Interviews de M. Hervé de Charette, ministre du logement, à O'FM le 3 et à RTL le 4 juin 1993, sur le plan de relance du bâtiment.

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Média : O'FM - RTL

Texte intégral

Jeudi 3 juin 1993
O'FM – La Croix

Journalistes : François Ernenwein – La Croix ; Geneviève de Cazaux – TF1 ; Véronique Saint-Olive – France 2 ; Christina Delahaye – O'FM et Henri de Saint Roman – O'FM

* Redémarrage du bâtiment ? Je vais secouer le cocotier ! (…) C'est le moment d'acheter, c'est le moment de construire, c'est le moment de faire des travaux. (…) L'objectif c'est plus de 300 000 logements par an.

* Bernard Pons a dit des choses assez désagréables. C'est le type même de "couac". Quand on est dans la majorité, c'est bien de tenir de temps en temps sa langue !

* Le Président de l'UDF (VGE) est dans son rôle lorsqu'il fait des propositions du gouvernement. Ce n'est pas un "couac".

Question : Ne pensez-vous pas que vous allez vous heurter rapidement à un problème, dans la mesure où les français, qui sont déprimés, attendent des résultats rapides ; or vous êtes ministre d'un secteur qui est dans un état dramatique, pensez-vous pouvoir apporter des solutions visibles rapidement ?

Hervé de Charette : Dans le domaine du logement, d'abord je crois que le plan que nous avons mis au point et qui est actuellement examiné par le Sénat est un bon plan. Je veux dire par là qu'il n'a pas de précédent depuis 25 ans. Jamais on n'a fait autant pour relancer le secteur du logement, que ce que le gouvernement fait avec l'appui et le soutien de la majorité parlementaire aujourd'hui. Moyennant quoi, je suis conscient aussi de deux choses : d'abord il y a le temps de réponse, il faut que les choses se mettent en place, entre le moment de la décision et le moment de son exécution il y a hélas un petit peu de temps, et puis deuxièmement, dans le domaine du logement plus qu'ailleurs, construire sa maison acheter son appartement c'est une décision lourde. Très souvent dans les familles, c'est la seule grande décision qu'on prendra. Et cette décision, il faut avoir le moral pour le faire.

Question : Les effets de votre plan, vous les attendez pour quand ?

Hervé de Charette : D'abord, tout de suite au mois de juillet, vous verrez un redémarrage. À la rentrée, les choses vont simplifier, et l'objectif c'est qu'au début de l'année 94, disons au printemps 94, on atteigne un rythme de croisière qui est celui auquel j'aspire, c'est-à-dire plus de 300 000 logements par an, un rythme de plus de 300 000 par an.

Question : Martin Bouygues salue votre plan de relance mais ajoute que le BTP traverse la crise la plus grave depuis la guerre, et que ça ne redémarrera pas avant au moins deux ans ; les promoteurs disent que le logement est bouleversé tous les deux ans par des lois différentes, et précisent qu'il manque la confiance, et qu'on ne peut pas demander aux investisseurs de revenir alors qu'on n'est pas sûr d'un effet immédiat.

Hervé de Charette : On ne doit pas entendre toujours les mêmes choses les uns et les autres, parce que j'ai entendu les déclarations du président de la fédération nationale du bâtiment, de la fédération nationale des promoteurs-constructeurs, et de beaucoup d'autres, qui ont accueilli très positivement le plan du gouvernement.

