Discours de M. André Bergeron, secrétaire général de FO, sur le maintien des garanties sociales face à la politique de rigueur, à Vincennes le 5 octobre 1985, publié dans "FO hebdo" le 9 octobre 1985.

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Circonstance : Fête de Force ouvrière les 5 et 6 octobre 1985, pelouse de Reuilly à Vincennes

Média : FO Hebdo

Texte intégral

Mes chers camarades, c’est pour moi, croyez-le bien, une grande joie de me retrouver avec vous tous, à l’occasion de notre fête annuelle. Si nous l'avons baptisée "Fête de l'amitié", c'est parce que nous savons bien que rien de ce que nous avons accompli n’aurait pu l’être si nous n’avions pas cultivé ce qui est – et qui doit demeurer – une des caractéristiques essentielles de notre confédération. Sans cela nous n’aurions pu, sans dommage, traverser toutes les épreuves, franchir les obstacles de toutes sortes qui ont jalonné notre route tout au long de notre déjà longue histoire.

Nous avons su maintenir notre unité

Mes chers camarades, si nous avons maintenu notre unité interne c’est parce que nous avons su demeurer tolérants. C’est parce que nous sommes demeurés fidèles à l’enseignement de celles et de ceux qui, comme Rosa Luxembourg, disaient que la liberté c’était toujours le droit, pour les autres, de penser autrement. Si nous avons solidement préservé notre unité c’est aussi parce que nous avons su résister à la tentation de l’organisation de tendances, de chapelles, de courants politiques, philosophiques ou religieux. Si tel n’avait pas été le cas, ces tendances, s’opposant finalement les unes aux autres, auraient cassé notre mouvement.
Ce souci du maintien de notre unité explique pourquoi je n’ai jamais accepté - et je n’accepterai jamais – que dans notre confédération on classe les uns parmi les bons et les autres ailleurs.

Nous ne donnerons pas de consigne de vote

C’est pour les mêmes raisons que, lors des élections législatives ou autres, nous nous sommes toujours refusés à donner quelque consigne de vote que ce soit. Telle sera notre attitude en mars prochain. J’attends de vous tout le respect rigoureux de ce principe. En tant que citoyennes ou que citoyens vous ferez ce que bon vous semblera. Dans le secret de l’isoloir, vous vous prononcerez selon vos convictions. Durant la campagne, si à titre personnel, vous êtes amenés à prendre position – d'une manière ou d’une autre – vous ne devrez jamais vous prévaloir de Force ouvrière.

Cela est d’ailleurs conforme à nos traditions, à nos statuts et aux résolutions de nos congrès. 
Je vous connais et je vous fais totalement confiance.

Le syndicat ne peut être que le syndicat

Notre souci de préservation de notre unité ne signifie pas que nous aspirons à je ne sais quel unanimisme terne, morne et stérilisant. Nous avons voulu que notre confédération soit le lieu de rassemblement de femmes et d’hommes libres, heureux d’être ensemble, acceptant leurs différences sur les plans politique, philosophique ou religieux, mais réunis sur l’essentiel par un attachement profond à la démocratie et à la liberté, au respect de la dignité des gens, et résolus à se battre pour la justice sociale.

Mes chers camarades, l’importance de notre rassemblement de cet après-midi montre que Force ouvrière se porte bien et que la confédération n’est pas trop contaminée par le virus de “la crise du syndicalisme”.

Le 12 septembre, à l’émission de télévision “L’Enjeu”, à laquelle j’ai participé en compagnie de MM. Pierre Bérégovoy et Yvon Gattaz, on a beaucoup épilogué à partir d’un sondage révélant que l’opinion publique souhaite qu’en général tout change, tout bouge et que le syndicalisme doit, lui aussi, s’adapter aux réalités nouvelles, faute de quoi il mourra. Je ne suis pas sûr que la majorité de ceux qui souhaitent “le changement”, comme l’on disait avant mai-juin 1981, savent exactement ce qu’ils veulent. Je me demande si tout cela n’est pas le fruit de la fantastique campagne – reprise et amplifiée par les médias – et qui manifestement tend à discréditer le mouvement syndical et, finalement, à le couper de l’opinion.

Selon les affirmations des uns et des autres, le mouvement syndical est jugé passéiste, conservateur ou sclérosé. Au mieux, on le juge inutile et, au pire, dangereux ! Je veux dire –du haut de cette tribune – à ceux qui, du côté patronal et ailleurs, inspirent cette campagne, qu’ils endossent une “sacrée responsabilité”, dont ils risquent fort – avant longtemps – de se mordre les doigts.

Le syndicalisme est, en effet, l’interlocuteur naturel des gouvernements et des organisations d’employeurs. Sans lui, il ne saurait y avoir d’équilibre social. Je dirais même qu'il ne saurait y avoir de démocratie véritable.

Dans le même esprit, avec la plus grande fermeté, et de toute la force de ma conviction, je veux dire, aux uns et aux autres, que nous combattrions tous ceux, quels qu’ils soient, qui mettraient en cause le monopole syndical pour le premier tour de l’élection des délégués du personnel et aux comités d’entreprise ! Nous connaissons l’objectif réel visé par les inspirateurs de ceux qui, périodiquement, remettent la question sur le tapis ! 
Contrairement à ce qu’ils affirment, il ne s’agit pas de démocratie et de liberté, mais de réduire le rôle et les possibilités du syndicalisme traditionnel. Il s’agit de favoriser la prolifération de listes de candidatures d’inspiration patronale et, finalement, de groupements qui n’auraient de syndical que le nom. Seulement, à plus ou moins long terme, tout cela compliquerait davantage encore le contexte syndical français et les résultats iraient exactement à l’inverse de ce qu’on prétend souhaiter.

Cela dit, il est évident que les récentes initiatives de la CGT et du Parti communiste donnent des arguments à ceux qui cherchent à réduire le mouvement syndical. C’est pourquoi nous les avons catégoriquement condamnés. Il en sera de même dans l'avenir.

Mes chers camarades, pour en revenir au rôle du mouvement syndical, permettez-moi de déclarer, une fois encore, comme le disait notre regretté Robert Bothereau “que le syndicat ne peut être autre chose que le syndicat".

