Interview de M. Charles Millon, Président du Conseil régional de la région Rhône-Alpes, à RTL le 16 septembre 1997, sur le plan pour l'emploi des jeunes, son expérience dans la Région Rhône Alpes, les économies du budget de la défense et sur les problèmes d'organisation de l'opposition.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Europe 1 : A un jeune de votre région Rhône-Alpes qui espère un emploi Aubry, est-ce que vous dites : prends-le ou refuse-le c’est, comme dit Alain Madelin, un emploi ersatz ?

Charles Millon : Je crois c’est mal poser la question. Je crois que je lui dirai, bien sûr, s’il est dans une situation désespérée : saisis toutes les occasions. Et si, parmi ces occasions, il y a les emplois Aubry je lui dirai : prends-le mais fais très attention parce que c’est un emploi précaire, qui va coûter très cher et qui aboutira, à terme, à créer en France une sous-fonction publique. C’est pourquoi, aujourd’hui, je fais partie de ceux qui saluent l’intention de Martine Aubry qui est de lutter contre le chômage des jeunes mais, vous savez, l’enfer est pavé de bonnes intentions et je dis : attention, les emplois ne sont pas créés par la loi ou par l’administration ; les emplois sont créés par les entreprises et l’on est en train de mettre en place un système centralisé et étatique qui, demain, va créer des milliers et des milliers de fonctionnaires qu’il faudra payer par l’impôt.

Europe 1 : Est-ce que, en fait, vous ne traduisez pas votre embarras ?

Charles Millon : Pas du tout. Je dirige une région depuis dix ans et depuis trois ans nous avons lancé un plan qui s’appelle « le plan d’accès à la première expérience professionnelle ». C’est le plan d’accès à la première expérience professionnelle de Rhône-Alpes et, en une année, nous avons fait reculer le chômage des jeunes de 11,5 % et ce, en mobilisant les entreprises et en formant les demandeurs d’emploi.

Europe 1 : Sont-ce des emplois durables ?

Charles Millon : Ce sont des emplois durables car ce sont des emplois d’entreprise. N’oublions jamais que c’est dans l’entreprise que se crée l’emploi.

Europe 1 : Puis-je vous demander pourquoi vos amis politiques ne se sont pas servis des emplois Millon comme modèle pour ailleurs que dans la région Rhône-Alpes ?

Charles Millon : Je crois qu’il y a un certain nombre de régions qui ont utilisé la même démarche. Moi, personnellement je parle de ce que je connais et je dis à Martine Aubry : OK pour passer un pacte avec vous, OK pour des financements décentralisés au niveau des régions mais, je vous en supplie, ne créez pas une sous-administration. Donnez-nous les moyens de favoriser la création d’entreprise, le développement d’entreprise et la création d’emploi durables.

Europe 1 : Vos Gouvernements ont tout essayé, même tout payé, sans grand résultat. Craignez-vous l’idéologie ou l’addition ultérieure ?

Charles Millon : Mais ce n’est pas de l’idéologie, c’est de la réalité. Je n’ai jamais vu un emploi créé par la loi ou par le décret, par contre j’ai vu des emplois créés par des entreprises qui répondent à un marché et qui satisfont des besoins. Je dis à Mme Aubry de s’incliner devant la réalité : faites comme M. Jospin. Quand M. Jospin a vu que 35 heures payées 39, ce n’était pas possible, il a dit : c’est antiéconomique. Lorsque M. Jospin a vu qu’il fallait fermer Vilvorde, il a fermé Vilvorde alors qu’il avait dit l’inverse durant sa campagne. C’est-à-dire qu’il tient compte des réalités. Je dis à Mme Aubry : faites attention car vous pouvez semer des illusions.

Europe 1 : On peut pas imaginer que M. Aubry présente son plan sans l’accord de Lionel Jospin ! Vous avez vu le RPR P. Mazeaud qui reconnaît au plan emploi et au problème du chômage une dimension affective. Il dit qu’on ne peut pas ne pas voter. Vous, qu’allez-vous faire ?

