Texte intégral
P. Lapousterle : La bavure de Lyon, plus un jeune homme qui a été tué aussi en Seine-et-Marne, est-ce que la police n’a pas un peu la gâchette facile ?
G. Sarre : Je dirais, comme je le pense, que c’est un drame, naturellement. Il me semble que, comme l’a dit J.-P. Chevènement hier soir, c’est naturellement une bavure. Il y a trois choses que je voudrais dire : un, il est quand même curieux qu’un policier, qui a commis déjà deux fautes graves, suspendu pour 18 mois, soit resté comme ça en fonction dans un commissariat. Ça me paraît quand même étrange. Je souhaite que le ministre de l’Intérieur revoit un peu tous ces cas parce qu’on ne peut pas laisser des gens, qui sont relativement inadaptés à ce genre de métier, exercer leur talent dans les quartiers difficiles. La deuxième chose, c’est que, bien entendu, derrière tout ça, on le voit bien, il y a la misère et le chômage. Troisièmement, il y a un problème d’autorité. Il me semble que les familles doivent aussi expliquer à leurs enfants qu’il y a des limites en toute chose.
P. Lapousterle : Et ça, ça passe par la loi ?
G. Sarre : Ça passe bien entendu par ce que fait…
P. Lapousterle : Par des mesures nouvelles ?
G. Sarre : Par ce que fait M. Allègre. L’instruction et la morale civiques à l’école, cela passe par, je dirais, une refondation républicaine de la société française.
P. Lapousterle : Mais est-ce qu’il faudrait, comme le disent et le demandent certains, supprimer les allocations familiales aux familles qui ne surveillent pas assez leurs enfants ?
G. Sarre : Non, je ne pense pas que ça soit la solution, je crois qu’il faut rechercher les mesures pratiques, disciplinaires qu’il faut prendre quand c’est nécessaire. Mais, je ne pense pas que c’est parce qu’on enlèvera les allocations familiales à un foyer que les choses iront mieux. Je pense qu’au contraire, cela aurait tendance à les aggraver. Mais, il ne faut pas rester les bras ballants. Il faut agir et montrer que dans ce pays, il y a une volonté de justice et en même temps d’efficacité.
P. Lapousterle : Approuvez-vous les déclarations de M. Jospin, hier au Mali, assurant les autorités de Bamako que la méthode du charter ne serait plus utilisée pour les reconductions à la frontière ?
G. Sarre : Oui, c’est ce que le Gouvernement a dit tout de suite, dès son installation : une circulaire pour régulariser la situation de ceux qui se trouvaient dans une situation juridiquement insoutenable et absurde, puisqu’ils n’étaient ni expulsables, ni régularisables. Donc, pas de charter. En même temps, une politique de co-développement qui est mise en place...
P. Lapousterle : On n’a pas d’argent pour la faire.
G. Sarre : Mais attendez, il ne s’agit pas d’argent, il s’agit d’avoir une politique de co-développement pour tisser des liens nouveaux, responsables, fondés sur le respect de l’autre avec les pays d’Afrique, plus largement les autres pays. Alors, est-ce que j’approuve la politique, les déclarations de L. Jospin en direction de l’Afrique ? Je dis oui. Je pense même que j’ai éprouvé une grande satisfaction en écoutant cette déclaration. Car, il a parlé vrai, il a parlé franc. Il a dit, voilà, venir en France en situation irrégulière, ce n’est plus possible. Mais, en même temps, les gens doivent repartir dans le cadre de cette politique de co-développement et cela doit se faire dans la dignité.
P. Lapousterle : Et comment expulse-t-on les gens sans charter, comment fait-on ?
G. Sarre : C’est tout à fait simple, à partir du moment où il y aura des projets qui seront cofinancés pour certains d’entre eux par la France...
P. Lapousterle : Mais pour ceux qui sont déjà irréguliers ?
G. Sarre : C’est avec le gouvernement malien, puisqu’on parle de celui-ci, à Bamako, que les choses pourront se mettre en place progressivement Vous le savez, S. Naïr a été missionné par le Premier ministre pour faire des propositions. C’est dans ce cadre-là que cette politique sera développée, la seule praticable. Toutes les autres ont échoué. Tous les bravaches qui, aujourd’hui, nous rappellent... Écoutez, s’il y a tant d’immigrés aujourd’hui en situation irrégulière en France, c’est bien qu’on les a trouvés à notre arrivée au pouvoir. M. Debré et son prédécesseur M. Pasqua avaient fait des textes, avaient fait voter des lois, des déclarations. Mais en réalité, la loi n’était que très très partiellement appliquée.
P. Lapousterle : Est-ce qu’à votre avis M. Jospin n’a pas un peu mordu sur ce que l’on appelle le domaine partagé, en parlant en Afrique, comme si..., haut et fort, définissant la politique africaine de la France ?