Préserver ce qui est sa raison d’exister

Personne n’a jamais dit que les méthodes du syndicalisme, que ses appréciations ou que ses propositions et moyens d’action étaient figés pour l’éternité. Personne ne conteste – en tout cas pas nous – qu'il convient de les adapter aux réalités du monde qui change, à l’évolution des technologies, des méthodes d’organisation du travail et aux mentalités et, tout simplement, parce qu’on n’est plus au début de l’ère industrielle. Mais, fondamentalement, le syndicalisme ne peut que demeurer l’endroit où se rassemblent celles et ceux qui prennent conscience de la nécessité de défendre ensemble leurs intérêts matériels et moraux.
Qu’on me pardonne – en particulier du côté des sociologues de tous poils – mais les militants syndicaux ne sont pas ignares, ni aveugles, ni sourds et moins encore conservateurs ou rétrogrades. Mais ils entendent préserver ce qui est leur raison d’exister, c’est-à-dire la possibilité de ceux qu’ils représentent. 

La baisse du pouvoir d’achat

Je n’ai pas l’intention de m’inscrire dans le débat actuellement engagé entre la majorité et l’opposition sur les mérites comparés des politiques économiques d’avant et d’après mai-juin 1981, ou sur le bien-fondé du “grand tournant” de la politique gouvernementale de 1982 et de 1983. La confédération a naturellement une opinion. Notre congrès l’a fait connaître.

Ce qui est certain c’est que le pouvoir d’achat a baissé en 1983, puis de nouveau en 1984. Au total, pour les deux ans, le tassement est, dit-on, de 1,4 %. Sans doute la tendance persistera-t-elle cette année. Il s’agit naturellement d’un pourcentage moyen, il masque de très fortes disparités. Tout le monde sait, en effet, que la réduction du pouvoir de consommation est plus importante dans les régions à faible densité industrielle ou dans les branches en difficulté que dans les autres. 

Une partie de bras de fer sans fin

Mes chers camarades, vous connaissez les arguments invoqués pour justifier les politiques “de rigueur” en France comme dans la plupart des pays industrialisés. L’objectif visé est l’accroissement de la compétitivité des produits manufacturés qu’on cherche à exporter. Comme les salaires et les charges sociales sont des éléments importants dans la constitution des prix de revient, on freine l’évolution des premiers et on essaie de réduire les autres. Par ailleurs, on cherche à favoriser la modernisation des équipements. C’est le problème des investissements. Tout le monde peut constater que tous les pays industrialisés – en particulier en Europe occidentale – sont engagés dans la même bataille dont ils sortent tantôt vainqueurs, tantôt vaincus. 

Il s’agit d’une sorte de partie de bras de fer, sans fin, puisque les résultats obtenus par les uns deviennent aussitôt l'objectif visé par les autres. Et ainsi de suite.

Nous demeurons attachés à l’idée des Etats unis d’Europe

De ce fait, les résultats pouvant être atteints dans un pays sont vite neutralisés du fait des efforts accomplis par ses partenaires commerciaux.

C’est pourquoi nous demeurons plus que jamais persuadés que le salut – si salut il doit y avoir – ne peut résulter que d’une meilleure coopération entre les nations.

C’est pourquoi nous réaffirmons sans cesse notre attachement à l’idée des États unis d’Europe. C'est pourquoi nous sommes convaincus que, plutôt que de se résigner à une éternelle “bataille au couteau”, opposant sauvagement les manufacturiers les uns aux autres, mieux vaudrait tenter de s’engager progressivement dans la voie de l’organisation des productions et de leur distribution. Et, à ceux qui nous diront qu’une telle politique aggraverait les conséquences des mutations, ou accélérerait les restructurations industrielles, nous répondrons que les difficultés existent et qu’on a de plus en plus de mal à les surmonter.

Nous leur dirons que le combat actuellement en cours aboutit à l’écrasement des faibles par les forts surtout qu’en l’état présent de l’industrie française, les forts sont malheureusement le plus souvent ailleurs que chez nous !

Il s’agit du devenir de la démocratie et de la paix

Il se peut que l’on nous juge utopistes. Nous ne le sommes pas ! Au contraire ! L’idée des États unis d’Europe est née il y a plus d’un siècle ! Après la guerre, on a un moment pu penser qu’elle allait s’inscrire dans les faits. Il n’en a malheureusement rien été. Tout démontre pourtant qu’il faudrait faire de l’Europe cette entité économique, monétaire, industrielle et sociale dont nous avons si souvent parlé ! Cela suppose une volonté politique prenant racine dans – et résolument supportée par – l'opinion publique !

Aujourd’hui, tel n’est pas le cas. Il ne faut pas pour autant baisser les bras !  Le monde ne s’est pas fait en un jour ! Si nous ne pouvons nous mettre à la place des gouvernements, nous avons la possibilité – et le devoir – de crier notre message, de dire aux jeunes qu’il en va de leur avenir et, aussi, de celui de la démocratie et de la paix.

Ont-ils autant raison qu’ils le disent ?

Cela dit, le bien-fondé des politiques “de rigueur” est-il aussi évident qu’on le prétend ? Le Premier ministre, le mois dernier, s’est réjoui du ralentissement de l’inflation. Nous nous en réjouissons aussi ! En effet, à moins d’être fous, je ne vois pas pourquoi nous dirions le contraire. Seulement, comme l’ont - à juste titre – fait remarquer quelques commentateurs de l’actualité économique, ces résultats ne sont pas sans contrepartie. Il faut, en effet, objectivement rappeler que si la hausse des prix était plus forte, de 1974 à 1980, la France était championne de la croissance économique puisque, durant cette période de six ans, elle a progressé de 20 %. Cette croissance permettait de créer des emplois. Or, aujourd’hui, le chômage n'en finit pas d'augmenter.

Nous n’avons jamais nié la crise économique, sa gravité et sa dimension. Nous n’avons jamais contesté la nécessité d’accroître les exportations. Seulement, les moyens mis en œuvre pour équilibrer les échanges extérieurs ne conduisent-ils pas à trop négliger le marché intérieur ? Les sacrifices imposés aux salariés – donc aux consommateurs – et leurs conséquences sont-ils forcément contrebalancés par les résultats obtenus dans le domaine des exportations ?

