Interviews de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 5 octobre 1997, dans "Le Nouvel Observateur" et "Paris-Match" le 9, sur la préparation de la Conférence nationale sur l'emploi, la réduction du temps de travail et les salaires, sur le plan emplois-jeunes, sur la politique familiale, et sur la poursuite de la réforme de la Sécurité sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi les salaires et la réduction du temps de travail avec les partenaires sociaux, à Paris le 10 octobre 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - Le Nouvel Observateur - Paris Match - RTL

Texte intégral

Date : Dimanche 5 octobre 1997
Source : RTL / Le Monde

Consommation, croissance et fiscalité

Ce qui, à mon avis, a sapé la croissance depuis plusieurs années, c’est que les familles qui avaient besoin de consommer ne pouvaient pas le faire, et que les classes moyennes qui avaient besoin d’avoir confiance dans notre pays, n’avaient pas confiance. (…) Lorsque, au mois de février, M. Juppé s’est rendu compte qu’il n’arriverait pas à tenir ses promesses (…), parce que la croissance n’était pas au rendez-vous, (…) il a pris les décisions que l’on sait.

Quand nous sommes arrivés, nous avons été confrontés à une situation difficile car la croissance était chez nous bien moins forte qu’ailleurs. (…) Or moins de croissance, c’est moins d’emplois.

Aujourd’hui, nous avons voulu rétablir l’équilibre, (…) sans lequel nous n’aurions pas pu faire l’euro, (…) et sans lequel nous aurions continué à nous endetter (…). Nous avons voulu donner du pouvoir d’achat et de moyens à ceux qui en ont besoin pour consommer. (…) C’est peut-être la première année depuis vingt ans que les dépenses publiques s’accroissent aussi peu. (…) Pour faire de l’emploi une priorité et faire en sorte que chacun dans notre pays vive mieux (…), il a fallu faire des choix : eh bien, le grand changement entre le gouvernement de M. Juppé et celui de M. Jospin, c’est que l’on refait de la politique au vrai sens du terme. Et faire de la politique, (…) c’est essayer de trouver, dans le sens de l’intérêt général, des nouvelles perspectives, des nouvelles pistes qui feront que notre pays reprendra confiance et se remettra en marche. (…)

Le budget pour 1998 aide d’une manière extrêmement importante tous les nouveaux secteurs dans lesquels la France a pris du retard ces dernières années : nouvelles technologies de l’information, petites et moyennes entreprises. Le seul prélèvement fort que nous avons effectué sur les entreprises, c’est l’augmentation de 15 % de l’impôt sur les sociétés, lequel rediminuera dans le temps. (…) D’ailleurs, les entreprises n’ont pas perdu confiance : dès le lendemain, la Bourse a réagi très positivement (…). Nous savons très bien que, depuis quelques années, les profits des entreprises (…) s’étaient accrus de manière trop forte par rapport à la masse salariale qui, elle, avait décru dans notre pays. Il fallait rétablir l’équilibre, tout en laissant aux entreprises les moyens de leur développement (…) et en leur donnant la possibilité d’avoir des clients. (…)

Le plan emplois-jeunes

Le plan emplois-jeunes a été financé par redéploiement des dépenses publiques. (…) Presque tous les ministères ont financé ce plan. (…)

Il ne s’agit pas d’emplois publics. Par ce plan, on va essayer de répondre à des besoins qui existent dans notre pays, mais qui ne sont pas remplis car ils ne sont pas rentables dès demain et, en conséquence, pas organisés par le marché. Le fait que ces emplois n’existent pas à un coût pour notre société (…). En fait, nous faisons un investissement sur l’avenir en aidant à organiser des activités qui créent des vrais métiers répondant aux besoins de nos concitoyens. (…) Nous anticipons ces activités qui, demain, vont être prises par le marché. Bien sûr, cela est financé sur le budget, mais demain ce sera moins de chômeurs, plus de consommation, mois d’aide au chômage et moins de frais (…).

Dans cinq ans, j’espère qu’il se passera ce qui s’est passé à Lille où j’ai fait avec Pierre Mauroy la même opération depuis trois ans (…) et où ces emplois ne sont plus financés qu’à 40 % par la mairie. (…) Nous solvabilisons ces emplois les uns après les autres. (…)

Nous allons redonner de l’espoir non seulement à des jeunes qui vont trouver un travail qui ne sera pas un emploi précaire mais un vrai métier (…) mais aussi à leurs parents (…). Il ne s’agira pas de (…) petits boulots. Les jeunes seront à l’approche des nouveaux métiers de demain (…) qui rendront notre vie moins dure et plus solidaire (…)

Les 35 heures

J’ai toujours été favorable à la réduction du temps de travail, y compris aux 35 heures. (…) Mais je n’ai jamais dit que l’on pouvait effectuer cette réduction de la durée du travail n’importe comment. J’ai toujours pensé que, pour que la réduction de la durée du travail soit créatrice d’emplois, il fallait qu’un certain nombre de conditions soient réunies, notamment que cette réduction ne porte pas atteinte à la compétitivité des entreprises. Mais pour moi, la réduction de la durée du travail c’est beaucoup plus que cela, c’est aussi un choix de société (…) pour que chacun vive mieux dans notre pays.

Grand Jury : Faut-il une loi-cadre ?

