Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur le rôle du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, à Paris le 20 novembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de l'association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires, à Paris le 20 novembre 1997.

Texte intégral

Monsieur le président,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de venir m’exprimer devant vous toutes et vous tous, qui êtes aujourd’hui réunis dans l’assemblée générale de l’association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. C’est pour moi l’occasion de vous rappeler l’esprit qui anime la politique du Gouvernement, le rôle que celui-ci attend que vous jouiez et les orientations de mon action.

Dans son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 19 juin dernier, le Premier ministre a clairement indiqué sa volonté de placer la politique du Gouvernement dans le cadre d’un pacte républicain refondé.

La République est l’expression même de notre Nation.

Elle est le nom moderne de la France, à la fois un acquis de son histoire et un idéal toujours à réaliser, qui sollicite en permanence l’immigration, la mobilisation et l’effort collectif de tous nos concitoyens.

1. L’État républicain

1.1. Un État qui se transforme

L’État républicain, que vous représentez dans les régions, dans les départements, les arrondissements et les territoires mais également en administration centrale ou dans des missions d’inspection, n’est pas une donnée. C’est une organisation éminemment évolutive, appelée à relever sans cesse de nouveaux défis, dans le mouvement même du débat démocratique à travers lequel se définit, et se redéfinit en permanence, l’intérêt général.

Sans doute, témoignez-vous, dans vos fonctions, de la continuité de l’État. Ainsi, peu de corps de fonctionnaires comme le corps préfectoral peuvent s’enorgueillir d’une aussi longue durée que la vôtre. Il a survécu à toutes les ruptures, à tous les changements de régime. Il a su démontrer qu’il n’était pas aisément remplaçable et même, à vrai dire, qu’il était indispensable.

1.1.1. Le corps préfectoral et la Résistance

Mais comment en évoquant le passé ne pas revenir sur une des périodes les plus sombres de notre histoire, à propos de laquelle naissent, au-delà de la recherche historique nécessaire et du devoir de mémoire tout aussi légitime dès lors que la mémoire est exhaustive, des polémiques discutables.

Vous l’avez fort bien évoquée, Monsieur le président, au début de votre propos.

La période de Vichy a été marquée par des lâchetés, des fautes et des crimes, révélateurs d’un abaissement sans précédent dans notre histoire. Mais Vichy aurait-il existé sans la défaite de nos armées, celle-ci traduisant l’affaissement de la République et la division de nos élites dans les années qui ont précédé le sombre effondrement de juin 1940 ?

Ne cherchons pas de bouc émissaire à cette faillite collective : le corps préfectoral ne s’est pas plus mal conduit que d’autres grands corps de l’État dans ce naufrage collectif, bien au contraire.

Faut-il à nouveau rappeler que 39 membres du corps préfectoral et hauts fonctionnaires de l’Intérieur sont morts pour leur patrie, que 47 furent déportés ? Faut-il rappeler les actes héroïques d’Émile Bollaert, de Fred Scamaroni, de Jean Moulin dès le 17 juin 1940 ?

L’honneur du corps préfectoral a été porté par ces hommes que l’amour de la République a conduit à s’écarter des sentiers balisés quand il le fallait, pour sauver l’honneur et préserver l’avenir de la France.

À eux va notre reconnaissance. En eux puisez l’exemple du courage, de la volonté, de l’abnégation qui même dans l’ordinaire des jours sont au cœur du service désintéressé de l’État.

1.1.2. La décentralisation, une transformation contemporaine de nos institutions

Au-delà de cette évocation, permettez-moi d’aborder une transformation plus contemporaine de nos institutions à laquelle l’ensemble de l’administration de l’État a dû s’adapter : je veux parler de la décentralisation.

