Interviews de M. Jean-Pierre Raffarin, vice président de Force démocrate et ancien ministre des PME, à RMC le 15 octobre 1997, dans "Le Figaro" du 16, "Le Point" du 18 et "La Croix" du 22, sur la conception du dialogue social du Gouvernement et les risques pour les PME de la loi cadre sur la réduction du temps de travail à 35 heures.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail, avec les partenaires sociaux, à Matignon le 10 octobre 1997.

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Texte intégral

RMC : 15 octobre 1997

RMC : Il y a six mois, vous étiez un ministre efficace des petites et moyennes entreprises. Vous connaissez bien, donc, les centaines de milliers de petites entreprises en France. Franchement, les 35 heures payées 39, en deux ou quatre ans, par la négociation, est-ce que c’est si impossible et improductif qu'on l'entend dire dans les rangs actuels de l'opposition ?

J.-P. Raffarin : C'est une véritable agression contre le tissu de petites et moyennes entreprises. En plus, cette décision vient après quelques autres. J'ai compté : il y a au moins sept grandes, graves erreurs qui concernent les PME, qui sont des décisions prises par M. Jospin. D'abord, Je crois que les emplois Aubry, par exemple, quand ils vont servir aux associations à faire du « paracommercialisme », ça va fragiliser tout l'artisanat. Ensuite, l'abandon du plan textile, c'est plusieurs milliers d'emplois.

RMC : C'est l'Europe qui l'a demandé.

J.-P. Raffarin : Mais nous nous étions battus pour l'obtenir et nous l'avions obtenu, nous avions convaincu l'Europe, on était plus fort que le gouvernement socialiste pour convaincre l'Europe. Je suis très déçu : dans ma seule région de Poitou-Charentes, ce sont plus de 3 000 emplois qui sont directement menacés. Je pense à la hausse des taux d'intérêt, à la hausse de l'impôt sur les sociétés à…

RMC : Vous exagérez.

J.-P. Raffarin : La hausse des taux d'intérêt : avec M. Balladur et M. Juppé, régulièrement, les taux d'intérêt baissaient. Les entreprises françaises sont, de toutes les entreprises d'Europe, les plus endettées. La hausse des taux d'intérêt, ça veut dire : charges supplémentaires. Les 35 heures - je pense à la tendresse, aussi, du PS, vis-à-vis des grandes surfaces qui est en train, à nouveau, d’apparaître -, sur les 35 heures, vraiment, pour les petites et moyennes entreprises, celles qui n'ont ni flexibilité ni moyen de s'adapter, il ne faut pas leur imposer par la loi ce type de décision. Laissons les gens discuter et faisons en sorte, comme le faisait la loi Robien, qu'il y ait une adaptation dans la souplesse. Oui à l'aménagement du temps de travail, non à cette loi qui impose de nouvelles rigidités et, en fait, qui impose de nouvelles charges. Franchement, je crois qu'il faut mettre les PME, et c'est urgent, à l'abri d'Aubry.

RMC : Le sens de la formule, M. Raffarin !

J.-P. Raffarin : Non, mais la formule n'est pas importante, il faut les mettre à l'abri d'Aubry parce que ce sont des destructions d'emplois.

RMC : La formule, ce n'est forcément vérité.

J.-P. Raffarin : La vérité, c'est qu'il va y avoir des destructions d'emplois. Ne prenez que le seul exemple du textile, je vous le dis ici, on vérifiera les chiffres. Le 31 décembre, d'ici la fin de l'année, le plan textile supprimé détruira plus d'emplois que n'en aura créé Mme Aubry avec les associations…

RMC : Lorsque la loi Robien a été votée, vous étiez témoin, tous les patrons sont montés aux rideaux en disant que c'était impossible, que ce n'était pas une bonne loi. Un an après, 1 000 accords sont signés ?

J.-P. Raffarin : Je ne pense pas que les patrons naturellement détiennent la vérité en tant que telle. Moi je parle des entreprises et des équipes qui, dans les entreprises, font l'emploi. Et donc il y a, aujourd'hui, dans les équipes qui dirigent les entreprises, une volonté d'aménager le temps de travail quand cela est possible et dans l'intérêt de l'entreprise. Ce qui est important, c'est qu'il puisse y avoir un dialogue dans l'entreprise. Et je crois que M. Jospin a pris une grave responsabilité quand il a participé, par ses décisions, à la rupture du dialogue social. Le fait nouveau, dans ce pays, aujourd'hui, c'est ce que l'on disait être la méthode Jospin, une méthode de souplesse soi-disant, une méthode de sincérité. Au fond, c'est une méthode de rupture. Car nous assistons à ce à quoi nous n'avions pas assisté depuis très longtemps, la rupture du dialogue social dans ce pays. Et ça, c'est très grave pour les entreprises, pour l'emploi.

