouest France

Texte intégral

L'Union de Reims - 1er décembre 1998

Didier Davazoglou :
Louis Le Pensec est parti, Jean Glavany le remplace. Comment jugez-vous l’action du premier et comment se sont déroulés les premiers contacts avec le second ?

Luc Guyau :
La FNSEA n’a pas pour habitude de porter un jugement de valeur sur les ministres de l’agriculture, d’autant et je le rappelle souvent, qu’en 7 ans de présidence de la FNSEA, j’ai connu 6 ministres de l’agriculture différents. Avec chacun, nous nous sommes efforcés de travailler de la façon la plus constructive et la plus efficace.
Depuis de nombreuses années, la profession a initié un mode de relation avec son ministre que l’on appelle communément la cogestion, c'est-à-dire la participation, chacun dans son rôle, à la définition et à la gestion de l’agriculture.
M. Le Pensec, pour la première fois, n’avait pas souhaité poursuivre dans cette voie que pourtant les autres secteurs nous envient. Il avait remplacé la cogestion par de la simple information. Au moment où vont s’ouvrir de difficiles négociations pour l’agriculture, mon sentiment est que nous avons tout intérêt à revenir à un type de relation qui permettra l’adhésion des agriculteurs aux grandes décisions qui seront prises. Je l’ai dit à Jean Glavany lors de notre première rencontre et j’ai cru percevoir qu’il était sensible à mon argumentation.

Didier Davazoglou :
En ce qui concerne la réforme de la PAC, quels sont les souhaits de la FNSEA, les points sur lesquels elle sera très ferme ?

Luc Guyau :
Lorsque j’ai rencontré Jean Glavany avec les présidents de nos associations spécialisées, je lui ai rappelé les grands principes qui doivent fonder toute réforme et que je peux résumer en 6 points :
préserver le modèle agricole européen, ce qui nécessite le maintien d’un minimum d’organisation commune de marché ;
refus de toute renationalisation de la PAC par le biais d’enveloppes nationales ou de cofinancement ;
opposition à toute baisse systématique des prix. Chaque production doit bénéficier d’un traitement différencié pour tenir compte de sa spécificité ;
extension de la réforme à toutes les productions pour être équilibrée ;
compensation intégrale des baisses de prix éventuelles et les aides directes ne doivent pas être supérieures aux revenus pour préserver le métier d’entrepreneur ;
la réforme doit tenir compte des futures négociations internationales (PECO, OMC).

Didier Davazoglou :
La loi d’orientation, que l’Assemblée vient de voter en première lecture, répond-elle à vos attentes ? Que pensez-vous notamment du contrat territorial d’exploitation (CTE) qui diversement accueilli dans le monde agricole ?

Luc Guyau :
La loi d’orientation doit préparer l’agriculture française aux défis des 20 prochaines années tout en confortant l’identité agricole européenne. Pour cela il était important de faire reconnaître la multifonctionnalité de l’agriculture, c'est-à-dire sa fonction économique qui doit rester prioritaire, mais également sa fonction sociale et environnementale. C’est fait. Mais il faut maintenant lui donner un contenu réel. Le contrat territorial d’exploitation peut être cet instrument s’il dispose des moyens financiers suffisants, s’il est ouvert à tous et s’il conforte le rôle économique de l’agriculture.
Mais cela ne peut suffire à faire une véritable politique. Il faut tout d’abord veiller à ce que cette loi soit en cohérence avec la politique agricole commune. Il faut ensuite que la dimension économique de l’agriculture à travers la production, l’exportation, la création de richesse et de valeur ajoutée, soit pleinement mise en avant. Il faut également que le pouvoir économique des agriculteurs, c'est-à-dire leur capacité à rester de véritables chefs d’entreprise, soit reconnu et il faut enfin combler certaines lacunes du texte sur la définition de l’activité agricole, le statut de l’exploitant, la fiscalité et les droits à produire.
L’environnement est de plus en plus au cœur des discussions des agriculteurs qui en ont assez d’être traités de pollueurs.

Didier Davazoglou :
Quelles sont vos propositions dans ce domaine et que pensez-vous de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ?