Ce n’est pas le moindre des mérites des corps de hauts fonctionnaires et d’abord du corps préfectoral d’avoir su accompagner cette réforme-là. Cette dernière représente un progrès aujourd’hui incontesté de la démocratie, une nouvelle répartition des pouvoirs, au bénéfice des organes élus des collectivités locales, mais aussi, ne l’oubliez pas, au bénéfice de l’administration territoriale, renforcée par la déconcentration.
C’est un équilibre nouveau qu’il nous faut rechercher, entre la décentralisation, qui a sa logique, sa dynamique propres, qui connaîtra certainement des développements complémentaires, et la déconcentration, qu’il faut constamment encourager, susciter, conforter, car elle seule permet à l’État d’exercer son autorité légitime, à côté des pouvoirs locaux.

L’affirmation de l’autorité de l’État ne procède pas d’une quelconque vision autoritaire de l’organisation de notre société. Elle est consubstantielle à l’idée même, toujours neuve, de République. C’est sur un retour aux sources de cette dernière qu’est fondé le nouveau pacte républicain que le Premier ministre a proposé aux Français. C’est aux valeurs de la République qu’il puise son inspiration. C’est sur la citoyenneté et que la solidarité qu’il fait fond.

1.2. Les grandes orientations de cette politique :

J’illustrerai mon propos en insistant sur quatre orientations prioritaires de l’action du Gouvernement dans la mise en œuvre desquelles votre rôle est essentiel.

1.2.1. Promouvoir l’emploi

La promotion de l’emploi représente cette première priorité de l’action du Gouvernement. Elle passe par la croissance mais ne s’y résume pas.

Un des volets de cette politique concerne spécifiquement l’emploi des jeunes et se traduit dans l’objectif de 350 000 emplois publics ou assimilés.

Le dispositif est aujourd’hui en place et les préfets sont « les chefs d’orchestre » de la démarche décentralisée et innovante qu’a souhaité le Gouvernement.

La loi relative au développement d’activités pour l’emploi des jeunes ne propose pas seulement de nouvelles dispositions institutionnelles et encore moins un nouveau guichet. Elle ouvre une démarche concertée entre tous les partenaires locaux permettant de déboucher sur la création d’activités nouvelles utiles au citoyen.

C’est de l’intérêt commun de l’État, de l’employeur et surtout du jeune que l’emploi soit utile, durable et qualifiant. Et c’est dire l’importance des conventions que vous allez signer avec l’employeur public ou privé local sur la base des projets et des critères fixés au cahier des charges, en veillant notamment à ce que ces emplois ne se substituent pas à ceux qui existent déjà.

1.2.2. Assurer un droit à la sécurité

Après l’emploi, la sécurité est aujourd’hui l’une des principales revendications de nos concitoyens.

La réalité de l’évolution de la délinquance est connue. Mais en deçà des actes recensés, la progression de ce qu’on appelle les incivilités contribue grandement au sentiment d’insécurité qui pèse sur la vie quotidienne de la population de certains quartiers, en même temps qu’elle traduit l’affaiblissement du « pacte républicain » dans l’esprit de nos compatriotes.

Or, la sûreté est l’un des droits fondamentaux de l’homme et du citoyen, proclamé dans l’article 2 de la déclaration de 1789. Socle nécessaire à l’exercice de toutes les libertés, elle constitue la première des missions de l’État.

C’est pourquoi, un gouvernement républicain doit répondre à l’attente légitime exprimée par les citoyens dans le domaine de la sécurité. Nous savons bien également que, lorsque l’insécurité s’ajoute au chômage et à la pauvreté, le désespoir n’est pas loin, avec des réactions irrationnelles et dangereuses pour la démocratie.

Il appartient à l’État d’assurer la sécurité de nos concitoyens. Il lui incombe d’organiser le service public de la sécurité en définissant les responsabilités de ses services - police, gendarmerie, justice - en charge de cette mission. C’est le rôle du conseil de sécurité intérieure dont la première réunion s’est tenue hier. L’État doit également définir le rôle des entités qui répondent à des aspects particuliers de la demande de sécurité, comme les polices municipales et les sociétés privées.

