Interview de M. Jack Lang, président PS de la Commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, à RMC le 16 décembre 1997, sur l'attitude de la majorité plurielle sur le projet de loi Chevènement sur l'immigration, la prochaine création d'un Conseil de l'euro, les insuffisances du traité d'Amsterdam et le dernier ouvrage de M. Lang : "François 1er ou le rêve italien".

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RMC : L’opposition vient de remporter deux élections partielles dans l’Est de la France avec d’assez bons scores. Elle pense, pour ce qui la concerne, que c’est le début du réveil, est-ce que vous ne craignez pas que ce soit vrai ?

Jack Lang : Une élection qui suit une invalidation, c’est une règle générale, est toujours favorable aux députés invalidés. J’en ai l’expérience moi-même. Donc, si on veut analyser ces deux élections, il faut être très prudent.

RMC : Le débat sur l’immigration fait rage, si j’ose dire, à l’Assemblée nationale, l’opposition lutte pied à pied contre le texte du Gouvernement, est-ce qu’il fallait vraiment ouvrir ce chantier-là en ce moment, est-ce que c’était vraiment indispensable ?

Jack Lang : Nous avions promis de transformer les lois Debré-Pasqua, qui comportent des dispositions injustes et, en plus, inefficaces. Parce qu’il ne faut l’oublier, ce sont ces lois qui ont permis de fabriquer, si j’ose dire, un grand nombre de sans-papiers, sans d’aucune manière maîtriser les flux migratoires. Par conséquent, c’est un engagement que nous avions pris, il fallait le tenir.

RMC : Il est suffisamment tenu, est-ce que c’est vraiment une transformation suffisante des textes ?

Jack Lang : Certains l’auraient souhaité plus profondément réformateur et, en particulier, auraient aimé que, d’abord, les lois Pasqua-Debré soient abrogées.

RMC : Vous en faites partie ?

Jack Lang : Personnellement oui, je l’ai dit. J’aurais préféré que l’on abroge les lois Pasqua-Debré pour réformer profondément l’ordonnance de 1945. Ce n’est pas le choix du Gouvernement mais je dois reconnaitre que ce projet Chevènement comporte de nombreuses dispositions positives. Nous appartenons à une majorité et nous devons, par conséquent, solidairement voter ce texte.

RMC : À propos de majorité, elle n’est pas toujours au rendez-vous, précisément ? Beaucoup de défections.

Jack Lang : Je dois dire que, quels que soient les sentiments que l’on puisse éprouver à l’égard de tel ou tel amendement proposé par les communistes ou par les Verts – et parfois il arrive que je ne sois pas en désaccord avec l’un des amendements – finalement, j’espère que ces deux mouvements apporteront leur soutien. Une majorité n’est pas une majorité à géométrie variable en fonction des circonstances ou des projets de loi. Ces partis sont représentés au Gouvernement, cela implique, je crois, un certain nombre d’obligations vis-à-vis de la collectivité formée par cette majorité plurielle. Il ne serait pas normal que les députés socialistes soient les seuls à être solidaires du Gouvernement et que les Verts ou les communistes, qui ont des représentants au Gouvernement, ne fassent pas preuve du même esprit de solidarité.

RMC : Puisqu’on est à six mois de gouvernement Jospin, vous pensez que le Gouvernement a été dans la bonne direction et au bon rythme ?

Jack Lang : C’est un bon Gouvernement. Et le Premier ministre a révélé des qualités d’homme d’État incontestables. Et il a réussi, selon son tempérament et son style, à faire progresser les choses. Et en quelques mois, des réformes profondes ont marqué la vie nationale.

RMC : Je m’adresse maintenant au président de la commission des affaires étrangères que vous êtes. Le sommet européen de Luxembourg vient de s’achever, un conseil de l’euro a été créé, qui est quand même très loin du Gouvernement économique que la France avait désiré. Est-ce que c’est quand même une solution acceptable, pour vous ?

Jack Lang : Ce conseil de l’euro est un premier pas.

RMC : C’est ce que l’on dit toujours quand ce n’est pas bon.

