Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, à France-Inter le 2 avril 1999, sur le projet de loi sur la réforme de l'audiovisuel public.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur l'organisation et le financement du service public de l'audiovisuel en Conseil des ministres le 21 avril 1999.

Média : France Inter

Texte intégral

Stéphane Paoli : Avec moins de publicité et une nouvelle structure regroupant France 2 et France 3, Arte et la Cinquième, l’audiovisuel public répondra-t-il mieux à sa mission de qualité et de contenu ? 8 minutes de publicité par heure en 2001 au lieu de 12 aujourd’hui, est-ce un aussi grand changement ? Cet allégement d’un tiers libérera-t-il l’audiovisuel public de la contrainte de l’audimat qui attire la publicité et donc influe sur le contenu des programmes ? La version corrigée du projet de loi sur l’audiovisuel public après deux ans de travail, les frondes de tout bord, et l’action de lobbying des chaînes privées a été présentée, hier, en Conseil des ministres, par la ministre de la culture et de la communication.
C’est un chemin de croix, l’audiovisuel public ?

Catherine Trautmann : Ce n’est jamais facile. C’est en général une loi qui n’est guère aimée par les chefs de gouvernement ou par les gouvernements parce que lorsqu’on parle de télévision ou de médias c’est très passionnel. Tout le monde pense que c’est simple. En réalité, il y a des questions qui sont vraiment importantes mais, je crois qu’à partir du moment où j’ai mieux pu faire entendre mes trois priorités sur le texte et réunir l’ensemble de la majorité, finalement, c’est le résultat qui compte quelles que soient les difficultés.

Stéphane Paoli : C’est comme dans les grandes batailles, c’est : garde toi à droite, garde toi à gauche, de tous côtés en fait ?

Catherine Trautmann : Garde toi de tous côtés mais garde le cap. Je crois que c’est surtout cela. Il faut faire preuve d’une certaine ténacité, ne pas rompre avec ce qui est le projet de départ, savoir aussi, au fond, quel est le but. Pour moi, le but c’est de pouvoir clairement favoriser le résultat pour le téléspectateur. Cette loi est positive pour le téléspectateur : la fin des tunnels de publicité, plus de possibilité de donner place aux programmes, des programmes aussi de meilleure qualité. Elle est positive aussi – et c’est la deuxième intention – par rapport aux groupes privés, dans la garantie donnée à l’indépendance de l’information par, tout simplement, l’engagement des opérateurs à démontrer qu’ils garantissent cette indépendance quelque soit le moyen choisi – société de rédacteurs, charte de déontologie ou médiateur. Et c’est en même temps – et c’est la troisième priorité – une loi positive pour un secteur qui doit s’affirmer face aux risques d’américanisation.

Stéphane Paoli : Mais si on pousse les choses au fond à leurs limites, mettons-nous à la place des auditeurs et des téléspectateurs du service public : qu’est-ce que la publicité a affaire là-dedans ? Est-ce qu’on est encore obligé, est-ce que vous êtes encore obligée de composer avec cela ? Est-ce qu’au fond 8 minutes par heure ce n’est encore beaucoup trop ? Est-ce que ce n’est pas encore absurde au fond ?

Catherine Trautmann : Le problème est de partir de la situation dans laquelle nous sommes. Moi, ce que j’ai souhaité et ce qui est sans précédent c’est de donner plus de moyens financiers à l’audiovisuel public. Je constate que, depuis les dernières années, les moyens financiers de l’audiovisuel public – radio télévision – ont considérablement diminué. Et qu’on avançait tout simplement vers une privatisation de fait de France 2. J’ai voulu arrêter cette pente.

Stéphane Paoli : Aujourd’hui on peut dire que c’est arrêté ?

Catherine Trautmann : C’est arrêté…

Stéphane Paoli : Il n’y aura pas de privatisation de France 2 ?

