Tribune de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes dans "Les Dernières nouvelles d'Alsace" le 7 octobre 1997 intitulée "L'Esprit de Strasbourg", interview à "L'Est républicain" le 9 et à FR3 le 10, sur le plan d'action du Conseil de l'Europe, notamment en matière de droits de l'homme et de droits sociaux, sur l'architecture de l'Europe élargie et sur le calendrier de l'euro.

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Circonstance : 2ème sommet du Conseil de l'Europe à Strasbourg les 10 et 11 octobre 1997

Média : France 3 - L'Est républicain - Les Dernières Nouvelles d'Alsace - Télévision

Texte intégral

Date : 7 octobre 1997
Source : Les dernières nouvelles d’Alsace

Sommet du conseil de l’Europe

En prenant la décision, l’année dernière, d’inviter tous les chefs d’État et de gouvernement des pays membres du Conseil de l’Europe à un nouveau sommet, le Gouvernement français de l’époque faisait un pari et prenait un risque. Le pari : que la réunion de Strasbourg soit aussi fréquentée, aussi suivie, aussi réussie que celle de Vienne, qui avait eu lieu quatre ans plus tôt et qui fut le premier sommet du Conseil de l’Europe. Le risque : que ce second sommet, intervenant trop tôt après le premier, ne permette d’engranger aucune avancée et ne marque pas une vraie étape dans l’histoire du Conseil.

Or, nous pouvons être satisfaits. En effet, sans anticiper sur l’événement lui-même, les prémices en sont prometteuses.

Le pari est tenu : les quarante-quatre pays invités (quarante États membres du Conseil de l’Europe auxquels s’ajoutent les quatre pays actuellement candidats : Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine et Géorgie) seront tous présents, soit au niveau du chef de l’État, soit au niveau du chef du gouvernement, en fait au niveau de celui qui détient dans son pays la réalité du pouvoir exécutif. Pour la France, le président de la République et le Premier ministre seront présents à Strasbourg, l’un pour ouvrir solennellement le sommet, l’autre pour en tirer les conclusions.

Le risque est écarté : à la suite des travaux préparatoires qui se sont déroulés dans un temps record, les objectifs fixés ont été atteints et l’utilité de cette réunion, beaucoup plus nombreuse que ne le fut celle de Vienne ; ils étaient 32, ils sont aujourd’hui 44, apparaît clairement : elle va réunir, pour la première fois depuis la chute du mur de Berlin, la quasi-totalité de la grande famille européenne, de l’Atlantique à l’Oural.

La première fonction du sommet est celle-ci : montrer au monde entier et plus particulièrement à l’opinion publique de ce continent que l’Europe, toute l’Europe dans ses frontières géographiques, est aujourd’hui rassemblée. Cette Europe va de Paris à Moscou et de Reykjavik à Bakou. Tous ces pays ont adhéré - ou vont adhérer, pour ce qui est des quatre candidats – au statut du Conseil de l’Europe ; ce faisant, ils affirment la reconnaissance des mêmes valeurs communes : l’attachement à la démocratie pluraliste, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la nécessité d’avoir un gouvernement fondé sur le droit ; tous pratiquent la coopération sur la base des nombreuses conventions auxquelles ils ont souscrit au fil des années dans les domaines les plus variés.

Concrètement, qu’apportera ce sommet ?

Revenons, un instant sur le passé. Vienne avait permis, en 1993, d’engranger des résultats dans trois domaines : la création d’une Cour unique des droits de l’homme, l’élaboration d’une convention sur les minorités nationales, la mise en place d’un organe de lutte contre toutes les formes de racisme et d’intolérance. Trois domaines qui relèvent tous d’une seule et même problématique : les droits de l’homme – domaine d’élection du Conseil de l’Europe où se joue encore, cette année, une partie essentielle avec la mise en place définitive de la Cour unique, le renforcement des moyens de lutte contre le racisme, le contrôle de l’utilisation des inventions biotechnologiques et, notamment, l’interdiction du clonage humain qui constitue une des préoccupations majeures de cette fin de siècle.

