Texte intégral
Exposé de Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports devant la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale - 2 juillet 1997
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au cours des trois dernières années, mes prédécesseurs se sont livrés à un constat invariable : le budget de la jeunesse et des sports est en baisse régulière. De 1993 à 1997, cette baisse est de 12,5 %.
Rassurez-vous, je n’abuserai pas de chiffres. Si je souligne d’emblée cette régression budgétaire, ce n’est pas pour emprunter à mon tour un passage obligé. Les choix budgétaires traduisent des orientations politiques.
A l’évidence, celles qui ont marqué ce ministère au cours des quatre dernières années, ont été conformes à la politique générale des deux Gouvernements précédents : moins d’Etat, c’est-à-dire moins de responsabilité publique, moins d’engagement financier. Avec deux conséquences dans nos domaines de compétences :
- d’une part, auprès des jeunes, une action limitée, ponctuelle, peu lisible, souvent en décalage avec les évolutions de la société, et les demandes des jeunes eux-mêmes ;
- d’autre part, un afflux d’argent privé dans un sport spectacle limité à quelques disciplines ; une éthique de plus en plus malmenée par des logiques marchandes, et une majorité de disciplines sportives délaissées, aussi bien dans les clubs et associations qu’au plus haut niveau.
Ce désengagement public a atteint de telles proportions, que beaucoup de responsables d’associations de jeunes, de mouvements d’éducation populaire, de dirigeants sportifs redoutaient une disparition de ce ministère.
Tel n’a pas été le cas. En maintenant un Ministère de la Jeunesse et des Sports de plein exercice, le Premier ministre a affirmé une volonté politique. Dans les deux domaines dont j’ai la charge, les attentes de changement sont fortes. Je suis résolue à y répondre.
Les orientations nouvelles, dont je veux vous faire part, s’inscrivent dans la durée d’une législature.
Des mesures immédiates répondant à des urgences, se voudront un signal fort d’une politique de changement. Des réformes structurelles nécessiteront un grand travail d’écoute, de dialogue, de mise en commun des intelligences.
Tant avec les jeunes qu’avec le mouvement sportif, la concertation sera la règle. Aucune construction nouvelle n’a de chance de réussir durablement, si celles et ceux à qui elle est destinée n’en sont pas les co-auteurs, et les co-acteurs.
C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à la jeunesse.
Dans une société éclatée, en perte de repères positifs, des millions de jeunes se sentent maltraités, dévalorisés, déconsidérés. Ils le disent souvent : on ne nous fait pas confiance. Ils n’en éprouvent que plus de méfiance à l’égard des institutions, et des structures organisées.
Le gouffre qui se creuse entre les uns et les autres est une mise en état d’alerte de toute la société. Ce gâchis est d’autant plus insupportable, que lorsque les jeunes sont placés en situation de responsabilité, de prise de parole et d’écoute : il ne se lamentent pas, ils sortent rarement du champ du possible, ils ont des idées, des projets, et sont prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes pour les faire aboutir.
Notre premier devoir est de redonner confiance à une génération en quête d’avenir.
Dès mon entrée, en fonction, j’ai indiqué que je serai autant la Ministre de la Jeunesse, que des Sports. Je sais que d’autres l’ont dit à cette même place. Je me dois donc de préciser ma démarche. Face à une situation d’éclatement social, familial, affectif, la réponse politique se doit d’être cohérente.
Sur le terrain, aussi bien en milieu rural que dans les grandes zones urbaines, les jeunes impliqués dans des initiatives sur tout ce qui fait leur vie, le disent sans langue de bois : quand on monte un projet, on ne sait jamais à qui s’adresser, on nous promène de ministère en ministère, on finit par se décourager.
Cette situation doit changer. Nous affirmons l’ambition de devenir un interlocuteur direct et permanent des jeunes ; un point d’appui à leurs démarches, un relais de leurs demandes.
Quand nous parlons, nous pensons à tous les jeunes ; ruraux ou urbains ; étudiants, lycéens, sans emploi ; impliqués dans des associations, des mouvements, ou, ce qui est souvent le cas, inorganisés. Pour toutes et tous, quel que soit le degré des difficultés ou les différences de situation, il s’agit bien de construire aujourd’hui une véritable citoyenneté économique, sociale, politique.
