Déclaration de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'état à l'outre-mer, sur la situation économique et sociale des DOM, notamment les orientations du Gouvernement en vue de favoriser le développement et la création d'emplois, Paris le 17 septembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de la Fédération des entreprises des départements d'outre-mer (FEDOM), Paris le 17 septembre 1997

Texte intégral

Monsieur le Président de la F.E.D.O.M.,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de me trouver ce soir avec vous, à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération des Entreprises des départements d’outre-mer, pour un échange de vues sur la situation économique et sociale des D.O.M.

Je remercie tout particulièrement M. le Préfet Lucien VOCHEL pour l’organisation minutieuse de ces journées, pour la qualité des débats et la vivacité du dialogue qui se poursuit entre vous, acteurs socio-économiques, et l’État.

Ce dialogue est indispensable : il est le préalable à la définition d’une politique de développement économique et social durable des D.O.M. Je sais au demeurant pouvoir compter sur vous.

J’ai pris connaissance de vos contributions à ce partenariat au travers du rapport que m’ont fait mes collaborateurs des débats de ce jour et également par la lecture du mémoire, de grand intérêt, de M. Claude NEUSCHWANDER.

De ces mêmes éléments, je retiens une idée force : celle que le préalable au développement économique des D.O.M. réside dans un environnement juridique, social, financier et fiscal maîtrisé.

Mes différents voyages outre-mer et mes rencontres avec les interlocuteurs les plus divers me confirment que l’État doit dire ce qu’il attend de l’outre-mer et annoncer également ce qu’il compte apporter à l’outre-mer, pour répondre à ses attentes.

Sans vouloir engager de polémique, je constate qu’au cours des quatre dernières années, les Gouvernements ont successivement poursuivi des objectifs contradictoires :

* Celui de l’abaissement des charges de certaines entreprises au travers de la loi Perben, s’inscrivant d’ailleurs dans la logique du rapport Ripert ;
* Celui de l’égalité sociale qui, pour nécessaire qu’elle ait été, a eu pour conséquence un alourdissement de ces mêmes charges.

Ces options successives ont, comme vous me l’avez dit, rendu les entreprises des D.O.M. plus vulnérables aux mouvements de conjoncture internationale et nationale.

La situation de l’emploi s’est rapidement dégradée malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics. Le dernier rapport de l’I.E.D.O.M. montre une dérive importante du marché de l’emploi puisque le nombre de demandeurs d’emplois a progressé de 19% entre 1993 et 1996.

Il est temps, je crois, de travailler ensemble à une stabilisation des règles du jeu économique afin de permettre à l’esprit d’entreprise et à la créativité des entrepreneurs de s’exprimer pleinement, avec pour objectif premier emploi.

De ce point de vue, un regard rétrospectif sur cinquante ans de départementalisation institutionnelle, économique et sociale permet de repérer les sujets sur lesquels il importe d’évoluer.

Il s’agit de l’État de droit tout d’abord. Celui-ci est insuffisamment développé dans les départements d’outre-mer et notamment dans le domaine économique et social où le rapport de force l’emporte le plus souvent, y compris en utilisant l’institution judiciaire, sur le règlement négocié des conflits.

Cette insuffisance de l’État de droit se retrouve également dans le jeu souvent faussé de la concurrence, qu’il s’agisse du respect des règles fiscales et sociales, comme du recours à l’emploi illégal.

L’activité économique outre-mer doit devenir plus citoyenne qu’elle ne n’est aujourd’hui. Cet objectif passe par une sévérité sans faille à l’égard de ceux qui ne « jouent pas le jeu ».

En second lieu, la départementalisation a eu pour conséquence, du point de vue économique, de traiter les quatre D.O.M. sur un modèle unique, alors que les situations de fait sont nettement différenciées, comme l’a souligné M. NEUSCHWANDER. Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre s’est montré favorable à une évolution institutionnelle différenciée des D.O.M.

Je crois que cet objectif est également pertinent dans le domaine de l’activité tant il est vrai qu’il existe par-delà les éléments de base communs, au minimum trois réalités économiques distinctes dans les départements d’outre-mer, entre l’ensemble antillais, la Guyane et la Réunion.

