Interview de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, dans "Le Figaro" du 6 novembre 1997, sur les négociations salariales dans la Fonction publique, les effectifs et la réduction du temps de travail et la réforme de l'État.

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Le Figaro - 6 novembre 1997

Le Figaro économie : Vous avez présenté hier une communication en conseil des ministres sur la réforme de l’État. En quoi votre politique se démarque-t-elle de celle entamée par le gouvernement Juppé ?

Emile Zuccarelli : Comme l’a bien précisé le Premier ministre, l’État est un facteur central de la cohésion sociale. Nous nous inscrivons donc en faux contre tout ce qui a été récemment dit sur le thème d’un État plus modeste. L’État doit être selon moi un État fort et capable de mener à bien ses missions. Ma déclaration visant à mettre un terme à la diminution des effectifs avait valeur de symbole. Nous marquons une rupture avec ce qui a été fait par le gouvernement Juppé. La réduction du nombre des fonctionnaires n’est plus un objectif en soi. Pour autant, l’État doit être plus efficace, plus proche des citoyens, plus transparent.

Le Figaro économie : C’était aussi l’ambition affichée par votre prédécesseur, Dominique Perben.

Emile Zuccarelli : Bien évidemment, dans certains domaines de la réforme de l’État, nous reprenons ce qui a déjà été fait et nous poursuivons les expériences. Nous vouIons renforcer la transparence des décisions (en mettant en place des études d'impact et des évaluations des décisions). Afin de rendre plus transparent le système de rémunération des agents, un rapport biannuel sera élaboré à partir de 1998 pour faire le point sur la part des primes dans le traitement des fonctionnaires.

Par ailleurs, nous continuons la politique de mobilité des agents et la déconcentration. Au premier janvier prochain, 600 décisions individuelles supplémentaires seront désormais déconcentrées. Au total, à cette date, les trois quarts des décisions seront prises localement.
Mais, à la différence du précédent gouvernement, nous menons cette politique en étroite concertation avec les agents. Or, selon moi, tout ce qui n’a pas été décidé avec les fonctionnaires ne peut pas être opérationnel. Les fonctionnaires sont les principaux acteurs de la réforme de l'État. Rien ne se fera sans eux.

Le Figaro économie : Comptez-vous diminuer le nombre de directions des administrations centrales ?

Emile Zuccarelli : Il n'existe pas, selon moi, de modèle unique dans les ministères. Chaque ministère doit proposer les solutions qui lui semblent adaptées. Nous n'avons pas pour dogme de diminuer de 30 % toutes les directions de ministère.

Le Figaro économie : Vous ne semblez pas très sensible aux sureffectifs de l’administration. Or, une note de l’inspection des finances a fixé ce sureffectif à 500 000 agents. N’y a-t-il pas là matière à réflexion ?

Emile Zuccarelli : Je ne suis pas du tout d’accord avec cette note interne. Son auteur aurait été plus crédible s’il avait précisé où sont les sureffectifs, dans quel ministère, dans quel service. Ce travail s’appuie sur des comparaisons internationales qui mélangent des choux et des carottes en additionnant des fonctionnaires avec des agents des services publics.
Sur un plan plus général, je refuse catégoriquement les a priori du précédent gouvernement selon lesquels il y aurait trop de fonctionnaires. Nous ne pensons pas qu’il faut faire maigrir l’État, nous ne faisons pas la chasse à la « mauvaise graisse » même si le gouvernement est attentif à la contrainte budgétaire. Aujourd’hui, le poids des fonctionnaires ne me semble pas insupportable.
D’ailleurs, la France n’est pas en sous-compétitivité sur les marchés extérieurs. En vérité, chaque État gère selon son héritage et ses traditions les services qu’il veut donner au public. Prenons l’exemple de l’éducation. On peut décider, comme en France, que ce service soit financé par l’impôt. On peut aussi décider que l’usager paye directement les écoles, comme dans certains pays anglo-saxons. Dans ce cadre, on a moins de fonctionnaires mais ce sont toujours les citoyens qui financent en dernier lieu.

Le Figaro économie : Vous allez ouvrir des négociations salariales. La situation budgétaire vous semble-t-elle le permettre ?

Emile Zuccarelli : Il n’y a pas eu d’accord salarial depuis quatre ans. Il faut donc renouer le dialogue social. Depuis hier, je reçois les organisations syndicales afin que chacun puisse prendre la mesure de ce qui est possible. Toutes les hypothèses sont ouvertes. Mais le gouvernement estime qu’il ne faut pas manquer une occasion. Celle-ci ne se présentera pas toujours.

Le Figaro économie : On a quand même l’impression d’une certaine contradiction dans l’action du gouvernement. Pour le secteur privé, on réduit le temps de travail en l’accompagnant de « modération salariale » tandis que dans la fonction publique on parle d’abord des salaires avant la réduction du temps de travail.

Emile Zuccarelli : On ne peut pas transposer directement à la fonction publique les mesures envisagées pour le secteur privé. Car les facteurs d’équilibre ne jouent pas de la même façon. Dans le privé, on peut rééquilibrer le passage aux 35 heures grâce aux gains de productivité, aux aides de l’État et aux négociations salariales qui ont vocation à être très décentralisées. Dans la fonction publique, les gains de productivité sont souhaitables, ils améliorent le service public mais n'engendrent pas directement des recettes supplémentaires. L'État ne peut pas s'aider lui-même. Quant aux négociations salariales, elles n'ont pas la souplesse du secteur privé. Enfin, dans certains secteurs (enseignants, policiers, militaires), le temps de travail ne peut se calculer comme dans le privé. Par conséquent, il me semble inopportun d'avancer sur cette voie de la réduction du temps de travail avant d’avoir procédé à un état des lieux.

Le Figaro économie : Parmi les 350 000 emplois jeunes, combien seront intégrés dans la fonction publique à terme ?

Emile Zuccarelli : Ces emplois jeunes n’ont pas vocation à se substituer à des emplois publics. Une partie de ces emplois va peut-être rejoindre le secteur public. Mais la plus grande partie restera dans le domaine de l’économie marchande. Mais il y a, c’est vrai, un pari sur l’avenir.