Charles Millon : Je comprends très bien P. Mazeaud qui est ému. Il fait part de son sentiment. Il a un cœur gros comme lui mais la politique, ce n’est pas du sentiment, c’est du réalisme. Je ne voterai pas les emplois Aubry car je ne souhaite pas semer l’illusion.

Europe 1 : Vous qui avez été ministre de la Défense, votre successeur, Alain Richard, est en train de poursuivre la professionnalisation des armées que vous aviez engagée aux côtés du Président Chirac. Est-ce que vous lui attribuez un bon point ou des bons points là-dessus ?

Charles Millon : Je salue la continuité. Alain Richard, mon successeur, est une personnalité pour qui j’ai de l’admiration parce que je le connais depuis très longtemps. Et du point de vue intellectuel et politique, il a une ligne. Aujourd’hui, il poursuit la professionnalisation des armées. Je crois qu’il a totalement raison. C’est une réforme qui avait été engagée sous l’autorité du Président de la République. Il poursuit aussi la restructuration de l’industrie de défense. Je ne lui demande qu’une chose aujourd’hui, c’est de bien veiller à ce que le budget de la défense soit à la hauteur des ambitions qu’il veut poursuivre.

Europe 1 : Pour vous, il y a un seuil de l’inacceptable dans ce domaine ?

Charles Millon : Tout à fait. C’est l’impossibilité d’équiper les armées. Vous savez, la concurrence internationale est énorme dans ce domaine-là entre les pays européens et les Etats-Unis. J’avais, en tant que ministre de la Défense, baissé le budget de 20 milliards de francs par an. Je crois que c’est bien difficile de faire plus.

Europe 1 : Est-ce que l’opposition, Charles Millon, est bien partie ?

Charles Millon : L’opposition devrait rapidement résoudre ses problèmes de structures pour aborder les questions de fond car nos concitoyens demandent aux hommes politiques de l’opposition de retrouver un discours entraînant et enthousiaste.

Europe 1 : Le chef de file, c’est qui ? Philippe Séguin ? François Léotard ? Alain Madelin ? François Bayrou ?

Charles Millon : Aujourd’hui, il y a plusieurs chefs de file et c’est l’un des problèmes car les Français aimeraient, souhaiteraient un paysage politique simplifié avec d’un côté la gauche, chef de file Jospin, de l’autre côté la droite et le centre avec un chef de file qui aujourd’hui n’est pas désigné. C’est pourquoi je continue à dire « tant que vous n’aurez pas résolu vos problèmes de structures c'est-à-dire fusionné toutes les grandes formations de droite, vous ne pourrez pas avoir un discours entraînant et enthousiaste.

Europe 1 : Personne ne veut de la fusion, est-ce que ce n’est pas un peu l’amertume d’être mis sur la touche par les six ?

Charles Millon : Je ne suis pas mis sur la touche ; vous savez, je suis un homme politique tout à fait heureux, qui prépare les élections régionales dans la deuxième région française et qui anime un certain nombre de réflexions au niveau national. Je vais organiser un colloque sur les institutions le 25 octobre.

Europe 1 : Quand vous dîtes : il faut un chef, il n’y en a pas déjà un à l’Elysée ?

Charles Millon : Non, il y a une référence. Le Président de la République est le président de tous les Français, c’est la référence de tous les hommes qui l’on soutenu pendant la campagne présidentielle, dont je suis. Mais ce n’est pas le chef de l’opposition.

Europe 1 : Vous êtes généralement assez franc et direct, combien de temps faudra-t-il à vos amis pour émerger, sortir la tête de l’eau ?

Charles Millon : Si j’en crois les déclarations récentes, pas mal de temps. Et c’est la raison pour laquelle je leur dis : reprenez-vous car les Français ne peuvent pas attendre.

Europe 1 : Vous êtes ancien et peut-être futur ministre, maire, vous présidez la région Rhône-Alpes, est-ce qu’il faut limiter le cumul des mandats ?

Charles Millon : Oui, parce que si on veut réussir la décentralisation, il faut limiter le cumul des mandats.

Europe 1 : Et vous voteriez la loi Jospin ?

Charles Millon : Si la loi Jospin est la limitation du cumul des mandats, je la voterai.