La citoyenneté est définie par des droits et des devoirs. De manière inséparable. Il serait donc vain d’inciter les jeunes à des devoirs de civilité, de respect, d’adhésion aux valeurs et aux lois républicaines, si, dans le même temps, ils sont privés du droit d’étudier dans de bonnes conditions, du droit de travailler, de gagner sa vie, de se loger, de se soigner, de faire du sport, de se cultiver, bref : le droit de vivre, tout simplement.
Cela suppose, bien évidemment, une vigoureuse action interministérielle. D’ores et déjà, des collaborations ont été établies.
Je pense au droit à l’emploi.
Nous nous inscrivons résolument dans le plan visant à créer 350 000 emplois-jeunes. Dans nos domaines de compétence : jeunesse, éducation populaire, vie associative, sport pour tous et sport de haut-niveau : les gisements d’emplois sont devenus considérables. Dans le seul secteur du sport, on estime à 300 000 le nombre d’emplois actuels, publics ou privés.
Ce secteur de l’activité économique peut connaître un fort développement sous l’effet de plusieurs facteurs : la féminisation de la pratique sportive, la diminution de la durée du travail, et les nouvelles formes que prend la retraite active. Ces créations d’emplois nouveaux, qui seront des emplois stables, rémunérés à un niveau proche du SMIC, soutenus par des formations qualifiantes ; répondront également aux besoins des jeunes dans des domaines aussi différents que l’aide technique aux associations et aux clubs sportifs, l’animation dans les quartiers urbains et les zones rurales.
La nécessité d’une action interministérielle se pose également, et avec beaucoup d’acuité, pour tout ce qui touche, de près ou d’apparemment moins près, à l’éducation.
A cet égard, l’expérimentation de ce que l’on appelle « l’aménagement des rythmes scolaires », me paraît exemplaire de ce que à quoi peut aboutir une absence d’approche globale et cohérente.
A un problème de fond qui touche au cœur du système éducatif, il a été répondu par des activités qualifiées de périscolaires. L’expression même des « après-midi sans cartables », était révélatrice d’une conception plaçant le sport et la culture hors du champ éducatif. Or, et quasiment tous les acteurs concernés le disent : une modification du rythme de l’enfant doit notamment se traduire par une revalorisation de la place du sport et de la culture dans le parcours éducatif d’un enfant.
Vous le savez, une expérimentation est en cours dans 165 sites-pilotes qui concerne 95 000 enfants. Elle sera reconduite à la rentrée 1997, sur 240 sites soit environ 115 000 enfants pour une période d’un an, ce qui – je l’indique au passage – mobilise très fortement le budget Jeunesse. Au-delà de cette phase expérimentale et de l’évaluation rigoureuse qui en sera faite, il est clair qu’une telle action, tant dans sa conception, ses finalités, que son financement, ne pourra se poursuivre que dans un cadre interministériel, en particulier avec l’Education Nationale. Un travail est déjà engagé à ce sujet.
En résumé, ma volonté est de faire en sorte que ces expériences, marquées par un engagement des différents partenaires, notamment des collectivités locales, trouve sa pleine réussite dans une prise en compte globale du parcours de vie de l’enfant et du jeune.
Des droits nouveaux pour les jeunes, cela signifie en particulier le droit à la santé et le droit d’accès à un logement. Un récent rapport du Haut Comité de santé publique révèle une montée inquiétante des suicides, de la consommation d’alcool et de tabac chez les adolescents. Malgré de réels efforts engagés sur le terrain, nous manquons de centres d’accueil, d’information et de prévention. Quant à l’accès au logement, même quand il s’agit d’un logement social, il est rendu particulièrement difficile pour des jeunes en situation de précarité, et davantage encore pour ceux qui se trouvent en situation d’exclusion.
Là encore, il nous faudra adopter des mesures spécifiques. Nous savons qu’une bonne politique générale ne bénéficie pas automatiquement aux jeunes. Dans chaque domaine, un dispositif particulier est à mettre en place, à partir des attentes et des propositions des intéressés.
J’ai parlé de citoyenneté économique et sociale des jeunes. J’y ajoute, avec la même conviction, la citoyenneté politique.
Quand nous nous adressons aux jeunes, c’est le plus souvent pour leur proposer des activités ; moins souvent, des responsabilités ; et beaucoup plus rarement, des responsabilités politiques, au sens d’une participation pleine et entière à la vie de la cité.
