Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, dans "Le Progrès" du 2 octobre 1997, sur les conséquences de l'entrée de l'Italie dans l'espace Schengen, la libre circulation des personnes et le contrôle des frontières à l'intérieur de l'Union européenne, et la coopération policière dans l'Union européenne.

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Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès

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Le Progrès : Ne prend-on pas un risque en supprimant les contrôles à la frontière italienne ?

Jean-Pierre Chevènement : Le risque nul n’existe pas, mais nous avons pris toutes les mesures pour que l’entrée de l’Italie dans l’espace Schengen ne se traduise au contraire par aucun affaiblissement de la sécurité. Nous signerons ainsi à Chambéry deux conventions de coopération, l’une sur la coopération policière et douanière, qui prévoit notamment l’ouverture d’un commissariat commun à Modane, après celui déjà créé à Vintimille. La seconde convention prévoit ce qu’il est commun d’appeler la « réadmission automatique » des étrangers en situation irrégulière qui franchissent la frontière (1). Enfin vous savez que l’Italie va se doter d’une législation pour mieux contenir la pression migratoire à ses frontières.

Le Progrès : La France maintient en revanche ses contrôles à la frontière avec la Belgique, malgré Schengen. Jusqu’à quand ?

Jean-Pierre Chevènement : Chacun sait que la frontière franco-belge est un lieu de transit de drogues en provenance des Pays-Bas. Le problème est la différence des législations entre la France et les Pays-Bas. Malgré une excellente coopération entre les polices néerlandaise, française et belge, qui a encore récemment permis la mise en cause de près de 200 personnes à des titres divers, le moment n’est donc pas encore venu de relâcher nos contrôles : l’harmonisation des législations et des pratiques doit encore progresser.

Le Progrès : Vous comprenez l’irritation des Néerlandais, qui ont l’impression qu’un pays étranger, la France, prétend leur imposer un changement de leur loi ?

Jean-Pierre Chevènement : Chaque pays est libre d’adopter les lois qu’il souhaite. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, à la fois maintenir une politique de tolérance à l’égard de certaines drogues et vouloir supprimer les contrôles aux frontières. Je constate d’ailleurs que la plupart des pays qui s’étaient engagés sur la voie d’une certaine libéralisation comme l’Espagne ont changé de voie.

Le Progrès : Et quand un ministre du gouvernement français, Dominique Voynet, reconnaît avoir fumé des « joints »…

Jean-Pierre Chevènement : Elle ne s’est pas exprimée en tant que ministre, mais comme Dominique.

Le Progrès : Avec Schengen et Amsterdam, la France délègue une partie de sa souveraineté en matière de sécurité à l’Europe. Est-ce une bonne chose ?

Jean-Pierre Chevènement : Nous avons trouvé en arrivant au gouvernement le traité d’Amsterdam tel un cadeau bien ficelé dans nos souliers, déposé par des Père Noël qui s’appelaient Jacques Chirac et Alain Juppé. C’est un dispositif passablement touffu et contradictoire, qui mériterait d’être précisé et peut-être revu. Il pose également des problèmes réels de conformité avec la Constitution française s’agissant des transferts de pouvoirs en matière de contrôle des personnes… Mais il comporte aussi un aspect positif, qui est l’obligation de coopérer entre polices face à ces menaces internationales que sont le trafic de drogue ou le grand banditisme.

Le Progrès : On imagine que la perspective d’une sorte de « police européenne », évoquée par Helmut Kohl et Jacques Chirac, ne vous réjouit guère…

Jean-Pierre Chevènement : Vous savez, il y a déjà parfois des problèmes entre polices, alors créer une nouvelle police à vocation opérationnelle, une sorte de « FBI européen », risquerait surtout de compliquer encore plus les choses. Avant de s’exprimer sur ce genre de sujets, les responsables politiques devraient prendre soin de vérifier que leurs idées peuvent être vraiment efficaces sur le terrain.

Le Progrès : Comment réagissez-vous aux menaces du GIA ?

Jean-Pierre Chevènement : Nous maintenons notre vigilance face à un problème tragique dont la solution n’est pas en France. Il faut souhaiter que l’Algérie retrouve la paix et une identité sûre d’elle-même à travers un processus démocratique.


(1) Un étranger en situation irrégulière, venant d’Italie, est arrêté en France. Il sera renvoyé en Italie, car le pays responsable de son sort est celui qui l’a laissé entrer dans l’espace Schengen.