Question : Je n'ai pas dit que tout le monde l'accueillait négativement ; j'ai demandé si ça allait redémarrer…

Hervé de Charette : Écoutez, on va voir, en tout cas moi je suis bien décidé à me battre pour que ça redémarre vite. Et notamment pour tout ce qui dépendra de moi, je vais secouer le cocotier. Je réunis demain matin l'ensemble des directeurs départementaux de l'équipement, et je vais leur donner des instructions très précises sur ce qu'ils ont à faire pour que les chantiers démarrent, notamment les chantiers de logements HLM supplémentaires que nous allons proposer. Mais je reconnais qu'il y a des temps de réponse. Quand j'entends Martin Bouygues dire que la reprise dans le secteur du logement va mettre deux ans, je crois qu'il se trompe complétement, quelle est la situation d'aujourd'hui ? il y a actuellement 10 000 emplois perdus par mois dans le secteur du logement et du bâtiment, et 1 000 entreprises qui déposent leur bilan. Et bien mon objectif c'est qu'on arrête les dégâts, et que le redémarrage soit suffisamment fort, et je l'espère suffisamment rapide, pour que dans les mois qui viennent on arrête cette situation et qu'on reparte vers le haut, c'est-à-dire que le secteur du bâtiment puisse réembaucher. Le secteur du bâtiment emploie près d'un million et demi de personnes à travers toute la France ; il y les gros, modèle Bouygues, qui sont des majors de niveau mondial et dont la qualité n'est pas contestable. Et puis il y a les moyens, et puis il y a une nuée de petites qui sont des artisans, il n'y a pas une commune de France où il n'y ait pas un artisan du bâtiment. Et c'est tout cet ensemble très diversifié, le premier secteur économique français, qu'il s'agit de faire redémarrer, de redynamiser, et je compte beaucoup sur eux, sur chacun de ces chefs d'entreprise, parce qu'il est le meilleur vendeur des dispositions du gouvernement, le meilleur capable de les faire connaître ; et de faire comprendre aux français que jamais ils n'ont eu de circonstances aussi favorables pour aller de l‘avant. C'est pourquoi je ne cesse de répéter que c'est le moment d'acheter, c'est le moment de construire, c'est le moment de faire des travaux.

Question : Vous dites que c'est le moment d'acheter, mais comment peut-on tenir ce discours dans un pays où il y a tant de chômeurs, et où les gens ont peur de perdre leur emploi ?

Hervé de Charette : Pratiquement, l'accession sociale à la propriété, l‘accession pour les revenus moyens ou modestes, est en voie de disparition en France. Si on ne la fait pas redémarrer, d'abord on sera en face d'une injustice grave : voilà les deux tiers de la population française à qui l'accession à l a propriété est une voie fermée, je crois que c'est une très grave injustice, et c'est contre ça que je lutte. Je n'oblige personne à le faire, je veux créer les conditions qui permettent à tous ceux qui le veulent de pouvoir y parvenir. D'où l'idée de baisser les taux d'intérêts pour les prêts d'accession à la propriété pour les catégories sociales de niveau moyen et modeste, augmenter les plafonds de ressource, bref faire en sorte que ça devienne possible. Maintenant, est-ce que nous y parviendrons ? Mais c'est indispensable de gagner, parce que la situation d'impasse totale. D'un côté il n'y a plus d'accession sociale à la propriété, de l'autre, les propriétaires qui louaient leur appartement ou leur maison, se retirent de plus en plus de 70 000 par an. Si bien qu'on comprend qu'il y ait des files d'attente derrière les HLM ; on a bouché tous les autres horizons, donc il y a des files d'attente derrière les HLM. Jamais on n'aura construit autant d'HLM que cette année, puisque cette année, pour la première fois, c'est le plan gouvernemental, on va dépasser le niveau de 100 000 HLM dans l'année. Il y a 10 ans, on faisait 50 000. Mais il est hors de question que les finances publiques arrivent à financer la totalité du logement des français et qu'on mette tous le français dans des HLM. Donc si on ne parvient pas à relancer l'accession à la propriété, et notamment l'accession sociale que je crois un droit, et en même temps à encourager ceux qui ont de l'épargne à l'investir dans la pierre, et bien nous irons à des difficultés économiques pour le bâtiment, et sociales pour les français, insolubles ; donc je me bats sur ces deux fronts.