Dans ce domaine, beaucoup de jeunes frappent à la porte. Il ne faut pas le craindre, mais s’en réjouir. Une société qui ne fait pas confiance à sa jeunesse est une société qui se méfie d’elle-même. La définition de droits nouveaux pour les jeunes sera l’un des objectifs majeurs de mon action. Des droits d’écoute, d’expression d’intervention et de décision sur tout ce qui les concerne et que la loi devra fixer.
Parmi les pistes qui peuvent être expérimentées, je pense, par exemple, au droit de se constituer en association dès 16 ans, à la création, dans chaque commune, de comités consultatifs de la jeunesse ; à l’assouplissement du contrôle à priori sur les petites associations agréées… Je le répète, il s’agit de pistes. Rien n’est décidé puisque, le fondement même de ma démarche, sera de parvenir à ces droits nouveaux, au terme d’un vaste débat avec les jeunes et leurs associations. Des rencontres départementales ou régionales se tiendront à l’automne prochain, pour préparer une rencontre nationale de la jeunesse, avant la fin de l’année.
Vous l’avez noté : notre démarche à l’égard des jeunes vise constamment à revaloriser la vie associative. On évalue entre 700 000 et 800 000 le nombre d’associations en France, et il s’en créée 70 000 chaque année. Ce fait de société est positif. La vie associative est un creuset de démocratie et de citoyenneté.
Dans ce domaine, notre action visera à revaloriser le rôle des associations, à ne pas les instrumentaliser mais, bien au contraire, à les considérer comme des partenaires. Nous voulons également assouplir certaines formalités et créer les conditions d’une meilleure gestion. Enfin, et c’est l’une de nos ambitions fortes, la reconnaissance sociale du bénévolat doit faire l’objet d’une loi élaborée avec le mouvement associatif.
Cette revalorisation concernera également l’Education Populaire. Cette dénomination renvoie à une histoire et à une culture propre à ce pays. Aujourd’hui, la quasi-totalité des Mouvements d’Education Populaire connaissent de graves difficultés. Nous ne céderons pas à la tentation de sacrifier cette référence à l’utopie qui porte les valeurs de laïcité, de liberté, de formation continue. Avec les mouvements concernés, nous voulons à la fois revivifier cet héritage, en l’enracinant dans le monde d’aujourd’hui, et lui permettre de répondre à ses nouvelles missions.
Je l’ai indiqué au début de cet exposé : la nouvelle orientation de ce ministère est d’affirmer une responsabilité publique. Et s’il est un domaine où ce changement est devenu pressant, c’est bien celui du sport. Car contrairement à une idée reçue, le sport n’est pas, intrinsèquement, porteur de vertus. Ces dernières années, les fonctions humanistes et citoyennes du sport ont souvent plié sous la pression d’une sphère financière pour qui le sport, dans sa vision la plus étroite, se réduit à une part de marché européen ou mondial. Quelques disciplines donnent lieu à une course infernale à l’argent, qui, au bout du compte, fait quelques gagnants et beaucoup de perdants.
Face à cette dérive, nous affirmons la nécessité de reconstruire un véritable service public du sport.
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de remettre en cause l’existence d’un sport professionnel qui est le fait aujourd’hui, de la quasi-totalité des disciplines.
Un grand service public du sport aura trois fonctions essentielles :
1) Une régulation économique et sociale : cela veut dire : maîtriser les rapports entre le sport et l’argent, clarifier les modalités de financement public et privé du sport-spectacle et des grandes manifestations internationales ; promouvoir la démocratie au sein des associations sportives pour une gestion rigoureuse et transparente des fonds publics.
Je précise que depuis mon entrée en fonction, j’ai pris connaissance de dossiers qui concernent un nombre très limité de fédérations, mais qui sont d’une réelle gravité.
J’ai immédiatement entamé les procédures administratives qui s’imposaient, et les parlementaires seront informés des suites qui seront données.
2) La seconde fonction d’un service public du sport est de contribuer à la lutte contre les inégalités. Cela suppose un soutien à la vie associative, un véritable statut du bénévole dont j’ai déjà tracé les contours ; une incitation à affirmer la dimension économique, sociale et citoyenne du sport.
3) Enfin, la troisième fonction d’un service public, est de mettre en cohérence la pratique de haut-niveau et le sport pour tous. Pour qu’il y ait une dimension exemplaire, le haut-niveau doit faire l’objet d’un pilotage national. Dans le même temps, il nous faut clarifier les compétences respectives de l’Etat, des collectivités et des fédérations.
