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Paul Marchelli pour une "relance économique volontaire"
Le dirigeant des cadres estime que le Premier ministre laissera filer le déficit budgétaire plus facilement qu'en 1991, mais s'inquiète des choix qui seront faits.
Les cadres ne constituent peut-être pas la catégorie sociale la plus à plaindre mais ils sont cependant, proportionnellement, les victimes de la crise économique. La rigueur salariale les touche de plein fouet, l'accumulation des augmentations de cotisations sociales qu'elles disent leur nom ou qu'elles le cachent, comme la contribution sociale généralisée, ampute encore plus leur pouvoir d'achat. Parallèlement le chômage ne les épargne pas, comme vient de le confirmer l'enquête du magazine L'Expansion. Ainsi de janvier 1991 à janvier 1992 le nombre de demandeurs d'emploi s'est accru de 34 % parmi le personnel d'encadrement. Et seulement 18 % des entreprises envisagent d'embaucher dans cette catégorie de personnel, selon l'Association pour l'emploi des cadres.
Autant dire que la morosité gagne. D'autant plus que les perspectives internationales ne sont guère plus brillantes. Paul Marchelli, le président de la CGC, Européen convaincu, s'inquiète de voir mis le personnel d'encadrement au ban des négociations qui interviendront dans le cadre du traité de Maastricht, s'il est ratifié.
Le Figaro : La situation de l'emploi et notamment celui des cadres continue à se dégrader. Pensez-vous que la tenue des états généraux de l'emploi que vous aviez demandée à Mme Cresson s'impose toujours ?
Paul Marchelli : Les états généraux de l'emploi étaient souhaitables à la fin de l'année dernière car ils auraient pu être l'élément qui aurait incité le gouvernement à changer de politique économique et sociale. Depuis nous avons changé de gouvernement. Pierre Bérégovoy a fait connaître ses orientations, les états généraux deviennent donc inutiles.
Le Figaro : Quel jugement portez-vous sur les intentions du Premier ministre en la matière ?
Paul Marchelli : Pierre Bérégovoy reste apparemment sur le concept du traitement social. Il y ajoute même le traitement statistique puisqu'on annonce la future disparition de 920 000 chômeurs de longue durée. La bataille engagée par le Premier ministre semble axée uniquement sur la présentation de chiffres admissibles par l'opinion avant les élections législatives. Apparemment il n'est donc pas question d'employer les moyens économiques permettant une réduction réelle du chômage d'ici à un an. Mais il semble qu'une marge de plus en plus importante s'instaure entre le discours et les moyens mis en œuvre par le gouvernement en matière économique. Je crois pouvoir dire que Pierre Bérégovoy Premier ministre va laisser filer plus facilement le déficit budgétaire 1992 que n'avait pu le faire Mme Cresson en 1991.
Reste à savoir si cet accroissement du déficit va être utilisé à un véritable effort de relance dans le bâtiment, les grands travaux et l'investissement ou seulement pour pallier les non-rentrées fiscales dues à une croissance insuffisante. Du choix du Premier ministre dépend crédibilité et sans doute le résultat des élections législatives. Pour ma part, je préconise toujours et encore plus fermement un effort de relance volontaire car il faut être sans illusions, ce n'est pas des États-Unis que viendra la reprise.
Le Figaro : Comment comptez-vous mobiliser vos troupes pour faire valoir votre opinion auprès du gouvernement ?
Paul Marchelli : Tout le monde a compris que la rentrée sociale va être très difficile. Les thèmes de mobilisation seront ceux du pouvoir d'achat et de la protection sociale.
Le seul moyen efficace qu'ont les syndicats d'éviter une explosion sociale à l'automne est de convaincre le Premier ministre qu'il faut faire repartir la machine économique, qu'il faut avoir le courage politique de régler certains problèmes comme ceux de la retraite et de la formation. Hors ces interventions, les organisations syndicales sont démunies jusqu'en septembre. Je crois que les Français sont trop inquiets et trop incertains de leur avenir pour se mobiliser aujourd'hui sur des thèmes préventifs.
Les thèmes préventifs peu mobilisateurs
Le Figaro : Toujours sur le front de l'emploi, que comptez-vous proposer pour équilibrer les comptes de l'assurance chômage ?
Paul Marchelli : J'ai demandé officiellement et publiquement l'ouverture des négociations à l'Unedic avant juin. Le déficit risque d'atteindre 18 milliards de francs. Nous avons obtenu une ligne de crédit de 13,5 milliards de francs auprès des banques. En l'état nous ne passerons donc pas l'année. En tant que cogestionnaires, j'estime que c'est dès à présent qu'il faut trouver une solution. Les seules pistes raisonnables sont de se tourner vers les entreprises et les salariés. Il va falloir que le gouvernement soit capable de proposer aux entreprises françaises de diminuer leurs charges sociales ou fiscales pour qu'elles puissent augmenter leur cotisation à l'Unedic à due concurrence des diminutions dont elles bénéficieraient par ailleurs. Sinon, on va créer encore plus de chômage car toute augmentation non compensée de charges des entreprises représente mécaniquement des chômeurs supplémentaires.
Le Figaro : Le duel qui a opposé Jacques Calvet à Martine Aubry vous paraît-il révélateur de la dégradation du climat social ?
