Texte intégral
Date : jeudi 18 avril 1996
Source : Europe 1 / Édition du matin
O. de Rincquesen : Y-a-t-il un courant de contestation qui est en train de voir Je jour au sein du PC avec le réformisme de R. Hue ?
A. Bocquet : Vous faites allusion à un texte qui est passé dans la presse il y a quelques jours.
O. de Rincquesen : Pas dans L'Humanité.
A. Bocquet : Oui dans L'Humanité, clairement précisé. Il n'y a pas de secret, les camarades qui ont signé ce texte se sont opposés au vingt-huitième congrès. Je dois dire que la méthode qui consiste à faire des signatures, visant à faire du lobbying que l'on a connu par le passé n'est pas une mesure efficace. Je pense que ce qu'il faut c'est discuter librement, c'est le cas au PC, chacun compte pour un. C'est l'ensemble des communistes qui ont décidé de la politique du vingt-huitième Congrès, celle qui est mise en œuvre aujourd'hui.
O. de Rincquesen : Il n'y a pas un courant... avec P. Besson, des élus locaux ... ?
A. Bocquet : Non, non. Si des communistes ont des questions ils les expriment. C'est à l'intérieur du PC qu'il faut le faire. Il y a des organisations de base auxquelles appartient chacun et c'est là qu'il faut le faire.
O. de Rincquesen : Ce sont des communistes staliniens ?
A. Bocquet : Je suis contre l'étiquetage. Chacun pense par lui-même. Au PC la discussion est libre et le respect de chacun est un droit.
O. de Rincquesen : Comment les appelez-vous, cette tendance ?
A. Bocquet : Il n'y a pas de tendance mais une diversité des communistes ce qui fait la richesse de notre parti. Tout le monde ne partage pas cela et c'est normal.
O. de Rincquesen : On peut employer le terme de « réformiste » concernant R. Hue ?
A. Bocquet : R. Hue met en œuvre la politique qui a été définie par l'ensemble des communistes au vingt-huitième Congrès. Il la met en œuvre avec l'ensemble de la direction nationale du PC. Le PC, c'est un collectif.
O. de Rincquesen : C'est de l'opposition pure et dure ?
A. Bocquet : De la part de qui ?
O. de Rincquesen : De R. Hue au pouvoir actuel ?
A. Bocquet : Le PC s'oppose avec fermeté à toutes les mesures antisociales menées par ce gouvernement. Il est évident que le mouvement social qui a été une grande expression d'une volonté d'en finir avec cette politique maastrichtienne, a été un grand moment en novembre et décembre. Et ce qui a été exprimé dans ce courant social n'est pas éteint. Pour nous les communistes, les militants et élus, nous sommes aux côtés de tous les salariés qui, dans ce pays, luttent pour défendre la protection sociale, l'emploi, pour faire en sorte qu'on en finisse avec cette politique qui enfonce la France dans la crise.
O. de Rincquesen : N'avez-vous pas l'impression que le mouvement de l'hiver dernier s'est tassé ?
A. Bocquet : Les choses ne se répètent pas toutes les semaines. Ce dont je suis sûr, c'est qu'il existe dans le pays, au plus profond, partout, des gens qui s'organisent, qui luttent, qui refusent cette politique de liquidation de notre économie, de nos industries, de ces plans de licenciements de 5, 10, 15 000 emplois dont on entend parler dans les grandes industries françaises.
O. de Rincquesen : Le rapport parlementaire sur l'immigration, c'est une manière de relancer une problématique Front national pour la majorité ?
A. Bocquet : Ce qui est sûr, c'est que ce rapport est dangereux car c'est un engrenage de la répression et des atteintes contre les droits de l'Homme. Les lois Pasqua ont fait la preuve de leur inefficacité et deux ans après, au contraire, elles ont encouragé l'immigration clandestine, je l'affirme. On ne s'attaque pas aux vrais problèmes, aux filières d'immigration clandestine, qui ont droit de cité, que l'on connaît. On ne les traque pas comme il le faut. Si on regardait de plus près on verrait que quelques grands chantiers publics, y compris quelques grandes sociétés de vêtements sur catalogue, certains de ces produits émanent du travail clandestin en France et c'est inacceptable.
O. de Rincquesen : Vous, députés du Nord, vous savez qu'il y a des importations de textiles ?
A. Bocquet : Je sais même que dans une ville comme Roubaix, il y a des ateliers clandestins et que certains produits on les retrouve dans certains catalogues bien connus.