Mais l’aspect le plus novateur de ce sommet tiendra à ce que les chefs d’État et de gouvernement, à travers le plan d’action qu’ils vont adopter le 11 octobre, prendront des mesures concrètes dans des domaines qui touchent directement à la vie quotidienne des citoyens. En prenant des dispositions particulières pour le renforcement de la législation protectrice des enfants, des moyens de lutte contre le terrorisme, la corruption ou la toxicomanie, pour l’amélioration de la qualité de la vie dans les zones urbaines, les chefs d’État et de gouvernement porteront leur attention, au-delà des grands principes, sur les préoccupations concrètes des hommes et des femmes d’Europe, à l’aide de vrais instruments juridiques ou politiques, qui permettent à toutes les formes de coopération intergouvernementale de se développer au plus haut niveau. C’est par cette voie que l’on parviendra à créer, à la longue un espace juridique, qui soit aussi un champ d’action, commun à tous les pays membres.

Autre originalité de ce sommet : il va donner un nouvel élan dans deux directions qui n’avaient été que peu exploitées jusqu’à présent, le domaine social et le domaine culturel. C’est là le double message que lanceront les chefs d’État et de gouvernement à l’issue de leurs travaux : il n’y a pas de développement démocratique équilibré sans une attention particulière à la dimension sociale, éducative et culturelle.

Du côté social, l’existence de la Charte sociale, à laquelle adhèrent déjà un très grand nombre de pays européens, et les activités du Fonds de développement social qui sont axées particulièrement vers les pays d’Europe centrale et orientale constituent deux leviers sur lesquels on doit prendre appui pour renforcer l’action du Conseil de l’Europe dans la lutte contre l’exclusion sociale et pour le respect de la dignité humaine. Mieux utiliser les outils existants et encourager l’adhésion la plus large possible à ces deux instruments, voilà une avancée qui, si elle n’est pas en soi spectaculaire, peut avoir à terme des effets bénéfiques sur l’image et l’action de cette organisation en faveur de la protection des citoyens.

Du côté culturel, domaine dans lequel le Conseil de l’Europe a une vaste expertise, il s’agit d’être à l’écoute de l’actualité. Trois initiatives dans ce domaine me paraissent importantes :
    - le lancement d’une campagne d’éducation à la citoyenneté démocratique, à l’échelle du continent ;
    - le lancement d’une campagne de sensibilisation au patrimoine culturel et naturel des pays membres sur le thème : l’Europe un patrimoine commun ;
    - la promotion d’une politique européenne des nouvelles technologies de l’information, avec le double souci de développer ces nouvelles technologies et de mieux les maîtriser en veillant à ce que leur développement incontrôlé ne vienne pas battre en brèche la liberté d’expression ou d’information, le respect de la diversité culturelle ou linguistique et le droit à une certaine forme de vie privée (on ne peut pas tout mettre, tout écrire et tout lire sur les réseaux des nouvelles technologies de l’information).

Reste un domaine sur lequel le plan d’action esquissera une première réflexion : celui des réformes de structures. À l’aube du XXIe siècle, le Conseil de l’Europe – qui va bientôt fêter ses cinquante ans – doit adapter ses structures à ses nouvelles missions, celles qu’il se sera données à l’occasion du deuxième sommet ainsi qu’à sa nouvelle composition. Il s’agit, pour cette organisation paneuropéenne qui est la nôtre, de mieux répondre aux exigences de ses États membres.

Il s’agit, aussi, de renforcer ses modes de coopération avec l’Assemblée parlementaire, qui, tout en ayant un caractère uniquement consultatif, joue un rôle de plus en plus déterminant dans le bon fonctionnement des procédures d’examen et de suivi du respect des engagements pris par les États membres.

L’élargissement – en moins de dix ans – de cette organisation jusqu’aux frontières de la grande Europe a pris de vitesse tous ceux qui, par calcul ou par prudence, auraient voulu qu’elle aille d’un pas plus lent vers les nouvelles réalités géopolitiques. Il est temps de montrer, aujourd’hui, que cet élargissement n’était pas vain et qu’il peut donner aux Européens, à tous ceux qui se réclament d’une certaine « identité européenne », le sens de leurs devoirs et de leurs responsabilités dans une société moderne.

 

Date : 9 octobre 1997
Source : L’Est républicain

 

L’Est républicain : Que peut-on attendre du sommet des chefs d’État et de gouvernement ? Est-ce un rendez-vous formel, prestigieux pour Strasbourg, où les sujets qui dérangent seront esquivés ou plutôt un lieu d’échanges ? Et pourquoi pas de décision sur l’euro, l’emploi, l’élargissement de l’Europe ?