M. Aubry : (…) Le Premier ministre donnera la primeur des décisions qu’il a prises (…) à ceux qui seront là pour faire que ça marche. Car (…) les lois, aussi bonnes soient-elles, si elles ne sont pas reprises par les gens qui doivent les faire marcher, si elles ne mettent pas la société en marche, elles ne fonctionnent pas. (…) Personne ne conteste l’idée de la loi, tout le problème est de savoir ce qu’il y aura dedans. (…)

On n’est pas pour l’étatisme. On est pour que le politique remplisse son rôle, qui consiste à dire aux Français quelles sont les perspectives, à éclairer l’avenir, à indiquer nos priorités et comment faire pour y aller. Mais nous savons aussi que nous ne pouvons pas y aller. Mais nous savons aussi que nous ne pouvons pas y aller sans les Français. Sur la réduction de la durée du travail, comme sur la politique de santé (…), comme sur la lutte contre la pollution, nous ne ferons pas les choses sans les Français et sans les principaux acteurs des secteurs déterminés, car autrement cela ne marche pas.

Grand Jury : Pourquoi attaquer frontalement le patronat ?

M. Aubry : (…) Pour avoir vu beaucoup de chefs d’entreprise depuis trois mois, y compris ceux qui hurlent contre la réduction de la durée du travail alors qu’ils l’ont déjà fait dans leur groupe, (…) je peux vous dire que ce que veulent la plupart, c’est qu’on leur laisse la possibilité de négociations et qu’on ne porte pas atteinte à la compétitivité de leur entreprise. Mais je n’ai pas entendu auprès de ces chefs d’entreprise des oukases comme ceux que j’entends de la part de certains membres du patronat institutionnel. (…)

Grand Jury : Et pour les cadres ?

M. Aubry : (…) Le gouvernement n’a jamais eu l’intention de faire une politique des revenus, où tout serait décidé chez M. Jospin, comme M. Juppé l’a fait pour la sécurité sociale. (…) Ce que souhaite Lionel Jospin, c’est donner la ligne, donner de la cohérence, donner des perspectives, ouvrir des marges de manœuvre et ensuite faire marcher ce pays avec tout le monde. Ce qui veut dire que pour aucune catégorie nous ne prendrions des décisions qui ne relèvent pas de nous, comme par exemple dire : on bloque les salaires des cadres. (…) En revanche, il y a un vrai problème pour les cadres : comment faire en sorte qu’il y ait une réduction de la durée de travail chez les cadres ? Eh bien, je crois que, par la négociation, les partenaires trouveront des formules et peut-être qu’ensuite il faudra que la loi s’en inspire.

Grand Jury : Y aura-t-il un audit sur la durée de travail des fonctionnaires ?

M. Aubry : En ce qui concerne les fonctionnaires, le problème n’est pas de savoir s’ils font les horaires pour lesquels ils sont payés (…) mais, compte tenu des grandes disparités qui existent (…), il ne serait pas aberrant de regarder de quelle situation on parle.

La conférence nationale

La conférence de vendredi prochain est l’aboutissement d’un long travail depuis trois mois (…) avec l’ensemble des organisations patronales et syndicales. Nous avons travaillé pour faire en sorte que cette conférence ne soit pas une grande messe de plus. (…) Nous avons tous évolué, et le gouvernement aussi sur les propositions qu’il va mettre sur la table. C’est un aboutissement (…) et en même temps le début d’un processus. Nous allons essayer de fixer des objectifs communs, des processus, des démarches, des rencontres, des calendriers. Bref, on va lancer les choses. (…) La façon dont on y va, c’est au gouvernement d’en décider. (…)

Réduction du temps du travail et création d’emplois

(…) Je suis convaincue que de nombreuses entreprises – certaines l’ont déjà fait – iront au-delà des 35 heures, parce qu’elles ont bien compris que c’était l’occasion pour elles de réorganiser le travail. Un des vrais problèmes des entreprises, ce n’est pas la flexibilité liée à la rigidité du code du travail, c’est le fait qu’elles sont rigides dans leur organisation (…) l’organisation du travail est rigide. La réduction de la durée du travail (…) peut permettre de réorganiser le travail et de réacquérir de la compétitivité. (…)

Grand Jury : Et les salaires ?

M. Aubry : Le politique doit dire ce qui lui paraît bon. Lionel Jospin a dit que ce qui nous paraît bon aujourd’hui, ce n’est pas de baisser la majorité des salaires, parce qu’on a besoin de soutenir la consommation et parce que ce serait injuste vu tout ce qui a pesé sur les salariés ces dernières années. Mais nous savons aussi que nous ne pouvons pas grever la compétitivité des entreprises de manière importante. Entre les deux positions – entre 35 heures payées 39, que nous rejetons, et le fait que nous pensons qu’il ne faut pas réduire les salaires – il y a toute la marge qui relève de la négociation.

La retraite après 40 années de cotisation

Il y a dans notre pays des gens qui ont cotisé et travaillé pendant 40 ans. Certains – et Marc Blondel a raison de le dire – ont commencé à 14 ou 15 ans, ont travaillé parfois dans des métiers difficiles qui les ont usés prématurément, et ils ne sont pas en retraite alors que des jeunes attendent. (…) Le mécanisme mis en place par le patronat et les syndicats et qui permet à un certain nombre de personnes qui ont plus de 57 ans de partir en retraite en contrepartie de l’embauche des jeunes est un bon mécanisme. Je crois, comme Marc Blondel, qu’il faut que l’on avance dans ce domaine. Mais cela coûte cher. On va en parler vendredi et on va voir comment on peut avancer. (…) Lionel Jospin avait dit dans sa déclaration de politique générale que le gouvernement serait prêt à aider, s’il y avait des négociations, pour faire un pas complémentaire. (…) Nous allons en discuter vendredi (…) et j’espère qu’une décision pourra intervenir sur ce point dès vendredi.