O. de Rincquesen : Vous ne niez pas la réalité des problèmes de l'immigration ?
A. Bocquet : C'est évident qu'il y a du travail clandestin mais il y a les filières, du commerce, qui se font avec ces malheureux travailleurs immigrés. Il y a ceux qui exploitent ces gens et c'est inacceptable. On ne peut pas laisser faire cette politique qui conduit à l'exclusion, à la haine, au racisme, et qui fait le lit du Front national.
O. de Rincquesen : Beaucoup de maires communistes ont préparé les dossiers pour le plan Gaudin de relance de la ville qui veulent être zones franches, quartiers privilégiés.
A. Bocquet : Nous pensons que ce plan Gaudin ne répond pas aux besoins immenses. Les maires communistes se battent pour défendre les intérêts de leur ville, des quartiers en difficultés. Ce dont on est certain c'est qu'il n'y a pas l'argent, les moyens suffisants, pour répondre aux grands problèmes qui sont posés dans ces quartiers, et surtout en direction des problèmes de la jeunesse.
O. de Rincquesen : On n'a pas entendu le PC sur la Corse. Le nationalisme c'est quoi pour vous ?
A. Bocquet : C'est un danger évidemment. Je ne pense pas que le gouvernement actuel et le ministre de l'intérieure répondent aux questions posées par la problématique Corse. Quand on voit ce spectacle de 600 hommes encagoulés, bien connus pour certains, qui font une conférence de presse médiatisée, quand on voit qu'il y a des tractations avec certains réseaux autonomistes, quand on voit la décision de faire de la Corse une zone franche, on se dit que ce n'est pas le bon moyen pour répondre à l'attente du peuple corse qui veut vivre en France, une Corse démocratique, une Corse qui a surtout les moyens de répondre à l'attente sociale forte dans cette île.
O. de Rincquesen : Allez-vous essayez encore de réinventer l'union de la gauche ou la formule est définitivement périmée ?
A. Bocquet : C'est sûr qu'on ne fera pas ce qui a échoué. Ce que nous recherchons c'est une issue, une perspective, une alternative politiques dans notre pays et les communistes y travaillent avec d'autres. C'est le sens des forums que nous avons organisés dans le pays. Ce qui est évident c'est que rien ne changera dans le pays sans une participation active et consciente de notre peuple.
O. de Rincquesen : Vous croyez à une alternance en 1998 ?
A. Bocquet : Je ne pense pas que l'alternance soit la bonne formule car ça voudrait dire qu'on refait ce qu'on a connu, c'est-à-dire une fois les uns, une fois les autres, mais pour faire la même politique européenne de Maastricht. Nous sommes pour un vrai changement, une autre politique, pour rompre avec les critères de Maastricht, pour faire en sorte qu'il y ait une politique qui prenne en compte les grands problèmes humains dans le pays et les grands problèmes sociaux en particulier.
Date : mercredi 24 avril 1996
Source : RMC / Édition du matin
P. Lapousterle : Tout à l'heure, le Gouvernement examinera en Conseil des ministres les rameuses ordonnances qui vont définir le nouveau régime de Sécurité sociale de nous tous, les Français. Une partie des médecins est en grève aujourd'hui pour protester, est-ce que votre parti et vous-mêmes approuvez ces médecins ?
A. Bocquet : Absolument...
P. Lapousterle : Quelle curieuse coalition, par parenthèse ?
A. Bocquet : Non, non mais je crois que l'intérêt des usagers, si je puis dire, et des médecins, est commun dans cette affaire parce qu'en définitive, celte politique de restriction des soins va conduire à des drames énormes. Moi, je suis d'une région où il y a beaucoup de problèmes et de difficultés et on ne peut pas accepter que, quand il s'agit de la santé des citoyennes et citoyens, on en vienne à obliger les médecins à faire des restrictions, y compris même à en venir à ne pas soigner complétement les malades. C'est un problème de déontologie et je crois que c'est très grave. C'est la mise en cause du libre choix du médecin et c'est la course vers la médecine à deux vitesses, ceux qui auront les moyens pourront se soigner, ceux qui n'ont pas les moyens ne seront plus soignés dans ce pays, pays où l'on a créé une protection sociale à la française à la Libération alors que la France était exsangue. Je dis que c'est inacceptable et que nous allons poursuivre le combat contre la politique du plan Juppé. Nous allons essayer, au plan parlementaire, au plan de l'action politique, d'enrayer ces mauvais choix et nous sommes tout à fait aux côtés des médecins dans leur lutte d'aujourd'hui.