Ne pas briser l’équilibre social

Et puis, mes chers camarades, je demeure persuadé que rien ne peut être durablement acquis, ni sur le plan économique, ni sur les autres, si on ne préserve pas l’équilibre social. Or, comment voulez-vous qu’il ne soit pas – tôt ou tard – en question ? L’expérience nous a en effet appris que les périodes de stagnation sociale – quand ce n’est pas de régression – sont toujours suivies de réactions qui, très vite, peuvent devenir incontrôlables.

C’est pourquoi nous ne cessons d’alerter nos interlocuteurs gouvernementaux et patronaux sur la nécessité de préserver la politique contractuelle, à la fois en tant qu’instrument de progrès social et qu’élément de stabilité. Il se pourrait que l’on mesure l’importance de la question durant la période qui s’écoulera entre les législatives et l’élection présidentielle.

Le gouvernement ne veut pas changer de politique

Mes chers camarades, à “L’Heure de vérité”, Laurent Fabius a déclaré que le gouvernement ne changerait pas de politique avant les élections. Les négociations salariales demeureront donc aussi difficiles. Nous ne baisserons pas les bras pour autant ! Nous poursuivrons résolument notre combat pour défendre le pouvoir d’achat, sans démagogie, mais avec fermeté, persuadés que nous sommes qu’on est en train de dépasser la mesure !

Ne touchez pas au SMIC

Mes chers camarades, les difficultés auxquelles nous sommes confrontés ne concernent pas seulement les salaires et le pouvoir d’achat. La crise économique – et peut-être aussi l'approche des élections législatives – suscitent, dans certains milieux, une frénésie “de changement”. On veut tout mettre en cause : le SMIC, la protection sociale, les règles en matière d’embauche et de licenciement. La “flexibilité” devient une sorte de potion magique !

Pour ce qui est du salaire minimum, après avoir mis en cause l’indexation des salaires sur les prix, voici qu’on commence à s’interroger sur les inconvénients générés par le SMIC. Il y a quelques mois, lors d’un entretien avec les dirigeants du CNPF, ceux-ci ont démenti les intentions qui leur avaient été prêtées. Ils nous ont, toutefois, fait observer que l’obligation faite aux entreprises de payer les jeunes au niveau du salaire minimum freinait l’embauche et, par conséquent, contribuait à la dégradation de l’emploi. Nous leur avons répondu que la formation en alternance – que nous avons acceptée – répondait, au moins en partie, à cette préoccupation, mais que nous n’accepterions pas d’aller au-delà.

La campagne anti-SMIC ne s’est pas interrompue pour autant, non seulement dans les milieux patronaux, mais aussi sur le plan politique. L’Union patronale des industries métallurgiques et minières a, récemment, ironisé autour de “cette intention – celle du salaire minimum – que tout le monde nous envie, mais qu’on se garde bien d’imiter”. Et elle ajoutait – il faut le faire – que “c’est dans les pays socialement les moins évolués qu’on trouvait les formules de salaire minimum garanti”. 

Un racisme anti-jeune

M. Michel Drancourt, dans un récent article publié par Le Quotidien de Paris, a été, à propos du SMIC, jusqu’à parler de “racisme anti-jeune". Selon lui, en maintenant le SMIC, on condamne beaucoup de jeunes au chômage. On les embaucherait plus facilement si on les payait moins. Outre que l’on ne sait pas ce que cela donnerait dans la pratique, M. Drancourt oublie qu’il n’y a pas que les jeunes. Beaucoup d’autres salariés en sont là, dans le commerce, dans le bâtiment et dans les régions à faible densité industrielle. 

Et lors de l’émission de télévision “L’Enjeu”, M. Yvon Gattaz a été beaucoup moins nuancé que lorsque nous l’avions rencontré. Certes, il a réaffirmé que le CNPF ne demandait pas la suppression du salaire minimum, mais son “aménagement”, par négociation collective, en accord avec les partenaires sociaux. M. Yvon Chotard a, le lendemain, dit grosso modo la même chose dans une interview au Figaro.

Et si la négociation n’aboutit pas ?

Seulement, qu’adviendrait-il, ai-je demandé au président du patronat, si la négociation pour déterminer le montant du SMIC n’aboutissait pas ? Et, si d’aventure elle aboutissait, on imagine les réactions des jeunes actuellement payés au niveau du SMIC et dont on réduirait le salaire ?

Nous ne sommes pas les seuls à être préoccupés par cette affaire. M. Paul Fabra a eu tout à fait raison d’écrire récemment dans Le Monde qu’en mettant en cause le SMIC, on prendrait le risque de vider de sa substance l’idée de la nécessité, à chaque époque – et dans chaque pays –, d’un revenu minimum correspondant aux habitudes de consommation et aux mœurs ambiantes.

Une morale

Il ajoutait – et je pense comme lui – qu'il s’agit là d’un élément moral, puisque le SMIC correspond à un niveau de rémunération en dessous duquel un contrat de travail est inacceptable. “Cette conception, ajoutait encore M. Paul Fabra, a le mérite de montrer que la détermination du salaire ne saurait seulement dépendre de la loi de l’offre et de la demande.” 
Il a mille fois raison.

En effet, mes chers camarades, vous savez les difficultés auxquelles vous vous heurtez lors des négociations salariales. Les accords deviennent de plus en plus difficiles à réaliser et sont, par conséquent, de moins en moins nombreux. Imaginez ce qu’il adviendrait si le SMIC n’existait pas, notamment dans les régions à faible densité industrielle.

C’est pourquoi je suis totalement en désaccord avec Paul Marchelli qui, dans un entretien avec Michel Noblecourt, souhaite, comme le CNPF, que le SMIC relève de la responsabilité des partenaires sociaux sans aucune intervention des pouvoirs publics.

Nous avons toujours combattu les excès de l’interventionnisme étatique et priorisé la négociation collective. A cet égard, nous sommes insoupçonnables ! Mais, en la circonstance, il ne s’agit pas de cela !

Chacun imagine ce qui se passerait, aujourd’hui, si le SMIC relevait de la seule négociation collective ! Dans le climat actuel marqué par la proximité des élections, sous la pression fantastique des entreprises, notamment petites et moyennes, le CNPF et la CGPME seraient dans l’incapacité de proposer quoi que ce soit pouvant être accepté par les syndicats. Alors, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, puisque l’échec des discussions serait certain, qu’adviendrait-il ? Que ferait-on ? Par quoi remplacerait-on le SMIC dont on aurait dressé  l’acte de décès ?

