Interviews de M. François d'Aubert, secrétaire d'Etat chargé de la recherche, dans "Le Figaro" du 8 avril 1997 et "Le Progrès du 25 avril 1997, sur le projet de loi permettant aux chercheurs de créer des entreprises innovantes, sur les recherches sur les plantes transgéniques et la maladie de la vache folle.

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Le Figaro : 8 avril 1997

Le Figaro : Quel effet attendez-vous du projet de loi permettant aux chercheurs publics de créer des entreprises innovantes ?

François d’Aubert : Il existe tout un vivier de créateur d’entreprises dans la communauté scientifique française, notamment dans les organismes publics de recherche et des universités. C’est pour leur permettre de se lancer que nous soumettons ce projet de loi au Parlement. Les difficultés juridiques et techniques constituent aujourd’hui de vrais obstacles à la diffusion de l’innovation. Seulement ne quarantaine d’entreprises sont créées chaque année par des chercheurs.

Avec de nouveau projet, le chercheur pourra, en toute sécurité et dans un cadre déontologique claire, gérer, conseiller ou être actionnaire d’entreprises dont l’activité est liée à ses propres travaux de recherche.

Il pourra, en effet, garder le contact avec son laboratoire, et être mis à disposition ou détaché, pendant une période transitoire de quatre ans au maximum, à l’issue de laquelle il sera amené à choisir : continuer dans l’entreprise – et être mis en disponibilité, ou cesser ses fonctions au sein du service public – ou bien alors, redevenir chercheur.

Par ailleurs, ce projet permettra aux chercheurs publics d’apporter sous certaines conditions un concours scientifique à l’entreprise qui développe leurs travaux de laboratoire.

Si plusieurs dizaines de chercheurs peuvent chaque année, grâce à ces mesures, créer des entreprises, je dis que nous sommes sur la bonne voie. Les résultats de notre recherche publique sont excellents, mais on ne les valorise pas assez. Le projet de loi que nous présentons a précisément pour but de libérer l’esprit d’initiative de nos chercheurs. Car, derrière une découverte, peut se cacher une entreprise… et des emplois nouveaux.

Le Figaro : Le vrai problème du financement des entreprises innovantes en France n’est-il pas la quasi-absence de capital-risque. Les nouveaux Fonds communs de placement pour l’innovation (FCPI) suffiront-ils vraiment à pallier cette carence ?

François d’Aubert : Les FCPI sont assortis d’un « booster fiscal » très intéressant pour les investisseurs. Ceux-ci pourront soustraire de leur impôt jusqu’à 25 % de 150 00 francs pour un couple. Soit une réduction d’impôt de 37 500 francs ! C’est le double de l’avantage fiscal offert par le dispositif Madelin pour l’épargne de proximité. Or celui-ci marche très bien : il a drainé 1,5 milliard de francs à ce jour et aidé au financement de 72 000 entreprises.

Les FCPI sont d’autant plus intéressantes que ce sont des placements sécurisants puisque ‘0 % des fonds pourront être investis dans les produits financiers libres, y compris cotés (actions et obligations). Les 60 % restants seront placés dans des entreprises innovantes qui auront reçu un label l’Anvar, selon des critères assez larges. Mais nous souhaitons que les FCPI attirent des gens qui s’intéressent à l’entreprise, pas des champions de l’optimisation fiscale !

Les Banques populaires sont déjà en train de monter un des premiers fonds de ce type et nous espérons qu’au total 500 millions de francs seront placés dès 1997 dans les FCPI. Evidemment, c’est peu par rapport aux 50 milliards de francs investis dans le capital-risque américain. Mais ce n’est pas parce que c’est un début modeste qu’il est inefficace.

Une chose est sûre : les entreprises ne manquent pas en France. Il existe un véritable secteur high-tech, qu’il faut à tout prix encourager car il créé trois fois plus d’emplois que l’industrie traditionnelle.

Le Figaro : Où en est la réorganisation de l’Anvar (Agence nationale de la valorisation de la recherche) ? La réduction de ses crédits ne fait-elle pas obstacle à sa mission ?

