Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, et interview à RFI, sur les sessions du Parlement européen et le cadre financier de l'Union européenne, à Luxembourg le 6 octobre 1997.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Luxembourg le 6 octobre 1997

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Conseil des affaires générales : conférence de presse 6 octobre 1997, au Luxembourg

Dans un premier temps, au point A, nous avons abordé le vote du calendrier du Parlement européen. C’est un point où il n’y a pas eu de débat si ce n’est, je crois, une brève déclaration de M. de Boissieu.

Mais, je saisis l’occasion pour rappeler l’attachement de la France à cette question du Parlement européen, à Strasbourg. Comme vous le savez, le 1er octobre, à la suite du recours que nous avion déposé, la Cour européenne de justice a pris un arrêt qui a prouvé le bien fondé de notre approche, ce qui est pour nous un motif de satisfaction. J’espère que cet arrêt mettra enfin un terme aux querelles incessantes autour de cette question.

Il appartient maintenant au Parlement européen de tirer les conséquences de cet arrêt de la cour et de revenir au calendrier de 12 sessions, à Strasbourg, pour l’année prochaine. Nous espérons qu’il le fera prochainement. Je rappelle qu’il y a aussi des délais contentieux mais nous faisons confiance à la sagesse du Parlement, compte tenu des décisions de la cour.

Q. : Qu’est-ce que ce point a entériné ? Le vote avec les onze sessions ?

Pierre Moscovici : Il a évoqué cela, il a rappelé ce qui s’était produit.

Q. : Le point A qui a été adopté, il concerne quoi au juste ?

Pierre Moscovici : Rien de particulier, c’est un point d’information ; il a pris acte du vote.

Nous avons eu ensuite un échange de vues sur trois sujets de l’agenda 2000 : le cadre financier, la politique agricole commune et les politiques structurelles.

Nous n’en sommes qu’au début de la discussion. J’ai salué l’approche du conseil et du Coreper. C’est une approche globale et opérationnelle et j’ai, en même temps, rappelé que c’était un débat difficile et qui prendrait, sans aucun doute, beaucoup de temps. L’idée sur laquelle j’ai insisté, c’est que le Conseil européen de Luxembourg #, je ne vais pas entrer dans le détail – devait présenter quelques grandes orientations qui serviront de guide pour la suite des travaux.

Quelques éléments nous paraissent décisifs, notamment sur le cadre financier. Nous souhaitons le maintien de la décision « ressources propres », c’est-à-dire du plafond de ressources à 1,27 % du PIB. J’ai insisté sur le fait qu’il ne s’agissait en aucun cas pour nous d’une autorisation de dépenser mais d’un plafond de ressources. Dans notre esprit, soyons clairs, le plafond ne devra pas être atteint en 2006, loin de là. De surcroît, nous souhaitons maîtriser l’évolution de la dépense communautaire et cela passe aussi par la distinction entre les dépenses budgétaires et l’Union à Quinze, les dépenses actuelles, et celles qui sont prévues pour l’élargissement, à la fois pour les stratégies de pré-adhésions et pour les nouveaux États membres.

Troisième point sur cet aspect financier : certains ont évoqué dans les discussions la question de soldes budgétaires. Très clairement, il n’est pas dans nos intentions de renégocier Édimbourg, ni d’accepter que cette question puisse être évoquée avant que nous soyons au clair sur les principes d’évolution des politiques. C’est à travers l’évolution des politiques communes que l’on pourra voir quels sont les résultats, non pas partant de telles ou telles thèses ou approches en terme de solde ou de contribution.

Sur la politique agricole commune qui était le second sujet de l’agenda 2000, vous connaissez notre position, à savoir la répartition équitable des soutiens entre les différentes filières, la défense des positions acquises sur les marchés intérieurs, la recherche de débouchés nouveaux sur les pays tiers.

J’ai réaffirmé, dans le même esprit de ce que je viens de dire, concernant le cadre financier en général, que nous étions attachés au maintien de la ligne directive agricole dans son principe et dans ses modalités de calcul et d’évolution.

Enfin, nous sommes favorables à une réforme d’ensemble de fonds structurels qui prennent notamment en compte l’impératif de l’emploi et de la cohésion sociale, qui partent aussi de règles de gestion plus efficaces. Toujours dans le même esprit, j’ai rappelé qu’il était clair que les 0,46 % pour ces dépenses ne pouvait en aucun cas être un objectif. C’est au maximum un plafond.

Voilà pour nous, les points sur le cadre financier, sur la politique agricole commune, sur les politiques structurelles qui doivent, à notre sens, figurer dans les conclusions du Conseil de Luxembourg.

