Texte intégral
Date : 26 juin 1997
Source : Le Nouvel Observateur
Le Nouvel Observateur : On vous dit très choquée par ce que vous avez découvert sur la pédophilie à l’école lors de votre entrée en fonction. Pouvez-vous dresser aujourd’hui un état des lieux de la pédophilie ?
Ségolène Royal : À partir du moment où les crimes commis contre les enfants ont mis longtemps à être reconnus comme une criminalité à part entière, ils n’ont fait pas l’objet d’une attention suffisante à l’éducation nationale, bien sûr, mais aussi dans le domaine de la jeunesse et des sports et dans le secteur de l’aide sociale à l’enfance. Les pédophiles ont un sentiment d’impunité totale. Jusqu’à présente, il leur suffisait d’intégrer une activité les mettant en contact avec les enfants pour passer tranquillement à l’acte. J’ai été très surprise de constater à quel point la loi du silence commence à être levée comme pour l’inceste.
Le Nouvel Observateur : C’est-à-dire ?
Ségolène Royal : Prenons un exemple récent : le coup de filet de Mâcon. Un certain nombre d’éducateurs sont mis en cause. L’administration me demande s’il faut les suspendre de leurs fonctions. Pour moi, la question ne se pose même pas : il faut les révoquer, un point c’est tout. Je suis consternée par le flottement qui règne en matière de crimes et délits commis sur les enfants. Pour beaucoup, il n’y a acte de pédophilie que lorsqu’il y a eu viol. On oublie trop vite que la détention de cassettes pédophiles, les caresses, les contacts physiques appuyés, c’est aussi un passage à l’acte dont on ignore à quel stade il s’arrêta.
Le Nouvel Observateur : Savez-vous combien d’enseignant sont suspectés de pédophilie ?
Ségolène Royal : Il est très difficile d’obtenir une proportion, et en un sens c’est plutôt rassurant. Cela signifie que l’école est un lieu de sécurité et qu’il faut se garder de toute psychose. En même temps, il ne faut pas avoir peur de traiter le problème en profondeur. Certains syndicats craignent que l’on jette l’opprobre sur tous les enseignants. Je veux les rassurer et leur dire qu’il est plus grave, pour l’éducation nationale, de déplacer en catimini un fonctionnaire délinquant que d’avoir le courage de regarder le problème en face
Le Nouvel Observateur : Un mois avant la dissolution, vous dénonciez dans nos colonnes la faiblesse des actions menées contre ce « fléau ». Comment allez-vous y prendre pour débarrasser l’éducation nationale des pédophiles ?
Ségolène Royal : Il faut améliorer la détection des comportements suspects, et ce sera sans doute le plus difficile car un pédophile peut être un excellent instituteur. Il s’investit davantage que les autres dans son travail, séduit les enfants et leurs parents, fait du zèle. Les professionnels de l’enfance doivent apprendre à détecter les comportements bizarres sans avoir peur de passer pour des délateurs. Il faut également écouter davantage la parole de l’enfant. Enfin, l’éducation nationale et la justice doivent travailler en étroite collaboration. Il n’est pas normal qu’en cas d’instruction judiciaires le recteur ne soit pas informé du suivi des affaires, comme c’est souvent le cas.
Le Nouvel Observateur : Quelles premières mesures concrètes allez-vous prendre ?
Ségolène Royal : J’ai mis en chantier la rédaction d’un guide pratique pour tous les responsables de la vie éducative afin de leur rappeler leurs obligations et les modalités de signalement des faits délictueux. Chaque inspection académique mettra en place un groupe pluridisciplinaire de dialogue, associant médecin scolaire, infirmière et assistante sociale. Ils seront les correspondants permanents des enseignants, des parents et des élèves. Ce point est essentiel sur les violences sexuelles commence quand les collègues se taisent. Obligation de signalement sera faite à tout fonctionnaire sinon la loi sera appliquée dans la mesure où elle sanctionne la non-assistance à enfant en danger. D’autre part, l’éducation nationale doit apporter son soutien psychologique et matériel aux victimes. L’État devrait pouvoir se constituer partie civile contre ses propres fonctionnaires et apporter une aide morale et matérielle aux familles.
Le Nouvel Observateur : Les syndicats enseignants réclament une meilleure prévention et une formation concernant la pédophilie.
