Texte intégral
Q - La croissance s'installe, le chômage recule. Pourquoi, à votre avis, la gauche donne-t-elle l'impression de réussir là où la droite a échoué ?
Il faut voir les choses d'un peu plus loin. Depuis une quinzaine d'années, la France a eu trois périodes de croissance : les années 1987-1989 ; 1994-1995 et 1997. Chaque fois, les causes ont été quasi identiques : il y avait un mouvement international de reprise, bien entendu, mais aussi une action nationale de réduction des déficits, de libération de l'économie, d'harmonisation monétaire européenne, de baisse des charges sur les entreprises et de souplesse. Les trois fois ! Et essentiellement sous des gouvernements de droite. Ces actions ont été poursuivies par l'actuel gouvernement de gauche. Donc, au lieu de dire les uns ont réussi, les autres ont échoué, il vaut mieux dire : il y a eu ces trois périodes de croissance depuis une quinzaine d'années ; elles ont toutes les trois été caractérisées par une action de remise en ordre libérale engagée et menée par des gouvernements de droite.
Q - Ce gouvernement a quand même ramené la confiance chez les Français.
Oui, c'est vrai. Mais la question qui se pose c'est de savoir si la confiance serait ou non revenue sans lui. N'oubliez quand même pas que la croissance était en train de revenir fin 96-début 97. Le gouvernement socialiste a poursuivi le mouvement et je me réjouis qu'il ait abandonné quelques-unes - pas toutes - des pratiques qui avaient conduit notre pays à l'échec depuis une quinzaine d'années.
Q - Sur les 35 heures, pensez-vous que la droite devra abroger la loi si elle revient au pouvoir ?
Dans ce, genre de situation, il faut être .aussi objectif que possible. Le moment venu, la droite devra se livrer au constat suivant : combien d'emplois ont-ils été créés ? J'entends beaucoup dire que le processus, peut créer des emplois à court terme mais pas à moyen terme. Si tel est le cas, il faudra en tirer les conséquences. De façon générale, je suis partisan de méthodes contractuelles et libres plutôt que de méthodes autoritaires et automatiques. D'où mon hostilité à la loi sur les 35 heures.
Q - Jugez-vous crédible l'objectif d'une société de, plein-emploi que s'est fixé Lionel Jospin à l'horizon de la décennie ?
Qu'appelle-t-on le plein-emploi de nos jours ? Tout le monde est d'accord pour dire que cela correspond à un taux de chômage de l'ordre des 5 %. Les Etats-Unis et certains pays d'Europe sont d'ores et déjà dans cette situation-là, avec, il est vrai, davantage d'emplois à temps partiel. Il n'y a donc aucune fatalité qui condamne la France à avoir plus de chômage que les autres. Mais il faudrait, que le gouvernement nous dise quelles réformes fiscale, sociale, éducative il va entreprendre pour atteindre sont objectif. La responsabilité historique de ce gouvernement, comme de tous ceux qui exercent le pouvoir en période de croissance, c'est de profiter des marges de manoeuvre disponibles pour mener les réformes dont la France a besoin.
Q - Quelle est, à vos yeux, la réforme la plus urgente ?
Alléger les charges sur le travail peu qualifié. J'avais commencé à le faire en 1993. Et nous avions réussi à les baisser d'à peu près 12 %. Et puis, le processus a été interrompu. Il faut le reprendre et l'amplifier.
Q - Dans le budget de l'emploi, il y a bel et bien des baisses de charges, liées aux 35 heures.
Mais nous ne parlons pas de la même chose ! Moi, je parle de baisses de charges générales pour tous les travailleurs non qualifiés et non pas, de subventions aux entreprises qui appliquent les 35 heures.
Q - A la veille de la présentation du projet de budget 2000, le débat sur la répartition des fruits de la croissance est relancé, Que faut-il en faire ?
La même situation s'est produite pendant la période 1988-1999. Les 300 milliards supplémentaires dont a disposés le gouvernement socialiste d'alors ont essentiellement servi il financer des dépenses nouvelles si bien que la croissance évanouie, nous nous sommes retrouvés en 1993 avec un déficit budgétaire de l'ordre de 350 milliards. Aujourd'hui, on nous dit qu'il y a trois possibilités : baisser les déficits, baisser les impôts ou mettre de côté pour la réforme des retraites. Il faut quand même savoir ce que l'on veut : c'est très bien d'avoir fait l'euro, mais il faut en tirer les conséquences. La France est, avec l'Italie, le pays d'Europe où le pourcentage du déficit public par rapport au PlB est le plus important (2,3 % en 1999), contre 1,5 % pour la moyenne de l'Union européenne). Qu'on le veuille ou pas, un minimum d'harmonisation budgétaire, fiscale et sociale s'impose. Une partie de cet excédent doit donc être affectée à la réduction du déficit et une deuxième partie doit servir à baisser les impôts.
Q - Lesquels ?
La France a les impôts les plus élevés dans tous les domaines. Donc la réponse est difficile puisqu'on ne peut tout faire à la fois. Je pense que la baisse de l'impôt sur le revenu et des charges pesant sur le travail est plus profitable en matière de croissance et d'emploi qu'un allégement de la TVA portant sur un seul secteur d'activité. Si l'on veut donner un signal de libération de l'économie et de libération de la société, c'est dans ce sens qu'il faut commencer.
Q - Qu'est-ce qu'une bonne réforme de l'impôt sur le revenu, selon vous ?
Il faudrait lisser la progressivité, ramener les taux de 7 à 3 et rapprocher le taux maximum (54 %) de celui de la moyenne européenne (42 %), Qu'on le veuille ou non, et n'en déplaise à tous les discours sur l'indépendance nationale, nous ne pouvons pas nous permettre d'être trop divergents par rapport à nos partenaires, Cela suppose évidemment que l'on soit capable de faire des économies sur le budget en commençant par réduire les recrutements de fonctionnaires et les dépenses d'intervention.