J’ai évoqué deux questions qui, là aussi, devraient être traitées à Luxembourg. La première, c’est bien sûr, la question institutionnelle, j’ai eu l’occasion de répéter que les réformes institutionnelles qui n’ont pu être menées à bien à Amsterdam devront l’être avant la conclusion des premières négociations d’adhésion. J’ai rappelé notamment que c’était le sens pour nous de la déclaration franco-italo-belge.

Et, par ailleurs, nous n’avons pas évoqué ce matin, ni la liste des pays qui devraient faire l’objet des négociations d’adhésion, ni l’élargissement à proprement parlé, mais j’ai rappelé quel était notre position sur la conférence européenne, et j’ai distribué un premier papier français, officieux, qui indique ce qu’est pour nous cette conférence.

Sur les pays et territoires d’outre-mer – le troisième point qui était abordé ce matin – l’ultime compromis de la présidence a été accepté par toutes les délégations. Il comporte donc un accord sur les volets commercial et financier qui a été accepté par toutes les délégations et par définition, par la nôtre.

Quatrième point, la commission a fait le point des consultations euro-américaines sur les législations à portée extraterritoriale, les lois Helms-Burton et d’Amato. Je vous rappelle qu’il y a eu un arrangement en avril : c’est un geste de l’Union européenne pour donner du temps et permettre aux États-Unis de faire les pas nécessaires. M. Brittan a fait rapport de ces négociations avec les États-Unis, disant que des divergences profondes demeurent, que l’Union européenne devait rester ferme et unie jusqu’à la date du 15 octobre qui avait été prévue avec les Américains.

Il a évoqué. Je rappelle que Total agit dans le cadre de ses droits, précisant que si les Américains entreprenaient des actions contre Total au toitre de la loi d’Amato, ils encourraient des conséquences sérieuses. Il n’y a pas eu de débat sur cette question.

Je note toutefois qu’à cette date, sur le dossier Helms-Burton, aucune avancée significative n’a été accomplie du côté américain. Nous continuons d’espérer que cela se produira.

Voilà pour les questions traitées ce matin. Un certain nombre d’autres seront abordées pendant le déjeuner auquel participera Hubert Védrine – je pars à Vienne pour un comité exécutif Schengen – et en particulier, la préparation du Conseil européen sur l’emploi.

Q. : Sur les États-Unis, avez-vous été surpris de la tonalité du débat ?

Pierre Moscovici : M. Brittan a fait un commentaire assez long qui n’entre pas dans ce type de détail. Le seul point qu’il a évoqué, ce sont les pièges à mâchoires. Pour le reste, pour des raisons tactiques ou autres peut-être, nous en sommes restés là.

Q. : Le silence des autres est-il frappant ?

Pierre Moscovici : Le silence des autres est frappant mais enfin, je note quand même que la solidarité européenne dans cette affaire ne s’est pas fissurée et je m’en réjouis. C’est le contraire qui aurait été préoccupant. La solidarité et le soutien restent acquis, y compris par rapport aux point délicats.

Q. : Cela vous a-t-il été redit ce matin ?

Pierre Moscovici : C’est la tonalité de la communication de M. Brittan et l’absence de débat en est la preuve puisque c’était le sens de la communication.

Q. : Sur l’élargissement, apparemment, la majorité des délégations acceptent la différenciation telle que le conçoit la commission, c’est-à-dire l’ouverture avec 5 plus Chypre. En êtes-vous là ? Au fond, êtes-vous d’accord sur la liste ?

Pierre Moscovici : Cela n’a pas été l’objet du débat ce matin. Chacun est convenu que cela devait être traité au prochain Conseil affaires générales. Nous nous sommes concentrés, c’était la demande de la présidence, sur les questions qu’elle posait sur le cadre financier, sur la PAC et sur la réforme des fonds structurels.

J’ai pu rappeler deux points, qui étaient la question institutionnelle qui restera décisive pour nous nous jusqu’à la fin des négociations et la proposition de Conférence européenne.

Encore une fois, nous avons distribué un papier qui présente de façon précise, et qui a bien sûr l’aval de toutes les autorités de l’État, notre vision de cette conférence qui pour nous, est le cadre structurant, permanent, principale, large de ces négociations. Ensuite, nous verrons quelle est la liste ; nous avons toujours dit avec Hubert Védrine que les travaux de la commission nous paraissaient solides. Nous sommes ouverts mais, que l’on nous comprenne bien, il ne s’agit pas non plus, à Luxembourg, de dire oui à l’élargissement seulement avec ces cinq-là puis le reste, on n’en parle pas. Pour nous, il faut qu’il y ait un cadre. Nous souhaitons aussi que dans les conclusions de Luxembourg, la question institutionnelle soit rappelée, pas résolue bien sûr, mais que ce point soit à l’agenda pour la suite.