Ségolène Royal : Dès la prochaine rentrée scolaire, une campagne nationale d’information sera développée à destination des enfants. Il n’est pas question de se contenter de gadgets comme une seule journée spéciale sur la violence à l’école. Il faut se servir du matériel pédagogique déjà existant. Le fameux petit film « Mon corps », c’est mon corps, et j’ai le droit de dire non sera largement diffusé. Par ailleurs, je réfléchis à l’intégration d’une formation au niveau des IUFM. Enfin, il faut rendre ses lettres de noblesse à la médecine scolaire. Il semble indispensable qu’un médecin vienne régulièrement ternir des permanences plusieurs jours à l’école.
Le Nouvel Observateur : Quelles sanctions prendrez-vous contre les enseignants coupables de pédophilie ? Et contre tous ceux qui ont été mutés ?
Ségolène Royal : Pour les premiers, il n’y aura qu’une seule et même sanction : la révocation définitive. Elle sera inscrite au dossier administratif pour que les coupables n’aillent pas se réfugier dans d’autres professions liées à l’enfance. Les mutations et les suspensions ne seront plus utilisées car les récidives sont très fréquentes. En ce qui concerne les mutations déjà effectuées, il faut compter sur la remontée de l’information car elles n’ont souvent pas été inscrites dans les dossiers. Il faudra revoir tous les signalements qui n’ont pas été pris au sérieux. Et ceux qui ont pris la décision de muter un enseignant en toute connaissance de cause seront poursuivie. Mon objectif est d’éradiquer ce problème rapidement et fermement.
Le Nouvel Observateur : Arrivent le temps des colonies de vacances puis, dans deux mois et demi, une nouvelle rentrée scolaire. Comment répondre aux angoisses des parents ?
Ségolène Royal : En les rassurant sur la qualité des colonies de vacances ! D’une façon générale, il faut apprendre très tôt à son enfant que son corps lui appartient. Être attentif en restant raisonnable. Il ne faudrait pas tomber dans une psychose ni créer des obsessions malvenues. Enfin, il faut arrêter de croire que la pédophilie n’existe qu’à l’école. N’oublions pas que 80 % des abus sexuels à enfant sont commis par des proches. Il n’y a pas d’avantages d’enseignants pédophiles à l’école que de parents pédophiles à la maison. Hélas ! l’inceste est encore un fléau plus lourd à combattre.
Date : 11 juillet 1997
Source : France 2
B. Duquesne : Q. Thomson CSF, ce n’est pas tout à fait votre partie, mais est-ce qu’on peut être un grand dans ce domaine si on ne passe pas des alliances avec des pays, des entreprises étrangères ?
S. Royal : Bien sûr. Je crois que, surtout, cette décision est une bonne nouvelle pour l’emploi, pour les salariés, les 30 000 salariés de cette entreprise. C’est une bonne nouvelle aussi pour la morale publique car, qui peut concevoir que l’on puisse privatiser une entreprise aussi stratégique ? L. Jospin a fait ce qu’il avait dit. Ce gouvernement travaille vite, est efficace, c’est ça que les Français peuvent voir ce soir.
B. Duquesne : Vous êtes chargée des affaires de l’enseignement scolaire. Dans les affaires de pédophilie, on a de plus en plus d’instituteurs, de professeurs, de proviseurs, d’inspecteurs d’académie qui demandent qu’elle doit être la conduite à tenir ?
S. Royal : D’abord, ce que nous leur avons redit ce matin, c’est que la maltraitance sur les enfants et notamment la maltraitance sexuelle est un fléau social très lourds en France, puisqu’on estime à une enfant sur dix, le nombre d’enfants qui subissent ce type de sévices. C’est dire l’importance du phénomène. C’est dire l’importance du phénomène. Le Gouvernement a décidé de faire reculer ce fléau social. Il y aura d’ailleurs, à l’automne, un projet de loi sur la prévention et la répression des atteintes sexuelles sur les enfants, avec E. Guigou, ministre de la justice. Et pour la première fois dans un gouvernement, éducation et justice travaillent la main dans la main, donc les choses vont bouger, vous pouvez compter sur nous.
B. Duquesne : Concrètement : on est proviseur, professeur de lycée, on apprend qu’il y a des suspicions de la part de parents sur un professeur, qu’est-ce qu’on fait, on alerte qui est dans quel délai ?