Catherine Trautmann : C’est arrêté en limitant la publicité à 50 %. Mais cette loi apporte une véritable rupture. Car lorsqu’on est à un tiers de financement par la publicité on réaffirme les missions de service public de façon crédible. Et ce que cette loi va introduire c’est la pérennité du service public, son renforcement par l’addition des forces que constituent toutes les chaînes mais aussi, je voudrais clairement le dire : c’est la première fois que dans une loi, on définit les missions de service public. Et c’est très important au moment où certains veulent s’attaquer au service public. Ce n’est pas le moment. Je crois que dans les atouts français que nous pouvons avoir face à la concurrence internationale, face à notre industrie de programmes et aux créateurs, notre meilleur atout ce sont les programmes. C’est ce qui est au fond vu par le téléspectateur ou la personne qui apprécie les films. L’industrie audiovisuelle et l’industrie cinématographique doivent être renforcées en France.

Stéphane Paoli : Est-ce qu’on aura une garantie de qualité ? Parce qu’après tout c’est vous et moi madame qui allons payer cela ? À nouveau, s’il y a une dotation budgétaire garantie par Bercy, c’est vous et moi qui allons payer.

Catherine Trautmann : D’abord je voudrais dire que ce n’est pas par la redevance qu’on compense la baisse de recette de la publicité. Passer à 8 minutes me permet de dégager un milliard et le Premier ministre a arbitré – et c’est important – dans la compensation intégrale des exonérations de redevances – ce que je trouve juste – pour les télévisions et radios publiques parce que cela leur permet de bénéficier d’un financement qu’elles auraient toujours dû avoir. Mais c’est tout de même ce gouvernement qui prend cet engagement. Et cet engagement inscrit dans la loi est garanti. C’est une garantie forte. Et puis sur l’évaluation des programmes – parce que je pense, en effet, que le téléspectateur est concerné – je travaille avec les parlementaires sur la manière de les associer à l’évaluation des programmes. Je rappelle que j’avais pris l’initiative de demander aux différentes entreprises publiques de mettre en place des médiateurs. Je crois que c’est intéressant. Et on n’appréciera plus seulement les programmes par l’audimat mais, en fait, par une analyse plus qualitative. Je crois qu’en libérant davantage l’audiovisuel public de la publicité, je lui donne plus de liberté, plus de marge de manœuvre, plus d’espace et de temps pour les programmes et en même temps en dégageant des moyens – cela représentera quand même pour la production aux alentours de 500 millions de francs qui, par l’application simple de la réforme vont être versés vers la production – ce sera aussi la possibilité de renforcer les programmes pour la jeunesse, les documentaires et le multimédia.

Stéphane Paoli : On ne pouvait pas encore aller plus loin ? Tenez, si on prend l’exemple de la BBC : moi, cela m’a frappé, j’ai regardé cela dans la presse ce matin, dans La Tribune : pour la BBC la redevance est à concurrence de 94 % de financement de la chaîne. Pourquoi on ne fait pas aussi bien ?

Catherine Trautmann : Vous savez on ne passe pas de la situation française à la situation de la BBC comme cela. Je crois qu’en soit, d’ailleurs, la publicité appartient à la vie courante.

Stéphane Paoli : Mais cela influe sur les programmes quand même, vous le savez bien. S’il y a de la publicité, il y a de l’audimat et s’il y a de l’audimat il y a plus de publicité et donc plus d’argent et donc les programmes sont faits en fonction de cela. C’est un système complexe.

Catherine Trautmann : C’est pour cela qu’il faut l’arrêter. Et c’est pour cela qu’il faut le limiter. Ce que je veux dire c’est que si nous sommes à 8 minutes de publicité donc indiquées par la loi, pour le téléspectateur il aura le même résultat que lorsque la publicité était limitée à 5 minutes parce qu’il aura des écrans qui vont représenter 4 minutes. 4 minutes par rapport à ce qui est aujourd’hui parfois des tunnels de 14 minutes, je veux dire que cela fait une sacrée différence. Et en même temps, en limitant l’auto promotion, eh bien on contraint aussi les chaînes à avoir plus de sagesse, à ne pas encombrer les périodes en début de soirée par un afflux de moments destinés à une publicité dont on ne sait plus très bien ce qu’elle représente. Ce qui fait le téléspectateur, lui, regrette que les émissions ne commencent pas à temps, est agacé et zappe. Et si on veut fidéliser à nouveau les téléspectateurs aux télévisions publiques, il faut d’abord être régulier sur les horaires, sérieux et exigeant sur la qualité et en même temps davantage lui donner place à l’écran. Je pense qu’on est dans une société qui a une exigence démocratique.