Question : Le SMIC est dans le collimateur, semble-t-il, de l'OCDE, au motif que ces salaires minimums seraient un frein à l'embauche ; et puis dans le cadre du plan d'urgence sur l'emploi adopté hier en conseil des ministres, il y a ce principe des compensations à des baisses de salaires qui pourraient toucher les salariés payés au SMIC. Alors…

Hervé de Charette : Non, justement, cette disposition qui est une initiative personnelle du premier ministre, prévoit expressément qu'il n'est pas question de descendre en dessous du SMIC, de faire des réductions de salaire sur le SMIC.

Question : Donc, on ne touche pas au SMIC ?

Hervé de Charette : Bien entendu, il n'y a pas de changement. Vous croyez qu'on peut aisément vivre dans la région parisienne avec le SMIC ? Franchement, avoir l'idée qu'il faut aller encore plus bas est une drôle d'idée. Par contre, ce qui est vrai, c'est qu'il y a un hiatus, qui n'intéresse pas seulement les bas salaires, il y a un problème de différence forte entre le niveau des rémunérations et de la protection sociale en Europe. Ce n'est pas un problème français, c'est un problème européen, par rapport à nos concurrents asiatiques, qui, dans un certain nombre de cas, exploitent joyeusement leur main-d'œuvre, et veulent nous vendre leurs produits. Donc on est en face d'une question stratégique qui est posée à l'Europe : comment fait-elle pour, à la fois, protéger son emploi, protéger sa protection sociale à laquelle elle tient, et que nous n'avons pas l'intention de remettre en cause mais au contraire de sauvegarder, et en même temps continuer à échanger avec les pays d'Asie parce que nous avons beaucoup à y gagner, sans se faire rouler dans la farine tous les matins. Voilà l'enjeu économique des 10 ans qui viennent.

Question : Pour vous, qu'est-ce que c'est qu'un "couac" ?

Hervé de Charette : Un couac, c'est lorsque dans la majorité, une voix s'élève qui critique l'action du ministre de la Défense. Sur le fond des choses, j'ai entendu François Léotard s'exprimer sur le sujet, puis j'ai entendu ce qu'a dit le Premier ministre, à savoir que les décisions avaient été prises au niveau gouvernemental, inter ministériel, sous son autorité. Par conséquent, je crois que la décision elle-même a été prise comme doit l'être toute décision importante du gouvernement. Donc ce n'est pas de ce côté-là qu'il faut chercher l'erreur.

Question : Alors, où est l'erreur ?

Hervé de Charette : Il me semble qu'elle est derrière, du côté de paroles excessives de quelques parlementaires.

Question : Par exemple Bernard Pons ?

Hervé de Charette : Par exemple.

Question : Quel reproche lui faites-vous ?

Hervé de Charette : D'avoir dit des choses assez désagréables. C'est le type même du couac. Quand on est dans la majorité, c'est bien de tenir de temps en temps sa langue. On peut se dire des choses en particulier, mais montrer qu'à l'extérieur nous sommes capables d'avoir un front commun. Ceci dit, le fond de la question est sérieux : l'armée française doit s'adapter, parce que la menace n'est plus la même que celle d'hier. L'adaptation consiste à faire que l'armée de terre n'aura plus la même configuration et le même nombre d'unités qu'avant. Cette évolution a des conséquences dans un certain nombre de villes. Il faut donc mener à bien cette opération qui intéresse la sécurité et l'avenir de la France et, en même temps, gérer de façon très vigilante chacun des problèmes qui se posent dans les villes concernées.

Question : Ce couac n'a-t-il pas été l'occasion au RPR de manifester pour la première fois un mécontentement à l'encontre du Premier ministre et de tout le gouvernement ?

Hervé de Charette : On ne va pas en faire un plat. C'était des paroles à mon avis excessives. Tout est désormais rentré dans l'ordre. C'est la vie !

Question : L'incident est clos ?