Les 350 000 emplois jeunes dans le secteur privé

(…) S’agissant de la création de 350 000 emplois pour les jeunes dans le privé, nous voulons que les entreprises réfléchissent, comme nous nous l’avons fait pour le secteur public, à tous les nouveaux gisements d’emplois. Il faut qu’elles réfléchissent au service dont ont besoin leurs clients et qui pourraient émerger. (…)

En outre, il faut relancer la formation en alternance, qui stagne depuis deux ans. Peut-être faut-il le faire en regardant la situation dans chaque secteur économique ? C’est pourquoi nous avons établi un dossier qui fait le point dans chaque secteur. (…)

Le président de la République et le plan emplois-jeunes

D’abord, je dirai très gentiment que le président de la République aurait pu choisir une autre ville puisque le maire de Troyes s’est abstenu sur le projet du gouvernement et avait annoncé la veille 120 emplois-jeunes. (…) Cela prouve que le président de la République n’est pas toujours bien conseillé. J’avais préféré sa réaction au conseil des ministres où il avait dit qu’il était content qu’on s’attaque au problème du chômage des jeunes. (…) J’espère qu’au fur et à mesure des résultats, nous le convaincrons. S’il voulait dire qu’il ne souhaite pas que ces emplois soient des emplois publics à terme, nous lui avions déjà répondu : nous sommes d’accord avec lui. (…)

La CSG et la solidarité gouvernementale

Grand Jury : Mme Demessine, secrétaire d’État au tourisme, s’est déclarée en désaccord sur la CSG et sur la prise en compte des ressources pour le versement de certaines allocations. La solidarité gouvernementale existe-t-elle ?

M. Aubry : (…) La ligne politique est très claire et personne ne la conteste. Tout le monde y adhère. On débat beaucoup, c’est la méthode de Lionel Jospin et je la trouve formidable. (…)

Grand Jury : Est-il normal qu’un membre du gouvernement continue à dire qu’il est contre une mesure, une fois que celle-ci a été décidée ?

M. Aubry : Je ne trouve pas cela normal et je ne le fais pas. Je suis d’autant plus étonnée que sur la CSG nous avons eu un grand débat et que les représentants du parti communiste au gouvernement se sont exprimés, (…) le ministre de l’équipement s’est déclaré favorable au basculement, et même en une seule fois. Peut-être y a-t-il des problèmes internes que je ne connais pas. (…)

Les allocations familiales

(…) Lionel Jospin (…) a annoncé la mesure qui lui paraissait la meilleure, c’est-à-dire le plafonnement des allocations familiales. Il a dit aussi qu’il ferait en sorte qu’entre les familles riches et les familles pauvres existe une plus grande solidarité. (…) Mais il a ajouté : si vous me présentez une mesure qui reçoive un consensus plus général, par exemple la fiscalisation des allocations familiales ou la réforme du quotient familial, je suis prêt à y retravailler. (…) C’est cela la méthode Lionel Jospin : montrer son volontarisme mais être ensuite ouvert sur les modalités. (…)

Les familles, pour nous, c’est très important. (…) Nous allons mettre en place l’année prochaine une loi pour les familles qui ne traitera pas seulement des problèmes financiers mais qui s’intéressera aussi au logement des enfants, au statut des jeunes, aux problèmes d’éducation et de sécurité. Nous avons déjà versé 10 milliards aux familles depuis juin et nous en reprenons 5, d’une part, en demandant un geste de solidarité aux plus favorisés et, d’autre part, en revenant sur un certain nombre d’avantages fiscaux que nous jugeons inconsidérés. (…) Nous ne disons qu’il ne faut pas aider toutes les familles qui ont des enfants, mis il ne faut pas aider plus celles qui sont le plus favorisées. (…)

Va-t-on soumettre les remboursements de dépenses de santé à des conditions de ressources ?

Nous ne sommes pas dans le même schéma que pour les allocations familiales : aujourd’hui, les familles françaises ne financent pas les allocations familiales. (…) Donc, pas de risque pour la sécurité sociale, mais je comprends que la question ait été posée.

Les emplois familiaux

(…) Pour les emplois familiaux, la déduction avait été portée à 90 000 francs par M. Balladur. Si l’on y ajoute l’AGED, lorsqu’on embauchait quelqu’un à 115 000 francs, l’État en remboursait 85 000. Or ce sont les libéraux, qui sont pour moins d’impôts, moins d’État, qui viennent rouspéter quand on ramène cette aide, qui représentait trois quarts du coût, à la moitié de celui-ci. Il n’y a pas un pays du monde où l’on vous paie la moitié de votre employé de maison ! (…) Cela touche 0,25 % des familles françaises. Je voudrais que l’on arrête de faire de l’idéologie sur des affaires comme celle-là (…) surtout quand on connaît le malheur de beaucoup de gamins et de familles qui ne peuvent pas leur donner l’essentiel. (…)