Non, mes chers camarades, nous devrons nous opposer résolument à toute mise en cause du salaire minimum.

Mise en garde solennelle

Lors de sa prestation télévisée du mois dernier, M. Laurent Fabius a confirmé les assurances qu’il nous avait données en juin, à savoir que le gouvernement n’avait nullement l’intention de toucher au SMIC. Avant les congés, j’ai rencontré les leaders de l’opposition pour leur faire savoir notre résolution. Je pense qu’ils m’ont écouté.

En tout cas, je veux, cet après-midi, du haut de cette tribune, déclarer solennellement, à l’intention de tous, que nous ne laisserions pas mettre en cause ce qui demeure une des pierres angulaires de l’édifice de la protection sociale dans notre pays.
J’appelle les salariés à la vigilance !

Il vaut mieux crier maintenant ce que je viens de dire, plutôt qu'être contraints de lutter demain pour rebâtir ce que l'on aurait détruit. Et, dans une affaire comme celle-là, que le patronat, le gouvernement et les dirigeants des partis de la majorité, comme de l’opposition, soient persuadés que les salariés ne se laisseraient pas faire !

La flexibilité

Mes chers camarades, je ne veux pas revenir, dans le détail, sur l’affaire dite de “la flexibilité”. Si la négociation de décembre dernier a échoué, la campagne engagée à cet égard se poursuit. Elle déborde même désormais largement sur le plan politique et nourrit les commentaires que vous savez. Le lundi qui a précédé sa prestation à “L’Heure de vérité”, j’ai vivement conseillé au Premier ministre de ne pas annoncer d’initiative gouvernementale dans ce domaine, convaincu que je suis que, si des problèmes se posent, ils ne pourront être résolus que par la négociation collective. Nous avions tenu le même langage à M. Michel Delebarre. A l'un et à l'autre je donne acte, sur ce plan, qu’ils nous ont écoutés et entendus.

Lors de l’émission télévisée “L’Enjeu”, j’ai indiqué au président du Conseil national du patronat français que, contrairement à ce que l’on tente d’accréditer dans l’opinion publique, nous n’étions pas fermés à toute idée d’adaptation de certaines des règles actuellement en vigueur. Nous l’avons d’ailleurs démontré en approuvant, par exemple, les décisions du gouvernement concernant les contrats à durée déterminée.

Il faut des règles

Seulement, j’ai fait observer à M. Gattaz qu’il en était de la collectivité des employeurs comme de toutes les collectivités. Certains chefs d’entreprise se conduisent bien et d’autres moins bien ! Or, ai-je ajouté, comment voulez-vous que les salariés victimes de l’arbitraire puissent obtenir justice si eux, ou leurs syndicats, ne disposent plus de règles sur lesquelles ils pourront s’appuyer ?

Vous vous souvenez que M. Yvon Gattaz, lors de cette émission, m’a proposé que “le CNPF et les syndicats choisissent ensemble – je le cite – un organisme indépendant qui pourrait étudier la possibilité de créer de nouveaux emplois par allégement des contraintes par des flexibilités nouvelles”.

J’ai dit non, parce que je suis persuadé que cela n’aurait mené nulle part et aussi parce qu’à mes yeux, il eût été dangereux d'user de telles pratiques manifestement étrangères aux traditions de la négociation collective.

Et, indépendamment du problème de fond, il est sûr que le document élaboré par l’organisme dont a parlé M. Gattaz serait rapidement venu sur la place publique. Les commentaires qu’il aurait suscités auraient inévitablement créé un climat du type de ce que l’on a connu en décembre dernier et provoqué, à coup sûr, l'échec de ces nouvelles négociations.

L’autorisation administrative en cas de licenciement

En réalité, le CNPF souhaite la suppression de l’autorisation administrative en cas de licenciement. M. Gattaz m’avait un jour demandé, en privé, si nous accepterions une réduction des délais. Je lui avais répondu que l’affaire méritait d’être examinée, mais que nous ne pourrions accepter la suppression pure et simple de cette autorisation, parce que nous redoutions qu’à court et moyen terme – dans un premier temps – il en résulte une vague de suppressions d’emplois que certains ont estimé – en dehors du mouvement syndical - à 300 000 ou 400 000. 

Et puis, mes chers camarades, nous devons nous dresser contre la campagne actuellement en cours, selon laquelle le mouvement syndical, et en particulier Force ouvrière, parce qu’il refuserait les assouplissements jugés nécessaires, serait responsable de la dégradation de l’emploi.

Comment aurions-nous pu réagir autrement que nous l’avons fait alors que beaucoup de chefs d’entreprise estiment nécessaire ce qu’ils appellent “les dégraissages”. Nous ne pouvions accepter qu’on démolisse brutalement ce qui endigue, d’une certaine manière, le flot des suppressions d’emplois. La question n’est pas seulement économique ou statistique étant donné les conséquences sociales et humaines qui en découlent.

Et cela ne veut naturellement pas dire que nous nions les difficultés qui, tous les jours, surgissent ici ou là ! Les observateurs de l’actualité savent bien que c’est exactement le contraire.

Les contrats formation-reclassement

L’affaire des contrats-formation-reclassement révèle à quel point on déforme la réalité. 
Rappelez-vous, après l’échec des négociations sur la “flexibilité”, nous avons demandé au CNPF l’engagement d’une négociation en vue d’étendre à l’ensemble des salariés victimes des licenciements économiques, les garanties appliquées dans la sidérurgie, la construction navale ou l’automobile. On a frôlé l'accord. Finalement tout a échoué pour d'obscures raisons qui ne sont peut-être pas celles que l’on croit.

Lorsque nous avons rencontré le ministre du Travail, nous lui avons dit souhaiter que le problème soit résolu par négociation collective, mais que si l’accord s’avérait impossible, il faudrait bien recourir à la loi.

Alors, on a dit que j’avais sacrifié la politique contractuelle sur l’autel de mon amitié avec Michel Delebarre. Or, la réalité n’avait rien à voir avec cela. La vérité, tout simplement, est que dans la mesure où l’accord s’avérait impossible – et pas de notre fait – comment aurions-nous pu nous contenter de prendre acte de la situation, comment aurions-nous pu baisser les bras, étant donné que des milliers de gens attendaient cette garantie et nous le faisaient savoir !