François d’Aubert : Les ministres concernés étudient actuellement le nouveau contrat d’objectifs de l’Agence, qui va être signé ce printemps. En gros, il faudrait que l’Anvar sache mieux repérer et financer les entreprises à fort potentiel de croissance. Il serait bon qu’elle prenne plus de risques, y compris dans le soutien aux entreprises en création. Il est également demandé à l’Agence de réduire ses dépenses de fonctionnement. Il s’agit aussi de tirer les leçons de ce qui n’a pas marché : les entreprises qui ont bénéficier d’aides technologiques n’ont peut-être pas eu suffisamment d’aides marketing et commerciales.


Le Progrès : 25 avril 1997

Le Progrès : Vous serez à Lyon ce vendredi où vous participerez aux 5e carrefours de la Fondation Rhône-Alpes Futur. Qui venez-vous voir en priorité ? Les chercheurs ou les industriels ?

François d’Aubert : Les deux. Je me suis fait un devoir d’organiser des passerelles entre le monde de l’entreprise et le monde des laboratoires. Les choses ont beaucoup évolué depuis ces dernières années et c’est très positif. Il y a aujourd’hui des liens beaucoup plus étroits entre les laboratoires et les entreprises même s’il existe encore quelques malentendus dus à des horloges biologiques qui ne fonctionnent peut-être pas au même rythme. Mais ce n’est pas un problème culturel. Il y a une volonté de travailler ensemble. Pour un pays moderne, il est vital que la recherche participe à l’avancement général des connaissances mais il faut aussi que ces dernières puissent se transformer en technologies, en innovations, en entreprises et donc en emplois.

Le Progrès : Pourtant une quarantaine de chercheurs seulement créent leur entreprise chaque année en France. Que comptez-vous faire pour renforcer cette dynamique ?

François d’Aubert : Il existe en France un vivier virtuel de créateurs d’entreprise. Je voudrais le faire passer au réel. C’est pourquoi nous avons proposé un projet de loi qui permettra enfin à des chercheurs publics de créer leur entreprise, de participer à un projet d’entreprise en gardant un lien avec leur laboratoire et en toute sécurité juridique. Nous allons aussi dégager des lignes de crédits pour qu’il y ait une vingtaine de pépinières d’entreprises dédiées à des chercheurs sur des sites de recherche. De plus, nous allons créer avec la Caisse de dépôts et de consignation trois fonds d’amorçage pour les créations d’entreprise par des chercheurs dont le montant s’élève à 100 MF. L’un sera consacré aux biotechnologies, un autre aux technologies de l’information et un troisième qui est plus généraliste.

Le Progrès : Les chercheurs français déposent de moins en moins de brevets. Comment expliquez-vous de phénomène et que comptez-vous faire pour redresser la courbe ?

François d’Aubert : Ce n’est pas une baisse sensible mais c’est vrai que l’on brevète moins que les Allemands et beaucoup moins que les Japonais qui ne sont pas forcément la référence. Mais je souhaite que l’on brevète davantage. L’obstacle n’est pas dans le coût du dépôt du brevet mais il réside dans l’extension du brevet au bout d’une année. On tombe sur le problème des brevets européens. Mme Edith Cresson en est tout à fait consciente. Il existe un Office européen des brevets en Allemagne qui a des frais de fonctionnement élevés à cause des traductions qui représentent du coût très important. Il faut aussi que les chercheurs puissent choisir de déposer leur brevet, comme à l’Ecole de physique et de chimie de Paris ou avec leur organisme. Dans les deux cas, le chercheur et son organisme doivent bénéficier d’un juste retour financier. Le dépôt de brevet est quelque chose de noble et non d’utilitariste. Cela fait partie du capital France.

Le Progrès : Vous avez récemment présenté un programme relatif aux biotechnologies. Que peut-on en attendre concrètement ?

