Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Chers enfants,
Je suis heureux de vous accueillir ici, en ce lieu qui représente la République, pour fêter avec vous une journée importante et qui concerne tout particulièrement l’institution où l’on élabore le droit : la journée des droits de l’enfant.
L’Assemblée nationale (qui a voté l’an dernier avec le Sénat le principe d’une telle journée) y prendra tout à l’heure une part active puisqu’elle mettra en discussion, cet après-midi même, une proposition de loi rédigée par des enfants (ceux de la classe de CM2 de l’école Saint-Martin-de-Tours, que je salue) et qui a été retenue par le Parlement des enfants lors de sa séance du 21 juin dernier.
C’est Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres, député de la circonscription où se trouve cette classe et donc, on l’oublie trop souvent, représentant de ceux qui y habitent, quels que soient leur nationalité, leur état, et bien sûr leur âge, qui, sur ma suggestion et avec l’appui de son président de groupe a bien voulu prendre l’initiative de déposer officiellement auprès de l’Assemblée cette proposition de loi des députés-juniors. Je suis certain que nous serons nombreux à la voter. Et, qui sait, peut-être le sera-t-elle à l’unanimité.
En tout cas, ce vote sera symbolique de notre attachement aux droits de l’enfant. D’une part parce qu’il établira un droit essentiel pour les orphelins (celui de décider de leur avenir). D’autre part parce qu’il sera une reconnaissance du rôle important du Parlement des enfants, qui est l’enceinte dans laquelle ils peuvent exprimer ce qui les préoccupe, proposer des évolutions de la législation, et contribuer à améliorer les droits qui les concernent. L’année dernière, avec le Président Séguin, nous avions souhaité que notre collègue Schwarzenberg puisse défendre la proposition des enfants de Limeil-Brévannes qui visait à ce que la DASS ne sépare pas les fratries. Une tradition se construit : celle de voir les suggestions des députés-juniors reprises par l’Assemblée. Je m’en réjouis et je chercherai à la conforter.
Si j’ai tenu à accueillir ensemble les deux groupes d’enfants et de jeunes qui sont ici avec nous, c’est que chacun d’entre eux exprime une préoccupation forte : l’état actuel des droits de l’enfant d’une part et la question de la citoyenneté des jeunes d’autre part.
La France a ratifié en 1990 la Convention internationale adoptée par les Nations unies l’année précédente. Notre pays est sans doute l’un de ceux où les conditions de vie de la jeunesse sont en général satisfaisantes, aussi bien au plan de la santé que des loisirs ou de l’éducation. Pourtant il y a encore, chez nous, beaucoup d’inégalités, et donc beaucoup d’enfants pour lesquels les droits affirmés ne sont encore que virtuels. Il y a trop d’enfants qui ne mangent pas à leur faim, qui sont mali soignés, ou qui ne peuvent jamais partir en vacances. Le chômage et son lot de misère prive de nombreux gosses du milieu familial structurant dont ils ont besoin. Et combien de mineurs sont exploités, entraînés dans la spirale de la violence, considérés comme des « choses » dont on peut user ou abuser ? Sans parler des quelques centaines – ou des quelques milliers – qui sont dans des sectes ou simplement dans des milieux où leur liberté de conscience ne peut ni se construire ni s’exprimer.
On pense qu’il y a 65.000 enfants en danger en France, dont 20.000 seraient l’objet de maltraitance. Ce chiffre est considérable et révoltant, mais le nombre de ceux qui vivent en situation de quasi-marginalisation sociale est bien plus important encore : on évoque 1.500.000 ! Qu’en est-il, pour tous ceux-là, du droit aux loisirs, à la santé, à l’éducation, à la liberté d’expression ? Qu’en est-il, pour parler simplement, du « droit à grandir comme tout le monde », quand on vit dans ces conditions ?
J’ai été frappé de constater l’année dernière que le principal sujet, sur lequel les Français justement émus par de terribles « affaires » voulaient que les pouvoirs publics agissent vite et bien, était précisément les nouvelles menaces qui pèsent sur les enfants.
Je pense qu’il est temps de faire le point sur cette question : quelle place notre société fait-elle aux enfants et aux adolescents ? Sept ans après la ratification de la Convention internationale, il me semble que le moment est venu de dresser un bilan des droits des enfants en France. J’ai donc pris une initiative dont l’objectif est d’amorcer ce travail : la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’état des droits de l’enfant en France aujourd’hui, dont je me propose, avec l’accord de mes collègues, d’assumer personnellement la présidence. Cette résolution sera examinée par l’Assemblée. J’espère qu’elle permettra de mieux connaître la situation, donc de mieux comprendre, et ainsi de déboucher sur des propositions concrètes de décisions.