Ainsi se doit-on d’encourager la déconcentration et la décentralisation des politiques de développement économique et social dans les D.O.M., en ne conservant à Paris qu’un regard sur la cohérence des actions menées et sur la préservation des intérêts communs.

Mais au-delà de ces principes généraux, il m’apparaît indispensable que le Gouvernement fixe, en accord avec les partenaires socioprofessionnels, des axes tangibles et déterminés d’intervention.

Pour ma part, j’en vois essentiellement cinq :

* La relance de la relation avec l’Europe,
* Le soutien aux filières structurantes et en devenir,
* La stabilisation des charges des entreprises,
* Le soutien des investissements pour la reconquête des marchés,
* Le dialogue social et la formation.

Ces orientations poursuivent un objectif premier : favoriser le développement et la création d’emplois.

Je crois d’ailleurs qu’il ne nous sera pas difficile de nous accorder sur ces objectifs.

La relance de la relation avec l’Europe tout d’abord. Vous l’avez-vous-même signalé lors de l’assemblée générale annuelle de l’EURODOM en début d’année : après une phase d’intense activité, une phase très constructive, la relation des D.O.M., régions ultrapériphériques, avec l’Union Européenne, est désormais plus difficile.

L’intérêt porté aux régions ultrapériphériques à Bruxelles est un peu moindre à 15 qu’il ne l’était à 12.

Il nous faudra veiller dans un futur proche que la situation des D.O.M., vue de Bruxelles, ne soit pas banalisée avec l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale.

Nous devons faire comprendre aux autorités européennes et à nos partenaires que les Régions d’outre-mer ne sont pas seulement une charge mais aussi un atout, car elles manifestent la présence de l’Europe aux portes de marchés en devenir : l’Amérique latine et l’Afrique australe.

C’est aussi la chance de promouvoir notre modèle social dans les environnements qui hésitent sur leurs formes de développement.

C’est la raison pour laquelle, entre autres, le Gouvernement a tenu ferme, et a obtenu satisfaction lors de la négociation à Amsterdam du nouvel article 227/2 du traité.

On ne peut que se féliciter d’avoir obtenu de nos partenaires de l’Union la reconnaissance d’une politique communautaire adaptée à la spécificité des D.O.M.

A cet égard, on peut mesurer le paradoxe qu’il y aurait entre cette reconnaissance et une éventuelle décision négative de la juridiction européenne concernant l’octroi de mer.

Dans quelques semaines, la Cour de Justice des Communautés européennes sera amenée à rendre un arrêt sur deux affaires dont elle est saisie et qui portent sur la conformité au Traité de Rome de la décision du Conseil Européen de 1989 et de la loi de 1992.

Vous avez pu prendre connaissance comme moi des conclusions particulièrement sévères de l’avocat général de la Cour.

Il considère que le principe de libre circulation des marchandises ne doit souffrir aucune exception ni adaptation aux particularités des départements d’outre-mer et qu’en permettant une discrimination entre les productions locales et les produits importés, la décision du Conseil des ministres de 1989 et la loi de 1992 seraient contraintes au Traité de l’Union Européenne.

On ne peut évidemment préjuger de l’arrêt qui sera rendu.

Quelles que soient l’orientation et l’étendue de la décision finale, je serai vigilant sur trois préoccupations essentielles : la protection du marché intérieur des D.O.M., la possibilité d’exonérer certaines productions locales et la garantie des ressources des collectivités locales.

Pour réserver l’essentiel, il nous faut donc travailler dès aujourd’hui aux évolutions du dispositif actuel d’octroi de mer et de sa pratique. J’entends bien le faire dans la plus large concertation avec les élus locaux et les représentants des milieux économiques. Dès le début du mois d’octobre, une première rencontre aura lieu afin d’examiner les différentes hypothèses possibles.


Deuxième orientation : le soutien aux filières structurantes et en devenir.

Le rapport de M. NEUSCHWANDER démontre qu’il n’existe pas une réalité socio-économique domienne, mais des situations avec des points communs et des différences notables entre l’ensemble antillais, la Réunion et la Guyane.

Aussi la politique des filières telle qu’elle a été mise en place depuis plusieurs années doit être poursuivie, sur les bases d’option arrêtées sur le plan régional.