C’est pourquoi le Gouvernement déposera au Parlement, au début de l'année 1998, deux projets de loi qui détermineront avec précision les tâches des polices municipales et des sociétés de gardiennage et de sécurité, ainsi que les conditions dans lesquelles elles pourront intervenir et les moyens qu'elles seront autorisées à mettre en œuvre.

Pour assurer le droit à la sécurité et instaurer une relation de confiance entre services en charge de la sécurité et la population, un effort d’ensemble est nécessaire. Celui du Gouvernement, mais aussi celui de tous les acteurs qui, au quotidien, mènent une lutte difficile pour la sécurité de nos concitoyens.

Vous savez que des emplois supplémentaires pour la sécurité de proximité, au nombre de 35 000 seront créés d’ici à 1999. Ils se répartiront en 20 000 emplois d’adjoints de sécurité et 15 000 emplois d’agents locaux de médiation permettant de faire face aux besoins actuellement non satisfaits.

L’intégration de ces emplois pour les jeunes dans la sécurité de proximité s’opérera à l’échelon local, sous l’impulsion des préfets et des sous-préfets, dans le cadre des contrats locaux de sécurité.

La politique de sécurité privilégie la citoyenneté comme fondement de la prévention, la proximité comme mode d’intervention et l’efficacité de la coopération des services de l’État, au premier rang desquels la police, la gendarmerie et la justice, au service de l’application de la loi. Outils de cette politique, ces contrats locaux de sécurité seront élaborés, en liaison avec les procureurs de la République et les maires, en association avec tous les acteurs locaux de la vie sociale intéressés. Ils pourront concerner un ou plusieurs quartiers, une commune, de préférence, une agglomération.

J’attends de vous une forte mobilisation pour les initier et les mettre en place. Je me rendrai dans les régions pour y veiller.

1.2.3. Réformer l’État sans rupture mais avec continuité

La réforme de l’État est la troisième priorité du travail gouvernemental.

Le Gouvernement a, vous le savez, manifesté son ambition de la poursuivre mais surtout de l’approfondir.

Cette démarche vise avant tout à affirmer que l’État républicain est le garant de l’intérêt général, des libertés et de la cohésion sociale et territoriale.

Ainsi, en 1998, le Gouvernement arrêtera, en tenant compte des travaux réalisés depuis 1990, les mesures destinées à améliorer l’organisation des services déconcentrés.

Dès le début de l’année prochaine, seront donc définis à l’échelon national, les domaines dans lesquels ces mesures interviendront en priorité. Avec le concours des hauts fonctionnaires chargés de la déconcentration, chaque ministre élaborera des propositions.

C’est en fonction de ces dernières que les préfets soumettront à la consultation des partenaires locaux que sont les élus, les associations d’usagers…, des modalités d’organisation qu’ils arrêteront ensuite en liaison avec les départements ministériels.

Cette procédure nous exonérera d’une phase expérimentale et devrait permettre d’entrer directement dans le travail de réorganisation des services déconcentrés.

Je veillerai personnellement à la mise en œuvre de ce processus car en tant que ministre de l’Intérieur, je me sens également ministre de la déconcentration.

1.2.4. Donner une perspective cohérente à la décentralisation

Ce panorama des priorités de l’État serait bien sûr incomplet s’il n’évoquait pas nos projets en matière de collectivités décentralisées.

J’ai tenu à ce que la direction générale des collectivités locales rejoigne pleinement le ministre, afin que la poursuite de cette réforme essentielle de nos institutions territoriales se fasse en cohérence avec des progrès en matière de déconcentration.

La décentralisation doit en effet connaître de nouveaux prolongements.

Je suis, pour ma part, persuadé que l’intercommunalité ouvre la voie de l’avant.

