Texte intégral
I. - Pourquoi un nouveau Code pénal ?
1. Le Code pénal de 1810 était l’expression d’une société civile radicalement différente de la nôtre, qu’il s’agisse de son organisation politique, de son ordre économique et social ou des valeurs consacrées par la conscience collective.
Entre le temps des diligences et celui de la fusée Ariane, la criminalité et la délinquance ont grandement changé, comme la société française elle-même. Si le nombre d’homicides au début du XIXe siècle était supérieur pour une France deux fois moins peuplée à ce qu’il est aujourd’hui, des formes nouvelles de criminalité ont fait leur apparition : grand banditisme et terrorisme organisé, trafic de drogues, infractions multiples liées à la vie urbaine et à la circulation routière, délinquance économique complexe, atteintes à l’environnement, à la santé des consommateurs, à la sûreté des travailleurs, des voyageurs, etc. La notion d’intérêts collectifs a fait son apparition là où n’existaient que l’intérêt de l’Etat et celui des particuliers. Et les personnes morales, sociétés ou associations, sont devenues sous des formes diverses les agents essentiels de la vie économique et sociale.
2. Sans doute la loi pénale a-t-elle beaucoup évolué depuis 1810
a) Par l’individualisation de la peine
Des lois successives ont permis au juge la prise en considération de plus en plus large de la personnalité du criminel. Ainsi ont été introduites dans notre droit les circonstances atténuantes (1832), la récidive et le sursis simple (1886), le sursis avec mise à l’épreuve (1958), l’ajournement du prononcé de la peine (1975). Le droit pénal des mineurs a fait son apparition en 1912 et gagne son autonomie en 1945. L’exécution des peines a connu le même mouvement d’individualisation avec la libération conditionnelle (1891), la permission de sortie (1958), la semi-liberté (1970).
b) Par l’humanisation de la peine
Les châtiments corporels affectant l’intégrité de la personne humaine : peine de mort, poing coupé pour les parricides et travaux forcés ont progressivement disparu avec la suppression de la mutilation (1832), du bagne (1946), de la peine de mort (1981).
La réclusion criminelle a remplacé les travaux forçés (1946). Et à l’emprisonnement et à l’amende, peines classiques, se sont ajoutées d’autres formes de sanctions, notamment le travail d’intérêt général (1983), destinées à réduire le recours à l’emprisonnement.
c) Par la prolifération des incriminations
A mesure que des législations spéciales venaient réglementer les diverses activités de la société moderne, des lois pénales faisaient leur apparition hors du Code pénal. Ainsi se sont développés le droit pénal économique et fiscal, le droit pénal du travail, celui de l’urbanisme et du logement, du transport, de la santé publique, de l’environnement.
Combien le droit français compte-t-il aujourd’hui de textes de droit pénal ? Plusieurs dizaines de milliers à coup sûr. Mais le chiffre exact est inconnu.
3. Notre Code pénal apparaît donc :
1. Archaïque par les survivances qu’il comporte. Ainsi le vagabondage et la mendicité constituent-ils encore dans notre Code pénal des infractions punies de peines sévères d’emprisonnement. Et le prêtre qui célèbre des mariages religieux sans mariage civil préalable encourt dix ans de réclusion criminelle !
2. Inadapté aux exigences de notre société. Ainsi les agents économiques essentiels, les sociétés, échappent-ils à toute sanction pénale pour les infractions qu’ils commettent, notamment dans le domaine industriel ou en matière de législation du travail.
3. Contradictoire par ses dispositions. Dans la hiérarchie des peines du Code pénal, les infractions les plus graves sont des crimes punis de réclusion, les moins graves des délits punis d’emprisonnement. Or, aujourd’hui, le trafic de stupéfiants est un délit passible d’une peine de vingt années de prison. Par contre, l’abus de confiance commis par un notaire est un crime passible de dix années de réclusion. A la faveur des modifications législatives successives, la hiérarchie pénale a perdu sa cohérence.
4. Incomplet, car une grande partie des textes de droit pénal ne figure plus dans le Code pénal, mais dans les lois spéciales multiples, difficiles parfois à connaître, ce qui nuit à l’harmonie et à la clarté juridique du droit pénal.
Le Code pénal actuel apparaît ainsi comme un instrument juridique obsolète. La législation pénale française appelle une refonte complète de nos textes en un instrument unique et clair, exprimant les valeurs et répondant aux exigences de notre temps : un nouveau Code pénal regroupant l’ensemble des dispositions de notre droit pénal.
Le législateur français rejoindrait d’ailleurs par là le mouvement actuel des législations européennes. C’est ainsi que la R.F.A., l’Autriche, l’Espagne ont récemment adopté de nouveaux codes pénaux. Et dans d’autres pays, les travaux de rénovation de la législation pénale sont en cours.
En France, une commission de révision du Code pénal s’était mise à l’œuvre en 1974. Un premier avant-projet sur les dispositions générales avait été rédigé en 1978. Pour des raisons politiques, les travaux avaient été alors abandonnés. Ils ont été repris à l’automne 1981 par une commission élargie présidée par le garde des sceaux. Ils se sont poursuivis tout au long des quatre années écoulées.
L’ouvrage se composera d’une partie générale, posant les règles d’ensemble au droit pénal. Ces règles composeront le livre I, aujourd’hui achevé. Puis seront définies les incriminations classiques : atteintes aux personnes (livre II), atteintes aux biens (livre III), également terminés, le quatrième livre, en cours d’achèvement, concernera les atteintes à la paix publique et aux institutions de la République.
Seront ensuite élaborés les livres suivants consacrés aux aspects les plus techniques de la législation pénale : droit pénal de l’économie, du travail, des finances publiques, de la santé publique, de l’environnement, de l’urbanisme.
II. - Quel Code pénal pour notre temps ?
Tout Code pénal doit remplir une double fonction.
La première, évidente, est la fonction répressive. La loi pénale a pour finalité première la défense de la société civile et de ses membres.
A cette fin, la loi édicte des peines qui frappent ceux qui attentent à l’ordre social.