S. Royal : Il y a deux types de choses que l’on apprend dans l’école. L’école est un lieu de protection pour l’enfant qui subit des violences dans la famille, 80 % des cas, donc c’est un lieu de sécurité ; et en même temps, c’est un lieu, aussi, où l’enfant peut subir des violences sexuelles de la part d’adultes. C’est important de garder à l’esprit cet équilibre des choses. Alors, nous avons rappelé la loi car, ce qui nous a étonné en arrivant, c’est vraiment l’ignorance des textes et de la loi. Les règles sont très simples : tout fonctionnaires qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance d’un crime ou d’un délit commis sur quiconque et, a fortiori, sur un enfant doit le…
B. Duquesne : Doit le dénoncer ?
S. Royal : … Non dénoncer, doit le signaler. Les mots sont très importants parce qu’avec des mots comme “délation”, comme “dénonciation”, on a renforcé la loi du silence. Donc, le fonctionnaire doit signaler ce cas au procureur de la République. Et ce que j’ai redit aux enseignants, c’est qu’ils ne sont pas les juges. C’est le juge, ensuite, qui fait l’enquête. Donc, il faut que les faits soient avérés. Dès que l’enfant se confie.
B. Duquesne : Avérés, cela veut dire qu’ils doivent organiser eux-mêmes des confrontations entre le professeur et l’élève ?
S. Royal : Pas du tout. Au contraire, c’est là où les dérapages commencent.
B. Duquesne : Ils ne doivent rient faire du tout ?
S. Royal : Non, ils saisissent le parquet, le procureur de la République et c’est lui qui fait son enquête. Le problème se pose lorsqu’il y a des rumeurs, des ?ont dit? et c’est là où, en effet, il faut être très prudent. À ce moment-là, il diligente une enquête. Nous allons les appuyer pour cela dans chaque inspection.
B. Duquesne : En interne ?
S. Royal : En interne mais pas tout seul parce qu’il ne sait pas trop, il a peur, forcément. Un fonctionnaire a peur de ce qu’il va déclencher, il ne sait pas comment s’y prendre. Donc, la décision que nous venons de prendre, c’est de créer des lieux de ressource dans chaque inspection académique, avec un médecin, une assistante sociale, un juriste, qui va épauler l’enseignement, le directeur d’école.
B. Duquesne : C’est ce que demandent les syndicats, en fait ?
S. Royal : Mais bien sûr. Je crois que tout le monde a envie d’un lieu où l’on parle, où l’on discute, où l’on parle, où l’on discute, où l’on se demande ce que l’on va faire, mais ça, uniquement lorsqu’il y a rumeur. Il faudrait être bien claire : chaque fois qu’un enfant fait état de sévices, chaque fois que les faits sont avérés, c’est le procureur de la République, tout de suite. Dès lors qu’il s’agit de rumeurs, à ce moment-là, il faut une enquête. Ces lieux de ressource vont être mis en place dans les académies, au ministère de l’éducation nationale également et nous allons épauler la communauté éducative pour faire face à ce problème très difficile. Mais je crois que c’est une bonne chose que cette libération de la parole. Et le Gouvernement a décidé de faire des droits de l’enfant une de ses priorités.
B. Duquesne : J’ai beaucoup d’autres questions à vous poser sur des questions d’actualité et sur la rentrée. D’abord, sur le bac : c’est une bonne cuvée ?
S. Royal : Les premiers résultats sont arrivés, les résultats définitifs auront lieu mardi, donc, il y a encore des attentes angoissées des candidats. Je crois que le baccalauréat sera une bonne cuvée. Le baccalauréat garde tout son niveau, c’est un diplôme de grande qualité. Je voudrais d’abord féliciter ceux qui vont être reçus, remercier tous les enseignants qui ont conduit nos enfants de la maternelle au baccalauréat. Leur dire aussi que nous allons réfléchir et nous allons agir pour que augmente encore la proportion d’élèves qui ont le bac, nous en sommes à 65 % d’une classe d’âge, nous nous fixons un objectif de 80 % d’une classe d’âge, nous nous fixons un objectif de 80 % d’une classe d’âge. Je voudrais dire aussi à tous ceux qui n’ont pas le baccalauréat – il faut savoir qu’aujourd’hui, 70 000 enfants sortent du système scolaire sans diplôme validé – que nous allons trouver des solutions pour que chaque enfant sorte du système scolaire avec la mise en valeur de ce qu’il a acquis. Car il a appris des choses, il a des talents quelque part. Et nous allons mettre en place de nouvelles qualifications qui vont permettre à tous les enfants, tous les jeunes, de sortir du système scolaire en étant valorisé d’une façon ou d’une autre.