Mais il doit s’agir d’une intercommunalité structurante, spécialement dans le tissu urbain, dépassant les regroupements de circonstances, conçus pour percevoir une part de dotation globale de fonctionnement.

Un projet de loi est en cours de préparation et sera présenté au printemps 1998.

Je n’oublie pas enfin, pour clore ce chapitre, l’extension de la limitation du cumul des mandats, dont l’application effective transformera en profondeur, n’en doutez pas, la réalité de la décentralisation.

2. Le rôle du représentant de l’État

Pour mettre en œuvre ces orientations, le rôle des hauts fonctionnaires du ministère et en particulier, celui des membres du corps préfectoral est et restera essentiel.

Certes, nous ne sommes plus à l’époque napoléonienne, lorsque la loi du 28 pluviôse an VIII disposait : « Le préfet sera chargé seul de l’administration ». L’administration territoriale de la République est aujourd’hui plus démocratique et plus complexe : elle associe l’État et des collectivités territoriales disposant de compétences étendues.

Mais, le préfet est le seul haut fonctionnaire dont les attributions sont définies par la Constitution : chargé par elle des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois, il doit s’engager totalement au service de la Nation et porter la volonté de l’État dans les départements et les régions.

Représentant de l’État républicain, donc de l’État au service de tous les citoyens, le préfet a un devoir, lié à notre conception française de la fonction publique, non seulement d’impartialité car, chacun doit avoir confiance dans le représentant de l’État mais encore d’efficacité, dans les impulsions qu’il doit donner à la bonne application des directives gouvernementales.

Cette mission est d’autant mieux assurée que l’État parle d’une seule voix et clairement.

À lui donc de créer chez les chefs des services déconcentrés de l’État un esprit d’équipe, un souci de cohésion permettant à l’État d’affirmer sa volonté et d’obtenir la participation des collectivités territoriales et des autres partenaires locaux à l’effort commun.

Votre pouvoir de direction des services que la relance de la réforme de l’État que j’évoquais confirme, ne doit pas se cantonner à l’observation tatillonne des règles juridiques qui fondent vos prérogatives - encore que je sois attentif au respect des principes essentiels et que je n’hésite pas à intervenir auprès de mes collègues ministres si une anomalie apparaît. Il doit se traduire effectivement par la définition, avec « l’équipe de l’État » que forment les membres du corps préfectoral et les chefs des services déconcentrés, d’une véritable stratégie de l’État au plan local pour faire comprendre, expliquer et appliquer les mesures prises par le Gouvernement.

La confiance que le Gouvernement vous accorde, la loyauté sans faille qu’il attend de vous, l’étendue des pouvoirs et l’importance des moyens d’action qui vous sont données n’ont pas d’autre but que le service des citoyens.

Être au service du citoyen, c’est une tâche de tous les jours qui suppose un certain état d’esprit et une attention vigilante au respect du droit.

L’état d’esprit, c’est savoir écouter la société à travers ses élus, ses entreprises, ses associations, mais aussi savoir orienter, guider l’usager, le contribuable, le créateur d’entreprise, le chômeur, et donc, maîtriser pleinement les règlements qui s’appliquent à leurs cas et chercher à bâtir la réponse la plus efficace.

Le respect du droit, enfin, doit faire l’objet de votre part, d’une attention toute particulière. Respect du droit par vos propres services, cela va sans dire, mais respect du droit aussi par les collectivités locales dont le contrôle des actes vous est confié par la Constitution. Il n’y a pas en effet de libre administration sans contrôle de légalité des collectivités locales parce qu’il n’y a pas de liberté hors de la loi. L’inobservation du droit renforce en effet l’inégalité entre citoyens, qu’il s’agisse d’un marché public, d’une décision d’urbanisme ou d’un acte de gestion du personnel.

Ce contrôle va de pair avec votre rôle de conseil auprès des collectivités et sera d’autant mieux accepté et compris que vous et vos services aurez su exercer ce conseil avec un souci d’explication et de recherche de solution légale.

