Texte intégral
La situation économique française, depuis que la droite a repris le pouvoir en 1993, s’est dégradée. On peut (...) de Jacques Chirac et d’Alain Juppé : ils promettaient la croissance, ils ont cassé la reprise. Celle qui s’esquisse est à la fois molle et fragile. L’économie semble toujours incapable de trouver en elle-même les ressorts d’une expansion durablement soutenue. La croissance attendue, entre 2,3 et 2,5 %, permet seulement d’espérer, au mieux, une stabilisation du chômage. A politique inchangée, les perspectives de notre économie sont médiocres.
« Une nouvelle politique de croissance »
C’est pourquoi, je crois à l’impérieuse nécessité d’une politique originale qui attaque, ensemble et avec force, le chômage et les inégalités, qui prenne à bras le corps les problèmes de la France tout en construisant l’Europe, qui soit à la fois ambitieuse et réalisable. Nos propositions, qui seront encore explicitées et chiffrées avant la mise au point définitive de notre programme pour les élections législatives, forment une politique clairement alternative et réellement cohérente. C’est une dynamique de croissance vertueuse que je veux proposer aux Français. Notre problème n’est plus l’inflation, vaincue, ou le commerce extérieur, maintenant excédentaire, c’est le chômage de masse, les déficits de l’endettement publics.
Depuis 1993, la croissance annuelle du PIB a été en France de 1,2 % en moyenne, contre 1,6 % pour l’ensemble de l’Union européenne. Sur la période, la France accuse un retard cumulé de 1,4 %.
Selon l’Insee, l’écart par rapport à la croissance potentielle de l’appareil productif était de – 3,5 % en 1994. Il se serait aggravé depuis deux ans et se situerait aujourd’hui à – 4,5 % environ. Un « bonus de croissance » est donc possible, dans une phase de reprise économique, compte tenu du retard précédemment accumulé. Le rythme de la croissance « soutenable » pour la période qui s’ouvre, à partir de 1998, peut être évalué à environ 3 % par an, voire un peu plus.
Pour moi, les choses sont claires, ce n’est pas l’offre mais l’insuffisance de la demande – la demande des salariés, des chômeurs – qui freine le dynamisme de notre économie.
C’est pourquoi, la politique que je préconise entend donner aux Français plus de pouvoir d’achat. Cet accroissement de la demande passe par trois grandes orientations.
I. La réforme des cotisations personnelles d’assurance maladie
La première de ces orientations est la réforme des cotisations personnelles d’assurance maladie.
Les cotisations de retraite et d’assurance chômage ont pour objet de financer, lors du départ en retraite ou en cas de chômage, le remplacement du revenu d’activité : leur assiette sur ce revenu est logique et équitable.
En revanche, l’essentiel de la charge à financer par l’assurance maladie consiste en remboursements de soins bénéficiant à tous : limiter son assiette aux revenus d’activité ne se justifie pas. Ce prélèvement, de l’ordre de 140 milliards pour les seuls salariés, représente plus de la moitié de l’impôt sur le revenu qu’ils acquittent. Sa réforme présente un caractère majeur et structurel. Les socialistes ont choisi cette voie : elle déplace du pouvoir d’achat vers ceux qui consomment le plus, elle donne aux citoyens une vision claire de leur contribution au système de santé.
Nous prévoyons de faire reposer l’intégralité de la charge des ménages en matière de maladie sur une cotisation sociale différente, basée sur tous les revenus et assortie d’un dispositif d’abattement garantissant la justice du prélèvement.
Cette conception est un progrès par rapport à la création de la CSG qui marqua, en 1991, une avancée incontestable. Mais elle rencontra des incompréhensions, du fait qu’elle s’affirmait « intermédiaire » entre un impôt et une cotisation.
* Un progrès par rapport à la CSG
Notre objectif est d’en faire une véritable cotisation sociale, strictement affectée au financement maladie sans interférence avec la fiscalité d’Etat, déductible du revenu imposable comme les cotisations actuelles avec, toutefois, un plafond de déduction pour éviter une « contre-redistribution ». Cette clarification justifiera d’autant mieux le respect de la gestion paritaire de la Sécurité sociale.
Notre proposition se distingue nettement de l’opération engagée par le gouvernement Juppé, qui a récemment remplacé 1,3 point de cotisation salariale par 1 point de CSG. Nous ferons ce transfert rapidement et intégralement dans un but de solidarité et de relance, nous créerons un abattement pour répartir justement la cotisation entre hauts et bas revenus, nous instaurerons une déductibilité limitée qui recentre la charge de l’impôt sur le revenu. Dans un délai rapide, en deux ans maximum, c’est un total de 4,8 % de cotisations salariales de maladie qui doivent être supprimées et remplacées par une cotisation sur tous les revenus.