RMC : La faute à qui ?

J.-P. Raffarin : C'est la faute au Gouvernement, quand il y a rupture, quand le cheval trébuche, c'est le cavalier qui est responsable. Et aujourd'hui, le cavalier, c'est M. Jospin, c'est lui qui est responsable de la rupture du dialogue social. C'est très grave.

RMC : Les patrons ne sont pas responsables ?

J.-P. Raffarin : Je pense que le rôle d'un Gouvernement., c'est de permettre le dialogue social entre patrons et syndicats. Je pense que le dialogue, c'est vraiment la seule véritable sortie d'une crise. Je pense que le contrat, le dialogue, la politique contractuelle - qui était la grande idée sociale de ces dernières années -, c'est remis en cause. Je pense que M. Jospin dirige trop avec les illusions et avec les divisions. Il oppose les familles, les bonnes familles, les mauvaises familles ; il oppose les entreprises, les bonnes et les mauvaises ; il oppose les patrons, les bons et les mauvais. Il veut diviser pour gouverner. Je crois que, dans ce pays, au contraire il faut rassembler.

RMC : Deux mots, quand même : le dialogue social dont vous parlez, du point de vue du chômage, échec ? Le chômage n'a pas arrêté de monter, en France, depuis 15 ans. Est-ce qu'il n'était pas légitime d'essayer une nouvelle voie, surtout quand les Français l'avait votée ? Je vous rappelle que c'était dans le programme de M. Jospin.

J.-P. Raffarin : Je pense que le fait que M. Jospin veuille diviser la France en opposant les entreprises, comme il le fait pour les familles, ça a toujours été dans la logique de la gauche. Depuis les thèmes de la lutte des classes, les analyses marxistes, ça a toujours été les oppositions des uns aux autres. On gouverne, on montre qu'on fait une bonne politique, qu'on tient ses promesses, en faisant quoi ? En désignant des adversaires. Et je crois qu'au contraire, dans un pays moderne, aujourd'hui, c'est ce qui se passe en Allemagne, en Angleterre - regardez T. Blair, il cherche à rassembler. Et donc je pense qu'aujourd'hui, c'est vrai que, sur le chômage, il y a un certain nombre d'échecs. Je pense que ces échecs viennent plutôt de nos rigidités, du fait qu'on a trop de lois, qu'on a trop de paperasse, qu'on a enfermé l'économie dans des procédures beaucoup trop rigides. Une nouvelle loi, c'est une nouvelle rigidité et donc on va dans le sens de l'aggravation du chômage. Il fallait prendre la route inverse. C'est vrai qu'il faut engager une mobilisation nationale.

RMC : Ce n'est pas ce que les Français ont dit le 1er juin ?

J.-P. Raffarin : Vous savez, les Français disent clairement les choses : ils disent qu'ils sont pour les 35 heures quand on leur présente comme M. Jospin les présente, 63 %. Vous allez travailler moins, vous allez gagner autant et en plus, vous allez créer des emplois. Qui pourrait être contre cette logique ? Mais à côté de ça, on leur demande : est-ce que c'est bon pour l'emploi ? 56 % disent non : ils ne croient pas à cette mesure pour l'emploi. C'est-à-dire qu'on fait là, à nouveau, division plus illusion, c'est l'équation Jospin. Car au fond, on va montrer à nouveau que cette mesure qui a été prise pour l'emploi, en fait elle est contre l'emploi.

RMC : Deux mots de politique, vous appartenez à l'opposition, vous êtes un des dirigeants de l'opposition et cette opposition est sanctionnée, dimanche après dimanche, dans les cantonales, au point que l'opposition disparaît dans quatre cantons sur cinq dans le Midi ?

J.-P. Raffarin : Je crois qu'il faut distinguer les territoires. Si vous prenez la région de l'Ouest…

RMC : Quand même !