Pierre Moscovici : Ce sommet est un rendez-vous prestigieux pour Strasbourg, et je m’en réjouis. Je m’en réjouis parce que pour le Gouvernement, pour moi, c’est une préoccupation constante que d’affirmer Strasbourg comme capitale européenne. À cet égard, je suis satisfait que la Cour européenne de justice ait donné raison à la France : Strasbourg est le siège du Parlement européen, qui doit y tenir ses douze sessions annuelles. J’espère que le Parlement européen tiendra compte de l’arrêt de la Cour et reviendra sur sa décision.

Ce sommet met en valeur le caractère de capitale européenne de Strasbourg, qui sera, pour ces deux jours, la capitale de l’Europe réunifiée. La présence à Strasbourg de Tony Blair, Helmut Kohl, Romano Prodi, Jose-Maria Aznar, Boris Eltsine, aux côtés de Jacques Chirac et Lionel Jospin, en est le symbole.

Ce n’est en rien un exercice formel. Le Conseil de l’Europe, la plus ancienne des institutions démocratiques européennes, a été capable, après la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union soviétique, de se transformer en une organisation pour toute l’Europe, la seule à l’échelle du continent. Ce sommet, le second, est celui de l’adaptation au nouveau contexte européen, marqué par l’intégration des nouvelles démocraties. Il a aussi l’ambition de prendre mieux en compte les évolutions de nos sociétés, qu’il s’agisse des nouveaux droits de l’homme, droits sociaux notamment, ou des nouveaux risques. Nous avons voulu des résultats pratiques qui concernent directement les peuples. Ainsi un plan d’action sera adopté, avec des dispositions pour renforcer les législations protectrices de l’enfance, la lutte contre la criminalité, le trafic de stupéfiants, la corruption.

Les débats sur l’euro, sur l’élargissement, sur l’emploi sont conduits dans l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe c’est autre chose. C’est un creuset de démocratie où se retrouvent aujourd’hui plus de quarante nations, enfin rassemblées, de Lisbonne à Moscou, de Reykjavik à Tbilissi. C’est en son sein que les grandes valeurs qui fondent les démocraties – droits de l’homme, pluralisme, État de droit – se renforcent, s’élaborent, se sanctionnent aussi. Les échanges peuvent y être vifs, et surtout les citoyens de toute l’Europe se tournent vers lui pour faire valoir leurs droits.

L’Est républicain : Peut-on envisager d’élargir l’Europe sans réformer les institutions ? Est-ce possible, et dans ce cas quels sont les pays les mieux placés sur la ligne de départ ?

Pierre Moscovici : Ma position est très claire. Il faut une réforme institutionnelle avant la conclusion du prochain élargissement. C’est un préalable. Chacun comprend que l’Europe c’est déjà très difficile à quinze : passer à seize, dix-huit, ou plus, sans réforme, ce serait prendre le risque de la paralysie. Ni les États membres, ni les pays candidats n’y ont intérêt. Ce que je veux c’est une Europe capable de développer son modèle social, de maintenir ses politiques communes, d’affirmer son identité sur la scène internationale, et non une Europe privée de capacité de décision ou une simple zone de libre échange), vide de contenu. Bref, une Europe qui marche.

C’est pourquoi le Gouvernement souhaite une Commission plus ramassée, plus collégiale, qui retrouve son rôle de gestion et de proposition, et un Conseil dans lequel le poids de chaque État membre sera plus conforme aux réalités politiques, économiques, démographiques. Nous voulons aussi utiliser régulièrement le vote à la majorité qualifiée. C’est une question d’efficacité, mais aussi de démocratie.

Je veux lever toute ambiguïté. L’élargissement est une perspective historique majeure à laquelle j’adhère pleinement. La chute du mur de Berlin a donné à l’Union des responsabilités nouvelles. L’enjeu, c’est la réunification de l’Europe divisée par la Guerre froide, c’est la paix, la stabilité et la prospérité de notre continent. Le processus d’élargissement sera lancé dans les mois qui viennent. La Commission européenne a proposé que les premières négociations s’ouvrent avec la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, l’Estonie, la Slovénie et Chypre. La décision sera prise en décembre.