B. Duquesne : Sur la précédente rentrée, qui avait été marquée par beaucoup de conflits à propos de classes qui étaient fermées ?
S. Royal : Des situations dramatiques puisque le gouvernement précédent avait supprimé 5 000 classes.
B. Duquesne : Que dites-vous aujourd’hui ? Que ces classes vont être ré ouvertes ?
S. Royal : Que L. Jospin a décidé de rouvrir des classes, un nombre important de classes. Nous allons le faire en regardant plus près ce qui s’est passé sur le terrain, c’est-à-dire en donnant une priorité aux secteurs ruraux fragiles et aux zones urbaines où les publics scolaires ont besoin qu’on leur donne plus parce qu’ils ont moins. Je voudrais dire aussi qu’à la rentrée, tous les enfants mangeront à leur faim. Le Gouvernement a mis en place un fonds social pour les cantines, qui a été débloqué récemment, et 300 000 enfant vont enfin pouvoir accéder à ce droit élémentaire qui est celui de manger à sa faim.
Date : 16 juillet 1997
Source : France 2
G. Leclerc : Ils sont donc 467 000 à avoir, cette année, leur bac en poche ; c’est un taux de réussite de 77,1 %, c’est un record. Alors est-ce qu’il faut s’en féliciter ou, au contraire, y voir la preuve, la confirmation d’une baisse du niveau, d’un laxisme des examinateurs et donc d’une dévalorisation des diplômes ?
S. Royal : En tout cas, les principaux intéressés s’en félicitent. Il vaut mieux être reçu que d’échouer au baccalauréat. Et je voudrais, moi aussi, à cette occasion-là, remercier tous les personnels enseignants qui ont conduit nos enfants de la maternelle jusqu’au baccalauréat. C’est un effort extraordinaire de la nation, en effet, que d’amener 77 % des candidats à être reçus au baccalauréat, il faut bien sûr s’en féliciter. Cela veut dire que le niveau général des jeunes, dans ce pays, monte.
G. Leclerc : Ce n’est pas parce que le baccalauréat est trop facile ?
S. Royal : Pas du tout, c’est dû au fait aussi que le bac se diversifie, c’est-à-dire que l’on assiste à un équilibre entre la voie générale, la voie professionnelle et la voie technologique et que les jeunes choisissent désormais les filières professionnelles et technologiques par la voie de la réussite, c’est-à-dire positivement. Et donc la diversification des possibilités de formation qui leur sont données leur permet d’exceller là où ils ont des dons et là où ils ont envie d’aller.
G. Leclerc : Et donc le bac n’est pas plus facile qu’il y a quelques années ?
S. Royal : Pas du tout, je pense que même, vous savez, si nous étions un certain nombre à le repasser, on aurait peut-être quelques surprises, je suis prête à vous organiser un jury. Pas du tout, je crois que c’est le niveau du pays qui augmente, c’est très important. Notre objectif, qui s’inscrit toujours dans la loi d’orientation de 1989, c’est de conduire 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat.
G. Leclerc : Oui, mais justement, là, à première vue, on n’y va pas vraiment puisqu’il y a cette année, je crois, 61 % qui l’ont ; il y en a 66 % qui sont au niveau du bac, c’était 67 % l’an dernier. Donc on ne progresse pas vraiment vers les 80 % ?
S. Royal : Non, parce que c’est un ordre de grandeur. Vous savez, le niveau de baccalauréat, c’est difficilement mesurable, donc on en est, en effet, à 66 %, 67 %, il faut que nous arrivions à 80 % ça veut dire…
G. Leclerc : Ça reste l’objectif ?
S. Royal : Ça reste l’objectif bien sûr, ça veut dire qu’il faut travailler à chaque niveau du système scolaire, de la maternelle au baccalauréat, s’interroger sur les raisons de l’échec ; c’est-à-dire à la fin de la maternelle, comment faire en sorte que les enfants qui rentrent en CP apprennent mieux à lire et à écrire ; ensuite, en sixième comment éviter que des enfants soient en situation d’échec ; la barrière, ensuite, de la classe de troisième et puis bien évidemment la barrière du baccalauréat. Donc notre effort va porter sur un travail qualitatif maintenant puisque le système scolaire a relevé le défi de la quantité, nous devons maintenant davantage personnaliser les itinéraires des élèves pour que chacun trouve sa voie et soit valorisé là où il est bon.