La seconde fonction de la loi pénale est plus secrète. Toute société repose sur certaines valeurs reconnues par la conscience collective. Ces valeurs se traduisent par des interdits. Et ces interdits à leur tour engendrent des peines contre ceux qui les méconnaissent.
Ainsi, la loi pénale exprime-t-elle par les sanctions qu’elle édicte le système de valeurs d’une société. C’est la fonction expressive de la loi pénale.
S’il y a rupture d’harmonie entre deux fonctions, la loi pénale ne remplit plus efficacement son office dans la société. Par exemple, lorsque la peine subsiste mais que la valeur qui la fondait n’est plus admise par la conscience collective, la sanction pénale ne satisfait plus mais heurte la conscience collective. Elle apparaît comme l’expression d’une survivance et non plus d’une valeur. Elle choque la sensibilité publique. Et dans une démocratie, elle tombe en déshérence. Ainsi en a-t-il été, dans l’histoire, des lois pénales qui sanctionnaient certains interdits d’ordre religieux ou moral : le sacrilège ou l’adultère. La loi pénale apparaît ainsi plus qu’aucune autre marquée d’une dimension éthique. Ce qui explique les passions qu’elle suscite.
Le nouveau Code pénal pour assumer pleinement sa mission doit donc répondre à une double exigence :
La première est d’ordre juridique. Il convient de doter notre société d’un ensemble cohérent de lois pénales adaptées à notre temps. En un mot, il faut rénover notre Code pénal.
La seconde exigence est d’ordre éthique : le nouveau Code pénal doit exprimer les valeurs de notre société. Les incriminations qu’il formule, les peines qu’il comporte doivent être en harmonie avec la conscience collective. C’est la dimension morale du Code pénal. Elle donne à l’élaboration de la loi pénale son originalité et sa difficulté, notamment dans une société aussi complexe que la société française.
Ire partie : un Code pénal moderne
I. - Renforcer l’Etat de droit
La France est une démocratie. Elle doit bénéficier d’un Etat de droit exemplaire. Le Code pénal doit donc satisfaire aux règles fondamentales qui garantissent les droits et libertés des citoyens en matière pénale, et notamment aux principes inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
A. - La loi pénale
Le projet consacre donc dès son premier chapitre les principes de l’Etat de droit en matière pénale : principe de légalité et de non-rétroactivité de la loi pénale. Proportionnalité de la sanction à la gravité de l’infraction. Principe de la personnalité de la sanction pénale, interprétation stricte de la loi pénale.
Le projet de Code pénal définit également les conditions de l’application de loi pénale dans le temps et dans l’espace conformément aux règles de droit établies.
B. - La responsabilité pénale
a) Les personnes responsables
Au-delà des acteurs classiques, auteur et complice, personnes physiques, le projet prend en compte des intervenants dont le rôle est parfois essentiel dans le processus criminel et dont la responsabilité pénale est aujourd’hui ignorée.
1. Ainsi indépendamment de l’agent ou de l’exécutant, l’instigateur de l’infraction, le « cerveau » de la bande sera tenu responsable de l’infraction qu’il a conçue et entrepris de faire réaliser même si l’homme de main a renoncé à l’entreprise criminelle. Ainsi en sera-t-il de celui qui crée et organise un réseau de trafiquants de stupéfiants ou une bande de cambrioleurs.
2. Les personnes morales pourront être déclarées pénalement responsables de certaines infractions : ce sera le cas lorsque la loi le prévoira expressément, par exemple en matière de droit pénal des affaires. Ainsi, l’entreprise responsable pourra être condamnée à raison de faits de pollution, de fraude, d’homicide involontaire en cas de manquement aux règles de sécurité.
L’immunité actuelle des personnes morales est d’autant plus choquante qu’elles sont souvent, par l’ampleur des moyens dont elles disposent, à l’origine d’atteintes graves à la santé publique, à l’environnement, à l’ordre public économique ou à la législation sociale. De surcroît, la décision qui est à l’origine de l’infraction est prise par les organes sociaux eux-mêmes, qui déterminent la politique industrielle, commerciale ou sociale de l’entreprise. A l’instar d’autres pays, tels que les Etats-Unis ou la Grande Bretagne, il convient donc de mettre en cause, dans des cas déterminés, et par des peines pécuniaires ou privatives de droits appropriées, la responsabilité des personnes morales. La responsabilité pénale d’un dirigeant d’entreprise pourra également être retenue en même temps que celle des personnes morales s’il est prouvé que ce dirigeant est personnellement intervenu dans la décision ou dans la réalisation de l’infraction, ou si la loi prévoit qu’il répond personnellement de certaines infractions – réglementation du travail ou de la sécurité sociale, matières économique, fiscale… Mais disparaîtra la présomption de responsabilité pénale qui pèse en fait aujourd’hui sur des dirigeants à propos d’infractions dont ils ignorent parfois l’existence ; ainsi sera mieux respecté le principe fondamental selon lequel, en droit pénal, nul ne répond que de son propre fait.
b) Les cas d’irresponsabilité pénale
1. Le projet substitue à la « démence », visée par l’article 64 du Code pénal, une définition plus conforme aux données actuelles de la psychiatrie. Sera exclue la responsabilité pénale de celui « qui était atteint, au moment de l’infraction, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
2. Si l’auteur de l’infraction souffre de troubles mentaux ayant seulement altéré partiellement son discernement, il appartiendra aux juges d’en tirer les conséquences dans la détermination et les modalités d’exécution de la peine.
3. Un comportement fautif ne peut être reproché à celui qui, bien que conscient, s’est trouvé forcé irrésistiblement de commettre l’infraction. Les causes classiques de non-punissabilité : contrainte, défense légitime, état de nécessité, ordre de la loi ou de l’autorité légitime subsistent donc dans le projet telles que la jurisprudence les a définies. S’y ajoute l’erreur de droit, si elle s’avère irrésistible au regard des circonstances. Ce cas nouveau d’irresponsabilité est lié à la prolifération actuelle des textes de toute nature.
c) Les peines
Le Code pénal est par nature le code des peines. Le projet a donc conservé ce terme plutôt que d’adopter celui – plus neutre – de sanction.