François d’Aubert : De nombreux experts disent que le XXe siècle sera celui de la biologie et donc des biotechnologies. Avec d’énormes espoirs dans le médicament et ceux-là sont incontestés mais aussi au profit de l’environnement ou encore l’alimentation. Il faut que la France soit bien placée dans cette bataille. On a pris malheureusement un peu de retard mais il n’est pas irrémédiable. La recherche fondamentale est très bonne mais c’est sur le passage à l’acte économique que le bât blesse. Nous avons lancé un appel d’offres incitatif pour des projets animés à chaque fois par un laboratoire et une entreprise. Nous avons eu plus de 400 réponses et la première entreprise émanant de cet appel d’offres soit être créée aujourd’hui. Le champ est donc très ouvert à condition d’avoir les financements.

Le Progrès : Justement, il est reproché aux sociétés de capital-risque de ne pas toujours se montrer audacieuses face à des jeunes entreprises innovantes ?

François d’Aubert : La recherche est une impulsion pour l’innovation qui doit être soutenue par un capitalisme spécifique qui n’a rien de sauvage. C’est un capital-risque qui rémunère à la fois du système d’investissement sur l’innovation mais aussi un risque pris et la perspective d’un succès. Nous avons déjà un booster fiscale à travers le fonds commun de placement-innovation. J’espère que la région Rhône-Alpes va aussi en monter un qui lui sera spécifique. Le nombre de créations d’entreprises innovantes soutenues par le capital-risque est en train d’augmenter. Mais on reste un peu faible dans l’accompagnement commercial et marketing de l’innovation technologique. Aujourd’hui, on en est à la moitié du chemin. La perspective d’une nouvelle majorité nous permettra d’aller au bout de ce chemin.

Le Progrès : Faut-il arrêter les recherches sur les plantes transgéniques ?

François d’Aubert : Non, il ne faut évidemment pas arrêter les recherches sur les plantes transgéniques. D’ailleurs la France est le pays le plus expérimentateur dans ce domaine puisque nous sommes un terrain d’élection à la fois pour la recherche fondamentale mais aussi en recherche plein champ. Ce serait se mettre un boulet aux pieds alors qu’il existe déjà une compétition mondiale terrible avec des enjeux de marché gigantesque. Dès que la poursuite de la recherche aura précisé l’impact des plantes transgéniques sur la santé et l’environnement, on pourra éventuellement faire évoluer notre position pour la culture plein champ.

Le Progrès : Où en sont les recherches sur la maladie de la vache folle ?

François d’Aubert : Les recherches se sont considérablement accélérées que ce soit sur les prions mais aussi sur d’autres hypothèses. Il est important qu’il y ait des échanges internationaux et que notamment les Anglais soient totalement transparents. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Face à ces grands problèmes scientifiques, il faut de la transparence et un dialogue avec les citoyens. Nous allons d’ailleurs organiser des conférences de citoyens et je souhaiterais que la première de déroule à Lyon cet automne sur le thème des biotechnologies. Une vingtaine de citoyens, non spécialistes mais intéressés par le sujet seront sélectionnés.

Nous mettrons à leur disposition un maximum d’informations puis au bout de trois mois, ils seront confrontés à des experts. Il en sortira un texte de référence. Cet exercice est piloté par un comité d’orientation que nous venons de mettre en place où l’on retrouve les présidents de l’Académie des sciences, du Comité d’éthique, de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, du Conseil économique et social et de la Fondation national des sciences politiques.

Le Progrès : Soutenez-vous le projet de création d’un laboratoire P4 destiné au futur Institut fédératif de recherche sur les maladies émergentes ?

François d’Aubert : C’est un laboratoire tout à fait indispensable pour une grande nation scientifique comme la France. Si on veut tenir le choc sur les sciences de la vie, sur la recherche portant sur les maladies infectieuses émergentes, on a besoin de cet outil. Il est coûteux mais Lyon est une ville où l’on parie sur la science de même que la région Rhône-Alpes. Je n’ai donc pas d’inquiétude sur le financement de ce laboratoire.

Le Progrès : Souhaiteriez-vous conserver votre poste de secrétaire d’Etat à la Recherche lors de la formation du prochain gouvernement en cas de victoire de l’actuelle majorité aux élections législatives ?

François d’Aubert : La réponse ne dépend pas de moi mais si on me le proposait, je serais ravi de le garder tant la recherche française est passionnante et vitale pour l’avenir.