La seconde préoccupation concerne la question de la « citoyenneté des mineurs ». Je ne veux pas seulement parler de l’éducation civique, de la formation à la citoyenneté, de la préparation à exercer plus tard (quand on sera majeur) sa responsabilité de citoyen. Je veux surtout parler de la place réelle des jeunes dans la cité, de leur possibilité d’exprimer des points de vue collectifs, d’être entendus, de pouvoir agir sur ce qui les concerne. Je veux parler aussi de la conscience qu’ils ont de leurs responsabilités, de ce que l’on est en droit d’attendre d’eux, des conséquences sur autrui de leurs actes. Bref je veux parler des droits et des devoirs des jeunes. Et puisque c’est cela que l’on appelle la citoyenneté, je crois qu’il est devenu possible et utile de définir une « citoyenneté des mineurs ».
Le temps n’est plus où l’enfant « appartenait » uniquement et totalement à sa famille : parce que l’éducation s’est généralisée, parce que des techniques nouvelles sont à leur disposition, parce que l’espace social a été redessiné, parce que l’usage des libertés est devenu plus aisé et plus précoce, le temps est venu de redéfinir la place des jeunes dans la société et de préciser aussi bien ce que sont leurs droits et leurs devoirs que les moyens qu’ils ont – ou qu’ils auront – à leur disposition pour participer activement et de manière organisée et démocratique à la vie sociale.
Je pense que nous pourrions faire progresser cette idée d’une « citoyenneté des jeunes » en développant trois projets :
- le premier concerne le Parlement des enfants. C’est une belle institution, utile, qu’avait initiée le Président Emmanuelli et très bien développée le Président Séguin. Je souhaiterais que nous allions plus loin, d’une part en organisant pour les députés-juniors un « suivi », un lien avec l’Assemblée qui leur permettra de continuer à être informés de la vie parlementaire. Par ailleurs, j’aimerais que nous réussissions à réunir si possible le Parlement des enfants le même jour dans tous les pays de l’Union européenne ;
- le second projet est pour l’instant encore une utopie. Ne serait-ce pas un beau projet de réunir, à l’occasion de l’an 2000, ici à l’Assemblée nationale, un Parlement mondial des enfants ? Ce serait un magnifique symbole et une source d’espoir si des enfants de tous les pays du monde pouvaient ensemble dire comment ils veulent le monde et proposer aux adultes des cinq continents de prendre des mesures concrètes par exemple pour lutter contre la faim, contre l’illettrisme, contre toutes les formes d’exploitation ou contre la guerre. Oui, a cette réunion exceptionnelle pour un Parlement mondial des enfants ;
- un troisième projet au service de la citoyenneté des mineurs consiste à créer au sein de l’Assemblée nationale une cellule pédagogique. En réalité, l’Assemblée fait déjà beaucoup pour l’éducation civique des jeunes en diffusant de l’information, en organisant des visites, en répondant aux questions, et en publiant des documents, des livrets, et bientôt un CD-Rom, à l’intention des jeunes et des enseignants. Mais au-delà, il me semble qu’il serait utile de contribuer plus encore à l’éducation civique en proposant des activités pédagogiques conçues en liaison avec l’Éducation nationale. L’on pourrait ainsi faire progresser l’idée que la notion de « citoyenneté des jeunes » doit devenir de plus en plus concrète.
Je ne vais pas développer davantage aujourd’hui (qui est une journée de fête) ces différents projets.
Mais à travers la double invitation de ce matin, je salue :
- d’une part les enfants de la classe qui ont élaboré la proposition de loi que nous discuterons cet après-midi, et qui symbolise ici la volonté de faire participer les jeunes à la vie citoyenne ;
- d’autre part les jeunes de l’association VVL (Vacances Voyages Loisirs), qui ont préparé, un livre blanc sur les droits de l’enfant, et qui symbolise ici la volonté de faire le point sur la réalité des droits de la Convention ratifiée il y a sept ans.
Mon salut va aussi aux adultes qui les accompagnent, enseignants, parents, animateurs, qui contribuent au succès de leur entreprise, ainsi qu’aux animateurs associatifs qui sont avec nous.
À vous, Mesdames et Messieurs, et aux enfants tout particulièrement, je redis mon plaisir d’être avec vous pour cette journée des droits de l’enfant.
Nous sommes, tous ici, souvent submergés par un quotidien lourd et difficile. Ce que les enfants nous rappellent aujourd’hui, c’est que nous avons aussi le devoir de préparer l’avenir.