Les modifications considérables intervenues dans la nature et l’échelle des peines depuis 1810, l’adjonction de peines nouvelles, notamment celles dites accessoires ou complémentaires, le développement des mesures pénales de sûreté, l’apparition des peines de substitution à l’emprisonnement, toutes ces dispositions hétérogènes appellent une clarification et une harmonisation du système des peines dans le Code pénal.
1. Aux fins de simplification, toutes les sanctions pénales relèvent désormais d’une seule catégorie, celle des peines. En effet, coexistent dans notre droit, à côté des peines « principales », des interdictions diverses – suspension du permis de conduire, interdictions professionnelles qualifiées de « mesures de sûreté » et soumises à un régime juridique particulier, notamment du point de vue de l’amnistie, de la grâce ou de la prescription. Existent en outre des « peines accessoires » automatiquement applicables dès lors qu’une condamnation est intervenue : c’est ainsi que de nombreuses interdictions professionnelles peuvent frapper un condamné sans que celui-ci l’ait su… et sans que le juge en ait eu conscience au moment où il a prononcé son verdict. Désormais, toutes les sanctions pénales seront, sans distinction, des peines. Elles sont d’ailleurs ressenties comme telles par le condamné ; en matière correctionnelle ou contraventionnelle, aucune interdiction ne pourra intervenir sans avoir été expressément décidée par le juge et inscrite dans la décision. Dans un Etat de droit, le justiciable doit être informé des peines prononcées à son encontre.
2. Aux fins de clarification, s’agissant de la hiérarchie des infractions, le projet de Code pénal propose une nouvelle échelle des infractions et des peines.
a) La distinction tripartite : crimes, délits, contraventions est conservée. Mais cette distinction ne repose plus sur la seule nature des peines encourues. C’est la gravité de l’atteinte causée à la société qui détermine la nature juridique de l’infraction et, par voie de conséquence, la peine applicable. Ainsi seules les atteintes aux valeurs de la société constituent des crimes ou des délits. Les contraventions n’étant que des manquements à la discipline de la vie en société.
De même, le crime implique la volonté consciente de son auteur à la fois de commettre l’acte et d’atteindre le résultat criminel poursuivi : meurtre de la victime, ou destruction d’habitation par explosif. Dans le cas du délit au contraire, la faute pourra être soit intentionnelle, soit résulter d’un manque de prudence ou d’une négligence, ou de la mise en danger délibérée d’autrui. En matière de contravention, la simple inobservation de la règle suffira à caractériser la faute, sans que l’on s’interroge sur l’intention de son auteur.
b) A cette hiérarchie entre les infractions fondées sur leur gravité intrinsèque, répond l’échelle des peines encourues.
Il convient d’abord de rétablir la hiérarchie des peines, aujourd’hui méconnue. Ainsi certaines infractions en matière de proxénétisme ou de trafics de stupéfiants sont qualifiées actuellement de délits, justiciables des tribunaux correctionnels qui peuvent prononcer contre leurs auteurs des peines de dix ou vingt années d’emprisonnement. La plupart de ces infractions, par leur gravité, devraient constituer en réalité des crimes passibles de la cour d’assises. Le projet donne donc à ces infractions leur véritable nature juridique en les qualifiant de crimes passibles de la réclusion.
a) En matière criminelle, la peine la plus élevée demeure la peine de réclusion criminelle à perpétuité. L’abolition de la peine de mort a porté dans la loi pénale de soixante-quatre à cent dix-neuf le nombre de crimes passibles de la peine perpétuelle. Cette uniformisation engendre une confusion des valeurs pénales inacceptable. Il est donc apparu indispensable de créer entre cette peine et celle de vingt années un échelon intermédiaire : la peine de trente années de réclusion criminelle. Ainsi l’auteur du crime contre l’humanité encourra la réclusion perpétuelle – l’auteur d’un meurtre sans circonstances aggravantes une peine de trente années. Mais que le meurtre soit accompagné d’un autre crime, par exemple tortures ou viol, et la peine encourue sera celle de la réclusion à perpétuité.
Selon leur gravité, les autres crimes pourront être punis de vingt, quinze ou dix années de réclusion criminelle. Des amendes criminelles pouvant atteindre 5 millions de francs pourront être également prononcées.
c) En matière correctionnelle, le terme de délinquance recouvre des infractions très diverses, à la gravité très variable. Entre le voleur à l’étalage et l’escroc à l’épargne publique, la différence est considérable, aussi bien au regard du comportement délictueux que de la gravité de l’atteinte à la société. La réponse pénale doit donc être empreinte de souplesse et de diversité pour permettre au juge le recours à la sanction la mieux adaptée à la nature de l’infraction et à la personnalité du délinquant.
1. L’emprisonnement, en l’état de notre société, ne saurait disparaître de notre système de peine. En matière de délits, le projet fixe la peine maximale d’emprisonnement à sept années. Mais la prison ne doit point demeurer le fondement principal sinon exclusif du système de peines correctionnelles. Toujours nécessaire à la répression des délits les plus graves, l’emprisonnement ne doit pas apparaître comme une peine inévitable ou usuelle.
S’agissant d’abord des sanctions pécuniaires, le projet accroît considérablement le taux des amendes correctionnelles dont le maximum selon le délit incriminé varie de 50 000 F à 5 000 000 F. En outre, le nouveau code offrira au juge une gamme d’autres peines : le travail d’intérêt général, le jour-amende, l’immobilisation temporaire du véhicule.
Toutes ces peines procèdent du souci d’apporter une sanction appropriée à chaque type de délinquant et à chaque catégorie de délit. Elles ne sauraient être regardées comme de simples succédanés à l’incarcération, car elles ont leur finalité propre : la dissuasion, avec la confiscation de la moto, la neutralisation, avec l’annulation du permis de conduire, le développement du sens civique, avec les « travaux d’intérêt général », l’indemnisation de la victime, avec l’ajournement ou le sursis avec mise à l’épreuve.