Q - Les excédents budgétaires pourraient-ils également servir à alimenter la cagnotte pour les retraites ?
L'opération revient à faire payer les retraites par les contribuables. Si c'est un expédient pour éviter d'avoir à réformer les retraites, j'y suis hostile. Si c'est une formule de transition pour permettre de passer un cap difficile, ça peut se discuter.
Q - Pensez-vous que la réforme des retraites va être engagée ?
Je n'en sais rien. Il faut le demander à M. Jospin qui est désormais à Matignon depuis plus longtemps que je n'y ai été. J'ai entrepris de réformer les retraites trois mois après mon arrivée à Matignon, Je n'ai demandé aucun rapport parce que mes prédécesseurs socialistes avaient fait faire les études qui montraient qu'il fallait se décider. Au mois de juin 1993, j'ai annoncé des décisions en prévenant que le problème se reposerait au bout de cinq ans. Eh bien, le problème se repose. Le gouvernement actuel aurait pu le prévoir.
Q - Vous n'aviez pas touché aux retraites du public. Regrettez-vous de n'avoir pas réglé ce problème ?
J'ai du mal à accepter le reproche de ne pas avoir tout fait à la fois alors que jusqu'à présent je suis le seul, en cinquante ans, à avoir fait quelque chose ! S'agissant du secteur public, je vous rappelle que j'ai entrepris de réformer le système de retraite des employés de la Sécurité sociale et ceux des banques ; qui représentaient plusieurs milliards de déficit par an. J'ai toujours pensé que le problème devait être abordé au cas par cas, On parle toujours des retraites de, la SNCF ou de la RATP, mais n'oublions pas que le problème fondamental, c'est celui des retraites des fonctionnaires et des agents publics (collectivités locales, hôpitaux), C'est très difficile d'engager des négociations là-dessus, mais il faut le faire, secteur par secteur.
Q - Faudra-t-il, selon vous, allonger l'âge de la retraite ?
S'agissant du régime général, il faudra certainement augmenter le nombre de trimestres pour avoir une retraite à taux plein, La diminution d'activité pour chacun peut être progressive et diversifiée. Tout ce qui sera diversité souplesse et décentralisation au ra mon approbation.
Q - Pour les comptes sociaux, pensez-vous qu'aujourd'hui le gouvernement est arrivé au bout de ses peines ?
Je n'en ai pas l'impression, il est vrai que les cotisations rentrent très bien et qu'il peut y avoir une bonne surprise en fin d'année encore que la branche maladie sera probablement déficitaire de 15 milliards de francs, Quelle réforme a-t-on faite ? Si on veut éviter de se retrouver dans la situation de 1993 avec plus de 100 milliards de déficit des comptes sociaux, dès que la croissance faiblit, il faut agir sur les structures en laissant les gestionnaires des caisses discuter avec les professions de santé. Je suis pour une plus grande autonomie de gestion de la CNAM, On dit que le gouvernement y pense : qu'il la mette en oeuvre.
Q - Quelles leçons tirez-vous de l'évolution du capitalisme français ? L'Etat a-t-il encore un rôle de régulation ?
L'Etat n'est pas totalement impuissant, la façon dont a été réglé cet été le problème des banques l'a montré. Dans tous les pays du monde, on s'intéresse à l'évolution de la structure des entreprises. On a longtemps dit que la mondialisation allait entraîner une uniformisation des règles. Je crois, moi, et c'est le sujet de mon livre qui est un éloge de la différence (1), qu'il y a matière encore dans les décennies qui viennent à une personnalisation des règles selon les pays. Pour renforcer les entreprises françaises, il faut leur permettre de fonctionner plus librement et d'avoir des ressources, d'où la nécessité des fonds de pension, de l'actionnariat des salariés et de la participation, ainsi que d'une fiscalité moins pénalisante et plus proche de la moyenne européenne. Inutile de se plaindre que les retraités des Etats-Unis imposent leur façon de voir aux gestionnaires de l'économie française si l'on empêche les retraités français d'en faire autant.
Q - Faut-il une régulation du système monétaire international ?
Je ne vois pas la possibilité pour l'économie mondiale de fonctionner sans un minimum de régulation monétaire. Ce qui veut dire, d'une part, soumettre les banques aux mêmes règles prudentielles, d'autre part. demander aux banques centrales d'ordonner les mouvements monétaires au sein de bandes de fluctuation. Je pars d'une idée très simple : à une économie mondiale doit correspondre un système vraiment mondial de monnaies. C'est l'objet du rapport que viens de diffuser l'association d'études économiques que j'ai créée.
Q - La droite donne actuellement l'impression de ne plus savoir où elle va, Est-ce à votre avis un problème d'organisation ou une vraie crise d'identité ?
Les deux. Pour l'organisation, il faut absolument que l'on crée à droite ce qui existe à gauche, c'est-à-dire un parti pivot. On n'y arrivera qu'au travers d'une fédération respectant les différences. Il faut aussi que la droite dise qui elle est.
Q - Avec quel projet ?
J'ai publié il y a un an une série de propositions sur l'Etat, les institutions, la décentralisation, la réforme économique, la lutte contre le chômage – avec l'idée de l'impôt négatif -, l'Europe, Toutes tournaient autour des mêmes principes : souplesse, contrat diversité, Je suis convaincu que si elle discuté des réalités en évitant de faire de l'idéologie, la droite peut se retrouver sur un projet commun.
Q - Etes-vous optimiste ?
Je veux l'être. Je ferai tout ce que je pourrai pour y concourir.
(1) « L'Avenir de la différence », Plon, 110 francs.