Texte intégral
Le droit d'auteur à rémunération, assorti de son corollaire indispensable, le droit moral, est une conquête essentielle pour les artistes. Notre pays peut se réjouir, de surcroît, que - chose qui devient rare - ce soit le modèle européen qui se soit imposé au monde entier. Il nous faut préserver cet acquis. Il y a en effet entre le système américain et le nôtre, au-delà de certaines convergences, une différence fondamentale qui tient à la place faite au créateur. Quand l'oeuvre finit par n'être qu'un produit dont l'exploitation prime, il devient vite évident que l'exploitant, qu'il soit le producteur de l'oeuvre ou son distributeur, devient plus important que l'auteur lui-même. Cela finit nécessairement par entraver la liberté du créateur. Nos auteurs l'ont bien compris qui se sont mobilisés justement chaque fois qu'une négociation internationale risquait d'affaiblir leurs droits.
De plus, il n'est pas évident que notre système soit moins adapté au développement des entreprises. Dans une économie industrielle, les fabricants de « produits » peuvent se plaindre des coûts de conception. Dans une économie post-industrielle, les marges sur les produits et la distribution tendent à se réduire et c'est en amont que se dégage la valeur ajoutée. Les économies les plus productives de demain seront peut-être celles qui auront su le mieux rémunérer les créateurs et entretenir le vivier de créativité. Déjà aujourd'hui, comme l'a relevé Tony Blair pour l'Angleterre, les industries culturelles pèsent plus dans le PIB et les échanges que certaines industries lourdes des plus vénérables. Les enjeux économiques sont donc importants et en défendant les droits d'auteur, nous ne protégeons pas seulement le monde des artistes, mais aussi nos emplois. Nous avons donc eu raison de défendre notre système.
Le dynamisme de nos sociétés d'auteurs, leur capacité à passer des accords internationaux, a aussi grandement contribué à ce succès. Elles ont même réussi à ce que des créateurs issus de pays ayant adopté le copyright préfèrent se mettre sous leur protection. On ne peut exclure que la pression des créateurs, leur révolte contre certaines violations excessives de leur droit moral, conduise certains pays à se rapprocher de nous.
Pour autant, la situation n'est pas définitivement acquise. Au nom de la « convergence », certains cherchent à rogner sur les droits d'auteur. Certains pays européens, moins familiers des politiques culturelles, ont paru plus perméables à ces arguments et moins déterminés que nous.
L'apparition des supports multimédias rend plus difficile la gestion des droits et crée une tentation forte de profiter d'arguments techniques ou pratiques pour remettre en cause le principe même de la protection du droit d'auteur. Il y aurait un grand danger en Europe si les entreprises culturelles, celles du multimédia, essayaient de convaincre les consommateurs que la plus faible vitalité européenne dans les nouvelles technologies serait due au blocage des artistes. Nous sommes familiers de ce genre de débat, où nous risquons au prétexte d'en finir avec certains mauvais aspects de l'exception française, de jeter le bébé avec l'eau du bain. Notre retard est surtout causé par la faiblesse de nos mécanismes de capital risque, à une certaine méfiance à l'égard des créateurs d'entreprises multimédia qui sont souvent très jeunes.
Les techniques nouvelles de diffusion, qui posent d'incontestables problèmes, ne condamnent cependant pas le droit d'auteur. Il semble d'abord que des progrès techniques, en particulier dans le cryptage numérique, permettront de limiter les possibilités de copie des oeuvres. Par ailleurs, il n'y a pas de raison que l'on ne puisse pas trouver de nouveaux accords permettant une juste rémunération et une préservation du droit moral dans la souplesse. Le développement d'internet a suscité une certaine euphorie et beaucoup de fantasmes. On y a vue, certains avec joie, d'autres avec inquiétude, une zone de non droit. On a cru qu'il serait impossible de lutter sur ces réseaux contre les terroristes et les pédophiles. On sait aujourd'hui, après quelques décisions de justice que l'illusion d'un monde sans droit a vécu. Des textes devront être adaptés. C'est ce qu'a fait le Sénat en matière de ventes aux enchères publiques en adoptant des dispositions s'appliquant aux ventes sur internet. Des moyens financiers devront être alloués aux services de répression pour adapter leurs moyens et leur formation à la lutte contre le piratage sur ces nouveaux réseaux. Mais aucun de ces défis ne semble insurmontable.
La survie du droit d'auteur dépend aussi du maintien de vies culturelles nationales riches, de producteurs et d'éditeurs en bonne santé, d'un vivier d'artistes féconds. Si le champ culturel venait à être principalement dominé par des produits de divertissement distribués par des multinationales et où l'acte de création comme les auteurs seraient absents, la notion même de droit d'auteur serait menacée. On peut craindre aussi que la rémunération de certains auteurs dépende exclusivement alors des entreprises qui les emploieront et pour d'autres de subventions publiques aux effets pervers bien connus.
C'est la raison pour laquelle nous devons être vigilants sans renoncer à faire évoluer le droit d'auteur en fonction du contexte nouveau et des progrès des modes de diffusion. C'est le sens de la démarche constante du Sénat. C'est l'esprit qui l'a animé lorsque la commission des affaires culturelles a adopté la proposition de résolution présentée par Mme Danielle Pourtaud sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
En accueillant ce colloque, qui marquera aussi le 150e anniversaire de la SACEM, le Sénat témoignera, une fois de plus, de son attachement aux auteurs et aux libertés qu'ils ont conquises.