Interview de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, dans "Valeurs actuelles" du 5 juin 1999, sur la politique fiscale, notamment les charges de l'entreprise, les prélèvements obligatoires, la création d'emploi et la situation des PME françaises par rapport aux PME européennes.

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Média : Valeurs actuelles

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Valeurs actuelles
Etes-vous d’accord avec l’Institut de l’entreprise, qui estime que le retard français s’aggrave dans la maîtrise des dépenses publiques et donc des prélèvements ?

Lucien Rebuffel
Les impôts constituent pour les PME le principal boulet. Or, manifestement, ils ne diminueront pas tant que l’Etat n’aura pas accepté de réduire son train de vie. Je rappelle, à ce propos, qu’il consacre aujourd’hui plus de 43 % de son budget à la fonction publique et que ses dépenses ne cessent de progresser.
Les charges qui nous sont imposées sont telles que lorsqu’un salarié touche 100 francs l’Etat en prélève autant sur son employeur et sur lui. Car nous sommes un pays où toutes les fiscalités imaginables ont été mises en place de façon à pouvoir se combiner.
Soyons clairs : si nos entreprises n’étaient pas écrasées par des charges de plus en plus dissuasives, leur surplus de rentabilité leur permettrait de diminuer leurs prix, c’est-à-dire de conquérir de nouvelles parts de marché. Il en résulterait, bien entendu, de nouveaux emplois, dont la création ne pourrait que répondre à l’attente collective. Est-il normal que nous ayons, toutes proportions gardées, deux fois plus de fonctionnaires que les Anglais ou les Allemands ? Tant que l’Etat ne consentira pas à se restreindre dans ses dépenses, notre économie n’aura aucune chance sérieuse de repartir de l’avant.

Valeurs actuelles
Le Medef se plaint de ne pas être consulté par le gouvernement. Mais les patrons de PME-PMI sont très cajolés par les politiques…

Lucien Rebuffel
Je tiens tout d’abord à vous dire que la CGPME n’a pas le moindre état d’âme. Quel que soit le pouvoir en place, elle considère qu’il est de sa mission de répercuter les préoccupations exprimées par ses mandants et de formuler un certain nombre de suggestions.
Les réflexions poursuivies en commun dans les cabinets sont souvent très positives. J’en vois pour preuve la contribution qui a été celle de la CGPME dans l’élaboration des dernières grandes lois intéressant plus directement l’entreprise, qu’il s’agisse de la loi Madelin sur l’entreprise individuelle, de la loi Raffarin sur l’urbanisme commercial ou de la loi Galland sur les pratiques anticoncurrentielles.
Le vrai problème de fond est celui de l’interventionnisme abusif de l’Etat et de l’aspect trop souvent confiscatoire de notre fiscalité. Les trop fameuses ordonnances de 1945 n’ont été abrogées qu’à la fin de 1986, grâce à M. Balladur. De nouveaux progrès restent à accomplir, en vue de limiter l’emprise de l’administration : nous ne cessons d’en faire l’un de nos thèmes prioritaires. Certes, nous avons obtenu des avancées significatives, ne fût-ce qu’en faisant reconnaître la notion « d’impôt progressif », notion sur laquelle j’avais mis l’accent dès mon élection, en mars 1990. Mais nous savons tous que la fiscalité se présente sous les traits d’un monstre protéiforme : coupez-lui la tête, et il en repousse aussitôt une autre, voire deux ou trois.

Valeurs actuelles
Avez-vous l’impression d’être mieux entendus de la droite que de la gauche, ou partagez-vous le reproche souvent fait à la droite d’être aussi dépensière que les socialistes ?

Lucien Rebuffel
On connaît les déclarations d’intention régulièrement formulées par les grands argentiers successifs – quelle que soit leur couleur politique. Mais, de reculade en reculade, d’abandon en abandon, d’aggravation en aggravation, le résultat d’ensemble se révèle toujours aussi calamiteux pour nos catégories d’entreprises. L’Etat ne cesse pas, année par année, de nous matraquer toujours un peu plus…
Telle est la pression fiscale qui s’exerce sur nous qu’à la limite nous en arrivons à considérer que les effets – pourtant attendus par tous, et parfois proclamés à l’excès – d’une reprise économique n’ont pas d’incidence réelle pour nous, dans la mesure où, systématiquement, l’Etat se livre à des opérations de confiscation. De quelque côté que l’on se tourne lorsqu’il s’agit du paysage fiscal (TVA, taxe d’habitation, taxe professionnelle, impôt sur la richesse, que sais-je encore ?), nous ne cessons d’évoluer de traverse en traverse et d’embûche en embûche. En dépit d’un tel contexte, certains bons esprits ont assez d’aplomb pour nous reprocher de ne pas nous ouvrir davantage à de nouveaux marchés. Que l’on commence donc par alléger les taxes dont l’Etat nous accable, et nous verrons alors avec quelle vigueur les PME-PMI se trouveront en état de faire repartir notre économie.

Valeurs actuelles
Dans vos relations avec l’Etat, comment jugez-vous le travail des administrations, le fonctionnement des services publics, et leur rapport qualité-prix ?

