Interview de M. Christian Sautter, secrétaire d'État au budget, à Europe 1, le 2 août 1999, sur l'augmentation des recettes budgétaires, l'éventualité d'une baisse de TVA sur les travaux d'entretien du bâtiment, le report de la réforme de la taxe d'habitation et la nécessité de simplifier la collecte des impôts afin d'en réduire le coût.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Christophe Charles : Vous êtes en train de préparer le budget de l'État pour l'an 2000. Jacques Chirac, dans son intervention, le 14 juillet, a affirmé en gros – je résume – que, grâce à l'amélioration de l'activité économique, il y avait en ce moment énormément d'argent qui rentrait dans les caisses de l'État, ce qui doit permettre de baisser les impôts et les charges. Première question : est-ce que c'est vrai que les caisses de l'État sont pleines en ce moment ?

Christian Sautter : J'ai été très sensible à cet hommage rendu à une gestion sérieuse depuis deux ans par Dominique Strauss-Kahn et par moi-même. C'est vrai que la croissance a redémarré à l'été 1997. Elle a connu, durant l'hiver dernier, un trou d'air, mais tous les indicateurs montrent que la croissance est repartie à nouveau, parce que l'emploi pousse la consommation, parce que les entreprises ont confiance. Donc, nous avons les moyens de maîtriser la progression des dépenses, de réduire les déficits et peut-être – peut-être – d'envisager quelques réductions d'impôts.

Christophe Charles : Vous avez quand même de vraies marges de manoeuvre, incontestablement, dans la préparation de ce budget. Est-ce que le moment n'est pas venu de baisser de manière significative les impôts ?

Christian Sautter : Les impôts, non seulement de l'État, mais de la Sécurité sociale – ce que l'on appelle les prélèvements obligatoires –, avaient cru entre 1993 et 1997 de près de deux points de la production nationale. Cela veut dire en clair, quelques 150 milliards de francs. En 1998 et en 1999, nous avons stabilisé cet indicateur. D'ici 2002, nous espérons, si nous avons les marges de manoeuvre nécessaires, de réduire peu à peu ces prélèvements obligatoires. Mais cela dépend de la croissance qui est devant nous.

Christophe Charles : Début août, en général, c'est la période où on annonce les mauvaises nouvelles. Ce matin, vous avez peut-être une bonne nouvelle à annoncer, tout de même ? Vous êtes hésitant, mais cette baisse d'impôts ?

Christian Sautter : Je ne peux pas vous annoncer de bonnes nouvelles ce matin. Ce que je peux vous dire, c'est que jusqu'à la date ultime, c'est-à-dire jusqu'à la fin août, nous allons ausculter la croissance française qui redémarre. Nous allons voir quelles rentrées fiscales vont en résulter pour l'année 2000 et, une fois qu'on aura tenu compte des baisses d'impôts qui sont déjà acquises en l'an 2000 – je rappelle que nous avons, en 1997, pour boucler les comptes, le Président doit s'en souvenir, mis une surtaxe sur les entreprises de 15 % pour trois ans. Eh bien, elle disparaîtra en l'an 2000. Deuxièmement, nous continuerons à baisser la taxe professionnelle sur les salaires, ce qui, je crois, est bon pour l'emploi, notamment dans le bâtiment, dans l'artisanat, dans le commerce –. Est-ce que nous aurons une marge pour aller au-delà ? Nous le saurons à la fin du mois d'août et nous l'annoncerons à la mi-septembre, dans les délais normaux de présentation du budget.

Christophe Charles : Pour ce qui est de la TVA, on a entendu parler d'une baisse ciblée qui concernerait les travaux d'entretien dans le bâtiment. Vous confirmez ce matin ?

Christian Sautter : La majorité plurielle, qui soutient le Gouvernement de façon très fidèle, est très favorable – le premier secrétaire du PS, François Hollande, l'a encore dit, hier – à une baisse de la TVA de 20,6 %, taux normal, à 5,5 %, taux réduit, des travaux d'entretien du bâtiment. Cela suppose de remplir deux conditions : la première, c'est d'avoir des marges fiscales et cela nous le saurons fin août ; la deuxième condition, c'est que nous devons y être autorisés par le conseil des ministres de l'économie et des finances à Bruxelles. Dominique Strauss-Kahn a beaucoup travaillé en ce sens. Nous avons un espoir, mais pas encore de certitude. Donc, nous travaillons, mais je ne peux pas encore vous annoncer une décision. Attendons paisiblement la rentrée de septembre.

Christophe Charles : Une telle baisse aurait-elle, à votre avis, des incidences sur l'emploi, l'activité, notamment dans le bâtiment et ailleurs, puisqu'on dit que « Quand le bâtiment va, tout va » ?

Christian Sautter : Oui, il est clair que le bâtiment va bien aujourd'hui, parce qu'il y a un crédit d'impôt « entretien » ; il y a la baisse de la taxe professionnelle ; il y a la réduction de la TVA sur les terrains à bâtir. Je pense que cela donnerait un coup de fouet à l'emploi et cela permettrait aussi, et je crois que c'est moral, de réduire le « travail au noir ». Je crois que nous avons intérêt à essayer de limiter ce « travail au noir » et, si la TVA était à 5,5 %, la tentation de « travailler au noir » serait évidemment beaucoup moins forte.

Christophe Charles : Votre objectif, est-il toujours de réduire le déficit du budget de l'État ?