G. Leclerc : Alors vous savez que le bac est contesté quand même : on le trouve trop lors, on le trouve arbitraire, l’inspection générale de l’éducation nationale dit qu’il faut l’alléger ; et puis, il y a d’autres gens qui disent carrément qu’il faut le remplacer par un système continu.
S. Royal : je crois que le baccalauréat joue un rôle essentiel dans notre société, bien au-delà de la reconnaissance du niveau scolaire.
G. Leclerc : Donc, il faut le garder ?
S. Royal : Oui, parce que c’est un passage un peu initiatique pour les jeunes, le passage à l’âge adulte, c’est un point de repère très important, c’est un moment aussi de reconnaissance du travail des enseignants et je crois que ce serait une véritable erreur que de supprimer le baccalauréat. En revanche, ce que dit l’inspection générale de l’éducation nationale, c’est que la lourdeur de l’organisation des épreuves entraîne une diminution de l’année scolaire pour les autres élèves. Je crois qu’il faut déjà regarder les choses avec bon sens, c’est-à-dire faire les conseils de classe plus tard dans l’année, peut-être organiser les épreuves ailleurs que dans les lycées. Donc on peut déjà aménager l’organisation du baccalauréat pour éviter que l’année scolaire des autres élèves soit réduite. C’est à cela que je vais m’employer prioritairement.
G. Leclerc : Alors une autre priorité, c’est la violence à l’école. Hier C. Allègre a annoncé neuf zones prioritaires : est-ce que c’est suffisant pour résoudre ce problème de la violence ?
S. Royal : C. Allègre a annoncé neuf zones prioritaires, cela veut dire qu’il y a des endroits, notamment, où les établissements sont très importants en masse. Vous savez, lorsque, dans un lycée ou dans un collège, vous avez plus de 1 000 élèves, forcément, il y a un phénomène de violence qui se déclenche. Donc il faut à la fois avoir des lieux prioritaires où s’organise une coordination entre l’éducation nationale, la police, la justice et en même temps, lancer une opération contre la violence comme l’a demandé d’ailleurs L. Jospin, dans tous les établissements scolaires de France. C’est ce que nous allons faire dès cet automne autour de l’idée d’une semaine citoyenne, où l’on va rappeler au fond aux partenaires de la communauté scolaire ce qu’est un règlement intérieur, ce qu’est un comportement respectueux de soi-même et des autres, ce qu’est lutter contre les phénomènes de violence à la fois qui semblent anodins, mais qui, dès qu’ils deviennent répétitifs, deviennent peu supportables. Il y a, à la fois, la violence entre élèves et la violence contre les enseignants, notamment contre les femmes enseignantes, et les enquêtes d’opinion montrent qu’à certains endroits, la situation est plus inquiétante, il y a la violence aux portes de l’école, la drogue par exemple.
G. Leclerc : C’est sur tous ces terrains-là que vous comptez agir ?
S. Royal : C’est sur tous ces terrains-là que nous comptons agir en appelant à la responsabilité. Je crois que c’est une véritable éducation citoyenne à la responsabilité citoyenne, à la responsabilité, à la morale civique qu’il faut rétablir dans l’école.
G. Leclerc : J. Chirac, le 14 juillet, s’est montré un peu comme un enseignant sévère, vigilant en tout cas, critique vis-à-vis de l’action du Gouvernement. Qu’en avez-vous pensé ?
S. Royal : Trop critique, d’ailleurs, puisque vous comparez cela avec le rôle d’enseignant. Vous savez, un enseignant, il doit aussi savoir valoriser, regarder ce qui est bon. J’ai été très étonnée des propos excessifs, rien ne trouve grâce à ses yeux. J’espère que ce n’est que transitoire et que l’objectif du chef de l’État était peut-être de rétablir sa propre autorité dans son propre camp, ce qui est un peu étonnant parce que le chef de l’État reste un arbitre et doit savoir aussi voir les choses avec nuance. Je souhaite que ce soit le cas dans les semaines et les mois qui viennent.