La réforme de la sécurité sociale

(…) Pour le Premier ministre précédent, la protection sociale et le système de santé étaient d’abord une grande machine à dépenser qu’il fallait brider de manière centralisée et mécanique alors que pour nous il faut absolument défendre le système de protection sociale et de santé, car il est d’abord au service de la population. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas maîtriser les dépenses. Prenez l’exemple de l’informatique. (…) M. Juppé avait fini par faire croire aux médecins que cela avait uniquement pour fonction de les contrôler (…) alors que ce peut être un outil formidable d’amélioration des soins dans notre pays et de conseil auprès des médecins et en même temps de maîtrise des dépenses de santé. Les médecins l’ont donc considéré comme un outil de coercition. Je pourrais vous dire la même chose pour l’hôpital. (…) On a mis un couvercle sur les hôpitaux en essayant de les asphyxier. (…)

Grand Jury : Vous maintenez pourtant le système de sanctions.

M. Aubry : Il ne s’appliquera pas avant la fin de l’année prochaine. (…) Avec Bernard Kouchner, nous avons dit à tous les syndicats de médecins : ce système est sans doute injuste et imparfait, mais il n’y en a pas d’autre ; mettons-nous autour de la table – ce sera fait à la fin du mois – et essayons de réfléchir ensemble sur les références médicales (…), sur la répartition par spécialité des médecins. (…) Cela, au lieu de le faire contre les médecins, ou sans eux, contre le personnel hospitalier, ou sans lui, comme M. Juppé l’a fait, nous allons le faire avec eux. (…)

Grand Jury : Et les états généraux de la santé ?

M. Aubry : (…) Cela va s’étaler sur plusieurs mois : ils commenceront sans doute au printemps prochain et se termineront à la fin de l’année 1998. (…) Il y aura des débats partout en France sur l’alcoolisme, sur la prévention d’un certain nombre de maladies, sur le suicide des jeunes. (…) Il y aura aussi des débats sur des thèmes propres à chaque région. (…) Nous parlerons avec les Français, dans chaque localité, de l’organisation du système de soins.

Grand Jury : Comment allez-vous réformer la carte hospitalière ?

M. Aubry : Ce qui m’intéresse, c’est que partout un individu ait la même chance d’être soigné. Vous reconnaîtrez avec moi que lorsque vous avez une maladie grave, le problème n’est pas d’avoir un hôpital de proximité à un quart d’heure de chez vous, il est de savoir qu’il y a un plateau technique avec des professionnels de santé dans votre région qui peut vous permettre d’être traité correctement. (…) Mais pour certains actes (…), on a besoin d’hôpitaux de proximité. Il faut regarder le problème de l’hôpital non pas de manière comptable (…) mais en partant des besoins. (…) Nous allons relancer les schémas régionaux d’organisation de la santé à partir de la fin de l’année. (…) Ils ont été faits en 1993, très bien dans quelques régions comme Rhône-Alpes, ils ne sont qu’à l’état d’embryons dans la plupart des cas et surtout ils ont été faits souvent de manière trop technocratique. (…) Il faut partir de la réalité géographique, des besoins dans chaque région et de ce que sont aujourd’hui les risques. (…) Ce n’est pas la vision centralisée de technocrates parisiens qui nous permettra d’évoluer, mais une vision sur le terrain. Nous avons des crédits. Dans mon budget, j’ai 500 millions de francs pour aider à la reconversion de certains services, par exemple, vers les personnes âgées ; la CNAM a aussi 300 millions pour accompagner les personnels qui devront se former ou se reconvertir si nécessaire. (…) L’évaluation commencera fin novembre, début décembre ; il faudra environ trois mois. (…) Et il faudra ensuite expliquer à la population.

L’immigration

Grand Jury : Jean-Pierre Chevènement a traité d’irresponsables les intellectuels qui ont signé des pétitions pour demander la régularisation de tous les étrangers sans papiers.

M. Aubry : (…) Je ne les traiterai pas d’irresponsables, ce n’est pas le sujet. (…) La loi Chevènement fait en sorte que les étrangers ne soient plus considérés comme suspects potentiels, comme des coupables potentiels mais soient traités avec les mêmes égards et les mêmes droits que les Français. Nous n’avons jamais dit que nous étions pour l’immigration zéro ni que voulions ouvrir les frontières et régulariser tout le monde. (…)

Ce que je n’acceptais pas, c’est que l’on fasse croire aux Français que l’immigration était le problème numéro un. (…) Ce qui importe, au-delà des mots et des slogans, c’est que la France se réconcilie sur ce sujet.


Date : 9 octobre 1997
Source : Le Nouvel Observateur

Nouvel Observateur : Qu’attendez-vous de la Conférence sur l’emploi ?

M. Aubry : Ce sont surtout les Français qui en attendent quelque chose. Depuis vingt ans, tous les pouvoirs ont échoué dans la lutte contre le chômage. Parce que nous avons tous trop attendu de la croissance et du seul traitement social. On connaît aujourd’hui les limites des deux. Les experts reconnaissent, par exemple, qu’avec 3 % de croissance on ne réduira le nombre de chômeurs que d’environ 70 000 par an. Ce n’est, bien sûr, pas suffisant. L’opinion attend que les responsables politiques, économiques et sociaux montrent leur volonté de se mobiliser pour l’emploi et d’innover au-delà des modes de pensée traditionnels et des discours convenus.