Les chômeurs en fin de droits

Mes chers camarades, nous nous sommes trouvés dans une situation un peu analogue – d'une autre manière – dans l’affaire des “chômeurs en fin de droits".

Depuis des mois, nous menions campagne pour obtenir l’amélioration de leur situation. Vous avez diffusé, à un million d’exemplaires, ma “lettre au Président de la République”, dans laquelle nous expliquions qu’il n’était pas possible de vivre avec 40 F par jour ! Je suppose que tout le monde conviendra qu’en la circonstance, nous ne faisions pas de démagogie !

A la suite d’un entretien avec M. Mitterrand et d’une délégation du bureau confédéral auprès du Premier ministre, le gouvernement a porté de 120 000 à 180 000 anciens francs l’allocation de solidarité relevant de la responsabilité de l’État. 115 000 personnes, je crois, étaient concernés.

Mais demeurait posé le problème des 330 000 “allocataires de fin de droits” dépendant des ASSEDIC.

Nous nous sommes donc adressés au CNPF en proposant que les 0,2 % de cotisation, nécessaire au financement de l’alignement de ces allocations sur celles de l’État, soient supportés, moitié-moitié, par les entreprises et par les salariés. La charge supplémentaire pour les entreprises n’était pas de nature à les mettre en difficulté. Et l’enjeu social était de taille ! 
On nous a pourtant opposé un refus catégorique ! Que fallait-il faire ? Là encore nous contenter de constater l’impasse et renoncer ? Ce n’était évidemment pas possible ! Comme je l’ai déclaré un jour à la télévision : “Nous nous serions déshonorés !”

Nous avons donc pris la responsabilité de proposer que les 0,2 % soient mis à la charge des seuls salariés. C’était un acte de solidarité nécessaire. Si nous ne l’avions pas accompli, je me demande dans quelle mesure nos discours auraient encore un sens. Malgré cela, et il nous était vraiment difficile de faire plus, ne croyez pas que la chose se soit faite facilement ! C’est le contraire ! Mais finalement, l’allocation des 330 000 ressortissants de l’assurance chômage a été, à peu de chose près, alignée sur celle de l’État !

La leçon à tirer de la conclusion de ce combat est qu’il ne faut jamais renoncer. Ne l’oubliez pas, mes chers amis, surtout durant les périodes du genre de celle que nous vivons ! Et puis, je veux dire aux chômeurs qu'eux aussi doivent se manifester en se groupant dans les associations Force ouvrière. Ils y seront bien accueillis, et surtout aidés. On ne les abreuvera pas de discours qui ne veulent rien dire, mais on les associera au combat qui est celui de tous les travailleurs.

Préserver la protection sociale collective

Mes chers camarades, si nous nous opposons à la destruction des règles en matière d’embauche et de licenciement (du Code du travail), si nous voulons sauver le salaire minimum, si nous combattons ce qui par enchaînement mettrait en cause le syndicalisme traditionnel, si nous revendiquons le maintien du pouvoir d’achat, si nous regrettons le dépérissement de la politique conventionnelle, si nous estimons enfin qu’il convient de s’engager progressivement – par négociations collectives – dans la voie de la réduction progressive du temps de travail, nous entendons aussi, et peut-être surtout, préserver notre système de protection sociale.

C’est vrai pour l’assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire comme pour la sécurité sociale.

Les retraites complémentaires

S’agissant des retraites complémentaires, nous avons récemment été alertés par le contenu d’un texte – dont la presse a fait état  – et qui émanait des services du ministère des Affaires sociales. Nous avons immédiatement réagi. Finalement, il semble que tout danger soit écarté. 
Assurance nous en a, en tout cas, été donnée, aussi bien par Mme Dufoix que du côté de l'Hôtel Matignon.

Le devenir de l’UNEDIC

Et puis, il y a le problème du financement de l’assurance chômage dont nous voulons préserver le caractère d'institution conventionnelle à gestion paritaire. Des négociations sont actuellement en cours pour tenter d’équilibrer les comptes de l’UNEDIC dont le déficit “du compte d’exploitation” – si je peux ainsi m’exprimer – atteindra sans doute 3 milliards 500 millions à la fin de cette année. Il faut, de plus, faire face, tous les mois, à des difficultés de trésorerie portant sur des sommes considérables gravitant – durant un nombre de jours de plus en plus important – autour des 3 milliards. Il faut alors faire appel aux banques et, naturellement, payer des intérêts qui représentent, eux aussi, une charge considérable pour le régime.

Tout le monde sait bien que tout cela n’a rien de scandaleux, mais résulte de l’augmentation du chômage. Le nombre des allocations des ASSEDIC a, en effet, augmenté de 13 % en un an. A cet égard, je ne pense pas – en tout cas pour le court et le moyen terme – qu’on puisse espérer une amélioration de l’emploi. C’est tout le contraire étant donné la quantité des postes qui disparaissent, qui est beaucoup plus importante que le nombre de ceux qui naissent ailleurs.

En plus du paiement de ses ressortissants, l’UNEDIC doit rembourser le reliquat d’une dette de 12 milliards dont il subsiste 10 milliards-10 milliards et demi.
Vous vous souvenez que, durant l’été, j’ai demandé au ministre de l’Économie et des Finances d’échelonner davantage les remboursements et, mieux encore, de prendre en charge l’intégralité de la dette. Je viens de renouveler ma démarche. Le CNPF et les confédérations syndicales, à l’occasion des négociations actuellement en cours, sont intervenus dans le même sens.

A tout prix éviter l’échec

Tout doit être mis en œuvre pour qu'un accord se fasse. Si par malheur la négociation échouait, c’est la nature même du régime d'assurance chômage qui serait en cause. Il risquerait fort, en effet, de tomber sous la coupe de l’État. A cela, personne n’aurait rien à gagner : ni les entreprises ni les salariés, et moins encore les chômeurs. 

La discussion est difficile parce que du côté patronal – en tout cas jusqu’à maintenant – on refusait toute idée d’augmentation de la cotisation des entreprises. Il faudra pourtant bien que l’on en passe par là. L’atténuation ou la suppression de la dette de l’UNEDIC faciliterait grandement les choses. 