La France défend une approche ouverte et dynamique. L’élargissement est pour nous un processus global. Pour éviter de nouvelles fractures en Europe, nous avons proposé une conférence européenne, qui accueillerait l’ensemble des pays dont la vocation européenne a été reconnue par les quinze, y compris donc la Turquie. Elle serait un cadre de dialogue et de coopération entre l’Union et ces douze pays. En même temps, il faut tenir compte des réalités. Des différences existent ou apparaîtront. Avec les pays qui sont prêts, aujourd’hui ou demain, il faut ouvrir les négociations.

Mais, je le répète, il n’y aura pas d’accord d’élargissement sans réforme institutionnelle. C’est une question vitale pour l’Europe.

L’Est républicain : Qui est le véritable moteur de l’Europe aujourd’hui : le couple franco-allemand ou la France ?

Pierre Moscovici : La construction européenne repose d’abord sur l’entente franco-allemande. L’Histoire, y compris la plus récente, en témoigne. Cela ne signifie pas que cette entente soit acquise. Au contraire, c’est parce qu’elle est une construction de la volonté politique, un dépassement des différences qu’elle est efficace. Cela n’interdit pas de développer des coopérations avec les autres pays européens. C’est ce que nous faisons avec nos amis italiens et espagnols – avec lesquels nous entretenons des relations exceptionnelles – ou britanniques – et j’ai la conviction que l’arrivée au pouvoir du « New Labour » de Tony Blair va changer la donne en Europe –, avec l’ensemble des partenaires de l’Union. Mais quand l’Allemagne et la France semblent ne pas s’entendre, toute l’Europe, médias en tête, s’alarme.

J’ai envie de dire aussi que la France reste au cœur de l’Europe. Historiquement, elle a été l’initiatrice du projet européen. L’euro a d’abord été une idée politique française. Pour François Mitterrand, il s’agissait de tremper définitivement l’unité de l’Europe. Enfin quand nous parlons aujourd’hui d’Europe-puissance c’est encore, pourquoi ne pas le reconnaître, une approche française.

L’Est républicain : Qu’est-ce qui manque à l’Europe pour être un acteur de poids sur la scène internationale ?

Pierre Moscovici : Je nuance votre propos : l’Europe est bien un acteur de poids sur la scène internationale. Sinon, comment expliquer sa force d’attraction ? C’est la première puissance économique mondiale. C’est un résultat tangible. Dans les enceintes internationales l’Europe s’exprime le plus souvent d’une seule voix. Il y a là un progrès considérable.

Mais je comprends votre préoccupation, si vous pensez à la politique étrangère, aux questions de défense et de sécurité. Les outils dont nous disposons sont encore insuffisants, ils n’ont pas la force que l’opinion attend devant les drames humains internationaux que nous connaissons. Il y a là, sans doute, une déception légitime. Il ne faut pas renoncer. C’est une ambition pour l’Europe que nous, Français, continuons de porter, c’est l’idée de l’Europe-puissance. Ce n’est pas facile à incarner. Notre culture, notre histoire, nos réflexes politiques sur les questions internationales ne sont pas toujours les mêmes que ceux de nos partenaires. Il faut construire des politiques communes en partant des intérêts réels des quinze et en recherchant le point de convergence. Il s’agit là d’un effort sur la durée.

L’Est républicain : Revenons à la monnaie unique, dont la mise en œuvre est prévue pour le 1er janvier 1999. Peut-on respecter cette échéance alors qu’il n’y a pas encore d’harmonisation des politiques fiscales ? D’autre part, qui aura la responsabilité de la gestion du taux de change de l’euro ?

Pierre Moscovici : L’euro se fera. J’en ai la conviction. Il se fera à la date prévue et dans les conditions prévues par le traité. Je suis aussi convaincu que l’euro créera une dynamique économique et politique dont nous n’imaginons pas l’ampleur. L’euro sera une monnaie puissante – parce que sa base sera large, notamment avec l’Italie dans la première vague –, stable – parce que des engagements ont été pris et seront respectés – et donc attractive. Ainsi l’existence de l’euro, sur la scène internationale, manifestera concrètement la puissance de l’Europe à la fois vis-à-vis de nos partenaires extérieurs mais aussi pour l’ensemble des citoyens européens.

