Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, à RTL le 31 août 1999, sur les projets à long terme de la gauche, la politique fiscale du gouvernement Jospin, la parité homme-femme, le plein emploi et les manifestations paysannes et les revendications des agriculteurs pour une "exception culturelle" contre les effets de la mondialisation.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Avez-vous trouvé dans le discours de L. Jospin le grand souffle de l'aventure collective proposée par la gauche ?

- « L. Jospin s'est exprimé avant-hier comme un homme d'Etat. Il a présenté une vision de longue portée. L'un des grands mérites de son intervention était d'enjamber les échéances électorales immédiates pour dessiner un projet collectif à long terme. Je suis personnellement très heureux qu'il ait cadré, qu'il ait fixé le cap, donné le "la" et le tempo. »

Q - Il a resatisfait pleinement ?

- « Bien sûr, puisqu'il s'agit de la ligne générale de notre action. »

Q - Tout de même dans Le Monde la semaine dernière, vous dénonciez « l'ambition rabotée de la gauche qui veut seulement démontrer qu'elle sait gérer ». Ce n'est pas ce qu'a voulu faire L. Jospin, l'autre jour ?

- « Non, j'ai dénoncé une tendance du socialisme européen à devenir un socialisme gestionnaire tourné vers le court terme, oubliant les grands combats du passé, surtout ne se situant pas dans le futur. Attitude d'ailleurs qui va coûter cher à nos amis italiens ou allemands qui sont de plus en plus coupés des forces vives et de la jeunesse de leur pays et qui verront leurs succès électoraux se réduire progressivement. »

Q - Et en France ça va ?

- « En France nous avons aujourd'hui une volonté de concilier la modernisation et le souffle de gauche. Il reste dans le concret à examiner comment ce discours de L. Jospin va se traduire par les réformes, dont il annonce le choix, dans les prochaines semaines. Personnellement, je souhaite que ces réformes soient en effet ces reformes concrètes à l'image d'une gauche de l'imagination, d'une, gauche de combat, d'une gauche du coeur. Pour donner quelques exemples : sur le plan des réformes sociales, je souhaite que la question des banlieues soit traitée profondément, elle mérite d' être révolutionnée, en particulier la question du logement. Il faut aussi mieux la financer, et personnellement je suis toujours en désaccord avec les milliards accordés au patronat pour prétendument créer des emplois qu'il ne crée pas. Et de même sur les impôts, personnellement, par rapport à tous les amis qui se sont exprimés, je ne considère pas que la baisse d'impôts en tant que telle soit la panacée. Moi, je suis contre des prélèvements obligatoires trop élevés comme tout le monde, je suis favorable à la baisse des impôts mais à condition que l'exigence numéro un ce soit la justice fiscale. Et de ce point de vue, je le dis très franchement - et sur ce plan je suis minoritaire - je ne suis pas favorable personnellement, à une baisse de l'impôt direct sur le revenu. Par contre, je, pense qu'il faudra s'attaquer enfin à la taxe d'habitation qui est un des impôts les plus injustes et les plus pénalisants et surtout continuer la baisse de la TVA. »

Q - Qu'est ce que vous reprochez à la baisse de l'impôt sur le revenu ?

- « Notre système fiscal on le sait - à gauche nous l'avons dit souvent - est un système extraordinairement injuste. Et nos ressources sont principalement composées des impôts indirects qui pénalisent ceux que précisément L. Jospin appelaient dimanche les exclus, les classes populaires et les classes moyennes. Et donc je souhaite que nous continuions  dans ce sens… »

Q - Les classes moyennes, elles paient l'impôt sur le revenu !

- « Oui, mais elles paient aussi la TVA et parfois à des taux excessifs. »

Q - Quand L. Jospin parle de sa nouvelle alliance qui va des exclus aux classes moyennes, c'est un calcul électoral ?

- « Non c'est une analyse de la société telle qu'elle est, et on ne peut pas, quand on était au gouvernement… »

Q - Attendez, elles existaient aussi l'an dernier les classes moyennes !

- « Sans doute, mais il est arrivé à la gauche de prendre toute une série de mesures en faveur des classes moyennes. Leur Gouvernement n'est pas là pour exciter ou aiguiser les rivalités entre les différentes composantes d'une société mais pour essayer de répondre aux différents besoins sociaux. »

Q - Est-ce que vous avez ressenti, comme beaucoup de journalistes dimanche, que L. Jospin est déjà un peu Président de la République dans son esprit ?

- « Excusez-moi de vous le dire, vous êtes un peu tordus, messieurs. les journalistes ! Quand le Premier ministre parle des questions immédiates, vous l'accusez d'être dans le court terme ; lorsqu'il annonce - et je m'en réjouis - un plan sur dix ans, vous lui prêtez je ne sais quel... »

Q - Pourquoi, ce serait un mauvais candidat, L. Jospin ?