P. Lapousterle : Mais le Gouvernement affirme que l'on va soigner autant mais moins cher ?
A. Bocquet : C'est absolument faux. Quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit que, par exemple au niveau des ordonnances qui sont programmées en ce qui concerne l'hôpital public, c'est la mise à mort de l'hôpital public. Déjà les gouvernements successifs ont supprimé 60 000 lits. On se propose, si on laissait faire, J'en supprimer 60 000 autres. C'est 130 000 emplois dans les hôpitaux publics qui sont menacés. Quand on sait les conditions de travail des infirmières, les conditions difficiles pour soigner les malades, je dis que c'est inacceptable. Le Gouvernement, son Premier ministre, sont en train de mentir à la nation et cela n'est pas acceptable. D'ailleurs ils mentent sur tous les terrains dans le domaine de la Sécurité sociale. Parce qu'en définitive, on nous avait annoncé, avec ce fameux RDS que nous avons condamné et combattu, que l'on réglerait le problème du déficit de la Sécurité sociale. Qu'annonce-t-on aujourd'hui ? Qu'au lieu d'aller vers les 17 milliards prédits, on parle de 46 milliards de déficits celle année, alors ça veut dire que les recettes mises en œuvre par le Gouvernement Juppé, les mêmes recettes que celles qui étaient mises avant, sont des recettes qui conduisent à l'échec. On ne prend pas le bon bout pour régler le problème de la protection sociale.
P. Lapousterle : Vous savez bien, et tous les Français le savent, que la Sécurité sociale ne pouvait pas fonctionner comme elle a fonctionné jusqu'à présent ?
A. Bocquet : Mais qu'il y ait des réformes, nous ne le contestons pas, nous en avons même proposées. Sauf que l'originalité, la spécificité de la Sécurité sociale, gérée paritairement, c'est-à-dire par les entreprises, par les représentants des salariés ...
P. Lapousterle : Ça ne marchait pas.
A. Bocquet : Qu'il y ait des réformes à apporter, nous ne l'avons jamais contesté. Cela étant dit, on a cassé la Sécurité sociale pour laisser place, il faut parler clairement, aux assurances privées. C'est ça la solution qui nous est avancée, dans le cadre des projets européens de Maastricht. Alors que l'on prenne des bonnes solutions ! Et nous en proposons une, je la répète ici : pourquoi on ne taxe pas les revenus financiers au même titre que l'on taxe les salaires ? Si on le faisait, immédiatement, c'est 167 milliards qui tomberaient dans les caisses de la Sécurité sociale. Voilà une bonne mesure ! Mais évidemment, le Gouvernement Juppé n'entend pas s'attaquer à ceux qui ont l'argent en main, bien entendu.
P. Lapousterle : Est-ce que vous approuvez, en ce moment, la politique de J. Chirac à l'étranger, sa présence volontariste dans l'affaire du Proche-Orient ou bien est-ce que vous considérez que c'est dérisoire ?
A. Bocquet : Non seulement nous l'approuvons, nom, l'avons souligné, je l'ai même dit personnellement la semaine dernière à la tri hune de l'Assemblée nationale quand j'ai protesté contre cette agression d'Israël contre le Liban avec ses victimes civiles cl nous avons salué les efforts de la diplomatie française très nettement. Parce que, quand les choses vont dans le bon sens, il faut le dire et nous le faisons.
P. Lapousterle : Qu'est-ce que vous avez pensé lorsque le chef d'État-major des armées françaises ; hier, le général J.-P. Douin, a dit que la France serait prête à participer à une nouvelle structure militaire de l'OTAN ?
A. Bocquet : Je dis que les mains du général de Gaulle sont en train de trembler parce qu'on fait rentrer la France par la petite porte dans l'OTAN, alors que cet OTAN était adapté aux missions au moment de la guerre froide. Mais la question posée aujourd'hui est la dissolution de tout bloc militaire : il en reste un, c'est l'OTAN. Et je pense que c'est une mauvaise politique, un mauvais choix du Gouvernement français, du président de la République de réintégrer la France dans l'OTAN. C'est la mise en cause de notre indépendance, de notre défense nationale. D'ailleurs c'est tout le débat qu'il y a actuellement à propos de l'avenir de notre défense nationale et du service militaire.