La France sera au rendez-vous. Je n’ai pas, là-dessus, le moindre doute. C’est pourquoi il faut maintenant penser, au-delà de la décision, essentielle, de faire l’euro en mai 1998, à la manière de vivre l’euro. Partager une monnaie unique, c’est aussi partager des responsabilités nouvelles, en matière de politique économique, et cela implique une coordination entre les États, une harmonisation fiscale notamment. Le gouvernement de Lionel Jospin a posé ce problème dès Amsterdam. La discussion est engagée avec nos partenaires. Le Conseil européen de Luxembourg en décembre, prendra, je l’espère, la décision nécessaire.

Vous m’interrogez sur la gestion du taux de change de l’euro. La Banque de France est indépendante. Chez nous, c’est récent, mais nous avons intégré ce changement. Eh bien ! Les choses se passeront pour l’euro comme elles se passent pour le franc. Techniquement, c’est un peu plus compliqué. Le traité est clair. La Banque centrale européenne, indépendante a pour objectif principal la stabilité des prix et pour mission la conduite des opérations de change. Les orientations générales de politique de change relèvent de la décision collective des États membres.

L’Est républicain : Peut-on envisager au niveau européen une stratégie coordonnée des politiques économiques ? Même question pour l’emploi.

Pierre Moscovici : Non seulement on le peut, mais il le faut. Au dernier sommet franco-allemand, à Weimar, ce dossier a bien avancé, alors qu’à Amsterdam il y avait eu peut-être des malentendus. Nous avions parlé de gouvernement économique. Nos amis allemands craignaient une mise en cause de l’indépendance de la Banque centrale et n’aimaient pas le nom. Nous avons réaffirmé notre attachement au principe de l’indépendance mais aussi à l’existence d’une autorité politique. Désormais, nous sommes d’accord sur la nécessité d’une instance visible et légitime, c’est-à-dire politique, qui serait le lieu de cette coordination, un « conseil de l’euro », pour reprendre le mot de Dominique Strauss-Kahn.

Sur l’emploi, la démarche du Gouvernement est comparable. Vous le savez, il y a un nouveau chapitre « emploi » dans le traité d’Amsterdam. Nous avons aussi obtenu un Conseil européen extraordinaire, à Luxembourg, le 21 novembre prochain. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de « charger la barque » de ce sommet, d’abreuver l’opinion d’illusions vite déçues, mais d’ouvrir un processus pour mettre davantage l’Europe au service de la croissance et de l’emploi.

Je dis simplement : faisons ensemble ce qui peut l’être. Dans ce cadre, j’attends du Conseil extraordinaire des réponses concrètes. Il y a trois axes. D’abord, il y a l’idée d’objectifs chiffrés pour guider les États membres dans la réduction du chômage, notamment le chômage des jeunes : pourquoi n’y aurait-il pas les « objectifs emploi » de Luxembourg, comme il y a eu les critères de Maastricht ? Encore faut-il que ces objectifs ne soient pas des slogans, mais découlent d’analyses précises et de la mise en œuvre d’instruments adaptés. Ensuite, la mobilisation des fonds de la Banque européenne d’investissements pour lancer les grands travaux et aider les PME innovantes. Enfin, le développement du dialogue social européen : il faut que les partenaires sociaux soient associés à cette initiative, et qu’à partir de là ce dialogue se poursuive et se renforce.

L’Est républicain : Les socialistes ont un peu bousculé leurs idées sur l’Europe. On l’a vu avec l’adoption du pacte de stabilité. Or, faut-il faire l’Europe avec des choix affirmés ou des postures tactiques ?

Pierre Moscovici : J’aurais préféré vous entendre dire que les socialistes ont un peu bousculé l’Europe avec leurs idées ! J’ai le sentiment que c’est plutôt ce qui s’est passé. Nous avons effectivement signé le pacte de stabilité à Amsterdam – la parole de la France était engagée dès le Conseil de Dublin – en même temps nous avons fait adopter une résolution sur la croissance et l’emploi. Nous avons remis l’euro sur ses deux pieds, celui de la stabilité, mais aussi celui de la croissance et donc de l’emploi, celui de l’indépendance de la Banque centrale, mais aussi celui de la responsabilité du politique. Quand nous avons présenté cette proposition, personne n’imaginait que le nouveau gouvernement français réussirait à convaincre ses partenaires. Aujourd’hui c’est autour de cette approche que l’Union discute et se mobilise.

