Interview de M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, membre du bureau national du PS, dans "Le Monde" du 27 août 1997, sur la politique audiovisuelle du gouvernement, notamment le budget de l'audiovisuel, la hausse de la redevance audiovisuelle et la réforme du CSA.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jack Lang - président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, membre du bureau national du PS, ;
  • Yves-Marie Labé - Journaliste ;
  • Nicole Vulser - Journaliste

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : Quelles réflexions inspire le paysage audiovisuel français à l’ancien ministre de la culture ?

Jack Lang : Il faut se garder d’improviser au risque de déstabiliser un fragile équilibre à la française. En même temps, il faut agir vite et fort pour arracher le service public à l’asphyxie et à sa crise d’identité ou pour rattraper notre retard abyssal dans la révolution numérique. Bref, l’audace et l’imagination doivent être au rendez-vous.

Le Monde : Quel est votre diagnostic de la situation ?

Jack Lang : Depuis 1995, les subsides de France Télévision, d’Arte ou de La Cinquième ont fondu : trop de dirigeants politiques considèrent ces chaînes comme un boulet alors qu’elles sont une véritable chance. Il faut toutefois deux conditions pour rénover le service public : une volonté politique claire, qui assigne aux chaînes de radio et de télévision publiques un rôle de colonne vertébrale du système audiovisuel et non pas celui d’une institution que l’on cherche à marginaliser. C’est la volonté des socialistes et elle sera affirmée, j’en suis sûr, par Catherine Trautmann.

Conséquence de ce choix : la nécessaire et courageuse revalorisation de la redevance, si possible en la modulant en fonction des revenus. Une première étape raisonnable pourrait être une augmentation de 5 % à 6 %. Et naturellement, sans aucune diminution, par ailleurs, des aides budgétaires, fâcheuse et hypocrite méthode utilisée par nos prédécesseurs, qui, par ailleurs, finançaient l’action audiovisuelle extérieure par la redevance.

L’autre condition de la rénovation du service public passe par un réel exercice par l’État de son rôle d’actionnaire : rattachement du service juridique et technique de l’information (SJTI) à une grande direction de l’audiovisuel et du cinéma, qui serait créée au sein du ministère de la communication ; affectation d’une fraction de la redevance à un fonds d’initiative culturelle géré par le ministère pour encourager une réelle présence des arts, de la science, de l’environnement ou de la santé à la télévision.

Par ailleurs, le bouillonnement intellectuel, scientifique et artistique des provinces – révolution culturelle des dernières années – pourrait heureusement mourir de vraies chaînes régionales qui constitueraient l’armature de France 3.

Le Monde : Pensez-vous qu’il faille accorder davantage de pouvoirs au CSA, comme vient de le demander son président Hervé Bourges dans nos colonnes ?

Jack Lang : La création d’une instance autonome fut une révolution en 1981. Mais certaines déficiences se sont fait jour. Trop souvent, le fait a entraîné la droite et le CSA, tel qu’il est structuré, à parfois manqué de fermeté dans l’application des lois. Le temps est venu d’une profonde réforme d’un CSA aujourd’hui inadapté. D’abord, sa composition qui dilue l’esprit de responsabilité. La Fédéral communication commission (FCC) a trois juges. Voilà un bon chiffre à retenir pour un futur CSA, en n’oubliant pas au passage de le doter de vrais moyens de travail. Autre nécessité : créer une autorité unique de régulation qui chapeauterait l’audiovisuel et les télécommunications en lui accordant un pouvoir réglementaire. Ce nouvel organisme pourrait d’autant mieux exercer sa mission que le pouvoir de sanction serait attribué à un juge de droit commun. Par exemple, le Conseil d’État.

Le Monde : Que pensez-vous des projets anti-concentration du député socialiste Didier Mathus pour empêcher un opérateur de détenir plus de 25 % d’une chaîne et une société passant des marchés avec l’État, plus de 10 % ?

Jack Lang : Je ne suis pas ennemi des loi anti-concentration : dans les régimes dits libéraux, les lois anti-trust sont la condition de la libre concurrence, de la fluidité du système. Mais, il ne faudrait pas mettre la charrue devant les bœufs. Et avant d’imaginer des remèdes, il faudrait poser les vraies questions : la qualité des programmes et le pluralisme de l’information.

La qualité des programmes des télévisions privées a été encouragée dans les années 80 par les quotas de diffusion et de production ou le compte de soutien aux industries de programmes. Ce sont d’autres règles de ce type qui seront source d’enrichissement des programmes, plutôt que le remplacement d’un propriétaire de chaîne par un autre.

Quant à l’amélioration du pluralisme de l’information, la vraie réponse ne consiste-t-elle pas à imaginer un droit nouveau de la presse qui briserait le lien de subordination entre les actionnaires et les responsables des rédactions, méthode utilisée dans d’autres pays libéraux comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne ? Au pays de Montesquieu et de L’Esprit des lois, la séparation des pouvoirs a encore des grands progrès à accomplir. On pourrait imaginer aussi la création, au sein de chaque chaîne, d’un conseil de pluralisme. Bref, je propose qu’avant de décider, toutes les pistes soient explorées. Gardons-nous de jouer trop vite au Monopoly.

Le Monde : Quelle leçon tirez-vous de l’échec de la privatisation de la Société française de production (SFP) ?

Jack Lang : C’est un crève-cœur. Le dossier légué par le précédent gouvernement est en loques. Si la SFP doit être maintenue dans le giron public, il faudra évidemment en payer le prix.

Le Monde : Quelles réflexions vous inspire la déclaration de Lionel Jospin, destinée à combler le retard français dans le domaine du multimédia ?

Jack Lang : C’est une bonne nouvelle. Par la voix du Premier ministre, la gauche sort d’un archaïsme qui l’a rendue trop souvent méfiante à l’égard des nouvelles technologies. Il faut à présent mettre les bouchées triples. Le plan Jospin, qui s’attaque avec vigueur aux causes de notre retard national, pourrait être heureusement enrichi par des initiatives européennes. En premier lieu, l’ouverture au capital privé de France Télécom – que j’appelle de mes vœux – permettrait de nouer des relations fécondes avec des sociétés de télécommunications d’autres pays.

Un fonds de soutien européen à la production multimédia pourrait s’inspirer de l’agence Octet que nous avions créée en 1985 et qui a permis la renaissance du film d’animation et l’essor du jeu vidéo. On pourrait surtout encourager la création de « silicon valleys » à l’européenne, basés sur une culture du capital-risque et l’éventuelle création de zones franches. C’est ainsi que l’Irlande offre aujourd’hui l’exemple d’un pays entré de plain-pied dans la modernité. Les biens immatériels sont la richesse de demain. L’application rapide et intense du plan Jospin peut permettre à la France de retrouver son rôle de pionnier de l’innovation.