De manière plus générale, seule l’existence d’un grand service public du sport permettra de préserver et de promouvoir les valeurs que le sport peut porter ; en termes d’égalité d’accès, d’éducation, de culture, d’éthique, de respect des autres, de solidarité et de citoyenneté.
Le chantier législatif ouvert sous le Gouvernement précédant relevait d’une vision radicalement différente de celle que je viens plaider devant vous. Il est donc abandonné. La nécessité d’une loi d’orientation reste posée. Elle s’inspirera de celle de 1984, dont l’article 1er plaçait le sport au rang de « droit pour chacun, quel que soit son sexe, son âge, ses capacités ou sa condition sociale ». Elle s’enrichira des apports qui ont précédé la rédaction du dernier projet de loi et qui, hélas, n’ont pas été retenus.
A partir de cette conviction, une nouvelle loi est rendue nécessaire par des évolutions sociales, techniques, juridiques. Elle sera l’occasion d’affirmer une responsabilité publique, une volonté de transparence, un besoin d’éthique.
L’ensemble du mouvement sportif sera associé à ce travail, en s’appuyant sur diverses structures existantes, en particulier la Commission Nationale d’Enseignement des Activités Physiques et Sportives.
A plus court terme, notre action portera sur plusieurs domaines :
- Un renforcement sensible de la prévention et de la lutte contre le dopage, dans tous les sports qu’il atteint, et quel que soit le niveau des pratiques. Ce dispositif pourrait être placé sous l’autorité d’un comité d’éthique, composé de personnalité qualifiées et indépendantes, et doté de pouvoirs décisionnels.
Le maintien des moyens et des missions des établissements publics de formation ; je pense en particulier aux Centres Régionaux d’Education Populaire et de Sport ; et au lycée de Font-Romeu, qui ont vu leur nombre de postes injustement amputés.
La prolongation de la préparation Olympique, en attribuant les moyens nécessaires à cette mission indispensable.
Le maintien de l’ensemble des postes de cadres techniques nationaux. A ce propos, nous serons particulièrement attentifs à la qualité des brevets d’Etat, à la nécessité de faciliter l’accès et de réduire leur coût pour les candidats, et nous veillerons à une certaine rigueur pour que les animations sportives et associatives soient assurées par des personnels qualifiés.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Vous le constatez, - j’espère en tout cas vous avoir fait partager ma conviction dans deux domaines qui concernent plus de 10 millions de citoyennes et de citoyens -, nous avons de grandes ambitions.
Mais, nous le savons d’expérience, les grandes ambitions ne valent que par les moyens que nous nous donnons de les atteindre.
Je terminerai donc par là où j’ai commencé : le budget de ce ministère. Un budget qui a encore reculé en 1997, alors que la prochaine Coupe du Monde de football nous impose des charges financières supplémentaires. A ce propos, je me dois de vous dire, non sans une certaine gravité, que le contrat de concessions signé entre l’Etat et le consortium du Stade-de-France, engage les fonds publics dans des conditions qui apparaissent éminemment favorables à la partie privée.
En outre, la perspective de plus en plus envisageable d’une annulation de ce contrat par la juridiction européenne, hypothèque sérieusement l’avenir. En tout état de cause, il est exclu que nous allions au-delà des engagements pris.
Cette attention nécessaire ne nous fait pas perdre de vue que l’accueil de la Coupe du Monde de football est une chance pour notre pays, pour le mouvement sportif, pour les jeunes. Nous voulons en faire une grande fête populaire, dans les stades et hors des stades, et nous travaillons déjà, avec différents partenaires, en particulier le Comité Français d’Organisation, à des initiatives très diverses sur l’ensemble des sites. Notre objectif est que toute la population s’approprie cet évènement planétaire.
En 1997, le budget de la Jeunesse et des Sports est passé nettement au-dessous de la barre des 3 milliards de Francs, soit 0,18 % du budget de l’Etat.
Hors Coupe du Monde, les moyens d’intervention dans le domaine du sport sont inférieurs de près de 16 % à ceux qui étaient affichés en 1993. Autrement dit, la situation actuelle peut se résumer ainsi : ce ministère peut survivre, mais à condition de ne rien faire. Nous ne pouvons-nous résoudre à cette situation.
La nécessité d’inverser cette tendance en 1998 aurait valeur de signal. Elle s’inscrirait dans la volonté du Gouvernement de répondre au besoin de changement exprimé par les françaises et les français.