Hervé de Charette : Je l'espère. Si l'incident politique est clos, la question de fond est entièrement ouverte. Il faut bien comprendre la situation des villes qui sont concernées. Les décisions annoncées aujourd'hui auront effet dans un peu plus de deux ans. Ça nous laisse le temps de traiter cas par cas avec la volonté d'aménagement du territoire tous ces problèmes, pour que les villes n'en souffrent pas.

Question : Valéry Giscard d'Estaing a demandé assez vivement le report de l'augmentation de la CSG à janvier ; pour quelles raisons ?

Hervé de Charette : Ce n'est pas un couac. Le président de l‘UDF est dans son rôle lorsqu'il fait des propositions au gouvernement pour essayer de contribuer à l'efficacité de l'action gouvernementale. La question qui a fait débat et semblé faire difficulté, c'est de savoir si le président de l'UDF était critiquable ou non de faire des propositions. Il n'est pas critiquable de faire des propositions ! C'est le rôle même du parlement. M. Giscard d'Estaing est le président de l'UDF, il est tout à fait normal qu'il s'exprime ! Il l'a fait devant des instances qui ne sont pas publiques mais qui sont compétentes pour cela : le bureau du groupe de l'UDF à l'Assemblée nationale, puis au déjeuner que le Premier ministre réunit toutes les semaines.

Je répète que le président de l'UDF est entièrement dans son rôle quand il faut des propositions, le Premier ministre prend ses décisions et fait ses choix.

Moi-même, comme membre du gouvernement, dans les cercles de travail du gouvernement, vous vous doutez bien que je donne mon avis. Si le Premier ministre prend une décision qui n'est pas tout à fait celle que je souhaite, ce qui arrive, ce qui est tout à fait normal c'est lui le patron, je m'incline ! Tout ça est parfait !

Question : La majorité ne risque-t-elle pas d'éclater lors des élections européennes ?

Hervé de Charette : J'espère que non. Et je peux vous dire que je travaillerai à ce que la majorité ne connaisse pas de difficultés à ce sujet. Je suis un proche de M. Giscard d'Estaing, personne ne le conteste et je n'ai pas l'intention de changer. En même temps, je suis au sein du gouvernement de M. Balladur, je n'ai pas l'intention de ne pas me comporter comme un ministre solidaire de l'action gouvernementale. Jusqu'à présent, ça ne me pose pas de problème. Je n'ai pas de conflits de conscience à régler, rassurez-vous ! Mais cette affaire européenne est sérieuse, je la crois d'une grande importance. La France et l'Europe sont dans une crise économique grave. L'ensemble de l'Europe doit prendre conscience qu'elle doit défendre ses intérêts et ses emplois dans une bataille économique grave. L'ensemble de l'Europe doit prendre conscience qu'elle doit défendre ses intérêts et ses emplois dans une bataille économique mondiale. Nous devons rester ouverts aux échanges extérieurs. Mais pas toujours à n'importe quel prix : il n'y a aucune raison d'accepter indéfiniment que les Européens de l'Est nous envoient des produits dont ils ne connaissent même pas le prix ou que l'Asie on ne respecte pas les quotas, les accords commerciaux.

Si nous n'y prenons garde, on va voir monter dans l'opinion deux sentiments dangereux pour l'avenir : le protectionnisme et l'anti européanisme. Face à cela, je crois que la majorité et le gouvernement doivent avoir un langage clair, compréhensible, autour de la préférence communautaire. Il ne faut pas se laisser rouler tous les matins dans la farine ! Regardez les Américains : ils ont une législation qui leur permet de se défendre, produit par produit, pays par pays ; on dit qu'ils nous menacent sur le champagne. L'Europe n'a pas les moyens d'agir ainsi, il faut qu'elle se les donne.

Question : Alors, une liste ou deux listes de la majorité aux européennes ?