Christian Sautter : Tout à fait ! Nous avons la perspective, depuis les fameux 3 % maastrichtiens, d'être aux alentours de 2,3 % cette année 1999 et de poursuivre progressivement jusqu'à être aux environs de 1 % en 2002. C'est l'horizon de nos prévisions budgétaires.

Christophe Charles : Parlons un peu de quelques-uns de vos chantiers. D'abord, la taxe d'habitation. Sa réforme a été annoncée, il y a un peu plus d'un an. Une réforme, disiez-vous à l'époque, courageuse, que personne n'avait osée faire. Où en est-elle, aujourd'hui ? Est-elle enterrée ?

Christian Sautter : La taxe d'habitation, que chacun paye lorsqu'il est locataire, et l'impôt foncier lorsqu'il est propriétaire, est calculée sur des bases qui sont très vieilles, qui remontent à 1970. Donc, l'idée de calculer ces impôts locaux directs, qui sont lourds notamment pour les familles modestes, sur des bases récentes, est une bonne idée. Nous sommes en train de faire ce que l'on appelle des simulations, c'est-à-dire de voir ce qui se passerait sur un certain nombre de communes, si l'on prenait les nouvelles bases. La difficulté, c'est qu'il y aura des gagnants, il y aura des perdants, et ceux qui y gagneront ne seront pas forcément ceux qui ont plus d'aisance ou ceux qui en ont moins. Donc, nous sommes en train de faire ces calculs et, pour l'instant, je n'ai pas de conviction. Je crois qu'il faut éviter des réformes qui bouleversent ce que les Français doivent payer. Donc, nous sommes résolus, mais nous sommes prudents aussi.

Christophe Charles : C'est un peu difficile, électoralement aussi, peut-être, s'il y a des gagnants et des perdants ?

Christian Sautter : Par définition, dans une telle réforme, il y a moitié de gagnants et moitié de perdants. Donc, il faut bien réfléchir avant d'agir.

Christophe Charles : Vous parlez aussi, en ce moment, du coût de la collecte des impôts. Est-ce que le système vous paraît à la fois trop coûteux et pas assez efficace ?

Christian Sautter : Les impôts en France ont un coût de collecte qui, comme en Allemagne ou comme en Italie – donc nous sommes en bonne compagnie – est relativement élevé, si on se compare par exemple à la Suède.

Christophe Charles : C'est 26 milliards par an en France.

Christian Sautter : Oui, cela coûte environ 1,5 % du total des impôts collectés. Là, il y a deux raisons : premièrement l'impôt est compliqué, et donc nous cherchons, chaque année, avec Dominique Strauss-Kahn, à simplifier l'impôt. Vous vous souvenez, l'an dernier : suppression des impôts sur les cartes d'identité, sur les permis de conduire. Nous continuerons dans cette direction dans les budgets suivants. Et puis aussi l'administration fiscale est, elle aussi, compliquée. Ce ne sont pas les agents qui sont en cause : ils sont jugés par les usagers, les contribuables, courtois et professionnels. C'est qu'on ne sait pas à qui s'adresser lorsqu'on a un problème d'impôt. Donc, nous voulons simplifier ce système et nous voulons aussi profiter des nouvelles technologies de l'information pour automatiser le traitement de l'impôt pour l'immense majorité des contribuables qui n'ont pas de problème, qui vivent au même endroit, qui touchent un salaire ou qui touchent une retraite. Nous voulons aller, pour eux, jusqu'à une déclaration expresse, c'est-à-dire faire en sorte qu'en 2001, la déclaration d'impôt que chacun recevra, non seulement sera pré-imprimée en ce qui concerne l'état civil, mais on verra le montant de ses salaires ; on verra aussi le montant de sa retraite, si l'on est retraité. Donc, ce sera une grande simplification. Il n'y aura plus qu'à vérifier et à signer. Je crois que simplifier la vie des contribuables honnêtes, c'est important. Il faut que le service public fonctionne bien. Et cela permettra de dégager des moyens pour lutter davantage contre la grande fraude fiscale, notamment la grande fraude internationale.

Christophe Charles : Réformer le système de collecte, est-ce que cela veut dire que vous envisagez de fermer quelques-unes des 4 000 trésoreries ? Il y en a une par canton en France. C'est vrai que c'est beaucoup.

Christian Sautter : Les trésoreries, les perceptions ont deux fonctions : la première fonction c'est d'aider les maires de commune à établir leurs comptes, et il est clair que tant que nous aurons 38 000 communes, nous aurons besoin d'avoir beaucoup de perceptions. Et l'autre fonction, c'est effectivement le renseignement fiscal et la collecte de l'impôt. Là, peut-être, on peut simplifier cette deuxième fonction. Mais j'insiste sur le fait que nous avons besoin d'avoir un réseau de proximité pour que les maires ruraux ne se sentent pas abandonnés.

Christophe Charles : Vous envisagez de réduire les effectifs du ministère de l'économie ?

Christian Sautter : Nous envisageons qu'il y ait d'importants gains d'efficacité et qu'une partie de ces gains d'efficacité permette de renforcer le contrôle fiscal, la lutte contre la fraude, permette aussi d'améliorer les conditions de travail des agents, et qu'en partie aussi permette de donner des emplois à des ministères qui n'ont pas ces possibilités de modernisation, par exemple la protection judiciaire de la jeunesse. Ça, on ne peut pas l'automatiser. C'est du sur-mesure. Il y a besoin d'emplois supplémentaires.