Soyez assurés de ma détermination et de ma vigilance pour vous soutenir dans cette mission essentielle à la bonne marche de l’État et donc, à la confiance qu’il inspire aux citoyens.

3. L’action du ministre de l’Intérieur

3.1. Les préoccupations morales et matérielles

Si j’ai tenu à vous dire ce que j’attends de vous, il me revient également de vous tenir informés de mon action pour tout ce qui vous concerne. J’aborderai donc la question de la mise en cause de la responsabilité pénale mais également celle de vos préoccupations matérielles.

3.1.1. La mise ne cause de la responsabilité pénale des hauts fonctionnaires

Nous assistons depuis quelques années à une profonde évolution du droit et à un déplacement des limites entre droit public et droit pénal. La demande de justice est plus forte. Elle s’adresse autant au législateur qu’au fonctionnaire et au juge.

La mise en cause de la responsabilité pénale de quelques-uns d’entre vous dans l’exercice de leurs fonctions est ainsi une évolution considérable au regard de la séparation traditionnelle des autorités administratives et judiciaires. Certes, l’administration ne saurait s’abriter derrière une impunité qui serait ressentie comme scandaleuse par les citoyens. Mais cela ne doit pas conduire le juge judiciaire à s’immiscer dans le fonctionnement des administrations.

Je crois qu’il faut regarder ce problème avec lucidité. Il y a une situation nouvelle ; les fonctionnaires, comme d’ailleurs les élus locaux, peuvent voir leur responsabilité pénale mis en cause dans l’exercice de leurs fonctions. Mais cette responsabilité ne saurait être générale ni systématique. Voilà pourquoi la loi du 13 mai 1996 a prévu qu’il ne pouvait y avoir condamnation pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions « lorsque l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Cette preuve incombe au juge et non à la personne mise en cause.

Cette disposition importante s’est immédiatement appliquée aux instances en cours et a permis de mettre hors de cause certains de vos collègues.

Cependant, la citation directe de membres du corps préfectoral devant le juge pénal, souvent pour des raisons dilatoires, a eu lieu plusieurs fois.

L’obligation qui vous est faite en pareil cas de comparaître personnellement ne laisse pas de vous inquiéter. Je comprends cette inquiétude.

C’est pourquoi j’ai demandé à Mme le garde des Sceaux que soit rapidement étudiée une réforme de la procédure qui vous permettrait, dans ces circonstances, d’être représentés. Sous réserve que la modification envisagée du code de procédure pénale ne porte pas atteinte au principe d’égalité, Mme Élisabeth Guigou vient de me donner un accord de principe à ce sujet.

L’extension de la notion de responsabilité dans notre société répond sans doute à une exigence normale. Mais sa recherche ne doit pas conduire, par un excès de prudence, à un affaiblissement de l’engagement, de l’initiative et de l’esprit de décision.

Vos responsabilités sont grandes, votre sens du service de l’État élevé ; sachez que je vous apporterai toujours le soutien de mon administration lorsque l’exercice de vos fonctions sera mis en cause.

3.1.2. La question de la situation matérielle

Mais j’en viens à une question qui fait l’objet d’une préoccupation constante de votre association et qui est celle de la situation matérielle des hauts fonctionnaires.

Je ne me plierai pas à l’usage qui veut que l’on aborde allusivement de tels sujets, dont au contraire je pense qu’il faut parler clairement.

Il est certain que l’intérêt de votre métier et la satisfaction de servir l’État ne peuvent constituer les seules réponses à cette préoccupation.

Il y a aujourd’hui pour les hautes fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et en particulier pour les sous-préfets et les administrateurs civils, un écart relatif de rémunération avec les autres corps supérieurs de fonctionnaires tant de l’État que des collectivités locales, manifestement défavorable et dont je ne peux que constater l’accroissement au cours de ces dernières années.