Hervé de Charette : La question n'est pas actuelle, l'élection est en mai 94, on n'en est pas là. Ce que je veux dire, c'est qu'il est normal que l'UDF dise qu'étant le vrai et grand parti européen de France, elle a des choses à dire sur ce sujet. Comment le fera-t-elle ? Moi, en tout cas, je souhaite que cette affaire ne soit pas un sujet qui divise la majorité, mais qui contribue à pas avoir un combat entre européens et anti européens, qu'on en refasse pas le coût de Maastricht un an plus tard !

Question : Giscard président, c'est toujours votre objectif ?

Hervé de Charette : Vous savez, je rencontre beaucoup de gens qui me disent : Giscard est le meilleur, assez souvent ils ajoutent : mais… C'est un sujet de réflexion. Moi, mon travail consiste à ce qu'ils ne disent plus mais. Il faut avoir en politique de la fidélité avec ses convictions et envers aussi les hommes avec lesquels on travaille.

Je partage à 100 % ce que nous a dit Édouard Balladur, le jour où il nous a réunis : les présidentielles, fin 94 !

Question : La France est–elle aujourd'hui gouvernée au centre ?

Hervé de Charette : Évidemment qu'il y a une grande diversité de sensibilités au sein du gouvernement ! Heureusement ! C'est très bien comme ça ! Le Premier ministre a très bien fait en choisissant cette diversité.

La France doit être gouvernée au centre. Vous verrez dans les années qui viennent que, pour rassembler, il faudra veiller toujours à se trouver politiquement au centre et à tendre la main d'un côté et de l'autre, y compris à la gauche. Y compris à l'électorat de gauche qu'il ne faut pas laisser dans la situation de désespérance dans laquelle il se trouve. Et c'est pourquoi je crois qu'il faut que notre attitude réponde à cela.

Question : Comment réagissez-vous à la flambée de violence raciste à laquelle on assiste en Allemagne ?

Hervé de Charette : Ce qui s'est passé ce week-end à Sollingen, c'est tragique, c'est bouleversant, c'est stupéfiant ! Ça nous interpelle tous, tous les Européens. Nous, les Européens, nous avons souvent le sentiment de porter une part tout à fait sacrée de la civilisation mondiale, nous en sommes fiers et cela nous impose des devoirs. Si nous voulons rester leaders dans le domaine de l'humanisme il est essentiel que nous soyons d'une vigilance de tous les instants et d'une très grande énergie devant de tels drames.

Il ne faut pas mettre l'Allemagne en accusation. Ce serait une très grave erreur. D'abord, parce que ce serait faux. Je ne crois pas aujourd'hui qu'on puisse dire que le peuple allemand est menacé davantage que d'autres peuples européen par le racisme. Il faut éviter de mettre le peuple allemand en accusation, ce ne serait pas juste. Et en même temps il faut bien comprendre que c'est un problème européen auquel il faut que nous résistions collectivement en en connaissant d'abord les causes et, ensuite, en ayant une détermination très forte. Bien entendu, l'entrée dans nos pays d'un très grand nombre d'étrangers venant de tous horizons pose des problèmes très difficiles au moment où il y a une situation économique tendue, le chômage qui augmente. Tout se télescope, ça crée des tensions.

Après tout, la Communauté européenne, ce n'est pas simplement une communauté économique, c'est une communauté de civilisation et de culture. J'aimerais qu'il y ait une affirmation forte de la Communauté européenne quant à sa détermination en la matière. Je trouve que le rôle du Conseil et du parlement européen, c'est aussi d'être présents sur ces terrains-là. S'ils ne le font pas, ils n'auront pas rempli la totalité de leur mission.

 

4 juin 1993
RTL

H. Marque : Combien de nouveaux logements vont être créés ?

Hervé de Charette : Il y a 1,5 million de personnes qui travaillent dans le bâtiment, aucune commune française qui n'ai pas son artisan, son entreprise moyenne ou grosse de bâtiment. C'est vraiment le secteur le plus important et le plus diffus dans l'économie française. Mon objectif, c'est de passer d'un rythme actuel de 250 000 logements – qui est le rythme le plus bas qu'on ait connu depuis la guerre – à au moins 300 000, 320 000 dans le courant de l'année 1994.

