Articles de M. Alain Mouchoux, secrétaire national de la FEN, dans "FEN hebdo" le 26 juin 1992, intitulés "Maastricht : l'heure du choix" et "l'Europe que nous voulons".

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Média : FEN Hebdo

Texte intégral

Maastricht : l'heure du choix

Éditorial

Dans quelques semaines

Les Français seront à l'heure du choix, ratifier les accords de Maastricht ou les repousser.

Le débat institutionnel qui s'achève avec le vote des 3/5e du congrès en faveur du changement de la Constitution et ouvre la voie au référendum, n'a pas, pour le moins, aidé à la clarification des enjeux.

Il a permis de montrer comment se rangeraient partisans du Traité et opposants, les clivages politiques au moins sur ce point, se sont faits.

Toutefois, la connaissance qu'à l'opinion publique du contenu des accords reste faible sinon confuse.

En démocratie, il faut d'abord savoir avant de choisir.

Les adhérents de la FEN personnels de l'éducation, de la recherche et de la culture doivent être informés et s'informer des conséquences du traité sur leur vie de citoyen, leur vie sociale et professionnelle.

Le référendum devrait se tenir à l'automne. Chacun aura donc le temps de former son opinion et son jugement.

Sur un tel projet, nous ne pouvons être ni neutres, ni indifférents. Nous nous sommes, par le passé, engagés déjà dans un tel débat pour dire à la fois les avantages, les intérêts, les chances nouvelles, les progrès dus à la construction de l'Europe et pour en énoncer aussi les risques et les aléas.

En ce sens, le présent dossier n'entend pas traiter l'ensemble des questions sur ce sujet, il veut être simplement une contribution au débat qui doit s'instaurer dans nos rangs.

Alain Mouchoux

 

26 juin 1992
FEN Hebdo

L'Europe que nous voulons

L'Europe que nous voulons, c'est celle des citoyens, celle de la démocratie, celle du plein emploi et de la meilleure protection sociale possible pour tous.

Depuis des décennies les travailleurs et leurs organisations syndicales se sont battus pour cette Europe-là. De traité en traité, elle se construit lentement, trop lentement sans doute. Les accords de Maastricht soumis à ratification ne représentent évidemment pas tout l'idéal politique, social, culturel dont nous rêvons.

Pour s'engager ainsi, faut-il pour autant attendre que toutes les bonnes conditions soient réunies ! Bien sûr il faut continuer à combler le déficit social, il reste encore une insatisfaction en ce domaine ; mais ne pas souscrire aux avancées de ce traité n'est-ce pas précisément revenir plus encore vers "l'économique" dont nous condamnons la prééminence ?

Les accords de Maastricht représentent un progrès dans le domaine social avec le développement du recours au vote à la majorité qualifiée et avec des domaines de compétences nouveaux.

Tout ceci cependant se situe dans une Europe majoritairement marquée par le libéralisme. Pour autant, faut-il attendre que les régimes politiques changent et donc tant désespérer des capacités d'action des organisations, des syndicats en particulier, à condition, il est vrai qu'ils soient unis et forts Ainsi, ils pourront faire qu'ensemble d'autres domaines sociaux soient eux aussi soumis à la règle de la majorité qualifiée.

Le dialogue social ne fonctionne pas convenablement et si la Charte des droits sociaux fondamentaux de 1989 est une bonne base de revendications, la question est désormais de la faire appliquer au plus tôt en s'appuyant sur les dispositions nouvelles du traité et de trouver en même temps les énergies syndicales nécessaires !

L'essentiel des accords n'est pas contenu dans les articles du traité : il figure sans aucun doute dans la disposition d'un E de CEE passant ainsi de la Communauté économique européenne à la Communauté européenne.

C'est un passage timide encore à une vraie entité politique européenne, certes limitée, mais dont on peut en attendre progressivement des effets positifs. Peut-on à la fois accuser l'Europe d'impuissance face, par exemple, aux atrocités de la guerre yougoslave et ne rien faire, c'est-à-dire ne pas donner à la Communauté les moyens de sa politique extérieure et intérieure et donc de la doter d'un nouveau pouvoir ?

Et faut-il condamner prématurément la marche vers une politique européenne de défense ?

Vers une démocratisation des institutions

Nous avons dénoncé fréquemment le déficit démocratique dont souffre l'Europe et qui lui donne une image technocratique et bureaucratique que ses adversaires utilisent :

Une Commission dont les membres sont nommés par les États et qui détient de fait l'essentiel des pouvoirs et qui apparait ainsi comme une sorte d'exécutif de la Communauté.