Je n’en veux qu’un exemple à l’appui : le tourisme. C’est une activité commune aux quatre D.O.M., pourtant les produits offerts et les types de tourisme proposés ne sont pas les mêmes entre les Antilles, ouvertes sur la mer, la Réunion, qui offre une montagne spectaculaire, et la Guyane, avec un milieu naturel qui la prédispose au tourisme d’aventure. La nature des problèmes rencontrés, les besoins ressentis et les objectifs de développement sont différents. Il importe de traiter cette différence par une approche adaptée. Je pense que des schémas touristiques régionaux pourraient être élaborés dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire.

Une approche similaire doit être engagée pour l’ensemble des filières productives afin d’exploiter, de manière précise et patiente, les « niches » d’activités qui généreront les emplois dans les D.O.M. ont besoin.

Je voudrais aussi aborder une question d’actualité, celle de la filière banane, dont je connais l’importance pour l’économie et l’emploi aux Antilles.

Depuis 1992, l’O.C.M. banane a permis une modernisation de cette filière et a atténué les chocs liés aux événements cycloniques.

Cette organisation du marché a fait l’objet d’attaques répétées des multinationales commercialisant les « bananes dollar ».

Nous venons d’apprendre les conclusions en appel du panel de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Ces conclusions font la part belle aux tenants du libre-échange, dont on sait qu’il s’accompagne de mécanismes d’exploitation fondés sur des droits sociaux rudimentaires et la dégradation de l’environnement naturel.

Ces conclusions s’attaquent aux licences d’importation, ce qui peut avoir pour effet d’affaiblir gravement le système de commercialisation, qui participe au financement de la production et porter atteinte au maintien des quelque 25 000 emplois directs et indirects que représente cette filière aux Antilles.

Une procédure lourde et complexe va maintenant s’engager tant sur le plan communautaire qu’international.

Je voudrais souligner trois points :

* La France, au travers de l’Union Européenne, n’a signé le texte sur l’Organisation Mondiale du Commerce qu’à la condition que les État producteurs et consommateurs de « banane dollar » reconnaissent l’antériorité de l’Organisation Commune du Marché de la banane.
Nous le rappelons à nos partenaires européens quand viendra la question de la mise en conformité.
* Nous devons aussi veiller à ce que les intérêts des pays A.C.P. auxquels l’Europe est liée par la Convention de Lomé soient préservés.
* Je crois aussi qu’il nous faudra tirer profit, en termes de négociation, de l’attitude de l’O.M.C. pour relancer le dossier de la « recette de référence », si important pour le revenu des producteurs.

Les réactions des milieux politiques et économiques espagnols nous confortent dans une attitude ferme.


Troisième orientation : la stabilisation des charges des entreprises.

Vous soulignez souvent, et avec pertinence, la concurrence que subissent les entreprises des D.O.M. par rapport à leur environnement, en raison de l’écart de coûts salariaux.

Je comprends parfaitement votre approche mais je tiens aussi à la nuancer : cette concurrence n’est réelle que sur des productions identiques, alimentant les mêmes marchés. Cela est le cas pour les États A.C.P., cela est moins vrai pour les pays tiers.

Je crois par ailleurs, et ceci nous ramène à la politique des filières, que lorsque des écarts importants de coûts se produisent, il est indispensable de diversifier l’activité de production pour aller vers des secteurs de plus faible concurrence, là où le lien entre l’Europe, la métropole et les D.O.M. peut s’avérer un avantage décisif : je veux parler des activités technologiques.

Je sais que des efforts sont engagés en ce sens et le dispositif mis en place par la loi Perben aident considérablement.

En 1996, le montant total des exonérations de charges sociales s’est élevé à 860 MF, compensé il est vrai par les 730 MF de produits supplémentaires de la TVA. Au total, le coût net pour l’État n’est pas négligeable : 130 MF.

L’effort est réel, le dispositif sera maintenu.

Il sera prolongé au travers d’un dispositif d’aménagement du territoire particulier aux D.O.M. que j‘entends proposer avec Mme le Ministre de l’environnement et de l’aménagement du territoire


J’en viens à présent à la quatrième orientation : le soutien à l’investissement des entreprises ; et plus particulièrement le rôle de la défiscalisation.

Vous savez que régulièrement, à l’automne, ce dispositif fait l’objet de critiques et d’attaques qui mettent en exergue des abus condamnables.