Nous souhaitons, en outre, associer cette réforme à une refonte d’ensemble de la CSG existante. Elle serait entièrement transformée en une cotisation sociale affectée, et calculée sur l’assiette la plus large avec un abattement à la base à 2 000 F mensuels pour chaque titulaire de revenue d’activité ou de solidarité.
* Les petits revenus soulagés
L’application d’un nouveau taux global, à hauteur de 7,9 %, créerait un effet redistributif puissant. Tous les petits revenus sont soulagés, jusqu’à trois fois la Smic et au-delà (voir encadré*). En contrepartie de ces gains substantiels pour les salariés à revenu faible ou moyen et pour les travailleurs indépendants aux revenus modestes, les revenus de placement (financier ou immobilier) sont touchés par le prélèvement à 7,9 % dès le premier franc ; on peut en estimer le produit à environ 40 milliards. L’essentiel des revenus de remplacement, et en particulier des retraites, sont assujettis à la nouvelle cotisation. Mais, là encore, la mise en place d’un abattement à la base change radicalement l’impact de la mesure : les retraites modestes ne subissant aucun alourdissement.
II. La réduction du temps de travail
La deuxième orientation est la réduction du temps de travail, la RTT. C’est une réforme pour la création d’emplois, qui obéit à trois motivations essentielles. Elle s’inscrit dans une évolution historique, compte tenu du progrès technique qui induit un moindre besoin de travail pour la production ; elle est le principal moyen connu pour réaliser une « croissance plus riche en emplois », par un meilleur partage des gains de productivité ; à salaires maintenus, elle est le moyen de relance conjoncturelle le plus efficace !
Le dispositif proposé tient compte des expériences précédentes pour en corriger les défauts. Il comporterait 3 étapes : l’adoption d’un loi-cadre par le Parlement ; des négociations décentralisées entre patronat et syndicats dans toutes les branches et entreprises ; une nouvelle loi, celle-là normative, qui tirera toutes les conséquences de ces négociations.
* Quatre disposition dans le projet de loi-cadre
Le projet de loi-cadre sera soumis aux partenaires sociaux dès le début de la législature. Il devra être concis, pour laisser toute leur place aux négociations collectives qui en découleront. Il comportera quatre types de dispositions :
La fixation à 35 heures, sans perte de salaires, de la durée légale hebdomadaire du travail dans un délai de deux ou trois ans.
Du fait des nouvelles embauches, elle représentera pour chaque entreprise une augmentation de la masse salariale, théoriquement de 11 %, en fait de 5 ou 6 %. En effet, la RTT s’accompagne de gains de productivité supplémentaires, et de salaires d’embauche sont inférieur aux salaires moyens. Ce chiffre, significatif, ne doit pas effrayer. Car le salaire et l’emploi ne sont pas que des « charges ». Ils permettront la relance des commandes dont bénéficieront les entreprises. Avec des gains de productivité spontanés de 2 % par an, en moyenne, celles-ci pourront absorber cette réduction en deux ans ou un petit peu plus.
Des dispositions pour lutter contre les horaires abusifs.
Elles indiqueront comment mieux faire respecter les horaires affichés qui sont de moins en moins bien observés, l’abaissement des durées maximales, le dépérissement des heures supplémentaires par leur transformation progressive en repos compensateurs de remplacement.
Ces dispositions seront appliquées par les partenaires sociaux, sous le contrôle de l’Inspection du travail, dont les moyens seront renforcés.
La transformation du temps partiel contraint en un temps réduit choisi.
C’est une mutation culturelle que les partenaires sociaux seront invités à négocier, en vue de l’adaptation de chartes du temps réduit choisi. Sans préjuger de ces futures discussions, ces chartes devraient prévoir un certain nombre de dispositions : même statut ou contrat de travail (à l’horaire près) que les salariés à temps complet, salaire horaire au moins égal, même protection sociale, embauches compensatoires.
Un dispositif d’incitations financières pour les réductions du temps de travail en-dessous de la durée légale.
Ce dispositif doit être efficace, librement débattu entre les partenaires sociaux, et se substituer à l’empilage incohérent de mesures actuelles (temps partiel, loi Robien…). La RTT améliorant la situation de l’emploi et par là-même, les comptes publics, il est équitable d’un « ristourner » le montant à ceux qui l’ont générée.