Nouvel Observateur : Ce type de grand-messe avec gouvernement, patronat et syndicats rappelle 1936 ou 1968. N’est-ce pas archaïque ?

M. Aubry : Les grandes conférences que vous évoquez ont eu lieu en période de crise violente : les gens étaient dans la rue. Aujourd’hui, c’est différent : la crise est structurelle. L’État doit prendre des initiatives, offrir des perspectives ; bref, donner le « la ». La loi ne suffit pas. Il faut la mobilisation des partenaires sociaux. La négociation sociale est indispensable. Nous avons beaucoup travaillé ensemble à cette conférence et nous nous sommes posé des questions : pourquoi notre croissance, depuis le début des années 90, est-elle si faible et inférieure à celle de certains de nos partenaires européens ? Pourquoi est-elle aussi peu créatrice d’emplois ? Ce n’est pas une fatalité. S’il faut tout faire pour que la croissance soit la plus forte possible, il faut aussi rechercher toutes les pistes possibles pour la rendre plus riche en emplois.

Nouvel Observateur : Il s’agit donc plus dans votre esprit d’affirmer un volontarisme que de fixer des obligations…

M. Aubry : Le gouvernement s’est engagé devant les Français à ce que l’emploi soit la priorité absolue. Il doit en tirer toutes les conséquences. Nous discutons depuis trois mois avec les partenaires sociaux. La conférence est à la fois l’aboutissement d’un travail préparatoire et le point de départ d’un processus : nous devons nous fixer des objectifs, des démarches, des calendriers.

Nouvel Observateur : Dans quel état d’esprit les partenaires sociaux abordent-ils la conférence ? Sont-ils prêts à des concessions dans l’intérêt général, ou bien sont-ils avant tout soucieux de défendre les intérêts de leurs mandants ?

M. Aubry : Le 3 octobre, au cours de la réunion préparatoire, un vrai débat s’est instauré. Côté patronal, personne n’a dit : les entreprises sont au bord du gouffre, ou encore le coût du travail est le problème majeur de la France. Côté syndical, on n’a pas parlé, loin s’en faut que des problèmes salariaux. L’important, c’est de sortir des slogans et que chacun accepte la logique de l’autre.

Nouvel Observateur : Ça n’est apparemment pas le cas du CNPF ?

M. Aubry : Ce n’est pas l’heure des procès d’intention. Le gouvernement est, je crois, aussi attentif que les milieux patronaux aux contraintes économiques. En tout cas, ce que je constate, c’est que beaucoup d’entreprises se sont déjà engagées dans des réductions fortes du temps de travail.

Encore la semaine dernière, j’ai débattu de la réduction du temps de travail avec des patrons de PME à Saint-Amand-les-Eaux et avec de grands patrons à Lille. Leur souci est que la réduction du temps de travail ne menace pas la compétitivité – nous sommes tous d’accord –, mais aucun d’eux n’a menacé de faire la grève de l’embauche ou de délocaliser. Je suis convaincue que le CNPF voudra lui aussi apporter sa contribution à l’emploi lors de la conférence. Les entreprises savent bien que sans résultat sur l’emploi, la confiance ne reviendra sans doute pas, et que la reprise de la consommation sera compromise. Alors, quelles seraient les premières victimes ? Les entreprises et leurs salariés.

Nouvel Observateur : Et les syndicats ?

M. Aubry : Ils viennent avec des propositions intéressantes, et qui s’inscrivent dans la logique de la conférence : masse salariale, réduction du temps de travail, départ à la retraite des salariés qui ont travaillé très longtemps, insertion des jeunes. Bref, de vraies préoccupations, qui sont aussi celles de nombreux chefs d’entreprise.

Nouvel Observateur : Que dites-vous au patronat, qui réclame plus de flexibilité en échange de la diminution de la durée du travail ?

M. Aubry : Selon une enquête de l’OCDE, la France est dans ce domaine en position moyenne : elle est plus flexible que l’Allemagne ou l’Italie, et évidemment mois que la Grande-Bretagne. D’ailleurs sur ce sujet, je ne sais plus très bien ce que le patronat souhaite. Et pour cause : il n’y a plus d’autorisation de licenciement. À tel point qu’il va falloir prendre des mesures pour clarifier les règles et éviter des abus. 85 % des embauches se font avec des contrats précaires et sous certaines conditions, la réglementation sur la durée du travail a été assouplie. Ce qui est vrai, c’est que nos réglementations sont trop complexes. Il faut les simplifier, spécialement pour les PME. Ensuite, il faut que les entreprises, en interne, trouvent des organisations du travail qui les rendent plus réactives. Enfin, je crois surtout que face à la précarité il faut donner aux salariés de nouvelles sécurités qui, sans entraver le fonctionnement de l’entreprise, leur permettent de se sentir moins menacés.

Nouvel Observateur : L’objectif de la conférence, c’est de favoriser la relance par la création d’emplois…

M. Aubry : C’est d’abord faire en sorte que la croissance soit la plus forte possible. L’État va rappeler ce qu’il a déjà fait : une redistribution directe de pouvoir d’achat à ceux qui en ont le plus besoin, notamment le quadruplement de l’allocation de rentrée scolaire, l’augmentation de l’aide au logement, les mesures prises pour les cantines. Et bien sûr, pour tous les salariés et une grande partie des actifs, l’accroissement du pouvoir d’achat de plus de 1,1 % grâce aux transferts des cotisations maladie vers la CSG. Pour l’heure, la croissance est tirée par les exportations : elle ne touche pas l’ensemble des secteurs et doit être relayée par la demande interne. Depuis le début des années 90, la France est restée à un niveau de croissance anormalement bas : 1 % en moyenne, bien en deçà de son potentiel économique. Il faut une croissance plus forte, qui profite à tout le monde et qui soit plus riche en emplois.