G. Sarre : Non, le Premier ministre est pleinement dans son rôle, il est le chef du Gouvernement et je pense que notre souci d’intégrer la politique de coopération dans une politique plus large de politique étrangère de la France, c’est-à-dire qu’il n’y aurait plus à terme de ministère de la Coopération, ce serait de mon point de vue – et je n’engage que moi en disant cela – une bonne façon de traiter les problèmes. Donc, il n’a pas mordu le trait. Le président de la République a une fonction éminente, le chef du Gouvernement n’est pas là pour couper les rubans et inaugurer simplement les monuments français.
P. Lapousterle : Vous appartenez à la majorité plurielle mais vous n’êtes pas du Parti socialiste, puisque vous êtes au Mouvement des citoyens. Est-ce que vous pensez, comme les Verts, que le Parti socialiste est un peu hégémonique dans la majorité plurielle ou bien vous vous sentez bien et vous pensez que ce que pense le Mouvement des citoyens est assez considéré, je dirais par toute une partie de la majorité ?
G. Sarre : Tout d’abord, nous avons apprécié la déclaration de politique générale du Premier ministre. C’est nous qui avons lancé l’idée de revenir aux sources de la République. Et, quand il y a cet effort en faveur de l’instruction civique, de la morale civique, en appeler à la responsabilité de tous, à la citoyenneté républicaine, défendre la patrie, c’est-à-dire la nation citoyenne qui est fondée sur le vouloir vivre ensemble et qui s’oppose donc à la nation fondée sur l’ennemi. Tout cela est bon. Deuxièmement, il y a le rapport de force. C’est vrai que les idées du Mouvement des citoyens ne sont pas celles qui sont partagées par toutes les formations de la majorité gouvernementale. Ça se recoupe, et heureusement, on le voit bien avec la politique conduite par le ministre de l’intérieur. Donc, il y a un rapport de force. Troisièmement, ce n’est pas par la politique de harcèlement que l’on fait avancer ses idées. C’est en avançant ses idées, fortement, en les défendant que l’on peut y arriver.
Est-ce que le Parti socialiste est hégémonique ? Il a toujours tendance à l’être fatalement puisqu’il est le plus fort. Mais il faut être capable de faire contrepoids. C’est ce que nous essayons d’entreprendre mais la négociation que nous avons à l’heure actuelle sur les régionales n’est pas encore proche de sa conclusion, naturellement. Mais nous saurons réagir si les choses n’étaient pas correctes. En tout cas, nous, nous ne pratiquons pas cette politique de critique sur chaque sujet. Nous intervenons à l’Assemblée nationale, nous disons notre façon de voir mais nous préférons prendre les questions en amont. J’ai par exemple tenu un colloque il y a quelques jours à l’Assemblée nationale sur la politique familiale. Car, nous estimons qu’il faut revenir, là aussi, à des choses tout à fait fondamentales et essentielles.
P. Lapousterle : Le bilan que vous dressez de six mois de gouvernement Jospin, est-ce qu’il a été dans la bonne direction et au bon rythme ?
G. Sarre : Il va dans la bonne direction, il y a encore des choses à faire, des corrections à apporter naturellement. Mais, je dirais que ce Gouvernement tranche par rapport à tous ceux que l’on a eus dans les années passées. Et quand je dis cela, je ne pense pas particulièrement – je pense au gouvernement Juppé, au gouvernement Balladur –, mais d’une certaine façon aux autres gouvernements de la gauche. Il y a un changement.
P. Lapousterle : J.-M. Ayrault, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, vient d’être condamné à six mois avec sursis et une amende pour favoritisme dans l’attribution de marchés publics. Est-ce que ça ne pose pas un problème pour qu’il reste président du groupe à l’Assemblée ?
G. Sarre : Moi, je suis au Mouvement des citoyens, comme vous l’avez heureusement rappelé tout à l’heure...
P. Lapousterle : Je sais bien mais vous appartenez à la majorité, c’est un des porte-parole de la majorité à l’Assemblée.
G. Sarre : Bien entendu. C’est l’affaire, un, des socialistes. Deux, c’est l’affaire de J.-M. Ayrault qui est un homme de qualité. Je me demande comment cette affaire a pu arriver.
P. Lapousterle : Juste un mot pour finir : il faudrait changer les modes d’élection du Sénat à votre avis ?
G. Sarre : Je considère que le Sénat ne joue un rôle que lorsque la gauche est au pouvoir. Autrement dit, il voit son rôle comme celui qui a tendance à mettre en permanence des bâtons dans les roues.
P. Lapousterle : Et donc ?
G. Sarre : Eh bien moi, je suis pour que les sénateurs soient élus différemment. Il est temps de changer cela, car nous ne sommes plus à l’époque de l’Assemblée, vous savez, du seigle et de la châtaigne. La France est maintenant un pays urbain, 80 % des Français vivent dans les villes. Il y en a assez de cette domination des zones soi-disant rurales. En réalité, ce sont les réactionnaires qui confisquent le Sénat. Il faut faire passer un peu d’air dans cette Assemblée.