Encore faut-il que plusieurs conditions soient remplies. Les pouvoirs publics n’ont pas à privilégier une forme de réduction plutôt qu’une autre : en particulier, ils n’ont pas à favoriser le temps partiel par rapport aux horaires collectifs. L’aide publique n’est possible que dans le cas d’un consentement des intéressés sous la forme d’accord collective. Les bénéficiaires de l’aide publique devront faire, chaque année, une évaluation pluraliste de ses effets, notamment en matière d’emploi.
Cette disposition favorisera dans un premier temps les entreprises qui anticiperont le passage aux 35 heures, ce qui facilitera la mise en œuvre de celle-ci. Au-delà, elle encouragera les entreprises et les salariés qui adopteront des durées inférieures à 35 heures.
Le délai de deux à trois ans laissé aux négociations décentralisées entre l’adoption de la loi-cadre et le passage à l’horaire légal de 35 heures doit permettre d’en étaler le financement, mais aussi de prévoir les différentes formes de réorganisation qui en accroîtront l’efficacité.
III. Une conférence des salaires
La troisième orientation que je propose, une conférence des salaires, sera en réalité une conférence des salaires, de la réduction du temps de travail, et de l’emploi. Son objectif est de rompre le cercle vicieux dans lequel est enfermé notre pays : le chômage empêche les salariés d’obtenir des augmentations de salaire, la stagnation des salaires, en freinant l’activité, aggrave le chômage et accroît les déficits publics. La grande ambition collective que je veux proposer, c’est un véritable contrat social pour l’emploi.
* Un contrat social pour l’emploi
Chaque année, l’Etat et les partenaires sociaux seraient amenés à définir des objectifs et des références, pour une ou même plusieurs années, qu’il s’agisse de salaires, de prix, d’empois des jeunes, de services de proximité… Ces orientations pourraient être transcrites dans les accords collectifs décentralisés, au niveau des branches et des entreprises.
A court terme, une progression de la part des salaires dans le revenu national est nécessaire, même si elle ne peut être que maîtrisée ; le financement du passage aux 35 heures, la création d’emplois pour les jeunes, la transformation de la CSG devraient y contribuer.
La cohérence entre le financement du passage aux 35 heures et la relance salariale est cruciale. La conférence salariale aura à prendre en compte l’avancement de la RTT dont la mise en œuvre, sans baisse des salaires, représente une augmentation des salaires horaires. Symétriquement, en fonction des conclusions pratiques de cette conférence et des négociations décentralisées sur le temps de travail, le gouvernement pourrait être amené à fixer, dès la première année, la durée légale du travail hebdomadaire à 37 heures.
L’Etat définit les grandes priorités, les partenaires sociaux choisissent les meilleures modalités d’application, avant que des textes normatifs viennent, autant que de besoin, consacrer les accords collectifs. Il s’agira là, surtout au début, d’un réel changement culturel dans notre pays.
Il nous faut accentuer l’action directe en faveur de la création d’emplois. J’ai conscience que la solution au problème du chômage viendra d’abord de la relance d’ensemble de l’économie française. Je sais que ce sont d’abord les entreprises qui créent les emplois. Je connais aussi les risques potentiels d’un programme spécifique pour les jeunes, et notamment les effets d’aubaine ou de substitution. Je n’ignore pas les interrogations des élus locaux et des fonctionnaires, les préoccupations pour la liberté des entreprises. Mais, dans la mesure où les démarches précédentes ont échoué, n’est-il pas de notre devoir de sortir des sentiers battus et d’être encore plus efficaces ?
Le programme national que nous préconisons vise à mettre en place 700 000 emplois pour les jeunes et comporte deux volets (voir ci-contre**). Je réaffirme clairement cet engagement.
* Un ensemble cohérent et articulé dans le temps
Nos propositions forment aujourd’hui un ensemble cohérent. Elles seront articulées dans le temps. Nous ne ferons pas tout, tout de suite, ni tout en même temps, car il s’agit d’un projet de législature, et non des mesures précipitées des « cent premiers jours » d’un gouvernement.
Ma volonté est nette. Ce qui donne sens à ce que, avec le Parti socialiste, je propose aux Français, c’est la lutte contre le chômage et les inégalités par la croissance économique. Ces objectifs déterminent les instruments que nous nous sommes donnés. Ils reposent sur deux éléments clef : une ferme volonté d’impulsion des pouvoirs publics, l’ouverture d’espaces de négociation pour les partenaires sociaux.