Stéphane Paoli : Alors, exigence démocratique : quid du contrôle de l’information ? De plus en plus, on passe dans le champ du privé, les chaînes de télévision appartiennent à de grands groupes qui sont aussi, par ailleurs, souvent des grands économiques : quid du contrôle de l’information par des grands groupes économiques et qui peuvent être quelquefois, pas toujours, des groupes de pression ?

Catherine Trautmann : Ce que la loi précise bien c’est la responsabilité de l’instance qui attribue les autorisations d’émettre, c’est-à-dire le CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel. C’est à lui d’exiger que les télévisions, les groupes de télévision démontrent ce qui est entrepris pour respecter l’indépendance de l’information. C’est la logique de la preuve.

Stéphane Paoli : Il aura un vrai pouvoir pour cela ?

Catherine Trautmann : Oui, il a un vrai pouvoir parce que la loi prévoit aussi de quelle façon il peut être à la fois être informé des marchés publics, comment il peut être au courant de l’évolution, de l’attitude et de la place ou des changements qui peuvent intervenir dans l’actionnariat. Et je voudrais bien redire ici que nous organisons, pour la première fois, un système de régulation qui donne sa place au Conseil de la concurrence pour les concentrations. Vous savez qu’on est dans une ère où les groupes au fond se concentrent partout et que cela peut se faire dans de bonnes conditions, comme dans de mauvaises. On ne peut pas accepter n’importe quoi. Et d’autre part on est maintenant dans une concurrence qui a d’ailleurs pénalisé d’une certaine manière le public mais qui risque aussi d’apporter des tempêtes dans le privé. Donc cette régulation permet quoi ? A la fois par le Conseil de la Concurrence de surveiller, de se prononcer sur des problèmes qui peuvent exister en matière de rupture de concurrence, surveiller aussi des concentrations, mais il ne le fait pas seul. Comme c’est un secteur spécifique qui est pour nous essentiel dans l’exception culturelle et dans le développement de notre influence française en Europe et dans le monde, le CSA est associé. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est notre garant du respect de l’indépendance de l’information et du pluralisme. Et cela, je me devais d’apporter cette garantie vis-à-vis des Français.

Stéphane Paoli : S’agissant de ce grand groupe industriel – c’est le mot que vous avez utilisé vous-même – pour l’audiovisuel public qui va regrouper France 2…

Catherine Trautmann : Enfin grand et petit par rapport aux grands groupes internationaux.

Stéphane Paoli : Donc France 2, France 3, Arte, la Cinquième. C’est le CSA qui nommera le président sauf que là on va désigner dans les semaines qui viennent le nouveau président de France Télévision. Alors ce nouveau président restera-t-il en place dès l’instant où ce grand groupe industriel sera mis en place ?

Catherine Trautmann : Ce n’est pas à moi de vous répondre. C’est le CSA qui décide, vous venez de le dire. Moi, ce qui m’importe c’est que cette réforme dont il est prévu qu’une première phase soit déjà opérationnelle dans le budget 2000 sous l’angle de la diminution de la publicité, du versement d’une première tranche de moyens supplémentaires puisse se réaliser dans les meilleures conditions. C’est aussi de préparer la télévision du futur puisque je voudrais pouvoir introduire dans la loi les dispositions qui prévoient le passage à la télévision numérique et aux télévisions locales. On a connu dans le passé la distribution des fréquences lorsqu’on a voulu libéraliser les fréquences radio. Je voudrais que cette fois-ci on puisse le faire de façon organisée et garantie, là encore, pour que notre paysage audiovisuel soit dynamique, diversifié et en même temps qu’on nous comptions, pour le siècle à venir, sur la force des industries culturelles.