G. Leclerc : Ça ne l’a pas été, en tout cas, le 14 juillet ?
S. Royal : Je crois qu’il était dans un contexte qui n’a rien à voir avec celui qui concerne celui du rôle du chef de l’État. Il était sans doute plus soucieux de rétablir son autorité sur la droite. Est-ce que c’est son rôle ? C’est à lui de le définir.
Date : 17 juillet 1997
Source : L’Express
L’express : Vous avez réuni, le 11 juillet, l’ensemble des inspecteurs d’académie au ministère. Quel est votre objectif en matière de lutte contre la pédophilie ?
Ségolène Royal : Beaucoup d’affaires ont été étouffées dans le passé parce que les responsables ne savaient pas quelle conduite adopter. Nous avons donc donné des instructions extrêmement précises, afin que tout fonctionnaire sache désormais quelles démarches effectuer s’il apprend qu’un mineur est victime d’atteintes sexuelles, qu’il s’agisse d’un viol, d’attouchements, ou même de contacts physiques qui pourraient paraître anodins, mais qui ne le sont plus dès lors qu’ils se répètent.
L’express : Comment protéger les enfants, sans tomber dans l’hystérie et en évitant que des enseignants soient publiquement désignés à la vindicte populaire avant même qu’une enquête n’ait été menées ?
Ségolène Royal : Deux cas doivent être distingués. Si un enfant se plaint explicitement d’une atteinte sexuelle, la justice doit être avertie immédiatement. En revanche, s’il s’agit simplement de rumeurs, de témoignages indirects, comme c’est très souvent le cas, une enquête interne doit être menée au préalable. À la rentrée prochaine, toutes les inspections d’académie devront avoir mis en place des centres de ressources, comprenant à la fois médecins scolaires, assistantes sociales et juristes. Les membres de la communauté éducative qui croient avoir affaire à un cas de pédophilie devront contacter ces équipes. Et des inspecteurs de la vie scolaire seront dépêchés, si nécessaire, dans les établissements afin de mener une enquête.
L’express : Qu’espérez-vous de ce dispositif ?
Ségolène Royal : J’en attends la levée de la loi du silence et, donc, le recul de la souffrance muette des enfants, en particulier en milieu familial car c’est là que l’on rencontre 80 % des cas de maltraitance. Je travaille sur ce sujet en étroite collaboration avec Elisabeth Guigou.
Date : jeudi 24 juillet 1997
Source : Europe 1
B. de la Villardière : Dreux, Aulnay-sous-Bois, Sorgues, Giens et deux autres villes qui viennent de rejoindre le cortège des mairies qui ont pris des mesures de couvre-feu à l’égard des enfants de moins de 12, 13 et 14 ans – c’est selon les communes. Est-ce que vous n’avez pas un peu trop vite condamné ces maires en disant notamment que Paris n’était pas Bogota et que les enfants, dans le fond, n’étaient pas des chiens ?
R. « Je crois que lorsqu’on a des responsabilités publiques, on doit régler sérieusement les problèmes sans faire d’amalgames. Je trouver qu’il est de mauvais ton de jeter en pâture à l’opinion publique telle ou telle catégorie de la population. Je suis heureuse de voir que le syndicat des policiers en tenue a une réaction qui rejoint toutes celles qui ont désapprouvé ces mesures puisqu’ils ont dit qu’ils n’avaient pas attendu ces maires pour agir dans le cadre de la loi. La loi sur les mineurs en péril existe. Bien évidemment, lorsque tout adulte ou tout policier se promène dans les rues la nuit et rencontre un enfant de moins de douze ans, esseulé, bien évidemment, il le reconduit à sa famille.
B. de la Villardière : C’est un arrêté qui a un objectif politique ?
R. « Je crois qu’il fait un amalgame détestable.
B. de la Villardière : Vous pensez que c’est une manière de donner des gages aux électeurs ou aux thèses du Front national ?