2. Dans le même souci de favoriser l’individualisation des peines, le juge pénal disposera également de deux nouveaux modes d’intervention inspirés par la probation anglo-saxonne. Après la décision de culpabilité le tribunal pourra ajourner le prononcé de la peine, comme dans le droit actuel, mais en l’assortissant d’une mise à l’épreuve ou d’une injonction faite au prévenu, par exemple, d’élaborer un plan de sécurité dans le cas d’accident du travail ou de pollution industrielle.
3. Enfin, pour lutter contre la courte peine d’emprisonnement, dont les conséquences dommageables sont bien connues, notamment en termes de récidive s’agissant de petits délinquants, le projet fixe à l’instar de certaines législations européennes un seul précis sans interdire absolument les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à quatre mois, le projet marque nettement que de telles peines ne doivent être prononcées qu’exceptionnellement. Le projet énonce en conséquence que le juge ne pourra prononcer une telle peine que si elle lui apparaît commandée par des motifs impérieux – motifs que le juge devra expliciter à l’appui de sa décision.
c) En matière de contraventions, la peine d’emprisonnement est exclue. Outre l’effet désocialisant des courtes peines, elle apparaît disproportionnée avec les simples atteintes à la discipline de la vie en société.
En revanche, le projet met à la disposition du juge en matière de contravention des peines diversifiées, amendes ou peines restrictives ou privatives de droit : confiscation d’armes, suspension de permis de conduire, immobilisation des véhicules, retrait du permis de chasse…
Toutefois, dans le cas de récidive des contraventions les plus graves, le prévenu encourra une peine d’emprisonnement de trois mois. Encore, faudra-t-il que le juge, dans sa décision, explicite les motifs particuliers qui lui font considérer comme indispensable le prononcé d’une courte peine d’emprisonnement, celle-ci ne devant être qu’un ultime et exceptionnel recours pénal.
d) S’agissant des personnes morales, celles-ci encourront des peines adaptées à leur nature : amendes dont le taux sera décuplé, placement sous contrôle judiciaire, exclusion des marchés publics ou de recours à l’épargne publique, dissolution et liquidation judiciaire.
e) S’agissant de la mesure des peines, le projet codifie et clarifie les règles acquises en matière de concours et de confusion des peines.
L’aggravation des peines en cas de récidive est confirmée selon les normes actuelles. L’extinction des peines ou l’interdiction de leur exécution (décès du condamné, prescription, grâce, amnistie) sont également codifiées. La réhabilitation de droit est élargie et entraîne la suppression des fiches de condamnation inscrites au casier judiciaire, pour assurer un véritable « pardon »…
f) Enfin, pour simplifier la pratique judiciaire, le projet fixe le maximum de la peine encourue, sans s’attacher à fixer un minimum. En effet, par le jeu des circonstances atténuantes, ce minimum est devenu illusoire ou fallacieux. Aujourd’hui si la peine encourue est la peine de réclusion criminelle à perpétuité, la peine prononcée peut être de deux années de prison avec sursis ! Et en matière correctionnelle, pour une peine maximum de dix ans de prison, le tribunal peut aujourd’hui prononcer une condamnation à 30 F d’amende avec sursis !
Il est donc plus conforme à la réalité judiciaire de fixer le maximum encouru, et de laisser aux juges le soin de déterminer le quantum de la peine justement applicable. A s’en tenir à l’indication du maximum de la peine encourue pour chaque incrimination, le code gagnera en clarté et en simplicité.
2. Rénover les incriminations
La même volonté d’adapter la réponse pénale à la réalité de la criminalité et de la délinquance moderne commande une rénovation des incriminations.
A. - Disparaissent du Code pénal les archaïsmes et les survivances, tels le délit de mendicité ou l’avortement pratiqué par la femme sur elle-même. Une large dépénalisation ou contraventionnalisation interviendra tout au long des parties spéciales du Code pénal, où figurent nombre de délits purement formels, notamment dans le domaine du droit économique, du droit social ou du droit des transports. Ces infractions délictueuses, qui se comptent aujourd’hui par centaines dans notre droit pénal, obscurcissent nos lois et sont inutiles à la défense de l’ordre public. Elles doivent disparaître ou régresser au rang des contraventions.
B. - Par contre, le nouveau Code pénal doit s’ouvrir très largement aux incriminations nouvelles nées du progrès des techniques.
Ces nouvelles incriminations trouveront leur place dans les parties spéciales du Code pénal consacrés au droit pénal de l’économie, du travail, de la santé, de la consommation, de l’urbanisme, de l’environnement, etc. Chacun de ces sujets constituera un livre particulier du Code pénal.
C. - Déjà, dans le domaine des atteintes aux biens, terre d’élection du droit pénal classique, qui s’intègre dans le Code pénal proprement dit, le projet modifie certaines incriminations et en comporte de nouvelles.
a) Le vol et le recel
En matière de vol, des lois trop nombreuses ont engendré une véritable confusion des valeurs pénales. Aujourd’hui le vol à main armée commis sans faire usage d’une arme est puni des mêmes peines que l’assassinat. Et le voleur à l’étalage encourt une peine d’emprisonnement supérieure à celle qui menace l’automobiliste qui tue un enfant à la sortie de l’école.
Si le vol demeure le délit le plus communément commis de notre droit pénal, il convient d’en distinguer clairement les formes, très variables en termes de dangerosité sociale. La hiérarchie des peines en cette matière doit prendre en considération deux éléments essentiels : le caractère organisé du vol, le recours éventuel à la violence et en particulier aux armes.
1. Ainsi sera qualifié crime le vol commis par une bande organisée agissant à force ouverte. S’il est fait usage des armes, une peine de trente années de réclusion est encourue. Si les violences ont entraîné la mort de la victime, la peine sera la réclusion criminelle à perpétuité.
2. A l’autre extrémité de l’échelle des peines, le voleur agissant seul, sans recours à la violence, sans effraction ni vandalisme, celui qui vole le bien exposé à la vente dans un grand magasin ou l’objet laissé dans la voiture non verrouillée, encourra une peine de deux années d’emprisonnement. Mais si le voleur agit de concert avec d’autres, par exemple des complices détournant l’attention du vendeur ou s’il use de violences, comme l’arrachage de sac, la peine encourue sera de cinq ans.