Paul Marchelli : L'affaire Peugeot illustre l'aberration de la situation de l'emploi en France. Je regrette le triste spectacle que nous donnent Martine Aubry et Jacques Calvet qui sont pourtant des responsables estimables. Je me garderai d'applaudir l'un et de siffler l'autre en me contentant de rester sur le problème de fond. L'industrie européenne automobile supprime des emplois par nécessité si elle veut être compétitive face à la concurrence japonaise. Madame Aubry refuse l'accès au FNE à Jacques Calvet. C'est son droit. Mais il faut savoir qu'en prenant cette décision elle aiguille Peugeot vers l'Unedic, ce qui va creuser encore son déficit. Quant à Jacques Calvet, il a le comportement type des chefs d'entreprise français. Chaque fois qu'il le peut, il se défausse sur la solidarité nationale pour financer la réduction de ses effectifs, ce qui lui permet ainsi d'augmenter ses capacités d'autofinancement.
Le Figaro : Pensez-vous que la ratification du traité de Maastricht ouvrira de nouveaux espaces aux cadres que vous représentez ?
Paul Marchelli : Le Président de la République a affirmé que l'intégration européenne va globalement créer des millions d'emplois. Il a raison. Le problème est que ces créations se feront dans les pays qui se porteront bien économiquement. Ferons-nous partie de ce groupe en 1993 ? La réponse est non s'il n'y a pas dans les semaines qui viennent la relance que nous réclamons depuis des mois.
Nous sommes partisans de la ratification du traité de Maastricht avec toutefois deux réserves. D'abord parce que pour ce qui concerne l'Europe sociale, Maastricht va être un recul par rapport au traité de Rome en établissant une discrimination favorisant tel ou tel partenaire social. Pourquoi, en effet, la Confédération européenne des cadres est-elle rejetée de la table de négociations ? Nous attendons la réponse.
Ensuite, il est prévu que les Européens, quel que soit leur pays d'origine, puissent participer à certaines élections politiques dans la circonscription de leur résidence. Cela nous amène à nous poser une question que personne ne veut formuler : pourquoi, avant d'envisager cette situation, ne prévoit-on pas au niveau de chaque pays une réelle harmonisation des conditions de naturalisation ? Ne pas vouloir poser cette question, c'est se préparer des conflits [illisible] et surtout [illisible] explosives dans tous les pays de la CEE, y compris le nôtre.
Propos recueillis par Jean-Louis Validire
22 mai 1992
La Lettre Confédérale
Édito
Il faut relancer l'économie
Il serait malséant de s'étonner : pendant que fait rage la bataille politique pour Maastricht, la situation économique et sociale continue à se dégrader.
Bien sûr, nous nous sommes impliqués dans le débat européen puisque nous revendiquons, par contre, haut et fort, la reconnaissance de la Confédération européenne des cadres (CEC) et sa participation au dialogue social sous tous ses aspects. Qui pourrait en effet imaginer l'Europe sans la présence et l'action du personnel d'encadrement des douze pays de la Communauté ?
Il est temps que cesse la mauvaise querelle de représentativité qu'essaient de nous faire certaines organisations syndicales ouvrières à Bruxelles : par la propagation de nos idées, par notre action et par le développement de notre implantation dans la Communauté, nous avons depuis déjà longtemps gagné notre place au soleil et nous ne pouvons plus admettre les réticences des uns ou des autres.
Ceci étant une fois de plus affirmé, nous devons donner la priorité aux préoccupations qui sont les nôtres au regard de la détérioration de la situation économique et sociale de notre pays. Les prévisions que nous faisions l'année dernière sont, hélas, en train de se réaliser : malgré une compétitivité incontestable confirmée par les résultats que nous obtenons sur les marchés extérieurs, notre appareil industriel et commercial s'essouffle, nos entreprises manquent de moyens financiers et ont pratiquement arrêté leurs investissements. Elles continuent à dégager une partie de leurs effectifs et le chômage augmente implacablement.
Nous ne mésestimons pas l'effort que semble vouloir faire le gouvernement pour combattre ce fléau, mais nous répétons, une fois de plus, que le traitement social et statistique du chômage n'est qu'un emplâtre sur une jambe de bois. Seule une reprise économique bien conduite peut nous permettre de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous enfermons peu à peu. Le chômage du personnel d'encadrement continue à progresser au rythme de 35 % par an. Nous vivons cette préoccupation catégorielle d'autant plus douloureusement qu'elle est annonciatrice d'une détérioration de l'emploi en général encore plus forte que celle que nous avons vécue jusqu'alors.
La solidarité nationale, au travers de l'UNEDIC notamment, ne pourra continuer indéfiniment à prendre en charge tous ceux et celles à qui notre société refuse maintenant le droit au travail. Certes, tous les débats sont importants, mais nous ne pouvons pas perdre la bataille pour l'emploi sans mettre en cause l'avenir de notre pays.
Caton l'Ancien a sauvé l'Empire romain en répétant sans cesse. "Carthago delenda est" et Carthage fut détruite. À force de répéter qu'il faut relancer notre économie, peut-être participerai-je à préserver notre avenir, à condition que ceux qui ont le pouvoir politique et économique puissent enfin être atteints par mon message. Théoriquement, cela devrait être plus facile que dans l'Antiquité compte tenu du développement de nos moyens d'information et de communication.
Paul Marchelli