Q. : Avez-vous le sentiment qu’il y a eu un rapprochement franco-allemand sur la participation de la Turquie ?

Pierre Moscovici : Cela reste à confirmer mais il y a mouvement.

Q. : De la part des Allemands ?

Pierre Moscovici : Les Allemands, c’est un concept assez global, un peu général, peut-être. J’ai l’impression qu’au sein du gouvernement allemand, cela peut se débattre. Il n’y a pas d’accord aujourd’hui, mais il y a moins de désaccord s qu’il y a quelque temps.

Q. : À propos des lois Helms-Burton et d’Amato, avez-vous une confirmation de Washington qu’il y a eu un assouplissement sur les lois extraterritoriales et sur Total ?

Pierre Moscovici : C’est ce que M. Brittan a dit très clairement. Il a laissé entendre que la question américaine, notamment à travers une enquête, était plutôt une position accommodante et que les rencontres qui avaient eu lieu la semaine dernière étaient des rencontres qui manifestaient le souci d’aplanir les divergences. Je le répète, j’ai senti ce matin une solidarité européenne maintenue sur ce dossier et une volonté américaine de prendre les choses de la façon la plus tranquille possible. Le président et le commissaire sont intervenus pour rappeler que nous avions affaire, du côté américain, à des lois qui, sans doute, n’étaient pas appliquées.

Q. : Du côté américain, on a l’impression qu’un durcissement des Européens vis-à-vis de l’Iran aiderait à résoudre le dossier commercial ?

Pierre Moscovici : Je n’ai pas de commentaires particuliers là-dessus. Nous considérons que, s’agissant de Total, c’est une société multinationale. On ne peut pas, à la fois reprocher à certains gouvernements d’être interventionnistes et laisser les sociétés multinationales prendre des décisions d’elles-mêmes. C’est en plus une affaire qui ne relève pas du droit international. Il n’est en tous cas en rien violé dans cette affaire. Troisièmement, ce n’est pas contradictoire avec la position française par rapport à l’Iran, qui est de tenir un langage ferme et non de restreindre les échanges. Quatrièmement, comme l’a dit le Premier ministre, je le répète, les lois américaines s’appliquent aux citoyens et aux entreprises américaines, et non aux citoyens et aux entreprises extraterritoriales. Nous ne sommes pas d’accord avec ce principe. C’est la position qui est la nôtre et je n’entre pas dans ce type de considérations auxquelles vous faites référence car il faudrait déjà que l’on se sente fautif de quelque chose. Donc, il faudrait que nous estimions avoir le besoin de négocier une indulgence américaine. Ce n’est pas le cas.

Q. : L’affaire iranienne, en ce qui concerne le retour des ambassadeurs de l’Union européenne, n’a pas été évoquée ?

Pierre Moscovici : Non.

Q. : Elle le sera ?

Pierre Moscovici : Non, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Q. : Allez-vous revenir, avant le conseil, sur l’agenda plus en détail ?

Pierre Moscovici : C’est notre position, par rapport à ce qui a été déposé au Coreper. Je répète qu’il me semble que c’est quand même une affaire qui mérite d’être analysée dans toutes ses conséquences, ce qui ne sera pas facile et qui prendra sans doute du temps. Par rapport à ce que vous évoquez, c’est-à-dire la réunion du Gymnich, il faudra que l’on progresse sur les autres sujets dont on n’a pas parlé ce matin : les institutions, la Conférence européenne. C’est pour cela que nous avons procédé à la distribution de ce papier dès ce matin, pour donner aux autres pays les éléments de notre position comme certains le demandaient. Il faudra que commence à se dessiner, vers la fin de ce mois, une vision globale de ce que peut être le Conseil européen de Luxembourg.

Vous savez, s’il y a déjà ce que nous disons là, ce sera bien. J’en ai entendu d’autres qui en voulaient moins ou qui en voulaient plus, qui en voulaient moins dans les décisions, pour en vouloir plus ailleurs.

Q. : À quel moment allez-vous discuter de ce que sera la négociation d’élargissement, c’est-à-dire, le contenu de la pré-adhésion, les problèmes de fonds de l’élargissement ?