A l’évidence, des choix devront être opérés. Les orientations que je viens de vous présenter se situent résolument dans une démarche qui contribue à redonner un sens, des valeurs, une éthique à notre société.
A travers la Jeunesse et le Sport, il s’agit bien de recréer du tissu social, des liens de solidarité, de redonner espoir et confiance. C’est l’une des priorités du Gouvernement.
Je vous remercie.
Exposé de Marie-George Buffet, Ministre de la Jeunesse et des Sports devant la Commission des Affaires culturelles du Sénat - 3 juillet 1997
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Au cours des trois dernières années, mes prédécesseurs se sont livrés à un constat invariable : le budget de la Jeunesse et des Sports est en baisse régulière. De 1993 à 1997, cette baisse est de 12,5 %, avec deux conséquences dans nos domaines de compétences :
- d’une part, auprès des jeunes, une action limitée, ponctuelle, peu lisible, souvent en décalage avec les évolutions de la société, et les demandes des jeunes eux-mêmes.
- d’autre part, un afflux d’argent privé dans un sport spectacle limité à quelques disciplines ; une éthique de plus en plus malmenée par des logiques marchandes, et une majorité de disciplines sportives délaissées, aussi bien dans les clubs et associations qu’au plus haut niveau.
Ce désengagement public a atteint de telles proportions, que beaucoup de responsables d’associations de jeunes, de mouvements d’éducation populaire, de dirigeants sportifs redoutaient une disparition de ce ministère.
Tel n’a pas été le cas. En maintenant un Ministère de la Jeunesse et des Sports de plein exercice, le Premier ministre a affirmé une volonté politique. Dans les deux domaines dont j’ai la charge, les attentes de changement sont fortes. Je suis résolue à y répondre.
Les orientations nouvelles, dont je veux vous faire part, s’inscrivent dans la durée d’une législature.
Des mesures immédiates répondant à des urgences, se voudront un signal fort d’une politique de changement. Des réformes structurelles nécessiteront un grand travail d’écoute, de dialogue, de mise en commun des intelligences.
Tant avec les jeunes qu’avec le mouvement sportif, la concertation sera la règle. Aucune construction nouvelle n’a de chance de réussir durablement, si celles et ceux à qui elle est destinée n’en sont pas les co-auteurs, et les co-acteurs.
C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à la jeunesse.
Dans une société éclatée, en perte de repères positifs, des millions de jeunes se sentent maltraités, dévalorisés, déconsidérés. Ils le disent souvent : on ne nous fait pas confiance. Ils n’en éprouvent que plus de méfiance à l’égard des institutions, et des structures organisées.
Le gouffre qui se creuse entre les uns et les autres est une mise en alerte de toute la société. Ce gâchis est d’autant plus insupportable, que lorsque les jeunes sont placés en situation de responsabilité, de prise de parole et d’écoute : il ne se lamentent pas, ils sortent rarement du champ du possible, ils ont des idées, des projets, et sont prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes pour les faire aboutir.
Notre premier devoir est de redonner confiance à une génération en quête d’avenir.
Dès mon entrée en fonction, j’ai indiqué que je serai autant la Ministre de la Jeunesse, que des Sports. Je sais que d’autres l’ont dit à cette même place. Je me dois donc de préciser ma démarche. Face à cette situation d’éclatement social, familial, affectif, la réponse politique se doit d’être cohérente.
- Sur le terrain, aussi bien en milieu rural que dans les grandes zones urbaines, les jeunes impliqués dans des initiatives sur tout ce qui fait leur vie, le disent sans langue de bois : quand on monte un projet, on ne sait jamais à qui s’adresser, on nous promène de ministère en ministère, on finit par se décourager.
Cette situation doit changer. Nous affirmons l’ambition de devenir un interlocuteur direct et permanent des jeunes ; un point d’appui à leurs démarches, un relais de leurs demandes.
- Quand nous parlons des jeunes, nous pensons à tous les jeunes ; ruraux ou urbains ; étudiants, lycéens, sans emploi ; impliqués dans des associations, des mouvements, ou, ce qui est souvent le cas, inorganisés. Pour toutes et tous, quel que soit le degré des difficultés ou les différences de situation, il s’agit bien de construire aujourd’hui une véritable citoyenneté économique, sociale, politique.