- « Excellent candidat ! Et il a raison, dix fois raison de se situer dans le futur, car notre pays a besoin de disposer d'un projet collectif. La question [de la présidence de la République ne se pose pas aujourd'hui, elle n'est pas d1actualité. »

Q - Autre projet mis en avant par le parti socialiste : la parité. Dimanche, on n'en a pas trop parlé.

- « Il a réaffirmé l'exigence de parité. Il a annoncé, et je m'en réjouis, un projet de loi qui, pour les élections municipales prochaines, instituera, j'imagine, des quotas ou pénalisera financièrement ceux des partis qui ne respectent pas cette exigence de parité. Personnellement, je souhaite que le Parti socialiste donne l'exemple et, sans attendre la loi, que nous disions que pour les élections municipales, nos listes seront composées à exacte parité : 50 % femmes, 50 % hommes. Nous l'avons fait à Blois et dans quelques autres villes… »

Q - Y compris pour les têtes de liste ?

- « Pour les têtes de liste c'est plus compliqué parce qu'il faudrait faire une espèce de comparaison nationale, c'est très difficile. Autre réforme à entreprendre : réduire le mandat des conseils municipaux à cinq ans, comme nous l'avons fait pour les conseils régionaux. »

Q - Pour la décennie à venir, L. Jospin dit : « Objectif : société de plein-emploi. » Est-ce que c'est un objectif suffisant ou bien est-ce que c'est un peu court ?

- « Je dirais de "pleine-activité", parce qu'il y a les emplois traditionnels et il y a les activités multiples. Objectif : pleine-activité, que chaque citoyen de ce pays se sente pleinement… »

Q - Mais vous semblez rêver de quelque chose qui soit un peu utopique. L'utopie est un peu nécessaire à la vie politique ?

- « C'est évident. En France, en Italie, en Allemagne ou ailleurs, il faut que l'homme soit pleinement placé au coeur de la société, notamment grâce à l'emploi - et bravo, d'ailleurs, pour les bonnes nouvelles d'aujourd'hui sur l'emploi. En effet, il est très important, que si la politique veut retrouver, en particulier, la confiance de la jeunesse, elle puisse, répondre aux aspirations, aux désirs, aux espoirs, aux rêves, aux utopies concrètes des citoyens. »

Q - Il y a des manifestations paysannes aujourd'hui pour réclamer la mise en liberté de J. Bové. Ces paysans réclament une sorte d'exception pour l'agriculture, comme il y a une exception culturelle en Europe, contre la mondialisation. Ils ont raison ?

- « Je suis tout à fait d'accord avec eux. D'ailleurs, on retrouve l'être humain. Les agriculteurs, aujourd'hui, se battent pour nous tous ; ce n'est pas seulement pour eux-mêmes. J'ai été l'inventeur de l'expression "exception culturelle" pour essayer d'obtenir des règles particulières pour la culture, mais finalement, je me dis aujourd'hui que la normalité c'est l'homme, c'est l'être humain, c'est l'environnement, c'est sa protection sociale, c'est son harmonie personnelle et collective. Donc, en effet, l'exception se devrait être certaines contraintes - économiques ou autres -, mais dans le cadre des négociations internationales l'être humain doit être au coeur de nos préoccupations. Il y a une bataille idéologique de première importance qui est engagée… »

Q - C'est une question de civilisation ?

- « Bien entendu ! Voulons-nous ou non être sur le plan agricole, sur le plan industriel, sur le plan intellectuel, une colonie de l'immense empire du profit ? Acceptons-nous la dictature de l'ordre mercantile mondial ? Nous soumettons-nous à la machine à broyer les cultures, que ce soit les cultures de la terre ou les cultures de l'esprit ? Voilà la question qui est posée. »

Q - Vous vouliez accaparer la jeunesse tout à l'heure, mais elle va dans les McDo, la jeunesse ?

- « Certes ! Mais la jeunesse, je la vois de près. Quand vous mettez en évidence la qualité, la découverte des produits de la terre, un art de vivre différent, elle est prête à vous suivre. »

Q - Vous récusez le rôle de l'Organisation mondiale du commerce comme arbitre ?

- « Personnellement, j'ai voté contre les accords du GATT, donc j'ai voté contre les conditions dans lesquelles l'OMC a été créée. Mais, l'OMC est là. Il faudra bien discuter. Ce sera un rapport de forces, ce sera une bataille internationale très dure, très difficile. Il faut que nous nous mobilisions les uns et les autres. »

Q - Vous souhaitez la mise en liberté de J. Bové ?

- « Au fond de mon coeur, je partage la colère des agriculteurs. Mais je ne peux pas approuver, en tant que dirigeant politique, un acte de violence à l'égard d'une propriété privée ou publique. Au tribunal de décider aujourd'hui. »