3. Si les violences exercées entraînent des blessures, la peine sera de sept années. Et si les violences ont été d’une gravité telle qu’elles auront entraîné une mutilation ou une infirmité permanente de la victime, l’infraction devient criminelle et passible de dix années de réclusion criminelle. Au-delà du respect nécessaire de la propriété d’autrui, le projet marque ainsi la prééminence du respect absolu dû à la personne humaine.
4. Pour combattre efficacement le vol, la loi pénale doit en premier lieu atteindre ceux qui incitent au vol, l’organisent ou en tirent profit, ceux sans lesquels les voleurs ne trouveraient le plus souvent pas d’intérêt à voler : les receleurs.
En conséquence, le receleur professionnel, lorsque l’origine exacte du bien volé et les circonstances du vol demeureront ignorées, sera passible d’une peine de sept années d’emprisonnement au lieu de trois années aujourd’hui. Si l’objet provient d’un crime dont le receleur a connu exactement les circonstances, il encourt les mêmes peines que le criminel lui-même. Si le receleur sait que le bien a une origine criminelle, mais qu’il a ignoré les conditions de commission du crime, par exemple des violences mortelles, la peine encourue sera de dix années de réclusion.
b) L’escroquerie
Pour lutter contre certaines formes modernes et odieuses de l’escroquerie, aux manœuvres frauduleuses est assimilée l’exploitation délibérée de l’ignorance ou de la faiblesse de personnes particulièrement vulnérables en raison de leur déficience physique ou mentale. Les peines sont aggravées dans le cas de collecte de fonds prétendument destinés à des fins humanitaires.
c) L’abus de confiance
Son champ d’application est étendu et les peines aggravées lorsque les fonds proviennent du public. Pour mettre la loi en conformité avec la pratique judiciaire, l’abus de confiance commis par un officier ministériel cesse d’être un crime, pour devenir un délit puni de la peine d’emprisonnement de sept ans.
d) L’organisation frauduleuse de son insolvabilité, pratiquée notamment par le débiteur de pension alimentaire pour éviter d’acquitter celle-ci, est considérée comme un détournement et punie des mêmes peines que l’abus de confiance.
e) Les atteintes aux systèmes informatiques.
Le droit pénal moderne doit s’adapter au développement des techniques d’informatique. Le projet prévoit trois formes d’atteintes graves à des systèmes informatiques : l’espionnage, le sabotage et la fraude économique au moyen d’un ordinateur.
1. L’accès frauduleux à un programme, le projet comble à cet égard un vide juridique en incriminant le fait de capter frauduleusement un programme, une donnée ou tout autre élément d’un système de traitement automatique d’information.
L’espionnage informatique peut se concrétiser de manière encore plus nette par l’utilisation, la communication ou la reproduction d’un programme, d’une donnée ou de tout autre élément d’un système de traitement informatique. Il est spécialement incriminé.
Le sabotage informatique peut causer un préjudice inestimable à l’utilisateur. Ce risque apparaît d’autant plus grave que tout informaticien est en mesure, au moyen d’une « bombe logique », de détruire totalement ou de rendre inutilisable la mémoire d’un ordinateur, ou peut fausser le traitement en altérant une donnée ou un élément de programme.
Enfin un système de traitement informatique peut être utilisé dans la perspective de commettre des malversations. Le projet incrimine le fait, en utilisant frauduleusement un système de traitement automatique d’information, d’obtenir ou de faire obtenir à autrui un profit illicite. Toutes ces infractions lourdes de conséquences dommageables sont passibles de peines de trois à cinq années d’emprisonnement et d’amendes considérables.
IIe partie : exprimer les valeurs de notre temps un code inspiré par les droits de l’homme
Sur quelles valeurs est fondée aujourd’hui la société française ? Sur quels principes s’accordent aujourd’hui la quasi-unanimité des Français ? Les droits de l’homme. Ce sont eux qui fondent la conscience française en notre temps. Sans doute y a-t-il dans le corps social des divergences ou des différences sur les conditions d’exercice ou sur les garanties de ces droits. Mais les Français comme les citoyens des autres nations de l’Europe occidentale reconnaissent que les droits de l’homme constituent le fondement moral de notre civilisation. Ils constituent l’affirmation d’une éthique sociale fondée sur une certaine idée de l’homme considéré comme un être libre titulaire de droits fondamentaux dont le respect s’impose à tous, y compris à l’Etat.
Cette conception de l’homme, qui est le fondement de notre civilisation s’exprimant dans des déclarations solennelles et des conventions internationales, doit trouver son expression dans le nouveau Code pénal.
Les textes de 1810, de façon significative privilégiaient la défense de l’Etat et le respect de la propriété individuelle. Sans méconnaître la nécessité de protéger les biens et les échanges économiques, il demeure que le nouveau Code pénal doit prendre pour fin première la défense de la personne humaine et tendre à assurer son plein épanouissement en la protégeant contre toutes les atteintes, qu’elles visent sa vie, son corps, ses libertés, sa sûreté, sa dignité, son environnement. Pour exprimer les valeurs de notre temps, le nouveau Code pénal doit être un code humaniste, un code inspiré par les droits de l’homme.
Pour satisfaire à cette exigence essentielle : défendre la personne humaine, le nouveau code doit donc d’abord opposer de fermes réponses aux formes modernes de la criminalité et de la délinquance qui menacent le plus durement dans notre société la personne humaine (A). Allant au-delà de cette protection nécessaire, le nouveau Code pénal doit assurer la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne humaine, c’est-à-dire des droits de l’homme (B).
A. - Défendre la personne humaine contre la criminalité moderne.
a) Le crime organisé
La plus redoutable menace est celle du crime organisé, sous ses formes diverses. A ceux qui choisissent délibérément de s’organiser dans le crime, la société doit répondre par une rigoureuse fermeté pénale.
Le nouveau Code pénal comporte ainsi des dispositions nouvelles et plus rigoureuses que celles existant aujourd’hui contre les formes les plus dangereuses de la criminalité moderne.