R. « C’est surtout une manière de dire que certains enfants qui jouent le soir auprès des pieds d’immeubles sont forcément des délinquants. Je crois qu’il faut très vigoureusement réagir contre cet amalgame. D’abord parce qu’il y a deux problèmes différents. Il y a le problème du désœuvrement des enfants l’été. Je me retourne vers ces maires en leur demandant : que faites-vous pour que ces enfants soient pris en charge, emmenés dans des colonies de vacances ; soient accueillis, soient hébergés ? Il y a ensuite le problème de la délinquance qui est un problème différent. C’est vrai qu’aujourd’hui ce problème existe. Il faut savoir qu’il y a 17 000 mineurs condamnés pour délits dont plus de 800 pour les moins de 13 ans. Je voudrais dire tout de suite en face qu’il y a aujourd’hui en France 50 000 mineures qui sont victimes de violence et de mauvais traitement. Cela recadre déjà la réalité des choses. C’est vrai que la part des jeunes dans la délinquance augmente. C’est vrai que les délits des jeunes sont plus violents et c’est vrai qu’il y a une augmentation de ce qu’on appelle les actes d’incivilité. Donc, il faut se demander pourquoi et il faut se demander que faire.
B. de la Villardière : Il y a une chanson très à la mode qui est celle de la responsabilisation des parents et de la restauration de la morale civique. D’ailleurs vous avez annoncé quelques mesures à ce sujet.
R. « Ce que nous observons, c’est que la tranche d’âge la plus sensible est celle des 14-16 ans. Et pourquoi est-ce que la délinquance ou l’incivilité augmente dans cette tranche d’âge ? Parce que la famille perd de son autorité et que bien souvent, les mères seules, abandonnées par les pères, lorsqu’elles se retrouvent face à des adolescents n’ont plus aucune capacité d’autorité. Elles sont complètement débordées, dépassées par les événements.
B. de la Villardière : Il faut donner des cours de morale civique aux enfants et aux parents ?
R. « Je crois en effet, qu’il faut engager une vraie réflexion sur la prise en charge globale du réseau familial. Dans certains pays, les jeunes sont pris en charge par un réseau familial. Lorsqu’aujourd’hui, une mère de famille se trouve seule face un grand adolescent, elle n’arrive plus à faire face. J’ajoute aussi que l’éducation, c’est aussi par l’exemple qu’elle se fait. Ces dernières années, les adultes hauts placés ont quand même donné de forts mauvais exemples. Je crois que quand un jeune voit tous les soirs à la télévision les affaires de corruption de gens qui ont pignon sur rue, il est très difficile à la base de donner des cours de morale. Je crois que la restauration de la morale civiques, l’apprentissage dans une société de ce qui est permis, de ce qui est interdit, le rétablissement de l’autorité de la famille qui est quelque chose d’urgent nécessitent une prise en charge globale par toute la société de la prise en responsabilité, de la morale publique aussi.
B. de la Villardière : Est-ce qu’à la rentrée, il y aura des cours de morale publique à l’école ?
R. « Je crois que c’est une volonté du Premier ministre, L. Jospin, C. Allègre et moi, nous y travaillons. Je souhaite commencer dès l’école maternelle car on se rend compte que les pertes de repères commencent très tôt. Il faut apprendre à un enfant ce qui est permis, ce qui est interdit, ce qu’est un vol, ce qu’est le respect de son voisin, à ne pas crier trop fort, car c’est déjà porter atteinte à la liberté de l’autre qui veut parler, apprendre ce qu’est un mensonge. Au fur et à mesure, il faut s’adapter au niveau d’âge pour réapprendre aux jeunes à avoir des points de repère. J’ai été très frappée par une enquête qui a été faite chez les sans-domicile fixe et lorsqu’on leur demandait comment ils en étaient arrivés là, ils répondaient que ce dont ils avaient le plus manqué, c’était d’autorité et d’amour familial. Les pouvoirs publics ne peuvent pas tout faire. On ne peut pas se substituer à toute la famille mais on doit aider au rétablissement de l’autorité familiale.
B. de la Villardière : Lorsque vous êtes arrivée dans votre ministère, c’était en pleine affaire de pédophilie et de dénonciation généralisée en France. Vous avez défini récemment dans une circulaire, la ligne de conduite pour chefs d’établissement pour maintenir à la fois la présomption d’innocence et protéger l’enfant. Cette circulaire a été soumise aux syndicats pour consultation, quel est leur avis sur la question ?