Luc Guyau :
L’agriculture a une responsabilité particulière dans la protection de l’environnement, la beauté de nos paysages et la préservation des ressources naturelles. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés dans des actions volontaires et incitatives du type FERTIMIEUX, PHYTOMIEUX, IRRIMIEUX ou FARRE. C’est pour nous la meilleure façon de responsabiliser les agriculteurs et de s’attaquer aux vrais problèmes.
La Taxe Générale sur les activités polluantes que l’on nous annonce ne correspond pas du tout à cette philosophie. Ce n’est qu’une machine à récolter des sous et à déresponsabiliser les gens. Je m’explique : cette taxe est « aveugle » car elle taxera le premier bidon de phytosanitaire et le premier sac d’engrais, quelle que soit la façon dont ces produits seront utilisés. On taxera tout le monde de la même façon, ceux qui les utilise en préservant l’environnement et ceux qui font moins attention. À terme, elle peut même aboutir à l’effet inverse recherché et créer un droit à polluer : je paye, donc je peux faire n’importe quoi. Ce n’est pas notre façon de voir.

Didier Davazoglou :
On parle beaucoup des Organismes génétiquement modifiés ou OGM actuellement. Que pensez-vous de la position des autorités françaises ?

Luc Guyau :
Notre position a toujours été claire et n’a pas varié : les pouvoirs publics doivent prendre toutes les mesures pour satisfaire le principe intangible d’information des consommateurs. Pour cela, nous avons demandé la mise en place d’un étiquetage clair, informatif et vérifiable des produits composés ou issus d’OGM. Tout dernièrement, nous sommes encore allés plus loin et avec 35 organismes de l’amont, de l’aval et des consommateurs, nous avons décidé d’expertiser la faisabilité d’une filière « non OGM » devant l’intérêt manifesté par l’opinion publique pour ce genre de filière. Un programme de recherche va être prochainement lancé avec l’INRA.
Mais ce que nous ne pouvons accepter, c’est le manque de cohérence de certaines décisions qui autorisent l’importation de produits OGM tout en interdisant la culture en Europe.

Le Progrès - Jeudi 10 décembre 1998

Question :
Votre présence à la manifestation signifie-t-elle que toute la FNSEA se trouve engagée dans cette action en faveur d’une relance de la politique de la montagne ?

Luc Guyau :
La réunion de la fédération régionale était programmée de longue date en Maurienne. Nous avons décidé de lancer cette action pour dénoncer la dégradation de cette politique. Les compensations des handicaps naturels se sont érodées avec le temps et nous espérions une avancée européenne sur ce dossier.

Question :
Vous avez affirmé que vous redoutiez un « verdissement » de l’agriculture de montagne. Quelle est la menace ?

Luc Guyau :
La Commission de Bruxelles ne regarde la politique de la montagne que sous l’angle de la politique de l’environnement. C’est avant tout une activité économique qui contribue à l’aménagement du territoire. Nous voulons faire reconnaître cette activité, reconnaître l’agriculture de montagne et faire admettre sa spécificité.

Question :
Le barrage de la vallée de la Maurienne se veut une démonstration de force. Êtes-vous satisfait de la mobilisation des agriculteurs ?

Luc Guyau :
Des délégations de tous les massifs français participent. Des rotations régulières ont permis une présence permanente de plus de 300 personnes sur les barrages et ceci, jour et nuit. La politique de la montagne concerne en premier lieu la France ; l’Union européenne doit s’inspirer de ce qui a été fait chez nous. Cette mobilisation a permis de faire entendre ce message.

Question :
Un accord sur la nouvelle PAC (politique agricole commune) semble difficile à trouver. Quels sont vos espoirs alors que les négociations doivent aboutir dans les premiers mois de 1999 ?

Luc Guyau :
Les discussions se sont compliquées avec les dernières demandes allemandes sur le budget européen. Le sommet de Vienne peut permettre des avancées, sinon il est clair que l’on n’est vraiment pas pressé d’obtenir de mauvaises mesures. Nous refusons la logique de la baisse des prix agricoles, la mise à mal des OCM (organisations communes de marché). Les prix doivent rester un élément essentiel des revenus de l’agriculteur. Nous voulons que le travail soit correctement rémunéré ; à la baisse des prix proposée par Bruxelles, nous répliquons par la baisse des compensations généralisées et non durables. Nous ne voulons pas d’une agriculture européenne qui soit une copie de l’agriculture américaine. Les Etats-Unis changent d’ailleurs de politique agricole. Les aides du gouvernement fédéral progressent de 6 milliards de dollars.

Question :
Êtes-vous optimiste sur l’évolution de ce dossier ?