Nouvel Observateur : En 1981, la politique de relance menée par le gouvernement de gauche a échoué. Pourquoi réussirait-elle aujourd’hui ?

M. Aubry : La situation n’est pas du tout la même. En 1981, notre économie n’était pas prête. L’erreur a été alors de sous-estimer l’état d’impréparation des entreprises : depuis le choc pétrolier, la baisse de leurs marges ne leur avait pas permis de se moderniser. Elles avaient un taux d’autofinancement de 60 % seulement de leurs investissements. Et, avec ses 14 % d’inflation, la France n’était pas compétitive. Aujourd’hui, l’inflation est maîtrisée, les entreprises ont rétabli leurs marges, le taux d’autofinancement est de 110 %, un record depuis, 1945, les taux d’intérêt sont bas. Le problème des entreprises aujourd’hui, c’est l’insuffisance de la demande. Pour relancer la croissance, il faut non seulement prendre des mesures de relance de la consommation, mais aussi donner des signes positifs sur l’emploi. C’est pour cela que la réussite de la conférence est essentielle. Si les Français se disent qu’enfin le problème de l’emploi est pris à bras-le-corps, qu’enfin des pistes nouvelles sont explorées, comme les emplois-jeunes, la confiance peut revenir, qui favorisera cette relance.

Nouvel Observateur : Dans la plupart des pays industrialisés, le soutien du pouvoir d’achat s’est fait par des baisses d’impôts favorisées par la réduction des dépenses publiques. Pourquoi écartez-vous cette voie ?

M. Aubry : Baisse ou hausse d’impôts, il faut sortir de cette guerre de religion. D’abord, disons-le clairement : la situation que nous a laissé la droite ne permettait pas de réduire les prélèvements obligatoires. C’est tellement vrai qu’Alain Juppé a poussé le président de la République à la dissolution à partir du moment où il a réalisé qu’il ne pourrait pas honorer ses promesses de réduction d’impôts. Ensuite, je vous fais remarquer que pour la première fois depuis quinze ans nous avons élaboré un budget qui prévoit une évolution de la dépense publique du même ordre que l’inflation. Et cela ne nous a pas empêchés de fixer des priorités en matière d’emploi, d’éducation, de justice. Nous sommes parfaitement conscients qu’il faut stopper cette spirale de l’endettement de la France, qui pénalisera nos enfants et nos petits-enfants.

Arrêtons donc de présenter les socialistes comme des fanatiques de la dépense publique. Pour moi la question se pose autrement : qui peut assurer l’accès de tous aux besoins fondamentaux que sont l’éducation, le logement, la santé, la sécurité ? L’État ou le privé ? Rien ne démontre aujourd’hui que dans ces domaines le second fasse mieux que le premier. Au contraire. Chaque fois que l’on confie ces tâches au secteur privé, on constate qu’il y a exclusion de certaines catégories, que la qualité est réservée aux plus favorisés. Les libéraux nous disent qu’il faut rendre de l’initiative aux individus. Mais quel est le degré d’initiative d’un gamin de banlieue en échec scolaire ? D’une mère de famille qui ne peut pas payer la cantine scolaire ?

Nouvel Observateur : Les libéraux invoquent aussi l’efficacité du secteur privé…

M. Aubry : Le marché permet la concurrence, stimule l’innovation et pousse à l’efficacité. C’est pourquoi il est irremplaçable. Mais le marché ne garantit pas l’accès de tous aux droits fondamentaux. Il suffit de voir les 40 millions d’Américains qui ne bénéficient d’aucun système de protection de santé, ou l’état dans lequel Tony Blair a trouvé le système éducatif anglais après vingt ans de thatchérisme. Le libéralisme, la rentabilité à court terme, l’individualisme, la loi du plus fort ne peuvent régir l’ensemble de la société. Il faut d’autres valeurs pour garantir l’accès à tous à ces droits fondamentaux, lutter contre l’exclusion, rétablir le lien social, accéder à la culture. C’est le rôle de l’État et des services publics d’y répondre. Mais il est légitime que les Français attendent de l’État la plus grande efficacité. C’est d’ailleurs ce que le Premier ministre a demandé à son gouvernement.

Nouvel Observateur : Revenons à la diminution de la durée du travail. Quand vous étiez ministre du Travail sous Édith Cresson puis sous Pierre Bérégovoy, vous n’étiez pas convaincue que cela pouvait créer des emplois. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

M. Aubry : En 1991-92, il était trop tard : on était en fin de législature, et une réforme aussi profonde demande du temps, de la négociation, de la décentralisation. Mais j’ai toujours été convaincue que la réduction du temps de travail était un moyen de lutter contre le chômage, mais aussi un moyen pour mieux vivre. Écoutez les gens, ils disent sans arrêt : « Je n’ai pas le temps. » Pas le temps de s’occuper des enfants, de suivre une formation, de s’informer, de comprendre la société complexe dans laquelle on vit, de voir ses amis, ses parents. Aujourd’hui, il faut aborder la réduction du temps de travail non pas comme une piste unique, un procédé miracle, mais comme une des voies à emprunter. En tenant compte de la réalité économique, sans porter atteinte à la compétitivité des entreprises. Mais ce serait aujourd’hui une injustice sociale et une erreur économique que de baisser les salaires pour le plus grand nombre. Car il nous faut d’abord soutenir la consommation. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille payer les 35 heures 39.