Lucien Rebuffel
Mon propos n’est pas de polémiquer en ce qui concerne le nombre et l’efficacité des fonctionnaires. Je ne veux surtout pas me tromper de cible en tirant sur le pianiste. Comment voulez-vous que l’Etat puisse être conduit avec une équipe restreinte d’administratifs, quand on songe que ceux-ci ont à gérer quelque 7 500 lois, auxquelles s’ajoutent 80 000 ou 90 000 décrets (je ne parle pas, bien entendu, des modestes circulaires d’application…), décrets dont la liste s’accroît de 1 200 à 1 500 textes par an ?
Evidemment, tout cela a un coût et même un coût fort élevé, puisque la France consacrera cette année 691 milliards de francs aux traitements des fonctionnaires, ce qui représente 39,4 % du budget de la nation. Conséquence logique de cet état de choses : l’Etat a gaillardement englouti les 300 milliards qui, au cours des quatre dernières années, lui ont été apportés par les différentes privatisations.

Valeurs actuelles
Estimez-vous que les grèves des services publics ont des conséquences plus graves pour les PME que pour les grandes entreprises ?

Lucien Rebuffel
Oui, et surtout pour les plus petites, donc les plus fragiles. Des millions de salariés servent de « boucliers humains » destinés à favoriser les mouvements, trop souvent politisés, d’une poignée d’agitateurs. C’est pourquoi, depuis des années, nous ne cessons de réclamer, à cor et à cri, l’interdiction, comme c’est le cas en Allemagne, du droit de grève pour les fonctionnaires. Dans nos entreprises, pas d’équipes chevauchantes, pas de marge de manœuvre permettant de faire jouer entre les salariés une certaine polyvalence. Notre légèreté même constitue un atout. En revanche, elle devient un handicap lorsque le maillage humain constitué par nos collaborateurs se trouve le jouet de quelques équipes de saboteurs.
Lors des grèves de 1995, nos informations nous ont permis de déterminer qu’un mouvement social s’étendant sur toute une semaine débouchait inévitablement sur 10 000 à 20 000 faillites d’entreprises. Des PME-PMI pour l’essentiel. A partir de ce constat, n’est-il pas criminel de laisser se pérenniser le système de grèves à répétition dans lequel nous nous trouvons englués ?

Valeurs actuelles
Quels sont vos principaux handicaps quand vous comparez la situation des PME françaises avec celles de leurs concurrentes en Europe et dans le monde ?

Lucien Rebuffel
Les PME-PMI françaises sont particulièrement pénalisées, notamment du point de vue de la fiscalité, par rapport à leurs homologues des pays comparables au nôtre, notamment ceux de l’Union européenne. Certains experts ont d’ailleurs pu calculer que, du point de vue des impôts cent soixante nations offraient une situation meilleure que la nôtre.
Quelques éléments de comparaison avec la Grande-Bretagne permettront de mieux apprécier la profondeur du fossé qui nous sépare de nos voisins d’outre-Manche. Là-bas, les charges patronales ne dépassent pas 10 % du salaire brut, alors qu’elles atteignent 45 % chez nous. De même, les charges dites sociales acquittées par un salarié anglais tournent autour de 10 %, mais elles s’élèvent jusqu’à 25 % pour nos compatriotes. Faut-il ajouter que la TVA britannique est de 17,5 %, tandis que la française se situe à 20,6 % ?
Bien d’autres facteurs du même ordre pourraient être cités. Dans ces conditions, ne nous étonnons pas si les étrangers sont de plus en plus réticents pour venir s’implanter en France.

Valeurs actuelles
Entre les aides gouvernementales à l’entreprise pour créer des emplois et la réduction des charges et des impôts, où va votre préférence ?

Lucien Rebuffel
A nos yeux, pas la moindre ambiguïté, pas la moindre hésitation ! Nous tenons, par-dessus tout, à conserver notre souplesse d’adaptation et notre mobilité, lesquelles impliquent que nous ne soyons pas écrasés par une surcharge d’impôts et d’obligations diverses. Depuis mon accession à la présidence de la CGPME, je n’ai cessé de plaider en faveur d’un libéralisme tempéré. CE qui revient à dire qu’à partir du moment où l’Etat a joué le rôle de régulation qui lui revient en fixant les règles du jeu économique et en les faisant respecter, afin qu’il n’y ait pas de discriminations entre les différentes catégories d’entreprises, il doit nous laisser les mains libres !
Certes, il pourrait être tentant pour nous de solliciter à l’infini telle ou telle forme d’aide intervenant dans un contexte déterminé. Mais ne s’agirait-il pas là d’une grave déviation, notre vocation première étant bel et bien de nous faire au contraire créateurs de richesses ? Alors que le nombre de Français assujettis à l’impôt sur le revenu diminue toujours, alors que sept millions de nos concitoyens souffrent du sous-emploi et alors que le nombre des Rmistes atteint un million, serait-il décent que les PME viennent grossir les rangs d’une génération d’assistés ?
Réduction des charges, donc, réduction des impôts, mais aussi réduction des contraintes administratives. Régulièrement, on nous promet des simplifications, qui se vérifient d’ailleurs partiellement sur le terrain mais se trouvent aussitôt contredites, hélas ! Par les initiatives émanant d’autres départements ministériels.
Le « trop d’impôt tue l’impôt », on l’a dit et redit cent fois. Le « trop de charges », quelle que soit la nature de celles-ci, tue purement et simplement l’entreprise.
Qu’on nous laisse donc agir en fonction des exigences de la conjoncture économique ! Qu’on nous donne enfin les moyens d’être des entrepreneurs vraiment entreprenants !