Mais cette question ne peut être abordée sans que parallèlement, ne soit évoquée la transparence nécessaire du financement de vos fonctions de représentation.

Ces dernières sont essentielles, car la représentation de l’État républicain est une de vos tâches.

L’image de l’État que vous donnez dans ces occasions ne peut être ni fastueuse, ni misérabiliste.

Elle doit être conforme à sa place dans une société, c’est-à-dire la première en toutes circonstances.

Certains comprennent parfois mal ce qu’est le métier préfectoral et soulignent à l’excès, ce que, Monsieur le président, vous avez appelé quelques « écarts ».

Je partage votre sentiment sur le fait que ces derniers ne sauraient discréditer une institution et caricaturer le rôle des membres de ce corps ou de leur conjoint dont je tiens à saluer le travail essentiel pour la bonne marche de ces maisons de l’État que sont les préfectures et les sous-préfectures.

Il est évident qu’il ne saurait, en matière d’utilisation des moyens de l’État, y compris lorsque sont concernés des personnels de maison, exister la moindre dérive.

Je ne doute pas que tous les préfets et sous-préfets soient à l’abri de ce reproche et que chacun d’entre vous veille à être vigilant sur ces sujets.

S’il existe un risque d’écarts, je n’ignore pas que les raisons en tiennent souvent à une absence de lisibilité des règles.

C’est pourquoi j’ai demandé à la direction générale de l’administration de préparer des mesures de clarification et de la rationalisation du dispositif des moyens de l’État.

Ces mesures s’articuleront dans un plan de revalorisation indemnitaire et statutaire que je discuterai avec mon collègue du budget et dont j’espère pouvoir vous faire connaître prochainement le détail.

J’observe d’ailleurs que d’autres départements ministériels ont récemment progressé sur ces questions, je pense au ministère des affaires sociales pour le régime indemnitaire des administrateurs civils ou à celui de la justice, avec la récente modification du statut du corps des conseillers de tribunaux administratifs.

Il y a là des orientations dont ce plan pourrait s’inspirer.

3.2. Organiser l’administration centrale du ministère de l’Intérieur

Je souhaite également vous donner des précisions sur l’organisation de l’administration centrale.

J’ai ainsi donné une suite favorable au projet de regroupement des services du haut fonctionnaire de défense et de la direction de la sécurité civile.

J’ai en revanche suspendu la fusion de la direction de la programmation et des affaires financières et de la direction des transmissions et de l’informatique envisagée par le précédent gouvernement.

La suppression de directions d’administration centrale ne me semble pas être un objectif se suffisant à lui-même.

Elle ne peut s’envisager qu’à partir d’une réflexion sur la place et le rôle que le ministère de l’Intérieur veut tenir dans le fonctionnement de l’État.

Un grand ministère ne se soutient en effet que par un grand projet et là encore, se pose la question de l’unité de notre ministère accaparé par les urgences, divisé en pôles d’actions très spécifiques et ainsi naturellement exposé à la perte du sens de sa mission.

J’ai d’ailleurs pris connaissance avec intérêt, Monsieur le président, du rapport que vous avez élaboré en 1994 sur ces questions et je ne vous cache pas que j’ai été sensible à sa cohérence.

J’attends beaucoup des réflexions en cours dont une partie est confiée à l’inspection générale de l’administration qui pourra ainsi leur apporter la qualité de son expertise, propre à ce grand corps.

J’ai également confié à un préfet une mission de préfiguration sur la création d’un centre d’études et de prévision.

Ce rapport me sera remis à la mi-décembre et je souhaite qu’il débouche sur la création rapide d’une équipe de quelques fonctionnaires compétents et éclairés, puisant dans le mouvement des idées l’inspiration d’une refondation républicaine de l’action du ministère dans les domaines de la sûreté, de la police, de l’administration territoriale, des relations avec les citoyens et des collectivités territoriales.