Nouvel Observateur : Vous dites d’un côté qu’il ne faut pas baisser les salaires, et de l’autre qu’on ne peut pas faire les 35 heures payées 39. Comment les Français peuvent-ils s’y retrouver ?

M. Aubry : Ne pas baisser les salaires au moment du passage aux 35 heures ne signifie pas qu’ils seront augmentés, par la suite, de la même façon que s’il ne s’était rien passé. Mais tout dépendra des entreprises et des emplois créés. Ce n’est pas à la loi de fixer de telles modalités. Dans ce domaine, chacun peut apporter sa part : l’État en aidant ceux qui vont plus vite et plus loin, les entreprises, en affectant les gains de productivité à cette opération. Quant aux salariés, ils jugeront de ce qu’ils peuvent apporter en fonction de leur situation et des emplois créés. Ce n’est pas non plus à la loi de fixer les modalités de la réduction de la durée du travail. C’est aux partenaires sociaux de négocier.

Nouvel Observateur : Les négociations auront donc lieu entreprise par entreprise…

M. Aubry : Oui, en règle générale, mais c’est au patronat et aux syndicats d’en décider. On peut parfois négocier dans les branches lorsqu’elles sont suffisamment homogènes.

Nouvel Observateur : Le sondage publié dans « Le Monde » montre qu’une majorité de Français est prête à accepter des diminutions de salaire si la réduction du temps de travail crée des emplois. Pour vous, c’est la bonne surprise !

M. Aubry : Je ne suis pas étonnée. Les Français sont prêts à bouger dès lors qu’ils voient des perspectives positives et en comprennent le sens. Dès lors qu’ils ont leur mot à dire, que les efforts sont proportionnés et que ce qu’on leur demande est juste.

Nouvel Observateur : L’expérience montre que c’est en allant au-delà des 35 heures qu’on crée des emplois et qu’on améliore la qualité de la vie. Est-ce que les incitations financières de l’État ne devraient pas profiter surtout à ceux qui iront au-delà des 35 heures ?

M. Aubry : Nous n’avons jamais pensé que les 35 heures étaient un seuil magique. C’est un pas dans le mouvement historique de baisse de la durée de travail. Oui, il y aura une aide supplémentaire pour ceux qui veulent aller plus loin, au-delà des 35 heures. Il faut sortir des dogmes. Tout est possible : 35 heures, 32 heures, semaine de 4 jours, congé annuel allongé pour les cadres, réduction du temps de travail sur la vie (épargne-temps). N’imposons pas des formules, gardons une grande souplesse. Avec une condition : ne pas porter atteinte à la compétitivité de l’entreprise, puisque le but est de créer des emplois.

Au fond, le slogan électoral de 35 heures est réducteur…

M. Aubry : Non. Pour avancer, il faut se fixer des étapes. Mais on n’a jamais dit : 35 heures, rien d’autre, et on arrête !

Nouvel Observateur : La France peut-elle seule, en Europe, diminuer sensiblement le temps de travail ?

M. Aubry : Mais nous ne sommes pas seuls ! À Chambéry, les Italiens viennent de dire oui à la réduction du temps de travail. Aux Pays-Bas, cette réduction a été au cœur de la politique économique et sociales ces dernières années. En Allemagne, plusieurs secteurs sont déjà à 35 heures. En Suède, le temps de travail est particulièrement bas, en Grande-Bretagne particulièrement haut. Mais on va avancer dans toute l’Europe. Pour certaines professions, je pense aux routiers qui ne connaissent pas de frontières, pourquoi ne pas négocier au niveau européen ? De toute façon, je n’ai jamais dit que la réduction de la durée du travail était la seule solution. C’est une voie, parmi d’autres, pour réduire le chômage.

Nouvel Observateur : Quelles sont-elles ?

M. Aubry : Pour que la croissance soit encore plus riche en emplois, il faut être offensif dans les nouveaux secteurs qui sont créateurs de richesses et qui préparent l’avenir. Nous devons absolument rattraper le retard considérable que nous avons pris sur les nouvelles technologies. Aux États-Unis, 35 % des emplois ont été créés ou induits par ces nouvelles technologies. De la même manière, en matière de recherche, nous devons soutenir des secteurs porteurs d’avenir, comme la santé. Prenez l’industrie pharmaceutique. Il y a vingt ans, ce secteur inventait des produits qui prenaient facilement 10 %, 20 % du marché mondial. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au moment même où la recherche devient un investissement considérable, les laboratoires français ne suivent plus. Il faut les aider. C’est comme cela que nous entrerons dans le monde du XXIe siècle. Je suis convaincue que c’est l’enjeu majeur.

Nouvel Observateur : Pour ce qui est de nouvelles technologies, quelles mesures avez-vous prises ?

M. Aubry : Le budget 1998 a pris des mesures pour développer la recherche et faciliter le capital-risque. Le Premier ministre a pris des positions fortes sur la bataille de l’intelligence, qui sera celle du XXIe siècle. Nous nous en donnerons les moyens.