1. Le trafic organisé de stupéfiants est aujourd’hui un délit passible de vingt années de prison. Il s’agit là d’une infraction particulièrement grave lorsqu’elle est le fait d’une bande organisée, elle ne peut alors être considérée que comme un crime, sauf à abandonner toute hiérarchie des infractions. Le nouveau code rend donc passible de vingt ans de réclusion, le crime de trafic de stupéfiants en bande organisée qui sera dorénavant de la compétence de la cour d’assises. Quant au fait de créer et de diriger une telle organisation criminelle, c’est-à-dire d’en être l’instigateur ou le cerveau, le crime « mafieux » par excellence, il devient passible de trente années de réclusion.
2. Le proxénétisme organisé, non pas celui du bénéficiaire isolé des ressources d’une prostituée, mais le recrutement et l’exploitation de prostituées par une bande organisée recourant systématiquement à la violence est aujourd’hui qualifié de délit et puni d’emprisonnement. Il devient dans le nouveau code un crime passible d’une peine pouvant atteindre vingt années de réclusion criminelle dans les cas les plus graves de violences sur les personnes.
3. L’extorsion de fonds sous la menace d’armes, le « racket » commis par une bande organisée, relève aussi de la criminalité mafieuse. Elle est punie de vingt années de réclusion criminelle. Et si l’extorsion de fonds criminelle est accompagnée de tortures ou d’actes de barbarie ou suivie de la mort de la victime, elle est passible de la réclusion à perpétuité.
4. Le terrorisme est dans une démocratie une des forces organisées les plus odieuses de la criminalité. Le mobile politique allégué n’enlève en rien leur gravité aux crimes qui sont l’expression du terrorisme : assassinats, prises d’otages, séquestration de personnes, destruction de biens par explosifs, etc. Chacun de ces crimes fait l’objet dans le nouveau Code pénal de sanctions très rigoureuses.
Pour faire face à des formes nouvelles de terrorisme, le nouveau code assimile au détournement d’avion, le détournement de navire jusque-là ignoré. Et le punit d’une peine de vingt années de réclusion criminelle ou de la réclusion criminelle à perpétuité dans le cas de tortures ou d’exécution des passagers.
b) La délinquance homicide de masse
A la dangerosité extrême pour la société de l’action violente de la criminalité organisée, font écho, non par la gravité des actes – qui sont sans rapport avec le caractère odieux du crime organisé – mais par le poids des souffrances humaines et de la charge économique imposée à la société, ces fléaux de notre civilisation que constituent la délinquance routière et les accidents du travail.
1. La délinquance routière
Faite d’imprudence, de négligence, parfois de mise en danger consciente d’autrui, la délinquance routière est la plus cruelle pour notre société. Elle cause 12 000 morts et plus de 300 000 blessés par an en moyenne depuis une décennie. Pour lutter contre ce mal français, indépendamment des mesures de prévention, le projet contient des sanctions adaptées à la délinquance routière ordinaire : amendes, annulation ou suspension du permis de conduire, immobilisation ou confiscation du véhicule, en sus des amendes encourues. Mais face à des comportements véritablement asociaux, lorsque la mort des victimes résulte de manquements délibérés à des obligations de sécurité ou de prudence imposées par la loi, la peine d’emprisonnement encourue pourra atteindre cinq ans d’emprisonnement. Ce sera le cas lorsqu’il y a mort d’homme par le fait du conducteur qui franchit délibérément la ligne jaune en haut d’une côte dans un virage – et dont la voiture heurte de plein fouet le véhicule qui roulait normalement sur sa droite en sens inverse. Et même si par bonheur il n’y a pas de victime, le simple fait d’exposer ainsi consciemment autrui à un risque mortel entraînera pour le conducteur une peine correctionnelle pouvant atteindre un an d’emprisonnement et 100 000 francs d’amende.
2. Les mêmes pénalités seront applicables s’agissant des règles de sécurité, notamment sur les lieux du travail. Tout homicide involontaire sera passible de trois années d’emprisonnement au lieu de deux années aujourd’hui. Et de cinq ans en présence de violation délibérée des règles de sécurité imposées par la loi.
3. Trop souvent, les victimes des accidents sont abandonnées à leurs souffrances par égoïsme ou indifférence. De telles attitudes méconnaissent gravement la nécessaire solidarité entre les hommes. A la classique omission de porter secours aux personnes en danger, le projet ajoute en faveur des victimes deux incriminations nouvelles : le refus d’ouvrir la voie aux secours et l’abstention de combattre un sinistre.
En de telles dispositions s’affirme la dimension éthique nécessaire au Code pénal. Elle marque plus résolument encore l’ensemble des dispositions qui constituent le livre II, le plus important du Code pénal, celui consacré à la protection de l’être humain, considéré non seulement comme personne physique, mais comme titulaire de droits fondamentaux.
B. - Défendre la personne humaine, contre les atteintes à ses droits fondamentaux
a) Les crimes contre l’humanité
De tous les crimes contre la personne humaine, ils sont les plus graves puisqu’ils nient jusqu’au droit à la vie d’êtres humains, à raison de leur appartenance à un peuple, une race, une ethnie, une communauté. Par crimes contre l’humanité, le projet vise aussi bien le génocide que les disparations, la déportation, la réduction en esclavage ou l’application de tout traitement inhumain à l’encontre d’une collectivité, inspiré par des motifs politiques, raciaux ou religieux. Les auteurs de ces crimes sont passibles de la peine maximale, la réclusion criminelle à perpétuité.
b) Les atteintes à la vie humaine
Le premier des droits de la personne humaine est le droit à la vie. La violation consciente de ce droit à la vie, le fait d’attenter délibérément à la vie d’autrui entraîne la peine maximale, celle de la réclusion criminelle à perpétuité contre les auteurs d’assassinat, de meurtre précédé de tortures ou d’actes de barbarie, ou de meurtre commis sur un mineur de quinze ans ou sur une personne particulièrement vulnérable en raison de son état de santé ou particulièrement exposée par ses fonctions (magistrats, policiers, personne pénitentiaire). Il en est de même dans le cas de cumul de meurtres ou lorsqu’il accompagne un autre crime. Lorsqu’il est commis seul, et hors ces circonstances aggravantes, le meurtre est passible de trente années de réclusion criminelle.
c) Les atteintes à l’intégrité physique de la personne humaine
Le droit au respect de son corps par autrui est un droit fondamental de tout être humain.