Des conseils des ministres, qui, avec les "sommets" conservent le pouvoir de décision, avant ou après débats dans les instances nationales.

Et puis un Parlement européen élu au suffrage universel qui siège, mais ne légifère pas pleinement.

Des avancées sont réelles cette fois avec l'établissement du principe de codécision qui intègre le Parlement Européen au processus.

Est-ce suffisant ? Le traité devrait-il aller plus loin ?

Ces questions sont déterminantes, elles touchent à la citoyenneté européenne qui doit être un espace de vraie démocratie. Elles en infèrent d'autres. Accroître les responsabilités du Parlement Européen et ses compétences aura forcément à terme des conséquences sur les rôles et prérogatives des Parlements nationaux.

Une des décisions qui semble agiter (qui frappe le plus) l'opinion publique c'est l'instauration à terme d'une monnaie unique.

Le fait de ne plus frapper monnaie nationale et de s'en remettre à la décision d'une Banque centrale européenne indépendante est-il un abandon de souveraineté inacceptable ?

Les contraintes imposées pour la création du la monnaie unique en limitant taux d'inflation, dette et déficit budgétaire ne vont-elles pas être de nature à rendre les économies nationales frileuses et encourager les gouvernements à mener des politiques monétaristes au détriment du social et de la relance de l'emploi.

Les accords de Maastricht forment un tout. On ne peut dissocier Union politique, Union économique et monétaire, développement social et cohésion.

On ne peut oublier donc les nécessités nouvelles de financement, ce qu'on appelle le Paquet Delors II.

Le traité de Maastricht entraînera inévitablement un transfert de compétences des États membres vers l'Union européenne et donc, nécessairement, une augmentation des ressources de la Communauté pour la mener à bien.

Il s'agit de financer les nouvelles orientations et accélérations européennes entre 1993 et 1997.

Le financement des mesures décidées à Maastricht devait faire passer le budget communautaire d'environ 66 milliards d'écus en 1992 à 87 milliards d'écus en 1997, en fait d'amener les ressources propres de la Communauté européenne de 1,2 % du PNB à 1,37 % sur 5 ans.

Des ressources nouvelles

Car les modifications de "l'assiette" de ces ressources propres sont les plus notables et donc celles qui posent le plus de problèmes.

Pendant la période de 1993 à 1999 : 
     – les recettes dues à la TVA se réduiraient de 5  % à 38 % du total ainsi que celles provenant des droits de douane et prélèvements agricoles qui diminueraient, elles, sensiblement ;
     – par contre, il y aurait une augmentation forte de la "4e ressource" qui est, elle, fondée sur la richesse des États membres. Elle passerait de 18 % à 33 % du total.

La contribution des pays "riches" augmenterait donc sensiblement, d'où le débat sur l'augmentation de la contribution nationale. Et les prises de position auxquelles on assiste actuellement :
     – 4 États membres, dont le PNB par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire, seraient en principe favorables : ils ne paieraient pas davantage ;
     – les États membres contributeurs nets, dont la France, demandent une évaluation rigoureuse et des dépenses supplémentaires.

Des dépenses nouvelles

La cohésion économique et sociale nécessiterait 11 milliards d'écus supplémentaires. C'est une des clefs de la construction de l'Europe.

Le compromis proposé par Jacques Delors et surtout la mise en place, comme prévu dès 1993, du "Fonds de cohésion" pour aider les États membres les plus pauvres a cependant transformé la confrontation qui opposait les États membres les plus riches et plus pauvres en concertation. Reste à savoir si pour autant les pays gros contributeurs au budget sont prêts à accepter, dès à présent, de s'engager sur l'augmentation des dépenses préconisée par le président de la Commission européenne.

Si on veut effectivement lutter contre la pauvreté, le chômage, les inégalités et les injustices en Europe, il faut développer la politique de cohésion en particulier à destination des pays les moins développés et des régions les plus défavorisées ou en difficulté. Tout cela a un coût et devra se financer.

Le traité tel qu'il est ne répond pas à toutes les attentes des citoyens européens et des organisations européennes et des organisations syndicales, mais il représente des pas en avant pour l'Union politique, les droits des citoyens, vers le progrès social. C'est un passage obligé vers d'autres réformes.

Alain Mouchoux