Il faut également que le CNPF et la CGPME comprennent qu’on ne pourra plus accepter la réduction de prestation comme nous l’avons fait avec d’autres, il y a deux ans, pour tenter de sauver le régime. Nous ne refusons pas certaines amodiations de détail, mais plus sur l’essentiel.

De toute manière, le moment venu, et si les difficultés laissaient craindre un échec des négociations, je ferais des propositions dont, pour l’instant, je ne veux pas parler !

Ne contribuons pas à détruire ce que nous avons construit

Et puis – comme l’an dernier – je veux vous demander de prendre garde de vous associer à la campagne insidieusement menée et qui tente d’accréditer l’idée que “tous les chômeurs sont des fraudeurs". Bien sûr que l'on découvre de temps en temps des bricoleurs. Bien sûr que certains allocataires acceptent parfois quelques occupations. Mettez-vous à leur place. Ce n’est pas drôle d'être condamné à vivre avec des ressources diminuées et, en plus, de rester sans rien faire avec le sentiment d'être devenu “inutile”. Mais, mes chers camarades, je vous en prie, ne contribuons pas à détruire ce qui a été bâti au fil des ans !

J’espère que les difficultés réelles – dont je ne conteste pas la dimension, notamment pour les entreprises – n’empêcheront pas l’accord qui permettra de sauver l’UNEDIC et les ASSEDIC, qui, nous ne le répéterons jamais assez, sont une des pièces maîtresses de l'édifice de protection sociale français. Nous disons souvent que le chômage – en particulier celui des jeunes – peut, à terme, et par enchaînement, mettre en cause l’équilibre social et la démocratie. Cela serait encore plus vrai si ceux qui ont le malheur de perdre leur emploi étaient encore moins indemnisés qu’ils le sont. 

La Sécurité sociale

Mes chers camarades, vous êtes au courant de la controverse qui nous oppose au gouvernement au sujet des comptes de la Sécurité sociale. J’avoue ne pas comprendre pourquoi les pouvoirs publics s’évertuent à démontrer que l’institution terminera l’année avec un léger solde positif et, de plus, un volant de trésorerie de l’ordre de 20 milliards de francs. 
Et, de ce fait, ils affirment que la situation, en 1986, sera beaucoup moins difficile que nous le disons.

Je voudrais bien que tel soit le cas. Malheureusement – vous le verrez – l'optimisme de Mme Dufoix sera forcément démenti par les faits. Il faut d’abord avoir à l’esprit que le gouvernement dispose de nombreux moyens pour gonfler la trésorerie à un moment donné. 
Mais l’essentiel, ce qui compte, c’est que j’ai appelé “le compte d’exploitation”, c’est-à-dire, d’un côté le produit des cotisations et, de l'autre, celui des prestations.

Je vous donne un exemple fort significatif : le 27 août, Mme Dufoix et Pierre Bérégovoy se félicitaient que la trésorerie ait atteint 44 milliards. Quatre jours plus tard elle était retombée à 35. Cela n’a rien d’étonnant lorsqu’on sait que le montant des prestations servies chaque jour par la Sécurité sociale est de l’ordre de 2 milliards et demi. Il suffit donc de décaler de quelques jours le paiement de ce qui est dû par la Sécurité sociale pour disposer d’un volant de trésorerie qui peut faire illusion à un moment donné, mais certainement pas longtemps.

C’est pour cela qu’on a retardé le paiement des allocations familiales et que l’on recommanderait aux caisses d’assurance maladie de ne pas payer tout de suite la dernière mensualité du budget global aux hôpitaux, qui n'ont pas besoin de cela. Dans le premier cas, cela produit un volant de trésorerie de 2 à 3 milliards et, dans le second, de 3 à 4 milliards. Je pourrais vous citer d’autres exemples du même genre.

Ces pratiques expliquent pourquoi, durant l’été, j’ai écrit à Mme Dufoix que le débat sur la situation financière de la Sécurité sociale laisse une impression de malaise et que les chiffres avancés par les pouvoirs publics manquent manifestement de clarté et même de sincérité.

Les difficultés de la Sécurité sociale ont des causes multiples. Une des principales résulte de la crise économique et du chômage. Le ministre des Affaires sociales indiquait récemment qu'il en coûtait 50 milliards par an à l’institution, c’est-à-dire quatre fois le montant de la contribution exceptionnelle de 1 % (qui a été supprimée) ou la moitié du coût de l'hospitalisation. Par ailleurs, on constate un déséquilibre de plus en plus accentué entre, d’une part, le nombre de ceux qui perçoivent les prestations en versant des cotisations et le nombre de ceux qui les perçoivent aussi, mais sans cotiser. Cela provient du fait que les jeunes vont à l’école plus longtemps qu’avant, qu’on a, dans des formes diverses, avancé l’âge de cessation définitive d'activité et, enfin, heureusement, parce que la durée moyenne de la vie humaine s’est allongée. Il faut aussi tenir compte des charges supportées par les régimes de salariés (maladie et vieillesse) pour le compte des régimes de non-salariés. Les difficultés financières de la Sécurité sociale résultent aussi de l’évolution de l’efficacité et du coût des techniques médicales et du fait que les gens se soignent mieux qu’autrefois. C’est d’ailleurs l’objectif visé par les créateurs des assurances sociales. 

Nous rejetons l’idée d’une Sécurité sociale à “deux vitesses”

Mes chers camarades, je ne veux pas vous redire, dans le détail, ce que j’ai écrit cet été à Mme Georgina Dufoix. Je veux seulement répéter, avec toute la force de ma conviction, que, si nous sommes attachés à la Sécurité sociale, c’est parce que nous savons la place qu’elle tient dans la vie des familles. C’est pourquoi – quoi qu’il arrive – nous sommes résolus à la défendre. C’est pourquoi nous n’acceptons pas que l’on glisse, plus ou moins sournoisement, dans la voie d’une Sécurité sociale “à deux vitesses”, c’est-à-dire vers ce qui déboucherait “sur la médecine pour les riches et celle pour les pauvres”. Or, c’est le cas lorsqu’on ramène de 70 à 40 % le taux de remboursement de certains médicaments, lorsqu’on augmente le ticket modérateur pour 379 spécialités pharmaceutiques dites “de confort”, après avoir fait la même chose en 1983 pour 1 300 médicaments !