Luc Guyau :
Le combat n’est pas fini. Nous pouvons faire bouger les choses et amener les chefs d’état de l’UE à soutenir un modèle agricole européen ; c'est-à-dire une agriculture qui emploie, qui produit de façon équilibrée, qui privilégie la qualité.

Question :
Vous avez souligné la bonne cohabitation française qui parle d’une même voix à Bruxelles… Le monde agricole français parle-t-il d’une même voix ?

Luc Guyau :
Une position française unique est essentielle ; il est indispensable que tous les responsables politiques créent un front commun. Les agriculteurs français le font également et nous voulons le faire à l’échelle de l’Europe prochainement.

Ouest France - 26 décembre 1998

Question :
Les agriculteurs français, qui ont souvent critiqué la politique européenne à leur égard, vont-ils bien accueillir l’euro ?

Luc Guyau :
Les agriculteurs français ont déjà vécu quarante ans de politique européenne. Ils sont pratiquement les seuls dans ce cas. L’euro répond à nos attentes. Parce que nous avons trop souffert des montants compensatoires monétaires, des dévaluations compétitives des autres pays et des fluctuations du dollar sur les marchés internationaux. La concurrence au sein de l’Union européenne devient plus juste, le marché unique prend tout son sens. L’environnement économique, autour d’une monnaie stable, de taux d’intérêts bas et d’une inflation faible devrait être plus favorable à l’agriculture. Tous nos partenaires agricoles européens sont d’accord là-dessus.

Question :
Vous parlez de l’euro comme d’une chance historique pour l’agriculture et l’Europe. N’en redoutez-vous vraiment rien ?

Luc Guyau :
L’euro ne va pas du jour au lendemain annuler toutes les différences entre agriculteurs européens. Il ne fera pas disparaître le droit d’aînesse en Irlande. Pas plus que les disparités sociales et fiscales. Et, dans ces deux domaines, les agriculteurs français ne sont pas les mieux lotis. L’euro n’atténue en rien ces handicaps, mais les distorsions deviennent plus visibles. On peut donc plus facilement les corriger. Ce que je redoute surtout, c’est que les quatre pays (1) – (Le Royaume-Uni, la Grèce, la Suède et le Danemark) – qui ne participeront pas le 1er janvier à la monnaie unique tardent à rentrer dans le système. La façon dont la Grande-Bretagne a « collé » aux USA dans les frappes sur l’Irak ne me rassure pas du tout. Nous ne pouvons pas rester indéfiniment dans l’incertitude avec un pays qui joue un rôle important dans les échanges agricoles européens.
Je souhaite un euro à quinze le plus rapidement possible.
Un euro fort risque de gêner les exportations agricoles françaises et européennes…
Le yen n’est pas vraiment déterminant dans nos exportations. S’il y a trop de déconnexion entre le dollar et l’euro, ce sera plus ennuyeux. Mais le dollar ne sera plus le seul à faire la loi. Parce que l’euro va représenter près de 300 millions de consommateurs et qu’il existera forcément un marché international en euros. Les USA ne pourront pas ignorer une plate-forme européenne qui est essentielle pour les échanges agricoles et agroalimentaires.

Question :
L’euro peut-il accélérer la construction européenne ?

Luc Guyau :
C’est un pas important et on ne s’arrêtera pas là. Si les agriculteurs savent ce qu’est l’Europe, elle reste pour la plupart de nos concitoyens, parce qu’elle ne les concerne pas quotidiennement, une construction intellectuelle. Il est évident qu’il y aura une accélération politique, même si l’euro ne favorise pas, dans un premier temps, l’élargissement à l’Est. Mais attention, l’affirmation de l’identité européenne n’empêche pas le respect des différences. En France, la vignette automobile ne coûte pas le même prix partout. Et les Bretons ne pensent pas nécessairement comme les Provençaux. Je connais bien ça à la FNSEA… Mais la naissance de l’euro est un acte capital aux yeux du monde : aussi nous faut-il donner un souffle, un horizon, un sens politique fédérateur à l’Europe. L’euro symbolise une communauté de culture, de civilisation, de destin.
Les agriculteurs ne seront donc pas à la traîne de l’euro ?
Certainement pas. Ils y croient et ils en font la promotion. Je ne veux pas qu’on dise dans vingt ans que les campagnes s’y sont mises moins vite que la ville. Comme on a pu le dire pour les nouveaux francs en 1960…