Texte intégral
JDD : Chômeurs, adolescents crient en ce moment, chacun à leur façon, leur désespoir. Quel message en ce début d'année avez-vous envie de leur adresser ?
Martine Aubry : Ces actes de violence des jeunes, ces occupations de chômeurs illustrent une fois de plus que la préoccupation essentielle des Français, qu'ils soient déjà sans emploi, qu'ils craignent de le devenir, qu'ils s'inquiètent pour leurs enfants, c'est le chômage. Au-delà surgit en permanence l'angoisse des chômeurs de longue durée, des Rmistes, de ceux qui vivent dans des quartiers en difficulté, angoisse à l'idée que cette société ne veut plus leur faire de place. C'est bien pour faire face à cette réalité que le gouvernement, derrière le Premier ministre, a fait de l'emploi et de la lutte contre l'exclusion la priorité de sa politique. Je voudrais redire à tous ceux qui s'inquiètent et qui souffrent la détermination qui est la nôtre de relancer et approfondir la croissance, de développer l'emploi et notamment les métiers de demain dans les nouvelles activités de services, autour des nouvelles technologies, dans les PME, de mieux organiser et répartir le travail par la baisse de la durée du travail et d'accompagner ceux de nos concitoyens qui sont les plus en difficulté. Cette détermination est totale et, présente dans les politiques mises en œuvre, les décisions budgétaires et les actions d'urgence.
JDD : Allez-vous laisser les antennes des Assedic être occupées ou pensez-vous que les chômeurs devront en être évacués ?
Martine Aubry : Il faut ramener ce mouvement à sa réelle mesure. 14 Assedic sont aujourd'hui occupées par quelques centaines de personnes au total. Même si cela peut paraître mineur par rapport aux 3 300 000 chômeurs, il s'agit dans beaucoup de cas de mains tendues, de personnes en détresse. Nous devons y répondre.
JDD : Oui mais ils font du bruit !
Martine Aubry : Ces situations d'urgence existent, Comment ne pas entendre par exemple le désarroi d'une famille qui ne peut pas payer son loyer ou sa facture d'électricité. Chacun doit prendre sa part au regard de ses responsabilités. Aussi ai-je demandé aux préfets d'analyser tous les cas qui leur sont soumis et d'y apporter les réponses les plus appropriées avec l'ensemble des financeurs concernés. Ainsi à Arras, 200 personnes ont reçu une aide de 2 000 F en moyenne sur les 250 dossiers présentés par les associations.
JDD : N'êtes-vous pas étonnée du silence de la présidente de l'UNEDIC, Nicole Notat ?
Martine Aubry : Il est vrai que la majeure partie des revendications des chômeurs a porté sur l'indemnisation du chômage et la réforme des fonds sociaux. C'est au conseil d'administration de l'Unedic de s'exprimer. Il se réunit mercredi prochain et délibérera de cette question. Ce n'est pas au gouvernement de décider dans un domaine qui relève de la responsabilité des partenaires sociaux.
JDD : Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir associé les chômeurs à la conférence salariale du 10 octobre ?
Martine Aubry : Non. Pour préparer la loi contre les exclusions, nous travaillons avec les associations de chômeurs comme avec l'ensemble des associations humanitaires et des organisations syndicales. Dans ce cadre, je les recevrai d'ailleurs le 12 janvier. Mais la lutte contre le chômage est l'affaire de l'État, des organisations patronales et syndicales, celles-ci représentant l'ensemble de ceux qui ont vocation à travailler ou qui travaillent. Rien ne serait pire que d'opposer les chômeurs aux salariés.
JDD : Concrètement, allez-vous accéder aux revendications des chômeurs : une prime de fin d'année de 3 000 F par chômeur, une augmentation de 1 500 des minima sociaux et le droit au revenu pour les jeunes de moins de 25 ans, aujourd’hui exclus du RMI
Martine Aubry : Permettez-moi de rappeler que, la revendication essentielle des chômeurs c'est d'avoir un emploi. C'est bien à cela que nous nous attelons. D'ores et déjà les mesures que nous avons prises pour relancer la consommation, pour redonner le moral aux Français portent leurs fruits : nous avons aujourd'hui des premiers signes tout à fait patents. Les chefs d'entreprise sont optimistes sur l'évolution actuelle et future, la production industrielle vient d'ailleurs de progresser en octobre 1997 de 9 % par rapport à octobre 1996. Les investissements redémarrent. Quant à la consommation qui était plate depuis 2 ans, elle a augmenté au troisième trimestre 1997 de 1,1 %. La confiance revient. Les premiers effets sur l'emploi existent même s'ils sont modestes, il y a des signes positifs : les offres d'emploi ont augmenté de 20 % par rapport à novembre 1996, les licenciements économiques ont diminué de 17 %. Le chômage des jeunes a baissé ce mois-ci de 2 %.
JDD : Mais la prime pour tout le monde ?
Martine Aubry : L'important c'est l'emploi. L'accompagnement des plus exclus et l'aide d'urgence à ceux qui en ont besoin, c'est notre combat de tous les jours. Je viens d'annoncer des décisions pour recentrer les Contrats emploi solidarité (CES) et les emplois d'insertion vers les plus fragiles et pour redonner un sens au I du RMI (revenu minimum d'insertion). Nous venons d'augmenter les minima sociaux, principalement l'allocation spécifique de solidarité (ASS) de 3 % et le gouvernement vient d'accueillir favorablement la proposition du groupe communiste de porter à 5 000 francs l'indemnité des allocataires du RMI et de l'ASS qui ont plus de 55 ans et qui ont cotisé 40 ans ou plus.
JDD : Jacques Barrot, votre prédécesseur, pense que vous avez misé sur les emplois jeunes ou détriment des chômeurs de longue durée.
Martine Aubry : C'est vrai que le chômage de longue durée a augmenté de 1,2 % en novembre. Comme chacun sait, c'est d'abord la conséquence de l'augmentation du chômage il y a un an, qui était d'ailleurs en augmentation quasi permanente en France depuis juin 1995. C'est une vérité première ! Pour diminuer le chômage de longue durée, il faut d'abord lutter contre le chômage. C'est ce que nous faisons. Il faut aussi s'attaquer au chômage de très longue durée, ce que n'avait pas fait le gouvernement précédent. Quant à nous, malgré un budget difficile et la priorité donnée au financement des emploi-jeunes et de la réduction du temps de travail, nous avons affiché un soutien majeur aux chômeurs de longue durée en créant 500 000 CES en 1998, en augmentant les crédits d'insertion de 6 %, en développant la part des chômeurs de longue durée dans les stages d'insertion. Nous luttons aussi contre l'exclusion de l'emploi, parallèlement au programme majeur de lutte contre les exclusions que prépare le gouvernement. Ce projet de loi mobilise d'ailleurs 19 ministères qui travaillent en étroite collaboration avec les associations qui portent ce dossier depuis de nombreuses années. Cette grande loi sera présentée au printemps au Parlement.