Par ailleurs, nous avons un problème spécifique en France, c’est celui des PME. Nous allons les aider, elles aussi. Il faut revoir les relations entre les PME et les grandes entreprises qui sont leurs donneurs d’ordre. Les grandes entreprises – et nous en parlerons à la conférence – doivent aussi faire émerger les nouveaux besoins de leurs clients, de leur environnement. Elles peuvent aider à la réalisation d’activités nouvelles, pas seulement par des financements, mais aussi par de l’expertise, de l’aide à la gestion, etc. Enfin, il faut simplifier les démarches administratives.

Nouvel Observateur : Satisfaire les nouveaux besoins, c’est aussi ce que vous avez voulu faire avec les emplois-jeunes…

M. Aubry : Absolument. Il y a aujourd’hui beaucoup de besoins latents, mal satisfaits parce que la solvabilité n’est pas assurée, l’offre de service pas structurée ou simplement les attentes des consommateurs mal définies. Il en est ainsi dans les domaines des services aux personnes, de la qualité de la vie, de la protection de l’environnement, de la consolidation du lien social, de la culture… Ces besoins sont souvent à la charnière du marché et du service public. Notre objectif, à travers la loi qui est en train d’être votée au Parlement et à travers une aide financière très importante de l’État, c’est d’aider au développement d’activités qui répondent à ces besoins, en même temps que de favoriser une embauche forte de jeunes. C’est un investissement permettant l’émergence de nouvelles activités, la recherche de leur pérennisation à terme et la création de métiers d’avenir.


Date : 9 octobre 1997
Source : Paris-Match

Paris-Match : Après avoir diminué de moitié la déclaration fiscale des emplois à domicile, plafonné les allocations familiales et réduit de moitié l’allocation de garde des jeunes enfants, vous êtes aujourd’hui la cible non seulement de toutes les femmes qui travaillent, mais aussi de nombreux députés, y compris du PS. N’êtes-vous pas en train de pénaliser les femmes salariées et de mettre un frein à la politique de natalité déjà fragile ?

M. Aubry : Je me suis trop battue pour les femmes et leurs conditions de travail pour entendre cela sans réagir. Il est pour le moins étonnant de parler de mécontentement de toutes les femmes lorsque les mesures décidées ne concernent que les familles disposant des revenus les plus élevés : 2,3 % des familles françaises pour la mise sous condition de ressources des allocations familiales, 0,25 % des familles pour la réduction des emplois familiaux et 0,4 % pour la réduction de l’Aged. Le gouvernement a, au contraire, pris des mesures de soutien à la famille avec le quadruplement de l’allocation de rentrée scolaire, l’augmentation des allocations logement, les moyens nouveaux pour que chaque enfant ait accès à la cantine. Dix milliards de francs ont ainsi été transférés aux familles, sans compter le gain de pouvoir d’achat de plus de 1 % pour l’ensemble des salariés et une grande partie des actifs par le transfert des cotisations maladie vers la CSG. Mais la branche famille de la sécurité sociale est déficitaire de 12 milliards, notamment à cause de la loi famille votée par M. Balladur et non financée. Alors, nous avons dû prendre des mesures de solidarité

Paris-Match : Vous n’avez qu’une seule fille à élever. Vous rendez-vous compte que les couples avec trois, quatre, cinq enfants et plus, en région parisienne, auront du mal à joindre les deux bouts ? Certaines mères devront même peut-être abandonner leur travail et, si ce n’est pas le cas, elles risquent de devoir frauder. Ce n’est pas très féministe, tout ça.

M. Aubry : Rassurez-vous, je suis aussi touchée par la baisse du plafond des emplois familiaux. Mais je n’ai pas l’habitude de prendre des mesures en fonction de mon cas personnel. Je vous rappelle qu’une famille de trois enfants, dont les parents travaillent, continuera de percevoir des allocations familiales pour un revenu net mensuel de 37 000 francs, 42 000 francs pour une famille de quatre enfants. Comment pouvez-vous parler d’injustice alors que le revenu moyen d’une famille n’est que de 15 000 francs ! Trouvez-vous normal que l’État prenne en charge jusqu’à 80 % de l’emploi d’une personne à domicile à temps plein ? Aucun pays au monde ne mène une telle politique. Après nos mesures, l’État financera encore près de la moitié du coût d’un emploi à domicile. Que cela pose des problèmes d’organisation à certaines jeunes femmes, je le comprends. Mais je suis convaincue qu’un grand nombre de familles aisées sauront faire le choix de la solidarité et de l’équité en payant une personne pour un emploi à domicile afin que l’on puisse aider les familles modestes et les classes moyennes.

Paris-Match : On commence à vous reprocher, parmi vos amis, d’être trop sectaire. Au gouvernement, comptez-vous vous assouplir ?

M. Aubry : Travailler à la justice et à la solidarité, c’est l’inverse du sectarisme. C’est le souci du plus grand nombre et cela nécessite beaucoup de modestie. Comme tous les autres, je défends mes convictions et donne mon point de vue. C’est le Premier ministre qui décide. Mais quand les femmes ont des convictions et qu’elles les défendent avec détermination, on les dit sectaires. Lorsque ce sont des hommes, on dit qu’ils ont du caractère. Sur ce sujet, je crois, toutes les femmes seront d’accord.