P. Lapousterle : Quand vous avez vu le président de la République française apporter son soutien au candidat Eltsine en Russie, vous avez trouvé que c'était une bonne chose ?
A. Bocquet : Je ne pense pas que soutenir Eltsine par les temps qui courent soit un hon choix, quand on sait les conséquences de la politique d'Eltsine sur la Russie et quand on voit les crimes qui sont proférés en Tchétchénie pour ne citer que ces exemples.
P. Lapousterle : Dans votre parti, on a l'impression quand même que tout le monde n'est pas tout à fait d'accord avec la ligne réformiste du secrétaire national de votre parti, M. R. Hue. On entend des cadres du parti, on dit que des fédérations entières – deux fédérations minoritaires, mais enfin quand même – trouvent que M. Hue va un peu vite en besogne et oublie un peu trop vite le passé ?
A. Bocquet : Je pense que l'on dit beaucoup de choses qui ne sont pas fausses. Je pense qu'il y a beaucoup de mousse médiatique dans le microcosme mais la réalité est beaucoup plus complexe : la réalité est qu'il y a eu une politique qui a été définie par les communistes eux-mêmes dans leur diversité au 28ème congrès, que cette politique est actuellement mise en œuvre par une équipe qui est elle-même diverse. Vous savez, au Parti communiste, on n'est pas fait tous dans le même moule, on n'a pas tous la même expérience, on n'a pas tous la même sensibilité. Mais on est porté par un projet : c'est changer cette société de l'argent roi, c'est d'en finir avec cette misère et c'est lutter pour trouver une perspective à la France, une alternative. Et c'est pourquoi nous n'allons pas entrer en nous-mêmes, certes nous allons préparer un congrès pour la fin de l'année mais le pire, pour les communistes, cc serait de s'enfermer en nous-mêmes, de créer des querelles factices. Il y a une politique, on la met en œuvre avec nos sensibilités.
P. Lapousterle : On n'a pas rêvé, il y a bien certains communistes qui ?
A. Bocquet : Oui, ce n'est pas nouveau. Il y a depuis très longtemps des communistes qui ne sont pas d'accord. Le problème, c'est qu'il y a des décennies, on ne pouvait pas l'exprimer sans être victime ou sanctionné ou exclu. Aujourd'hui, dans la politique du Parti communiste, la discussion au sein du PC est une discussion tout à fait libre, chacun compte pour un, chacun peut dire franchement, librement, voire publiquement ce qu'il pense de telle ou telle position. Et je pense que c'est une avancée considérable qui est due à tous les efforts qui ont été faits depuis 20 ans pour changer notre parti, parce que la mutation du PC ne date pas d'il y a six mois ou deux ans, elle date d'une vingtaine d'années. Évidemment, ces avancées se poursuivent au rythme de la vie et je pense qu'il faut s'en féliciter ; pour ma part, je m'en félicite.
P. Lapousterle : Au niveau général de la gauche, vous pensez que la gauche pourra aller plus ou moins unie aux prochaines élections législatives et pourra avoir des vraies chances de l'emporter ?
A. Bocquet : Je ne suis pas Madame Soleil, je ne peux pas vous dire le résultat ...
P. Lapousterle : Je ne vous demande pas le résultat, mais si, à votre avis, elle pourrait avoir des chances de l'emporter ?
A. Bocquet : Ce que je peux vous dire, c'est l'emporter pour quoi, pour quelle politique, pour quel changement ? Moi, je pense très franchement – c'est une pensée qui m'habite depuis un certain nombre d'années – que la question de la gauche au pouvoir est : quelle politique va-t-il mettre en œuvre pour ne pas décevoir ceux qui l'auront portée au pouvoir, ceux qui l'auront soutenue pour arriver au pouvoir ? Or il y a eu trois expériences en France, je n'ai pas le temps d'expliquer longuement ici mais 1936-39, 1945-47, 1972-84 – si je pars du programme commun –, je pense que pour la gauche, ça ne peut pas être le rocher de Sisyphe. Et la gauche n'a pas le droit à l'erreur, surtout dans les conditions d'aujourd'hui avec la crise. Et c'est pourquoi le contenu, les choix sont déterminants. Est-ce qu'il peut y avoir une politique de gauche s'il y a la monnaie unique, si on applique les critères de Maastricht ? J'en doute fort et c'est pourquoi le débat de fond qui existe au sein-même de la gauche est un débat très important, c'est le sens des discussions qui ont eu lieu en France dans les différents forums qu'a organisés le Parti communiste français.