Or, les médecins – de haut niveau – nous disent qu’il est impossible, scientifiquement et médicalement, de situer la frontière entre les médicaments dits “de confort” et les autres. 
C’est d’ailleurs pourquoi ils n’ont pas modifié leurs prescriptions. Il en résulte bien un accroissement des charges supportées par les malades, lesquels, par ailleurs, subissent un tassement de leur pouvoir d’achat. 

Cela ne coûterait pas moins cher

Et puis, mes chers camarades, il faut détruire la légende selon laquelle – dans l’hypothèse d’un abaissement du niveau de prise en charge et d’une couverture complémentaire plus importante par une mutuelle ou une assurance privée  – cela coûterait moins cher ! C'est le contraire ! De cela, les assurés doivent se convaincre même s’ils ont parfois le sentiment d’être plus proches de leur mutuelle ou de leur assurance que de la Sécurité sociale. Il faut qu’ils comprennent qu’un système de protection sociale ne peut répondre pleinement à ce que l’on attend de lui que si son rayon de compétence est suffisamment large pour que s’inscrivent pleinement dans les faits les notions de solidarité des actifs envers les retraités et des bien-portants à l’égard des malades. 

Dire la vérité

Mes chers camarades, si nous avons accepté de confronter les données entre notre possession avec celles dont disposent le gouvernement – comme Mme Dufoix me l’avait d’ailleurs elle-même suggéré en juillet dernier – c’est parce qu’il faut vraiment maintenant y voir clair. Le déficit de la Sécurité sociale atteindra probablement 25 à 30 milliards en 1986. Certains estiment qu’il pourrait être beaucoup plus important et je ne suis pas sûr qu'ils aient tort. 

Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement s’obstine à masquer la vérité et, cela, d’autant plus qu’il n’est pas à vrai dire responsable des difficultés.

On ne joue pas avec la Sécurité sociale

On ne doit pas jouer avec la Sécurité sociale. Tout le monde sait ce que coûte une journée d’hospitalisation dans un service de cardiologie ou de cancérologie. Si l’institution n’existait pas, qui pourrait – dans nos milieux – en supporter la charge ! J’estime qu’il convient donc de tout mettre sur la table afin de tenter de trouver des solutions qui permettront de sauvegarder notre protection sociale collective.

On ne peut ignorer – et nous n’ignorons pas – les conséquences de l’évolution industrielle. 
Nous ne nions pas que les choses sociales pèsent plus sur les entreprises de main-d’œuvre que sur les autres. C'est d'ailleurs pourquoi, il y a des années, nous avions préconisé “la cotisation machine”. 

On ne peut ignorer non plus que du fait du “tassement” du pouvoir d’achat, les salariés estiment que les prélèvements sur la rémunération directe deviennent trop importants.

Non à l’étatisation

Si nous sommes plus que réservés à l’égard de la budgétisation, c’est-à-dire du financement de la Sécurité sociale par l’impôt, c’est parce que nous redoutons l’étatisation totale de l’institution. A cet égard, au moment où l’on commémore le quarantième anniversaire de la Sécurité sociale, je veux dire à quel point nous condamnons les méthodes du gouvernement, qui prend rarement la peine de consulter vraiment les gestionnaires de l’institution. Ce n’était vraiment pas la peine de faire tout le cinéma que l’on sait, notamment du temps de Mme Nicole Questiaux, sur le thème de la responsabilisation des assurés par le truchement de leurs administrateurs élus. Encore une fois, je demande au gouvernement de cesser de travestir la vérité et de dire les choses telles qu’elles sont, même si cela n'est pas facile !

Vous me donnerez acte que, pour ma part, je n’ai pas cherché à masquer les réalités. Je vous rappelle, en effet, que dans la conclusion de mon discours, lors de la campagne électorale de la Sécurité sociale, j’ai indiqué que l’opinion publique devait comprendre qu’on ne pouvait souhaiter être garanti contre tout sans en accepter les contreparties financières.

Le sens des responsabilités

Mes chers amis, s’il faut dire la vérité sur l’état de la Sécurité sociale, il en est de même pour ce qui concerne tous les autres aspects de la vie publique.

Je n’ai pas l’intention d’écrire un chapitre supplémentaire à l’histoire du naufrage de ce bateau que vous savez et qui n’en finit pas de sombrer. Mais je veux demander aux dirigeants de l’État et à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont été mêlés à cette affaire, s’ils mesurent bien à quel point tout cela altère la confiance des gens, d’une part, à l’égard des institutions et des partis et, d’autre part, des hommes qui les animent.

Je suis – comme vous tous – profondément attaché à notre société républicaine. Seulement, au fil de mes réunions, des conversations que j’ai eues avec vous, je sens grandir le scepticisme et la perte de confiance. Je sens les gens s’installer dans une sorte de fatalisme qui, à terme – s'il devait s’aggraver –, les détournerait à la fois des partis et des institutions. Et il en est de même pour les groupements de toute sorte. Or, la démocratie ne peut fonctionner que supportée par l’engagement des citoyennes et des citoyens. Dans le cas contraire, elle ne pourrait que dépérir et, finalement, mourir.

C’est pourquoi, à l’orée de la campagne électorale, je souhaite ardemment que ceux qui s’apprêtent à briguer les suffrages aient la clairvoyance “de ne pas trop en rajouter” et le bon sens de comprendre que, de toute manière, il y aura des lendemains.

Ce sera plus vrai encore qu’en 1981 puisqu’en principe, si tout va bien, deux longues années vont s’écouler entre les législatives et l’élection présidentielle.

Je souhaite, par ailleurs, que, du côté du patronat, on réfléchisse aux conséquences d’un maximalisme qui, lui aussi, pourrait bien préparer des lendemains “qui ne chanteraient pas” et que l’on ait aussi la clairvoyance de résister à cette furie de mise en cause que nous sentons monter.