La citoyenneté est définie par des droits et des devoirs. De manière inséparable. Il serait donc vain d’inciter les jeunes à des devoirs de civilité, de respect, d’adhésion aux valeurs et aux lois républicaines, si, dans le même temps, ils sont privés du droit d’étudier dans de bonnes conditions, du droit de travailler, de gagner sa vie, de se loger, de se soigner, de faire du sport, de se cultiver, bref : le droit de vivre, tout simplement.
Cela suppose, bien évidemment, une vigoureuse action interministérielle. D’ores et déjà, des collaborations ont été établies.
Je pense au droit à l’emploi.
Nous nous inscrivons résolument dans le plan visant à créer 350 000 emplois-jeunes. Dans nos domaines de compétence : jeunesse, éducation populaire, vie associative, sport pour tous et sport de haut-niveau, les gisements d’emplois sont devenus considérables. Dans le seul secteur du sport, on estime à 300 000 le nombre d’emplois actuels, publics ou privés.
Ce secteur de l’activité économique peut connaître un fort développement sous l’effet de plusieurs facteurs : la féminisation de la pratique sportive, la diminution de la durée du travail, et les nouvelles formes que prend la retraite active. Ces créations d’emplois nouveaux, qui seront des emplois stables, rémunérés à un niveau proche du SMIC, soutenus par des formations qualifiantes ; répondront également aux besoins des jeunes dans des domaines aussi différents que l’aide technique aux associations et aux clubs sportifs, le montage de projets, l’animation dans les quartiers urbains et les zones rurales.
La nécessité d’une action interministérielle se pose également, et avec beaucoup d’acuité, pour tout ce qui touche, de près ou d’apparemment moins près, à l’éducation.
A cet égard, l’expérimentation de ce que l’on appelle « l’aménagement des rythmes scolaires », me paraît exemplaire de ce à quoi peut aboutir une absence d’approche globale et cohérente.
A un problème de fond qui touche au cœur du système éducatif, il a été répondu par des activités qualifiées de périscolaires. L’expression même des « après-midi sans cartables », était révélatrice d’une conception plaçant le sport et la culture hors du champ éducatif. Or, et quasiment tous les acteurs concernés le disent : une modification du rythme de l’enfant doit notamment se traduire par une revalorisation de la place du sport et de la culture dans le parcours éducatif d’un enfant.
Vous le savez, une expérimentation est en cours dans 165 sites-pilotes qui concerne 95 000 enfants. Elle sera reconduite à la rentrée 1997, sur 240 sites soit environ 115 000 enfants pour une période d’un an, ce qui – je l’indique au passage – mobilise très fortement le budget Jeunesse. Au-delà de cette phase expérimentale et de l’évaluation rigoureuse qui en sera faite, il est clair qu’une telle action, tant dans sa conception, ses finalités, que son financement, ne pourra se poursuivre que dans un cadre interministériel, en particulier avec l’Education nationale. Un travail est déjà engagé à ce sujet.
En résumé, ma volonté est de faire en sorte que ces expériences, marquées par un engagement des différents partenaires, notamment des collectivités locales, trouve sa pleine réussite dans une prise en compte globale du parcours de vie de l’enfant et du jeune.
Des droits nouveaux pour les jeunes, cela signifie en particulier le droit à la santé et d’accès aux soins. Un récent rapport du Haut Comité de santé publique révèle une montée inquiétante des suicides, de la consommation d’alcool et de tabac chez les adolescents. Malgré de réels efforts engagés sur le terrain, nous manquons de centres d’accueil, d’information et de prévention.
Pour chacun de ces domaines, il nous faudra adopter des mesures spécifiques à partir des attentes et des propositions des intéressés.
J’ai parlé de citoyenneté économique et sociale des jeunes. J’y ajoute, avec la même conviction, la citoyenneté politique.
Quand nous nous adressons aux jeunes, c’est le plus souvent pour leur proposer des activités ; moins souvent, des responsabilités ; et beaucoup plus rarement, des responsabilités politiques, au sens d’une participation pleine et entière à la vie de la cité.
Dans ce domaine, beaucoup de jeunes frappent à la porte. Il ne faut pas le craindre, mais s’en réjouir. Une société qui ne fait pas confiance à sa jeunesse est une société qui se méfie d’elle-même. La définition de droits nouveaux pour les jeunes sera par conséquent l’un des objectifs majeurs de mon action. Des droits d’expression, d’intervention et de décision sur tout ce qui les concerne, et que la loi devra fixer.