Les débats européens ne sont pas des débats tactiques. Les choix qui doivent être faits sont des questions politiques majeures. On ne peut avancer masqués face aux échéances qui nous attendent : le passage à l’euro, le processus d’élargissement, la poursuite et le financement des politiques communes. La volonté du gouvernement de Lionel Jospin est claire : nous sommes profondément Européens, mais aussi décidés à rééquilibrer la construction européenne, en faveur de l’emploi, et à rendre l’Europe populaire. Oui, l’Europe doit être populaire. Que l’Europe serve mieux les Français, que les Français, notamment ceux des couches populaires qui sont encore les plus réticentes, aiment l’Europe : c’est tout le sens de mon action que d’y contribuer.

 

Date : 10 octobre 1997
Source : France 3

 

France 3 : Monsieur le ministre, fallait-il vraiment ce sommet pour consacrer le Conseil de l’Europe dans son rôle de gardien et avec son image « d’école de la démocratie » ?

Pierre Moscovici : Le Conseil de l’Europe existe depuis maintenant près de cinquante ans, il a un rôle irremplaçable. Il est en quelque sorte le responsable, le garant des droits de l’homme et de la démocratie. Ce sommet a, aujourd’hui, une signification particulière car c’est le premier qui voit toute l’Europe réunifiée et capable de s’adapter à ces nouveaux droits, à ces nouveaux risques. Cela rend la réunion d’aujourd’hui assez exceptionnelle.

France 3 : Avez-vous pour ambition de répondre aux attentes de 800 millions de citoyens ? Est-ce vraiment traduisible dans les faits avec le budget qui est celui du Conseil de l’Europe ?

Pierre Moscovici : Le Conseil de l’Europe doit s’adapter, notamment sur ses missions, sur les domaines où il excelle. Il ne peut pas tout faire et il ne lui appartient pas de concurrencer l’Union européenne qui a une compétence économique irremplaçable. Il ne lui appartient pas non plus de faire ce que fait l’OSCE. En revanche, il a une expertise absolument indéniable dans tous les domaines qui concernent la démocratie, les droits de l’homme et il me semble qu’à moyens constants ou en très faible augmentation, il est absolument possible de faire ce que le Conseil de l’Europe sait faire mieux que quiconque. L’institution strasbourgeoise a un grand avenir, à condition encore une fois d’être conscient de ce qu’elle est et de ce qu’elle n’est pas.

France 3 : N’avez-vous pas l’impression que l’écart se creuse un peu entre les possibilités budgétaires et les missions qui sont dévolues au Conseil de l’Europe, qui sont faibles comparées à celles de l’Union ou d’autres organisations ?

Pierre Moscovici : Toute l’Europe, comme le monde entier d’ailleurs, vit dans un contexte difficile depuis fort longtemps où les économies budgétaires sont, aujourd’hui, la règle. C’est la règle pour les ménages, pour les États, pour l’Union européenne, c’est aussi la règle pour le Conseil de l’Europe. En même temps, tous ceux qui nous écoutent savent très bien qu’aujourd’hui, ce qu’il faut, ce n’est pas dépenser plus, c’est dépenser mieux et il faut faire converger les missions et les moyens du Conseil de l’Europe.

France 3 : Pensez-vous que le Conseil de l’Europe devrait abandonner pour cela l’une de ses ambitions afin de se recentrer davantage sur ce pour quoi il est normalement compétent ?

Pierre Moscovici : Je suis ministre des affaires européennes. Je suis, à ce titre-là, à peu près toutes les institutions européennes. Je sais quand on fait attention et quand on ne le fait pas à ce que dit ou exprime le Conseil de l’Europe. S’il parle de la monnaie unique, il n’est pas le mieux placé pour le faire. S’il s’exprime sur tel ou tel sujet de compétence économique, c’est à l’Union de le faire ; mais sur les Droits de l’Homme, sur la démocratie, c’est le Conseil de l’Europe qui est la voix la plus autorisée, la plus forte. Tout de même, aujourd’hui, avoir à Strasbourg, ici, aussi bien Helmut Kohl, Tony Blair, Boris Eltsine, José-Maria Aznar, Vaclav Havel, tous les chefs d’État et de gouvernement des pays d’Europe centrale et orientale, tout cela veut dire que le Conseil de l’Europe est fort lorsqu’il parle de ce qu’il connaît, de ce qu’il ressent, c’est-à-dire la démocratie, les droits de l’homme, la protection des minorités, les droits des enfants, bref, toute une série de sujets qui sont des sujets internationaux concrets qui concernent les drames humains en Europe.