Dans ses actions, la gauche doit, toujours et d’abord, être animée par son souci de mettre en pratique ses valeurs fondamentales, notamment la dignité humaine, la solidarité, la justice. Mais je ne veux pas qu’on invoque ces valeurs de façon rhétorique, une fois payé froidement leur tribut aux exigences du marché et de l’économie mondialiste. C’est au niveau même de la vie économique qu’il faut traduire ces valeurs. Pour mettre l’économie au services des hommes, une volonté politique est nécessaire. Elle peut être efficace, à condition qu’elle s’en donne résolument les moyens.
* L’action en faveur de l’emploi des jeunes
Le programme national que nous préconisons vise à mettre en place 700 000 emplois pour les jeunes
A. Les 350 000 emplois à caractère public
Pour les 350 000 emplois à caractère publics, un contrat de travail de longue durée, un CTLD, remplacerait à terme tous les autres dispositifs concernant les jeunes. Ces contrats seront passés entre ceux qui ont entre 18 et 25 ans et les employeurs – l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics – plus les différentes associations que ces derniers veulent associer dans tel ou tel domaine.
Comment seront-ils financés ?
Le budget de l’Etat financera ces emplois, intégralement quand il est lui-même l’employeur, à 80 % sur la base du Smic horaire dans les autres. Il le fera à dépense publique globale constante, en réaffectant des crédits censés soutenir l’emploi mais peu efficaces, pris notamment au sein des 64 milliards d’exonération de charges sociales qui existent aujourd’hui.
Pour quel salaire et quelle durée ?
L’employeur est libre de définir un salaire horaire supérieur au Smic horaire financé à 80 %, de mettre en œuvre sa propre politique d’aménagement du temps de travail et de formation professionnelle. Le CTLD serait de cinq ans. Cette limitation de durée permet, par ailleurs, d’éviter de créer une Fonction publique (nationale ou territoriale) au rabais. Les 140 000 jeunes de moins de 25 ans ayant un CES pourront avoir un CTLD, après un délai de quelques mois destinés à la recherche d’un emploi « traditionnel ».
Pour quel travail ?
Les besoins sociaux non satisfaits peuvent être partiellement couverts par des emplois sans grande qualification, comme les activités d’entretien et d’environnement, la sécurité, l’accompagnement des enfants et des personnes âgées, les services techniques des collectivités locales. Pour les jeunes qui ont un niveau de formation plus poussé, les besoins sont sans limite : alphabétisation, aide aux devoirs, différents services aux personnes, maintenance. Pour tous, le soutien aux associations sportives, culturelles.
Et après ?
Les portes du secteur privé leur seront plus facilement ouvertes en raison de l’expérience acquise. Par ailleurs, l’ancienneté et la formation leur permettront de présenter les concours de la Fonction publique.
B. Les 350 000 emplois dans les entreprises
Les 350 000 emplois dans les entreprises sont plus difficiles à mettre en œuvre. Je veux pourtant réaffirmer cet objectif. Nous n’avons pas jugé possible de créer une obligation légale, mais nous cherchons à créer une forme d’« obligation morale ».
Une obligation…
On peut imaginer certaines formes d’obligation. Il s’agirait, compte tenu du caractère très positif de l’accord conclu par les partenaires sociaux en 1995, d’autoriser le départ à la retraite d’un salarié ayant atteint le seuil de 160 trimestres de cotisation (200 000 aujourd’hui), ce droit étant obligatoirement lié à l’embauche d’un jeune. En cas de succès total, cette mesure coûterait en moyenne 8 milliards de francs par an, pendant 5 ans. Ce coût doit être en partie supporter par les entreprises qui payent le jeune moins cher que celui qui part.
Les avantages de cette proposition sont nombreux. C’est la seule qui permette de dégager massivement des emplois – des emplois qualifiés – pour les jeunes dans les entreprises. Elle ouvre à ceux qui ont une formation une porte que nos emplois publics ne proposent que modérément.
…et plusieurs incitations
Mais l’efficacité du dispositif repose d’abord sur une politique incitative.
L’allocation d’accès à l’emploi.
Chaque jeune embauché au titre du programme est porteur d’une allocation, qu’il amène à l’entreprise lors de la signature d’un contrat de travail, pour couvrir une partie des frais liés à son encadrement. A cet effet, un contrat unique – le contrat d’accès à l’emploi – pourrait être défini, regroupant et simplifiant tous les dispositifs de qualification, pré-qualification et d’insertion existants, définissant des parcours personnalisés à durée variable, mais fondés sur l’alternance.
L’activation des dépenses passives.
Un jeune, embauché par une entreprise, continue à être payé pendant un certain nombre de mois par les Assedic. L’incitation, forte pour les entreprises, doit être encadrée par un coût élevé, le remboursement, pour le licenciement de ce jeune pendant un certain délai.