J.-P. Raffarin : …où j'ai été élu il y a quelques semaines avec 65 %, et j'ai vu que, dans la Mayenne, dans l'Eure, l'opposition avait de bons résultats. Mais c'est vrai que géographiquement, et notamment dans le Midi, il y a aujourd'hui une équation politique qui n'est pas favorable. Je pense qu'il nous faut d'une part une mobilisation contre le Front national pour repasser en tête devant le Front national et donc, il faut faire appel aux électeurs du Front national pour bien leur démontrer, quotidiennement, sur le terrain, que la politique que mène le Front national est une politique qui est en fait l'alliée de M. Jospin. M. Jospin, pour pouvoir durer, dans ce pays, a besoin du Front national et le vote Front national, c'est un vote objectif favorable à L. Jospin.

RMC : L'opposition, est-ce qu'elle n'a pas des efforts à faire avant les régionales ? C'est dans moins de cinq mois, des électeurs ont le sentiment que vous n'êtes pas prêts, que vous êtes divisés, que vous n'avez pas de programme et que vous n'avez pas de chef. Ça fait beaucoup !

J.-P. Raffarin : Nous avons naturellement pris un coup sur la tête. Et donc, il est évident qu'il nous a fallu plusieurs mois et plusieurs semaines pour repartir à la recherche d'un projet politique capable de convaincre les Français. Je crois que ce travail est en marche quand je regarde notamment…

RMC : Assez vite ?

J.-P. Raffarin : …à l'intérieur de l'UDF avec A. Madelin au sein de Démocratie libérale, nous engageons de nombreux meetings sur le terrain. J'étais hier soir dans le Pas-de-Calais, il y avait beaucoup de monde, nous avions des discussions très constructives et quand on tient le langage de la proximité, de la sincérité et de la convivialité, je crois qu'aujourd'hui, on est entendu, dans ce pays. Alors naturellement, nous avons beaucoup de travail à faire : il faut rénover, c'est le rôle de Démocratie libérale, notamment à droite. Il faut aussi proposer. Je pense qu'il nous faut faire en sorte qu'aujourd'hui de nouvelles propositions puissent convaincre les Français qu'il y a une autre politique faite de plus de liberté, de plus de dynamisme, qu'on fasse vivre la France dans le monde en défendant l'intérêt national et non pas en opposant les Français.

RMC : Faut-il des listes communes RPR-UDF pour les régionales, partout ?

J.-P. Raffarin : Évidemment, il faut être devant le Front national. Et donc nous avons un combat à gagner, l'union UDF-RPR, c'est le moyen de faire que nos idées, les idées de liberté, soient devant celles du Front national qui sont des idées d'exclusion. Donc nous sommes engagés, notamment dans les régions du Sud de la France, dans cette compétition. Alors l'union, pour pouvoir gagner, c'est une nécessité.


Le Figaro : 16 octobre 1997

Q. Le Gouvernement vient d’annoncer qu’il était prêt à envisager de relever de 10 à 20 salariés le seuil dans les entreprises qui seraient exemptées de la loi cadre des 35 heures. Quelle est votre réaction ?

R. Cette annonce constitue une modeste avancée. Mais le seuil reste insuffisant. Ce qui est absurde dans la loi cadre des 35 heures, c’est que sa prétention universelle et sa date d’application sont la même pour tous. Cette mesure relève, pour les PME, de la logique de déclin. Les perturber, c’est les asphyxier. Comme le dit Alain Madelin, les emplois ne sont pas à partager mais à créer. Les PME n’ont pas de marges de manœuvre suffisantes pour mettre en place une nouvelle organisation qui se traduira par une augmentation de leurs charges. Les petites entreprises, par exemple de 15 salariés, ont globalement une rentabilité inférieure à 5 %. Les artisans n’embauchent pas parce qu’ils reçoivent une prime. Leur confiance en l’avenir réside dans l’évolution de leur chiffre d’affaire et de leurs charges.

Q. La priorité du Gouvernement reste légitime, à savoir le recul du chômage…

R. Pourtant les mesures socialistes détruiront plus d’emplois qu’elles n’en créeront. En ce qui me concerne, pour un même effort budgétaire, je suis davantage favorable à l’allègement significatif des charges sociales plutôt qu’au versement d’une subvention. Le Gouvernement, lui, a indiqué qu’il ne croyait pas à l’allègement des charges sur les bas salaires. Résultat, la Commission de Bruxelles en a profité pour réaffirmer son hostilité au plan textile sur lequel nous nous étions tant battus et dans lequel l’État venait justement soutenir ces entreprises de main-d’œuvre. Je le regrette vivement. Par exemple, chez moi, dans la région Poitou-Charentes, cela fait peser une menace directe sur 4 000 emplois. L’expérience de Valéry Giscard d’Estaing en Auvergne, avec la prise en charge par la région de 90 % des charges sociales, sera particulièrement intéressante à suivre.