1. L’atteinte la plus odieuse, la négation la plus forte de ce droit est constituée par les actes de torture ou de barbarie. Dans le code actuel, ce ne sont que des circonstances aggravantes d’autres crimes. Le nouveau Code pénal les constitue en crimes autonomes, punis comme tels de vingt années de réclusion criminelle – et de la peine perpétuelle s’ils ont entraîné la mort de la victime.
2. La répression du viol a fait l’objet d’une nouvelle définition en 1980. Les peines renforcées à l’époque sont conservées.
3. Les violences volontaires : leur sanction est fonction de plusieurs facteurs, dont la dangerosité du comportement, la gravité des blessures, ou des infirmités causées, et la vulnérabilité de la victime.
L’échelle des peines oscille à cet égard entre trente ans de réclusion criminelle dans le cas de violences habituelles ayant entraîné la mort d’un mineur ou d’une personne vulnérable et deux ans d’emprisonnement lorsque les violences ont entraîné une blessure ou une lésion.
3. Les violences sexuelles autres que le viol sont incriminées, en lieu et place de l’archaïque et vague « attentat à la pudeur ». Ces violences sont des délits. Mais exercées sur des enfants au-dessous de quinze ans, leur gravité les rapproche du viol. Elles deviennent alors criminelles et passibles de dix années de réclusion.
L’outrage public à la pudeur, au temps où l’on enlève volontiers « le haut » et parfois même le « bas », ne sera plus qu’une contravention. Cependant l’exhibitionnisme sexuel, volontairement infligé à autrui, dans des lieux ouverts aux regards du public, constitue une forme d’agression contre autrui et particulièrement contre les enfants. Il demeure un délit passible d’un an d’emprisonnement.
4. L’expérimentation sur le corps humain est nécessaire au progrès de la médecine et de la science. Mais elle doit respecter le droit de tout être humain au respect de son intégrité physique. En conséquence, toute expérimentation pratiquée en dehors de toute finalité scientifique ou sans le consentement du patient est considérée comme délictueuse.
d) Les atteintes à la dignité de la personne humaine
1. Toute discrimination est une violation intolérable dans une démocratie du principe de l’égalité entre les hommes et l’expression condamnable du mépris ou de la haine de l’autre. Les peines réprimant la discrimination sont aggravées et la discrimination sera pénalement sanctionnée, que le motif soit racial, religieux ou sexiste comme dans la loi actuelle, ou lié aux mœurs, aux activités syndicales ou aux convictions politiques de la victime.
e) Les atteintes aux libertés de la personne humaine
1. Il est dans ce domaine des crimes d’une gravité extrême, telles ces violations de la liberté d’aller et venir que constituent l’enlèvement ou la séquestration illégale accompagnée de demandes de rançon ou les prises d’otages.
La sanction de tels crimes, lorsqu’ils ont entraîné la mort de la victime, est la réclusion criminelle à perpétuité. Il en ira de même si des tortures ou actes de barbarie ont été exercés sur la victime prise en otage. Si la personne enlevée pour obtenir une rançon est un mineur, et à la condition qu’il soit retrouvé vivant et sans avoir encouru des violences physiques graves, la peine sera la réclusion criminelle de trente ans.
2. Il est d’autres atteintes aux libertés qui ne revêtent pas la même intensité criminelle. D’une gravité bien moindre, ces atteintes sont cependant condamnables dans une démocratie, où chacun doit être libre d’exercer ses droits fondamentaux. L’histoire nous a enseignés que c’est souvent par la violence interdisant aux citoyens l’exercice de leurs droits que des groupes ou des partis extrémistes ont imposé leur domination à des sociétés jusque-là démocratiques. Ainsi la liberté d’expression, de réunion, de manifestation, d’association doit être protégée contre toute violence organisée qui tend à en entraver l’exercice paisible par les citoyens. Indépendamment des incriminations spéciales existantes, de tels agissements contre la jouissance par chacun des libertés publiques seront passibles d’une peine d’emprisonnement.
f) Les atteintes à la vie privée
Le droit au respect de la vie privée est déjà consacré par notre droit. Le projet renforce la protection, notamment contre les techniques modernes de violation du secret des communications et aussi contre la persécution téléphonique d’autrui dorénavant incriminée.
c) Protéger les plus faibles
Les atteintes à la personne humaine sont particulièrement graves, voire odieuses quand elles visent des mineurs et surtout des enfants âgés de moins de quinze ans ou des personnes particulièrement vulnérables. Un Code pénal dont la vocation première est de protéger l’être humain doit renforcer cette défense quand il s’agit des mineurs – ou des personnes les plus vulnérables que le projet assimile aux mineurs.
a) La protection des mineurs
1. L’abandon de famille et la non-représentation d’enfant. Ces incriminations traditionnelles sont renforcées. Et le délit de non-représentation ou d’enlèvement d’enfant est plus sévèrement puni lorsque l’enfant est déplacé hors du territoire français. On connaît en effet le développement actuel de telles infractions dont les victimes sont d’ailleurs le plus souvent autant les mères que les enfants.
2. La provocation de mineurs à la consommation de stupéfiants ou d’alcool
Certains drogués font acte de prosélytisme en incitant des mineurs à consommer des stupéfiants. De telles provocations sont d’une dangerosité certaine. En conséquence, le projet punit de sept années d’emprisonnement toute provocation directe à la consommation habituelle de stupéfiants faite par un adulte à un mineur.
L’alcool n’est pas un moindre fléau de notre société. Et l’on note un accroissement de l’alcool chez les mineurs. Sans doute le degré d’accoutumance est très différent selon qu’il s’agit de drogue ou d’alcool. Mais l’adulte qui incite habituellement un enfant à consommer des boissons alcoolisées à dose importante attente consciemment à la santé et à l’équilibre d’un être humain fragile. Une telle provocation sera passible de trois années d’emprisonnement.