Pierre Moscovici : Il y a deux aspects : sur l’aspect formel, il faudra que l’on se dise pourquoi l’on choisit tel ou tel pays, et dans quel cadre on organise les négociations, c’est-à-dire, la conférence, plus des négociations d’adhésion, plus des stratégies de pré-adhésion. Cela permettra de distinguer plusieurs types de cadre. Ensuite, une fois que l’on a dit que la confiance traite de tel ou tel point, que pour nous, elle traite à la fois de ce qui est deuxième ou troisième pilier, et une bonne partie du premier pilier, les discussions commencent. On ne peut pas les préjuger non plus entre nous. Cela ne donne pas forcément une limite. Jusqu’à maintenant, il y a des positions sur la table et beaucoup sont implicites. Ces implicites devront être levés d’ici le prochain Conseil affaires générales sans doute. Ces implicites ne cachent pas pour autant forcément des malentendus dramatiques.

Q. : S’il n’y a pas d’accord avec les États-Unis avant le 15 octobre, que pensez-vous faire ?

Pierre Moscovici : On a prudemment évité d’en parler ce matin. Je crois que l’on a eu raison parce qu’il y a deux autres versions : une version improbable selon laquelle c’était un couperet et une version qui ne nous aurait pas vraiment attirés sur laquelle on aurait reporté. On verra.

Q. : Sur Schengen, il y a un problème avec la Grèce ?

Pierre Moscovici : Notre position est une position de compromis. Les Allemands sont très durs sur cette histoire, trop durs. En même temps, nous partageons quelques-unes de leurs préoccupations. J’ai défendu les conventions de ratification pour l’Assemblée nationale il y a peu de jours. J’ai pu constater que les parlementaires étaient assez soucieux par rapport à cela. Le Gouvernement l’est aussi. Je suis sûr qu’au Sénat, ces préoccupations vont s’exprimer avec plus de force. Nous allons exprimer quelques préoccupations. Pour nous, il faut quand même faire en sorte de ne pas laisser la Grèce, sur le bord du chemin, qui devra effectivement être partie prenante de Schengen en décembre 1997 comme les autres. Mais en même temps, demander des délais sérieux pour la levée des contrôles : à peu près un an pour la levée des contrôles aéroportuaires, avec précisément des contrôles sur la levée des contrôles et pour les contrôles maritimes, l’affaires est loin d’être résolue. J’ai rencontré M. Papandréou, et je lui ai dit que ce serait notre position ce soir. Il faut éviter que la Grèce soit laissée de côté et que le problème grec prenne en otage les deux autres pays, surtout l’Italie, compte tenu des efforts qu’elle a fait.


RFI : 6 octobre 1997

RFI : Sur les lois d’Amato, avez-vous le sentiment aujourd’hui que le front européen est toujours uni ?

Pierre Moscovici : Oui, je crois que le front européen tient, dans les rapports transatlantiques. Les discussions avec les États-Unis se poursuivent.

M. Brittan a fait ce matin un rapport qui me paraît satisfaisant, qui prouve notamment, sur l’affaire Total, qu’il n’y a pas de faille dans la solidarité européenne, que la légitimité de la démarche entreprise par cette compagnie est acceptée par l’union et que les représailles éventuelles américaines ne seraient pas comprises et pas acceptées. D’ailleurs, M. Brittan a eu l’occasion de dire que les lois dont on parlait, certes, existaient dans le Parlement américain, mais n’étaient pas appliquées.

RFI : Sur l’élargissement de l’Union européenne, y a-t-il une position française ? Pouvez-vous nous dire les grandes lignes ?

Pierre Moscovici : Sur l’élargissement, nous souhaitons, premièrement qu’un préalable institutionnel soit affirmé, c’est-à-dire que l’on sache que la France veut qu’il ait des réformes institutionnelles préalablement, à la conclusion du premier traité d’adhésion.

Deuxièmement, nous souhaitons qu’il ait un cadre extrêmement veste qui soit fixé à cette négociation, que nous appelons la Conférence européenne, qui permette d’avoir une négociation avec tous, parce que tous doivent se sentir impliqués dans le processus.

Puis, troisièmement, nous accepterons une différenciation, à partir du moment où il y aura cette Conférence européenne et nous discuterons dans ce cadre-là des problèmes financiers qui se posent à l’union, la future union, dans les années qui viennent. Pour nous, cela passe par une maîtrise de la dépense et par un maintien des politiques communes.

Nous n’acceptons pas la thèse de juste retour. Cette thèse qui voudrait qu’un pays qui donne un franc reçoive un franc est une thèse étrangère à la logique de la construction européenne. Nous souhaitons que l’or, parte de la redéfinition des politiques, qu’il s’agisse des politiques agricoles communes ou des politiques structurelles. Avec cet ensemble-là, nous pensons que l’on peut avancer mais il reste encore beaucoup de travail à faire, ce sera long et sûrement pas facile.

RFI : Dans le contexte de relations transatlantiques, rien sur la banane ?

Pierre Moscovici : Non.