Q. Le projet de finances pour 1998 prévoit un crédit d’impôt de 10 000 francs par emploi créé, dans la limite de 50 000 francs. Vous ne pouvez qu’être favorable à cette mesure.

R. Je préfère en effet la méthode du crédit d’impôt à la subvention. J’avais moi-même initié cette demande en baissant les impôts des PME sur les bénéfices réinvestis.

Q. Au-delà du seuil de 20 salariés évoqué à propos des 35 heures, on a beaucoup parlé cet été de celui de 50 millions de chiffre d’affaires à partir duquel les entreprises doivent payer une surtaxe de 10 % sur l’impôt sur les sociétés. Qu’en pensez-vous ?

R. Ce niveau est trop faible. Il faut absolument se rapprocher du concept de PME européen, c’est-à-dire 250 emplois et environ 250 millions de chiffre d’affaires. Il s’agit-là des entreprises qui créent le plus d’emplois.

Q. Partagez-vous la crainte de certaines entreprises privées à propos de la concurrence que peut engendrer la création des 350 000 emplois publics ?

R. Certainement. Les emplois créés, avec de l’argent public, dans le secteur associatif vont développer des activités para-commerciales, notamment dans les travaux d’entretien, le bâtiment et le secteur de la restauration.

Q. Le relèvement du principal taux directeur de la banque de France est-il inquiétant ?

R. Ce n’est pas un bon signe. Si les PME françaises ont fortement réduit leur endettement ces dernières années, elles restent selon le CNPF les plus endettées d’Europe. Dans les tournées régionales que je fais avec Philippe Vasseur, les entrepreneurs nous expriment régulièrement leurs inquiétudes quant au redémarrage de cette hausse.

Q. Les entreprises vous semblent-elles vraiment anxieuses ?

R. Elles restent très attentives aux changements qui affectent leur environnement. A mes yeux, le Gouvernement a commis sept erreurs envers les PME. Je vous ai déjà cité la loi-cadre des 35 heures, l'abandon du plan textile, la surtaxe pour les entreprises de plus de 50 millions, la concurrence des emplois publics et le relèvement des taux d'intérêt. J'ajoute la crainte de la relance de la grande distribution et la baisse des crédits PME dans le Budget. En effet, le nouveau Gouvernement semble très attentif au projet de développement des hypermarchés. Je reste vigilant. Je note aussi que la transformation du ministère des PME en un secrétariat d’État auprès du ministère de l’Économie et des Finances n'a pas conduit au renforcement des crédits PME. Il nous faut, en revanche, constater une baisse du budget des PME. Dans la discussion budgétaire au Parlement, mon successeur pourra compter sur mon engagement loyal en faveur des PME.

Q. La démission de Jean Gandois à la tête du CNPF marque-t-elle une rupture entre les entreprises et le Gouvernement ?

R. C'est Lionel Jospin qui a décidé la rupture du dialogue social en imposant une loi-cadre sur les 35 heures. En voulant être fidèle aux durs de son parti, il trahit ceux qui avaient cru à la fin du socialisme idéologique.


Le Point : 18 octobre 1997

Le Point : Comment réagissez-vous à la crise traversée par le CNPF ?

J.-P. Raffarin : Il s'agit moins d'une crise que d'un électrochoc salutaire ! Je vois-là l'occasion de redonner la parole, avec force à ce qui constitue la réalité du tissu économique français : les petites et moyennes entreprises. La campagne gouvernementale de ces dernières semaines, qui s'est complu à souligner que les grandes entreprises avaient déjà réalisé les 35 heures, était une véritable agression contre les PME, qui n'ont certes pas la souplesse de gestion de ces grandes entreprises. La démission de Jean Gandois est la conséquence de la rupture du dialogue social décidée par le Gouvernement. Ce peut être l'occasion de remettre à plat l'organisation patronale en redonnant aux PME leur place, rien que leur place, mais toute leur place !

Le Point : Pourtant les PME semblent épargnées par la décision du Gouvernement sur les 35 heures.

J.-P. Raffarin : C'est une illusion. La barre des 10 salariés n'est pas pertinente. Le vrai seuil est au moins de 250 salariés. C'est là que se trouvent les entreprises qui génèrent les emplois. Pour une petite entreprise, la logique de 35 heures est suicidaire. Et ce d'autant plus qu'elle intervient au moment où le Gouvernement multiplie les signes négatifs.