H. Marque : Comment on fait pour les débusquer ?

Hervé de Charette : Il faut encore que les taux d'intérêts baissent, qu'ils arrivent à 5 ou 6 %.

H. Marque : Vous ne voyez pas des tergiversations ou des atermoiements dans la politique économique de vos amis Balladur, Sarkozy, Alphandery and Co ?

Hervé de Charette : Non ! Il fallait d'abord faire l'inventaire, il faut ensuite voir quelles sont les possibilités, et en deux mois ils ont fait le maximum de ce qui pouvait être fait.

H. Marque : Et à ceux qui au RPR ou à l'UDF manquent à la solidarité, le banquier Vernes, est-ce qu'il se propose de couper les oreilles, de couper les vivres ou de couper les deux ?

Hervé de Charette : Je couperais tout ce que je peux couper, mais ce n'est pas moi qui dispose des trésors.

H. Marque : Mais vous les encouragez à y aller ?

Hervé de Charette : Je les encourage à y aller de toutes mes forces.

H. Marque : Est-ce que vous excluez, vous et vos amis, qu'E. Balladur soit présidentiable ?

Hervé de Charette : On n'exclut jamais rien, mais une course ça se gagne au poteau, ça se gagne ni avant, ni après. Donc, ce n'est pas le moment de parler d'élection présidentielle.

H. Marque : Mais votre préférence, quelle est-elle ?

Hervé de Charette : Je n'ai pas de préférence. Je souhaite que le meilleur président soit élu dans l'intérêt de la France.

H. Marque : Qui est le meilleur ?

Hervé de Charette : Pour le moment notre candidat c'est J. Chirac.

H. Marque : E. Balladur va rendre des coups à la rentrée. Est-ce que vous continuerez à le soutenir ?

Hervé de Charette : Je n'ai pas l'habitude de laisser mes amis, ou ceux auxquels je crois, dans la difficulté.

H. Marque : Est- ce que vous le trouvez changé depuis les deux mois qu'il a passés à Matignon ?

Hervé de Charette : Non, je le trouve encore plus réfléchi qu'avant. Il ne ressent pas la fatigue mais il est obligé de se ménager. Je crois qu'il s'est révélé un grand homme d'État.

H. Marque : On entend quelques voix de gauche murmurer : "le voile se lève, la droite redevient lentement mais sûrement ce qu'elle est".

Hervé de Charette : Totalement inexact ! Dites-moi ce que la droite, ce que le possédant a reçu depuis la mise en place du gouvernement Balladur. Rien !

H. Marque : Vous n'allez pas me dire que vous souffrez ? Vous êtes un ministre heureux. Les députés vous donnent 500 millions de plus…

Hervé de Charette : Je trouve ça bien !

H. Marque : Le locatif, et d'abord le locatif social, est en chute libre.

Hervé de Charette : On ne peut pas dire ça. Le locatif privé est en chute libre.

H. Marque : Tous les dirigeants d'HLM se plaignent de manquer de crédits.

Hervé de Charette : C'est parce qu'il n'y a plus d'accession sociale à la propriété comme il y en avait il y a cinq ans. Il y a dix ans, on faisait 150 000 logements d'accession sociale à la propriété.

H. Marque : Où en est d'ailleurs le vieux projet de permettre aux locataires d'HLM d'acheter leur HLM ?

Hervé de Charette : C'est une très bonne idée, et je pousse beaucoup dans ce sens. Nous avons décidé de constituer un groupe de travail avec les organismes HLM sur ce sujet. Tout le monde n'est pas de cet avis-là.