Enfin, j’ai le projet de mise en place d’une délégation aux affaires internationales.

Là encore, la diversité des actions internationales menées par les différents services du ministère mérite une orchestration interne pour assurer la cohésion de notre démarche, tant vis-à-vis des autres départements ministériels que des pays partenaires.

Cette délégation aura la responsabilité de coordonner l’action des différents services et vocation à proposer de nouveaux développements. Notre approche des questions internationales ne peut qu’en sortir renforcée, au moment où les questions de sécurité occupent dans le vie internationale une place grandissante.

3.3. Le bicentenaire du corps préfectoral

Permettez-moi, en guise de conclusion, de m’assigner un devoir, celui d’être le garant de la mémoire du corps préfectoral.

Plus peut-être que tout autre corps de fonctionnaires, ce corps est si intimement lié à l’État que son histoire l’attache étroitement au destin de la France.

Sa création, le 28 Pluviôse an VIII, prolongeait logiquement les réformes de la Révolution, en donnant à la République les moyens d’assurer l’unité du territoire national.

Nous allons bientôt célébrer ensemble le bicentenaire de votre institution. Cette célébration doit naturellement être l’occasion de commémorer les heures glorieuses comme les heures tragiques. Mais cet exercice de mémoire doit aussi être l’occasion de situer le corps préfectoral dans le présent, d’envisager son avenir et de rappeler la place de l’institution préfectorale dans l’administration de nombreux autres pays, en Europe et dans le monde.

J’attends donc de chacun d’entre vous, une participation active à cette célébration qui ne saurait demeurer confinée, si éminents fussent-ils, aux travaux du comité d’organisation et du conseil scientifique placés auprès de moi.

Cette commémoration ne doit pas prendre seulement en compte la dimension historique, toujours éclairante, ou universitaire, toujours estimable, mais elle doit également revêtir une dimension civique. Vous êtes des fonctionnaires de la République et vous avez à insuffler un véritable esprit civique fait de rigueur et de chaleur à la fois, là où vous représentez l’État.

Car l’État est le premier garant de l’égalité entre les citoyens. Il incarne ainsi une valeur cardinale de la République. En tant qu’expression de la Nation et de son vouloir vivre collectif, il a par nature plus à dire, un message plus juste et plus riche à délivrer que - cela va sans dire - la somme des communes, des départements et des régions. À ce titre, il ne doit pas se dissoudre mais jouer tout son rôle dans la construction de l’Union européenne.

Certes, celle-ci implique des transferts de compétence, aux dépens des États qui la composent mais qui pour être légitimes doivent être démocratiquement contrôlés.

Or, la Nation demeure l’horizon pour longtemps encore, indispensable de la démocratie parce qu’elle est le lieu par excellence d’un débat organisé entre citoyens, parlant souvent la même langue, façonnés par la même histoire et disposant des mêmes repères.

La France est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, à l’équilibre de l’Europe, à sa capacité de porter un message universel, bref à l’idée européenne elle-même.

Qu’on le veuille ou non, notre Nation, création politique et culturelle par excellence, est vertébrée par l’État. Comme l’a déclaré le Premier ministre : « La Nation est, non seulement la réalité vivante à laquelle nous sommes tous attachés, mais surtout le lieu où bat le cœur de la démocratie, l’ensemble où se nouent les solidarités les plus profondes. Elle reste le cadre naturel des réformes essentielles dont notre pays a besoin ». C’est là tout le secret de votre autorité : vous êtes les représentants d’un État que la démocratie légitime.

Vous mesurez ainsi l’étendue de votre responsabilité. Il vous appartient, au nom de l’État, chacun dans vos fonctions, de traduire en actes, sur tout le territoire national, la volonté générale, telle qu’elle s’est exprimée et telle que le Gouvernement le met en forme.

Je sais pouvoir compter sur vous pour être à la hauteur de ce permanent défi.