Parmi les pistes qui peuvent être expérimentées, je pense, par exemple, au droit de se constituer en association dès 16 ans, à la création, dans chaque commune, de comités consultatifs de la jeunesse ; à l’assouplissement du contrôle à priori sur les petites associations agréées… Je le répète, il s’agit de pistes. Rien n’est décidé puisque, le fondement même de ma démarche, sera de parvenir à ces droits nouveaux, au terme d’un vaste débat avec les jeunes et leurs associations. Des rencontres départementales ou régionales se tiendront à l’automne prochain, pour préparer une rencontre nationale de la jeunesse, avant la fin de l’année.
Vous l’avez noté : notre démarche à l’égard des jeunes vise constamment à revaloriser la vie associative. On évalue entre 700 000 et 800 000 le nombre d’associations en France, et il s’en créée 70 000 chaque année. Ce fait de société est positif. La vie associative est un creuset de démocratie et de citoyenneté.
Dans ce domaine, notre action visera à revaloriser le rôle des associations, à ne pas les instrumentaliser mais, bien au contraire, à les considérer comme des partenaires. Nous voulons également assouplir certaines formalités et créer les conditions d’une meilleure gestion. Enfin, et c’est l’une de nos ambitions fortes, la reconnaissance sociale du bénévolat doit faire l’objet d’une loi élaborée avec le mouvement associatif.
Cette revalorisation concernera également l’Education Populaire. Cette dénomination renvoie à une histoire et à une culture propre à ce pays. Aujourd’hui, la quasi-totalité des Mouvements d’Education Populaire connaissent de graves difficultés. Nous ne céderons pas à la tentation de sacrifier cette référence à l’utopie qui porte les valeurs de laïcité, de liberté, de formation continue. Avec les mouvements concernés, nous voulons à la fois revivifier cet héritage, en l’enracinant dans le monde d’aujourd’hui, et lui permettre de répondre à ses nouvelles missions.
Je l’ai indiqué au début de cet exposé : la nouvelle orientation de ce ministère est d’affirmer une responsabilité publique. Et s’il est un domaine où ce changement est devenu pressant, c’est bien celui du sport. Car contrairement à une idée reçue, le sport n’est pas, intrinsèquement, porteur de vertus. Ces dernières années, les fonctions humanistes et citoyennes du sport ont souvent plié sous la pression d’une sphère financière pour qui le sport, dans sa vision la plus étroite, se réduit à une part de marché européen ou mondial. Quelques disciplines donnent lieu à une course infernale à l’argent, qui, au bout du compte, fait quelques gagnants et beaucoup de perdants.
Face à cette dérive, nous affirmons la nécessité de reconstruire un véritable service public du sport.
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de remettre en cause l’existence d’un sport professionnel qui est le fait aujourd’hui, de la quasi-totalité des disciplines.
Un grand service public du sport aura trois fonctions essentielles :
1) Une régulation économique et sociale : cela veut dire : maîtriser les rapports entre le sport et l’argent, clarifier les modalités de financement public et privé du sport-spectacle et des grandes manifestations internationales ; promouvoir la démocratie au sein des associations sportives pour une gestion rigoureuse et transparente des fonds publics.
Je précise que depuis mon entrée en fonction, j’ai pris connaissance de dossiers qui concernent un nombre très limité de fédérations, mais qui sont d’une réelle gravité.
J’ai immédiatement entamé les procédures administratives qui s’imposaient, et Mesdames et Messieurs les parlementaires seront informés des suites qui seront données.
2) La seconde fonction d’un service public du sport est de contribuer à la lutte contre les inégalités. Cela suppose un soutien à la vie associative, un véritable statut du bénévole dont j’ai déjà tracé les contours ; une incitation à affirmer la dimension économique, sociale et citoyenne du sport.
3) Enfin, la troisième fonction d’un service public, est de mettre en cohérence la pratique de haut-niveau et le sport pour tous. Pour qu’il y ait une dimension exemplaire, le haut-niveau doit faire l’objet d’un pilotage national. Dans le même temps, il nous faut clarifier les compétences respectives de l’Etat, des collectivités et des fédérations.
De manière plus générale, seule l’existence d’un grand service public du sport permettra de préserver et de promouvoir les valeurs que le sport peut porter ; en termes d’égalité d’accès, d’éducation, de culture, d’éthique, de respect des autres, de solidarité et de citoyenneté.