H. Marque : Donc, pour développer le locatif social…

Hervé de Charette : Nous sommes passés cette année, pour la première fois à 100 000. Il faut voir qu'il y a dix ans, on faisait 50 000 logements HLM par an. On en fait 100 000 par an. C'est un grand besoin ressenti partout en France, y compris dans le monde rural.

H. Marque : Passons au locatif privé. Qu'est-ce que vous offrez aux jeunes qui s'installent et aux épargnants ?

Hervé de Charette : La question, c'est beaucoup de Français qui épargnaient, se sont détournés de l'investissement pierre. Et pour les y encourager, puisque pour être locataire, il faut un propriétaire, avec qui on s'entend bien, nous avons pris une série de mesures fiscales, destinées à rétablir un peu de l'égalité fiscale perdu entre l'investissement dans la pierre, ou l'investissement dans les actions ou les obligations ou les SICAV.

H. Marque : L'Assemblée a allégé la taxation des plus-values ?

Hervé de Charette : Sur les plus-values, on est revenu à la situation ancienne, c'est-à-dire que les plus-values s'amortissent en 20 ans. Nous offrons une exonération exceptionnelle des droits de succession pour toute personne qui achète un logement neuf dans l'année qui vient entre aujourd'hui et le mois de juillet 1994 et une génération des droits de première mutation, et nous rétablissons la possibilité de déduire des revenus globaux une partie des déficits fonciers. Des dispositions qui vont dans le sens de l'équité et de la neutralité fiscale pour l'investissement pierre. Mon objectif est celui-là, faire en sorte que quand vous investissez dans la pierre, ou dans une autre forme d'investissement comme les actions, la situation fiscale soit la même et que la pierre ne soit pas particulièrement taxée. Ce qu'elle est depuis un certain nombre d'années.

H. Marque : Les députés ont voté un amendement qu'ils appellent le Pinay-pierre ?

Hervé de Charette : C'est l'idée que cela vaut la peine de faire confiance à l'État, parce que celui-ci propose une exonération des droits de succession qui encourage vraiment à revenir vers l'attachement profond qu'on a pour la pierre.

H. Marque : Pour les stocks de logements inoccupés, vous avez des projets particuliers ?

Hervé de Charette : Il ne faut pas imaginer des réglementations. Il faut imaginer des encouragements. Par conséquent, il faut pousser ceux, qui, jusqu'à maintenant, se sont détournés jusqu' à ne plus vouloir louer de l'investissement de la pierre. Il faut les y repousser, les y faire retourner en créant une situation positive. Je ne veux pas sanctionner celui qui ne loue pas. Vous avez le droit.

H. Marque : Aurez-vous la main d'œuvre puisque l'immigration a commencé pour combler les vides dans l'automobile et le bâtiment ?

Hervé de Charette : Vous savez que maintenant dans le bâtiment, on perd 10 000 emplois par mois. On en est pas à rechercher de la main d'œuvre qu'on n'aurait pas. On en est à s'inquiéter du désastre économique et social dans lequel nous nous trouvons. Le temps n'est plus celui des années 60 où, sur les chantiers, on ne voyait que des immigrés. J'espère que les mesures prises par le gouvernement dans le domaine de l'immigration permettront de mettre un terme à tout cela. Il faut avoir dans l'idée que le bâtiment, comme les autres, c'est un secteur industriel dans lequel les Français peuvent trouver à s'épanouir.

H. Marque : Que pensez-vous de la protection de l'environnement et du paysage ?

Hervé de Charette : Quand vous allez en Bretagne, vous êtes frappés : on construit bien et de façon homogène. Des réglementations ont dû être prises. Dans telle ou telle autre province, vous n'avez pas toujours ce sentiment-là. Je crois que cela ne serait pas une mauvaise idée, qu'au niveau départemental et régional, l'autorité régionale ait la possibilité de toucher aux réglementations d'urbanisme pour assurer l'homogénéité au niveau de la région.