Le Point : En attaquant de front le Gouvernement, ne craignez-vous pas de passer pour le porte-parole du CNPF ?

J.-P. Raffarin : Quand je combats l'absurdité d'une loi pour les 35 heures, j’ai la conviction de défendre non pas un égoïsme catégoriel, mais plutôt l'intérêt général. Je pense moins alors au CNPF qu'aux 2 700 000 entrepreneurs qui sont - faut-il le rappeler ? - autant d'employeurs. Moi, je défends les petits qui créent les emplois.

Le Point : Est-ce que ce retour de l’affrontement gauche-droite n’est pas une divine surprise pour l’opposition ?

J.-P. Raffarin : Pour le libéral humaniste que je suis, sûrement pas ! Lionel Jospin a choisi de revenir à une logique d'affrontement. Un choix à courte vue. Il est vrai que le Premier ministre doit satisfaire toutes les composantes de sa gauche arlequin et qu'il surveille comme le lait sur le feu le congrès du PS, dont il n'a pas oublié qu'il était le premier secrétaire. Mais fallait-il pour autant nous servir ce brouet idéologique qui soutient qu'il existe un traitement français du chômage et qu'il est possible d'avoir une organisation nationale de la productivité ? A cette fable les autres pays européens ont répondu, depuis longtemps, par un non catégorique.


La Croix : 22 octobre 1997

Q. Est-ce le principe des 35 heures ou la méthode suivie que vous contestez ?

J.-P. Raffarin : Le principe d’une loi-cadre sur les 35 heures est révélateur d’une méconnaissance de la diversité des entreprises françaises. On traite de la même manière les grandes multinationales et les PME. Le seuil de 20 salariés est ridiculement bas et économiquement non pertinent. Au niveau européen, le seuil d’une PME est à 250 salariés. C’est là que se situe la différence entre les entreprises qui ont les moyens de gérer une réduction du temps de travail et celles qui ne les ont pas.

Q. En quoi les 35 heures constituent-elles une menace pour les PME ?

R. En mettant en scène cette décision, en dramatisant la conférence de Matignon, on a agité le chiffon rouge. Les dirigeants d’une entreprise de ma région (NDLR : Poitou-Charentes), leader dans le papier-cadeau et qui emploie 77 salariés, me confiaient que leurs commandes avaient sérieusement fléchi depuis l’annonce des 35 heures. Chaque jour, je vois des chefs d’entreprise saisis d’une inquiétude analogue à celle qu’avait provoqué la grève des transporteurs routiers de novembre 1996. Beaucoup sont tentés de retarder certains investissements dans la crainte des conséquences des 35 heures. Une fois encore, distinguons le cas des grandes entreprises qui, vis-à-vis de cette décision, sont dans une logique de gestion, des petites entreprises qui sont dans une logique de survie. Mettons les PME à l'abri d'Aubry !

Q. L’opposition semble pourtant trouver aujourd’hui que la loi Robien, qui s’inscrivait aussi dans une logique de réduction du temps de travail, bien des vertus…

R.  La loi Robien avait justement montré qu'il existait des ouvertures dès qu'on adoptait une attitude pragmatique et non idéologique. L'opposition aussi est « plurielle » et beaucoup en son sein étaient sceptiques. Mais les mêmes ont constaté que la loi Robien avait eu sur le terrain un impact supérieur à ce qu'ils pensaient. Le pays est prêt au partenariat, au dialogue, à l'expérimentation. Si, cette fois, on avait laissé le dialogue se développer dans les différentes branches, un processus de réduction du temps de travail aurait pu être accepté. Le Gouvernement a choisi une méthode trop brutale.

Q.  Le dispositif retenu met néanmoins l'accent sur la baisse de charges, l'un des thèmes chers à l'opposition. De plus, le passage obligatoire aux 35 heures peut encourager la flexibilité…

R. Il faut bien sûr baisser les charges sur les bas salaires. Mais lier cette baisse à la réduction du temps du travail, c'est rajouter de la complexité pour les entreprises. Quant à la flexibilité, elle peut aussi s'obtenir sans passer par les 35 heures. Notre futur est au temps choisi et non au temps imposé. L'emploi dans les PME dépend d'abord du moral des entrepreneurs, c'est-à-dire de leur confiance en l'avenir.