Le chantier législatif ouvert sous le Gouvernement précédant relevait d’une vision radicalement différente de celle que je viens plaider devant vous. Il est donc abandonné. La nécessité d’une loi d’orientation reste posée. Elle s’inspirera de celle de 1984, dont l’article 1er plaçait le sport au rang de « droit pour chacun, quel que soit son sexe, son âge, ses capacités ou sa condition sociale ». Elle s’enrichira des apports qui ont précédé la rédaction du dernier projet de loi et qui, hélas, n’ont pas été retenus.
A partir de cette conviction, une nouvelle loi est rendue nécessaire par des évolutions sociales, techniques, juridiques. Elle sera l’occasion d’affirmer une responsabilité publique, une volonté de transparence, un besoin d’éthique.
L’ensemble du mouvement sportif sera associé à ce travail, en s’appuyant sur diverses structures existantes, en particulier la Commission Nationale d’Enseignement des Activités Physiques et Sportives.
A plus court terme, notre action portera sur plusieurs domaines :
- un renforcement sensible de la prévention et de la lutte contre le dopage, dans tous les sports qu’il atteint, et quel que soit le niveau des pratiques. Ce dispositif pourrait être placé sous l’autorité d’un comité d’éthique, composé de personnalités qualifiées et indépendantes, et doté de pouvoirs décisionnels.
Le maintien des moyens et des missions des établissements publics de formation ; je pense en particulier aux Centres Régionaux d’Education Populaire et de Sport ; et au lycée de Font-Romeu, qui ont vu leur nombre de postes injustement amputés.
La prolongation de la préparation Olympique, en attribuant les moyens nécessaires à cette mission indispensable.
Le maintien de l’ensemble des postes de cadres techniques nationaux. A ce propos, nous serons particulièrement attentifs à la qualité des brevets d’Etat, à la nécessité de faciliter l’accès et de réduire leur coût pour les candidats, et nous veillerons à une certaine rigueur pour que les animations sportives et associatives soient assurées par des personnels qualifiés.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Vous le constatez, - j’espère en tout cas vous avoir fait partager ma conviction dans deux domaines qui concernent plus de 10 millions de citoyennes et de citoyens -, nous avons de grandes ambitions.
Mais, nous le savons d’expérience, les grandes ambitions ne valent que par les moyens que nous nous donnons de les atteindre.
Je terminerai donc par là où j’ai commencé : le budget de ce ministère. Un budget qui a encore reculé en 1997, alors que la prochaine Coupe du Monde de football nous impose des charges financières supplémentaires. A ce propos, je me dois de vous dire, non sans une certaine gravité, que le contrat de concession signé entre l’Etat et le consortium du Stade-de-France, engage les fonds publics dans des conditions qui apparaissent éminemment favorables à la partie privée.
En outre, la perspective de plus en plus envisageable d’une annulation de ce contrat par la juridiction européenne, hypothèque sérieusement l’avenir. En tout état de cause, il est exclu que nous allions au-delà des engagements pris.
Cette attention nécessaire ne nous fait pas perdre de vue que l’accueil de la Coupe du Monde de football est une chance pour notre pays, pour le mouvement sportif, pour les jeunes. Nous voulons en faire une grande fête populaire, dans les stades et hors des stades, et nous travaillons déjà, avec différents partenaires, en particulier le Comité Français d’Organisation, à des initiatives très diverses sur l’ensemble des sites. Notre objectif est que toute la population s’approprie cet évènement planétaire.
En 1997, le budget de la Jeunesse et des Sports est passé nettement au-dessous de la barre des 3 milliards de Francs, soit 0,18 % du budget de l’Etat.
Hors Coupe du Monde, les moyens d’intervention dans le domaine du sport sont inférieurs de près de 16 % à ceux qui étaient affichés en 1993. Autrement dit, la situation actuelle peut se résumer ainsi : ce ministère peut survivre, mais à condition de ne rien faire. Nous ne pouvons-nous résoudre à cette situation.
La nécessité d’inverser cette tendance en 1998 aurait valeur de signal. Elle s’inscrirait dans la volonté du Gouvernement de répondre au besoin de changement exprimé par les françaises et les français.
A l’évidence, des choix devront être opérés. Les orientations que je viens de vous présenter se situent résolument dans une démarche qui contribue à redonner un sens, des valeurs, une éthique à notre société.
A travers la Jeunesse et le Sport, il s’agit bien de recréer du tissu social, des liens de solidarité, de redonner espoir et confiance. C’est l’une des priorités du Gouvernement.
Je vous remercie.