Ceux qui n’ont pas de passé n’ont pas d’avenir

L’école a évidemment un rôle capital dans la préparation des enfants à leur vie de citoyen. 
C’est pourquoi nous nous réjouissons de la décision de redonner aux leçons d’instruction civique la place qu’elles tenaient autrefois. Nous nous réjouissons aussi de la réhabilitation de l’enseignement de l’histoire. Combien de fois avons-nous entendu dire qu’il vaut mieux regarder devant que derrière. A cela nous répondons que ceux qui n’ont pas de passé n’ont pas d’avenir. Pour que les plantes prennent vie, il faut qu’elles trouvent le terrain fertile qui leur permettra de s’épanouir. C’est vrai de la même manière pour les sociétés et pour ceux qui y vivent.

Nous avons commémoré, la semaine dernière, à Limoges, le 90e anniversaire de la naissance de la CGT, la vraie, celle que nous continuons. Or, comment veut-on que les jeunes sachent pourquoi les scissions syndicales se sont produites si on ne leur explique pas. C’est aussi de l’histoire.

L’éternel combat pour la liberté

Mes chers camarades, je vous disais, au début de mon discours, que si celles et ceux qui adhèrent à Force ouvrière n’ont pas forcément les mêmes conceptions politiques, philosophiques ou religieuses, ils sont réunis par leur amour pour la liberté, par leur attachement aux grands principes de démocratie et de respect du droit des gens.

C’est pour cela qu’à l’occasion de la venue à Paris du secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, nous avons voulu assurer de notre solidarité les prisonniers politiques, tous ceux qui souffrent dans les goulags et les hôpitaux psychiatriques, tous les peuples des pays annexés après la guerre, tous ceux qui, justement, ont perdu leur liberté. 

Nous avons voulu rappeler, à l’occasion de la venue de Gorbatchev à Paris, que le peuple de France, épris de justice et de liberté, condamne tous les systèmes de dictature, qu’ils soient parés du drapeau rouge ou d’autres couleurs, comme en Afrique du Sud, au Chili et ailleurs.

Je voudrais, cet après-midi, exprimer tout particulièrement notre solidarité aux camarades de Pologne qui, malgré des difficultés sans nom, tiennent bien haut le drapeau du syndicalisme libre. Ah ! mes amis, de quel courage ils font preuve ! Quelle leçon ils nous donnent ! Bien sûr, nous avons nos problèmes et notre combat est plus difficile qu’autrefois, mais quelles que soient nos difficultés, elles n’ont rien de commun avec celles que subissent les Polonais et ceux qui sont contraints de vivre dans des pays de dictature !

Alors, camarades, il ne saurait être question pour nous de céder à la tentation du repli sur nous-mêmes, d'abandonner, de baisser les bras. Nous devons, au contraire, redoubler d’efforts, multiplier nos initiatives dans le domaine de la propagande et du recrutement, expliquer aux camarades de travail qu’ils n’ont pas la moindre chance de s’en sortir seuls et que le salut ne peut venir que du renforcement de l’action collective.

Notre confédération Force ouvrière se porte bien !

Grâce à vous tous, nous tenons le coup !

Alors, mes chers amis, je vous souhaite à tous bon courage pour continuer le bon combat.

Maintenant, vive la fête !

Vive la confédération Force ouvrière !

Mes chers camarades, nous avons su maintenir notre unité. C’est le sens de notre fête, la "Fête de l'amitié". Nous ne donnerons pas de consigne de vote pour les législatives. FO n’est certes pas le lieu de je ne sais quel unanimisme morne et stérilisant, mais le syndicat ne peut être que le syndicat. Il est le lieu de rassemblement de femmes et d'hommes heureux d'être ensemble, pour la démocratie, la dignité des gens, résolus à se battre pour la justice sociale.

C’est pourquoi, au-delà de la partie de bras de fer sans fin engagée entre les États sur le terrain de la compétitivité économique, FO entend préserver ce qui est, c’est-à-dire la possibilité de défendre les intérêts des salariés. Voilà aussi pourquoi nous demeurons attachés à l'idée des États unis d’Europe. Il s’agit du devenir de la démocratie et de la paix.

Le bien-fondé des politiques de “rigueur” n’est pas aussi évident qu’on le dit. Les équilibres commerciaux et financiers sont une chose, l’équilibre social en est une autre. Il ne faut pas le briser. Le refus du gouvernement de changer de politique n’arrange pas les choses, mais nous poursuivrons sans démagogie notre combat pour défendre le pouvoir d’achat, nous continuerons à dire “Ne touchez pas au SMIC !”, c’est-à-dire à défendre cette morale qui veut que, pour vivre décemment, dans une civilisation donnée, il faut un minimum garanti par la société.

FO lance une solennelle mise en garde au gouvernement, au CNPF, aux partis de la majorité comme de l’opposition : nous ne laisserons pas mettre en cause une des pierres angulaires de la protection sociale. Le problème de la flexibilité qui ressurgit encore est de même nature. A FO, nous pensons qu'il faut des règles, des règles négociées – non sous tutelle de tel ou tel organisme dit indépendant – mais souverainement entre partenaires sociaux. Nous ne pouvons par exemple accepter la suppression pure et simple de l’autorisation administrative en cas de licenciement. Nous ne pouvons pas plus abandonner les chômeurs en fin de droits.

En toute chose, nous voulons préserver la protection sociale collective, l’assurance chômage, les retraites complémentaires, la Sécurité sociale bien sûr. Pour l'UNEDIC, nous voulons tout faire pour qu’un accord intervienne. Pour la Sécurité sociale, nous rejetons l’idée d’un régime à deux vitesses, celle de la budgétisation ou celle d’une prise en charge plus importante de la couverture sociale par les mutuelles – ou les assurances privées ! On ne joue pas avec la Sécurité sociale. Voilà pourquoi notre orientation est de dire à chaque instant la vérité, de revendiquer la clarté.

Ces lignes de conduite, nous les tirons du passé. Ceux qui n’ont pas de passé n’ont pas d’avenir. Ainsi nous venons de fêter le 90e anniversaire de notre mouvement, la vieille Confédération générale du travail de la fin du siècle dernier. Notre morale est toujours la même. Il s'agit de l’éternel combat pour les libertés. Il est inséparable de ce que nous avons voulu rappeler, à l’occasion de la venue de Mikhaïl Gorbatchev en France, en prenant la défense de tous ceux qui souffrent à l’Est.

FO se porte bien. Continuons.