3. Les provocations sexuelles
L’évolution et la liberté des mœurs actuelles commande la disparition du code de la vieille incrimination d’incitation de mineurs à la débauche, punie aujourd’hui de dix années d’emprisonnement…
Mais tomberont sous le coup de la loi pénale l’organisation par des adultes de réunions de groupe comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles sont conviés des mineurs. De tels agissements sont passibles de cinq années d’emprisonnement s’agissant d’enfants de moins de quinze ans, de trois années s’agissant de mineurs de plus de quinze années.
Enfin tout acte de proxénétisme à l’encontre de mineurs est passible dans le projet de peines plus rigoureuses que dans le code actuel : dix ou vingt ans de réclusion criminelle selon les cas.
Quant aux relations sexuelles exercées sans violences par des adultes sur des mineurs de moins de quinze ans, elles constituent des atteintes sexuelles à la personne du mineur et sont passibles de deux années d’emprisonnement et d’une lourde amende.
4. La provocation ou suicide des mineurs
Elle pose un difficile problème au législateur. On ne saurait dénier à l’adulte le droit au suicide. Et incriminer des conseils ou l’incitation au suicide serait nier la liberté humaine. Demeure le cas de l’adolescent, chez qui la tentation du suicide est parfois obsessionnelle et les défenses faibles. Si donc un adulte incite personnellement et directement un mineur à se donner la mort, il sera passible d’une peine de trois ou de cinq ans d’emprisonnement, selon que la victime est âgée d’au moins quinze ans ou plus jeune.
5. La provocation des mineurs à commettre des délits
Certains adultes provoquent les enfants à commettre des délits, notamment des vols. Il s’agit là de comportements particulièrement odieux, puisqu’ils transforment délibérément des enfants en délinquants exploités par ces adultes. Ces agissements font l’objet d’une incrimination nouvelle – et seront passibles de cinq années d’emprisonnement.
b) La protection des personnes vulnérables
1. Aux mineurs, le projet assimile les personnes vulnérables par leur infirmité, leur âge, leur déficience psychique ou physique. Les peines frappant les atteintes les plus graves à l’intégrité physique seront plus lourdes lorsque les victimes sont aussi vulnérables. Il en est notamment ainsi s’agissant de violences volontaires et de tortures.
2. Il existe dans notre société des personnes dont la vulnérabilité n’est pas d’ordre physique ou psychique mais d’ordre social ou culturel. Ainsi les immigrés sont souvent placés dans une situation de précarité ou de dépendance extrême. Certains « négriers » sans scrupules n’hésitent pas à exploiter sans merci cette condition de faiblesse pour en tirer profit. C’est le cas notamment des employeurs de travailleurs clandestins, ou des « marchands de sommeil ». Aux dispositions spéciales existantes, le projet ajoute l’incrimination générale d’abus de la faiblesse ou de la dépendance d’une personne par celui qui l’héberge ou la fait travailler dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine.
c) La protection des animaux
Enfin, le nouveau Code pénal doit assurer la protection nécessaire de ces êtres dont le sort est indissociable de celui des hommes, parce qu’ils sont leurs compagnons familiers : les animaux domestiques.
La protection des animaux sauvages ou d’élevage, comme de tous les êtres vivants relève du droit pénal, de la nature et de l’environnement qui fera l’objet de dispositions particulières du Code pénal en sa partie spéciale.
Mais le rapport affectif que l’homme entretient avec les animaux domestiques commande de leur assurer une protection particulière contre la violence des hommes eux-mêmes.
Le projet renforce donc les sanctions pénales existantes à l’encontre des auteurs d’actes de cruauté sur les animaux domestiques ou ceux qui les abandonnent. Et les mauvais traitements habituels sur les animaux domestiques seront considérés dorénavant comme un délit – et non plus comme une simple contravention.
III. - Méthodologie et réalisation du nouveau Code pénal
Le Code pénal proprement dit doit comprendre IV livres : la partie générale et les premiers livres, consacrés à la protection des personnes et des biens sont terminés. Le IVe livre consacré à la défense de la paix publique et des institutions républicaines est en cours d’achèvement. L’avant-projet des premiers livres va maintenant être soumis la Cour de cassation et au Conseil d’Etat.
C’est seulement ensuite que le texte sera présenté au Conseil des ministres, sans doute vers le 15 février. Il sera alors déposé sous forme d’un projet de loi devant le Parlement.
Seront ensuite élaborés les livres suivants consacrés aux parties spéciales de la législation pénale : droit pénal de l’économie, du travail, des finances publiques de la santé publique, de l’environnement, de l’urbanisme, des transports, etc. La commission du Code pénal procède actuellement à l’inventaire et au classement des textes.
C’est dire que l’élaboration du nouveau Code pénal est une œuvre de longue haleine.
Une commission mixte d’études du projet du Code pénal a déjà été créée regroupant en nombre égal députés et sénateurs représentant toutes les formations politiques.
Cette commission mixte pourrait procéder à toutes les auditions nécessaires de magistrats, d’avocats, de professeurs de droit, d’experts, de psychiatres, de représentants des personnels pénitentiaires, des délégués à la probation, d’anciens détenus, etc. Certaines de ces auditions pourraient être publiques et le rapport de la commission mixte publié. La discussion du projet pourrait alors s’engager.
La même procédure pourrait être utilisée pour tous les livres suivants de droit pénal spécial. A l’achèvement des travaux, il devrait être décidé que tous les textes législatifs de droit pénal ne figurant pas dans les diverses sections du nouveau Code pénal se trouveront abrogés de plein droit. Ainsi la loi pénale française aura retrouvé son unité et sera enfin aisément accessible à tous. L’axiome « nul n’est censé ignorer la loi » aura retrouvé en matière pénale sa portée.
La réalisation parallèle d’une banque de données juridiques en matière pénale, regroupant les textes et les principales décisions de la jurisprudence, assurera aux juristes, aux praticiens et aux étudiants un accès commode à un droit pénal entièrement rénové, à la mesure des exigences de notre temps.