France 3 : N’y a-t-il pas une meilleure coordination à instaurer entre l’Union et le Conseil de l’Europe, dans les domaines où les deux seraient peut-être compétents ?

Pierre Moscovici : Cette coordination entre l’Union et le Conseil de l’Europe existe. Ces institutions travaillent ensemble. Il y a ce que l’on appelle les réunions quadripartites, qui réunissent le secrétariat général du Conseil de l’Europe, la Commission européenne, la présidence de l’Union européenne et la présidence du comité des ministres du Conseil de l’Europe. C’est à cette réunion que j’ai pu participer, il y a quinze jours. Nous avons pu voir qu’il y avait beaucoup plus de coordination que de confrontation.

C’est l’intérêt mutuel de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe que de travailler ensemble. Mieux vaut que chacun fasse ce qu’il sait faire plutôt que d’essayer d’empiéter sur les moyens de l’autre avec, il faut le reconnaître aussi, des ambitions qui sont différentes, des moyens qui sont différents, puisque l’Union a un budget qui est, je crois, à peu près 500 fois plus grand que celui du Conseil de l’Europe.

France 3 : Dans le domaine culturel, on a l’impression qu’ils ne travaillent pas vraiment ensemble ?

Pierre Moscovici : Il y a toujours des progrès à faire dans l’harmonisation. Nous nous y employons, mais il me semble que l’on va vers une progression. Le Conseil de l’Europe, à travers ce Sommet, à travers le plan d’action qui va être adopté aujourd’hui, montrera qu’il se recentre, qu’il se concentre, qu’il avance.

France 3 : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas mention, dans la déclaration finale, du sommet qui devrait avoir lieu en mai 1999 à Budapest ?

Pierre Moscovici : Le Conseil de l’Europe fêtera son cinquantième anniversaire en 1999. Il y aura évidemment un sommet. Ce sommet sera important. Mais aujourd’hui, nous sommes ici pour le second sommet, en train d’anticiper un peu sur cet anniversaire. Je suis très heureux que cela se passe à Strasbourg, parce que Strasbourg est le berceau du Conseil de l’Europe, qui est une institution presque cinquantenaire. Strasbourg, aujourd’hui au fond, est la capitale de l’Europe, pas seulement comme elle l’est à travers le Parlement européen, mais aussi de l’Europe réunifiée. Aujourd’hui, fêtons cela ! Profitons-en !

France 3 : Cela veut-il dire que l’on n’a pas voulu anticiper sur ce que donnera la mise en œuvre du plan d’action d’aujourd’hui ?

Pierre Moscovici : Le sommet se déroule aujourd’hui. Il reste encore du temps pour adapter les résolutions, pour en discuter. Vous savez, si les sommets étaient entièrement « ficelés » d’avance, à quoi serviraient-ils ensuite ?

France 3 : Est-ce que le sommet pourrait contribuer, du moins dans les coulisses, à la libération de Serge Poncet en Tchétchénie ?

Pierre Moscovici : Sur les sujets d’otages, moins on en parle, mieux c’est pour la sécurité de ceux qui sont concernés, pour l’efficacité des efforts déployés. Ce que je peux dire c’est que le président de la République, le Gouvernement sont extrêmement mobilisés par ce problème. Le président de la République s’en est entretenu avec tous ses homologues. Il continuera, sans aucun doute, de le faire. Mais je crois, encore une fois, que pour des raisons absolument évidentes, il faut préférer à une vive intervention plus spectaculaire une action discrète mais efficace.

France 3 : Est-ce que cette action discrète se verra dans les coulisses du sommet ?

Pierre Moscovici : Cette action discrète s’opère à tous moments. Il faut être conscient que le président de la République et le Gouvernement sont absolument préoccupés par cette affaire et s’emploient quotidiennement à trouver une solution aux problèmes de nos otages.