Jack Lang : C’est un premier pas. Personnellement, comme vous le savez, je souhaite que le moment venu, on puisse prendre des initiatives qui aillent beaucoup plus loin. C’est clair que ce sommet n’a pas, en particulier, été en mesure d’aborder de front la question d’une relance de la construction européenne qui est pourtant vitale. Si nous voulons une Europe puissante, industriellement, économiquement, culturellement, elle doit être dotée d’organes d’impulsion qui nous font défaut. Et en particulier, il faut absolument que, le jour venu, les décisions se prennent à la majorité qualifiée. Autrement, cette Union européenne se diluera dans une sorte de magma informe. Et j’espère qu’assez vite, des initiatives seront prises pour réformer profondément les institutions européennes, de manière à la rendre plus efficace et plus populaire.

RMC : On se souvient de vos réticences au moment du traité d’Amsterdam. Robert Hue, au nom du Parti communiste, va lancer mi-janvier une pétition nationale pour demander un référendum sur ce traité d’Amsterdam. Quelle est votre position sur le traité finalement, et sur les échéances politiques qui vont venir ?

Jack Lang : Ce traité est un traité assez modeste, qui n’apporte aucune réponse vraie à cette question que j’ai posée : comment redonner souffle, vigueur et élan à l’Union européenne pour que l’Europe devienne une vraie grande puissance ? Le traité d’Amsterdam n’y répond pas. Quant à la question de la ratification, qui se posera seulement d’ici quelques mois, elle recevra une réponse positive ou négative selon que, dans l’intervalle, la France et les autres pays auront été en mesure de prendre des initiatives fortes qui permettront de débloquer la situation. Comme vous le savez, je propose que, pour débloquer la situation, les pays se mettent d’accord pour choisir un comité de personnalités indépendantes qui, pendant quelques mois, rencontreraient les uns et les autres de manière à proposer une solution ingénieuse qui redonnerait force et élan à l’Europe.

RMC : Est-ce qu’il faut changer la loi sur la drogue, en France ?

Jack Lang : Je crois qu’il ne faut pas commencer par poser la question en ces termes. En tout cas, ce qui est important c’est qu’on en finisse avec l’hypocrisie et la tartuferie ! Je crois souhaitable qu’un vrai débat national permette à tous les spécialistes, éducateurs, policiers, animateurs, responsables, médecins, de pouvoir librement discuter de ce sujet, car si on continue à se mettre la tête sous l’oreiller, à faire la politique de l’autruche, pendant ce temps-là, les trafiquants de drogue vont continuer à mener leurs actions, des jeunes s’abandonneront à des drogues dangereuses qui « bousilleront » leur santé. Le pire ennemi, dans ce domaine, c’est l’hypocrisie donc je propose qu’enfin, une vraie table ronde permette de discuter de ces sujets, d’imaginer des solutions de prévention, de cure aussi, et de lutte contre les trafiquants. Cessons d’être, sur ce sujet, aussi Tartufe.

RMC : Un mot sur le François Ier que vous venez de signer aux éditions Plon. Est-ce que vous êtes nostalgique ? Est-ce que c’était une France qui était plus belle qu’aujourd’hui ?

Jack Lang : Je suis très heureux de vivre aujourd’hui, mais je constate simplement que cette période de la Renaissance a été la première mondialisation. Les découvertes, l’imprimerie, tout cela a apporté au pays un oxygène, une vitalité, une effervescence étonnante. Et d’une certaine manière, nous vivons en ce moment une deuxième mondialisation.

RMC : Mais qui est moins renaissante que la première, que celle de François Ier ?

Jack Lang : Ce qu’il faut espérer c’est que les nouvelles technologies soient la source d’une nouvelle renaissance précisément et je regrette, en particulier, pour revenir à l’Europe, que nous soyons aussi incapables aujourd’hui de construire l’Europe de la jeunesse, l’Europe de l’innovation, l’Europe de l’imagination. Comment faire pour que, précisément, l’Europe puisse être l’Europe d’une nouvelle renaissance intellectuelle, artistique, scientifique et industrielle ?

RMC : Il manque François Ier et l’Italie, non ?

Jack Lang : Alors, il faudrait que le François Ier d’aujourd’hui se dresse.