La défiscalisation ne peut pas être uniquement présentée comme un paradis fiscal pour contribuables métropolitains fortunés ou comme une aubaine pour affairistes ingénieux.

Son objectif principal doit rester l’investissement, donc l’emploi. L’économie de l’outre-mer ne peut pas reposer uniquement sur les transferts sociaux et les transferts publics. Il faut un troisième pilier : l’activité économique des entreprises locales.

A cet égard, la défiscalisation constitue un outil puissant d’incitation à l’investissement. Les mêmes effets ne pourraient être atteints aussi efficacement et au même coût par des subventions directes.

La politique économique du Gouvernement cherche à optimiser la reprise par le soutien à la demande et à l’investissement. La défiscalisation doit s’inscrire dans cette perspective. Je suis intervenu dans ce sens auprès du ministre de l’économie, des finances et d’industrie et du Premier ministre.

Il est indispensable que la défiscalisation soit prioritairement orientée vers la création d’emplois outre-mer. La procédure d’agrément au premier franc doit intégrer cet objectif.

Je note enfin que les petites entreprises des D.O.M. ont du mal à se financer à des taux raisonnables sur place. Il est indispensable que nous travaillions ensemble à une modernisation des systèmes financiers.

Le coût du crédit est plus élevé de 2 à 3 points outre-mer qu’en métropole. Le système bancaire répercute ses difficultés, liées aux imprudences du passé, sur les investisseurs et les consommateurs d’aujourd’hui. Il faudra sortir de ce cercle vicieux.

C’est à ce prix que les entreprises des D.O.M. pourront se lancer à la conquête de nouveaux marchés.

Je voudrais enfin aborder le cinquième axe d’intervention : la formation et le dialogue social, qui sont aussi les fondements du développement économique.

La formation tout d’abord.

Je suis amené à constater que vos entreprises ont parfois des difficultés à recruter, par manque de compétences disponibles localement et voient des marchés leur échapper au profit d’entreprises métropolitaines car elles ont du mal à faire évoluer leur savoir-faire.

Je crois que cette situation n’est pas inéluctable lorsque plus d’un quart de la population active est à la recherche d’un emploi.

Il est du ressort des Conseils régionaux et de votre initiative de travailler étroitement, en partenariat avec les services locaux de l’État, pour améliorer les plans régionaux de formation professionnelle, en les rendant évolutifs.

Je suis convaincu de l’implication des socioprofessionnels dans cette démarche, et je sais qu’elle est engagée dans certains D.O.M. Elle permettra de développer les formations en fonction des prévisions de demandes d’emplois des entreprises à horizon de 18/24 mois, et non l’inverse comme cela peut être parfois le cas.

Le dialogue social : je n’entends pas paraître vous donner des leçons, alors que vous êtes confrontés quotidiennement à des partenaires sociaux exigeants.

Je pense néanmoins qu’une culture du dialogue social doit se développer encore outre-mer.

Elle passe à mon sens, dans un premier temps, par un recours plus systématique aux mécanismes institutionnels paritaires afin d’éviter les blocages – au sens propre et figuré ! – pénalisants pour tous, qui précèdent le recours in fine à l’arbitrage de l’État.

Le dialogue social relève d’une culture de partenariat, et cette culture, je compte sur vous comme sur les organisations syndicales pour la répandre.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les axes qui m’apparaissent majeurs en vue du développement économique et social des départements d’outre-mer !

Bien entendu, le dialogue sur ces orientations doit se poursuivre, pour les consolider, afin que nous puissions rapidement aller vers une stabilité plus grande de l’environnement juridique, économique et social des entreprises d’outre-mer.

C’est l’objectif que je m’assigne en souhaitant que nous puissions progresser ensemble, sur la voire du développement économique et social des D.O.M. Vous évoquez l’idée d’un pacte de croissance.

J’y souscris, d’autant que le Premier ministre a proposé aux Français un pacte de développement et de solidarité pour faire reculer le chômage, la pauvreté, les inégalités.

La croissance ne se décrète pas. Elle se prépare, elle se gagne. Tous nos efforts doivent être consacrés à encourager ceux qui veulent entreprendre et créer des emplois.

Je vous remercie de votre patiente attention.