R. « Ce que j’observe avec satisfaction, c’est un grand sentiment de soulagement. Toute la communauté éducative se dit qu’il y a enfin le courage de mettre les mots sur les faits, de se situer sans ambiguïté du côté des victimes. Ils ont le sentiment d’être enfin épaulés et de savoir enfin à qui parler et comment procéder. Il y a aussi enfin la clarification des règles de droit dont on parlait à l’instant, à savoir poser ce qui est permis, ce qui est interdit, poser les obligations des adultes. Le code pénal est parfaitement clair : tout adulte qui a connaissance d’un crime ou d’un délit commis sur un enfant doit en informer immédiatement le procureur de la République. Nous serons sans faiblesse face à ces adultes qui autrefois ont muté en catimini tel ou tel enseignant. Cela est fini aujourd’hui dans l’éducation nationale et il faut que les parents écoutent leurs enfants, écoutent les signes de souffrance qu’ils émettent parfois discrètement pour que, derrière, nous puissions prendre les sanctions nécessaires.
B. de la Villardière : Est-ce que l’éducation nationale va continuer de prendre en charge la défense des professeurs poursuivis devant les tribunaux pour pédophilie ?
R. « Bien évidemment que non, puisque la nouvelle règle que nous avons instaurée tout de suite au sein du ministère, c’est de nous situer à côté, de prendre la défense des victimes, y compris financièrement lorsqu’il faut faire face à des frais de justice. Déjà, dans toutes les affaires dont nous avons eu connaissance depuis que nous sommes en charge des responsabilités, les recteurs et inspecteurs d’académie ont reçu des instructions pour se trouver aux côtés des familles, pour faire des réunions publiques d’information, pour que la parole se libère et pour que les médecins scolaires viennent sur place et tiennent des permanences. Mais cela, c’est un travail de longue haleine : ce que je souhaiterais bien évidemment, c’est réhabiliter la médecine scolaire. Aujourd’hui, nous n’avons qu’un médecin pur 8 000 élèves. C’est trop peu. Nous avons besoin de médiateurs dans l’école qui prennent en charge ces problèmes de société pour que les enseignants soient dégagés et puissent se consacrer totalement à leurs responsabilités éducatives, c’est-à-dire à la réussite scolaire.
B. de la Villardière : Qu’y aura-t-il de nouveau lors de la rentrée scolaire par rapport à 1996 ?
R. « D’abord, avec C. Allègre, vous avez vu que nous avons réglé le problème des 30 000 maîtres auxiliaires. C’est une question sociale qui traînait depuis des années et qui et est enfin réglé.
B. de la Villardière : Ils vont être titularisés ?
R. « Ils vont être réemployés. Un plan de retitularisation sera mis en place par l’intermédiaire de concours. Cela signifie surtout plus de présence humaine auprès des enfants. En second lieu, nous lançons le plan emplois-jeunes.
B. de la Villardière : 40 000 postes seront créés ?
R. « Oui. Ce qui est important, c’est de définir les profils de ces jeunes qui vont aller dans les écoles, y compris en liaison avec les problèmes que nous venons d’évoquer : ce sont des aides-éducateurs qui viendront en soutien des enseignants pour faire davantage de présence dans l’école et de soutien scolaire. Enfin, à la demande du Premier ministre, nous réglons les problèmes sociaux urgents : le problème de l’accès des enfants à la cantine – car là aussi, comment un enfant ne serait-il pas violent lorsqu’il est rejeté de la cantine ou lorsqu’il est en situation de malnutrition ? Dès la rentrée scolaire, tous les enfants mangeront à leur faim dans les écoles puisque nous mettons en place un fonds social pour les cantines.
B. de la Villardière : D. Strauss-Kahn a fait une déclaration qui est finalement un aveu, quelque chose d’assez honnête, dans l’International Herald Tribune ; il déclare que le chômage ne baissera pas en France avant fin 1998.
S. Royal : Peut-être n’a-t-il pas voulu anticiper ou entretenir de faux espoirs. Je pense que ce qu’a voulu dire D. Strauss-Kahn, c’est que la projection simple des données économiques donnait ce résultat-là. Mais comme vous le savez, la lutte contre le chômage, c’est notre priorité, et la politique sert justement à donner des inflexions plus volontaristes sur les simples mouvements économiques. Donc, le lancement du plan emplois-jeunes sur lequel travaille M. Aubry, les mesures qui viennent d’être prises dans le plan fiscal, c’est-à-dire qui vont inciter les entreprises à réinvestir de façon active leurs profits, tout cela devrait donner des résultats. Mais comme vous le savez, la préoccupation du Gouvernement, c’est de ne pas faire d’effet d’annonce, c’est de travailler et ensuite de rendre compte devant les Français des résultats de ces actions.