Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la santé, sur les dispositions relatives à l'assurance-maladie dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, notamment les mesures de santé publique, la lutte contre la surconsommation de médicaments, le tabagisme et l'alcoolisme, la sécurité à l'hôpital et la pénurie de médecins spécialistes, au Sénat le 12 novembre 1997.

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Circonstance : Présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale au Sénat le 12 novembre 1997

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les dispositions relatives à l'assurance-maladie se résument à quelques  dispositions, à quelques chiffres. Vous savez pourtant l'importance que ceux-ci revêtent : c'est de la santé de nos concitoyens qu'il est question.

Or j'ai entendu dans vos propos, dans ceux de rapporteur, comme un regret. Vous auriez souhaité non pas de la rigueur mais de la sévérité, non pas une maîtrise des dépenses mais un prolongement de la diète à laquelle nos hôpitaux ont été soumis. Décidément, nos appréciations sur l'état de notre pays divergent. S'agit-il seulement d'une pensée alternative sujette à fluctuations politiques ? Je ne peux pas le croire. Les professionnels de santé approuvent la manière dont le gouvernement a fixé les objectifs de dépense ? Vous vous attristez. Ne disent-ils pas être pris à la gorge ? C'est vous qui, alors, criez au laxisme. Je le répète : il s'agit de la santé publique, sujet qui devrait dépasser nos querelles.

À vous entendre, on comprend encore mieux, rétrospectivement, ce qui a fait l'échec de la méthode employée par nos prédécesseurs qui pensait que seule l'arme brutale des chiffres pouvait vaincre je ne sais quelle hargne dépensière qui se serait répandue comme une traînée de poudre dans les hôpitaux, dans les cabinets, dans les laboratoires.

Nous n'avons jamais nié la nécessité de la maîtrise. Ni avant les élections, ni après. Mais, comme trop d'impôts tue l'impôt, nous savons que trop de contraintes provoque un effet dévastateur.

Ce qui nous intéresse, c'est de veiller à ce que l'argent que la collectivité consacre à l'assurance-maladie soit utilisé pour améliorer la santé de nos concitoyens, l'égalité de tous devant l'accès aux soins, et que ce montant financier soit ajusté en fonction des priorités de santé que nous avons définies.

Au cours des cinq mois qui se sont écoulés, nous avons, Martine Aubry et moi-même, reçu les représentants des professions de santé, du monde libéral, comme du monde hospitalier, certains plusieurs fois. J'ai visité de nombreux hôpitaux, certains qui connaissent des situations difficiles. J'ai reçu les représentants des personnels hospitaliers, sur le plan national, comme à l'occasion de mes déplacements. Et je vais multiplier ces déplacements, prévus et imprévus.

J'ai entendu de leur part, un langage responsable. Là encore, à les entendre, j'ai mieux compris, rétrospectivement, l'échec de la méthode précédente. Je ne crois pas que le but poursuivi soit décisif : cette maîtrise « rêvée » comme une fin en soi. Mais cette méthode ne convenait pas. Elle s'était trompée de cible. Elle s'était trompée d'époque. Les mentalités ont évolué. Les personnels des hôpitaux, les professions paramédicales, les médecins, ne demandent pas qu'on leur donne un chèque en blanc. Ils ne réclament pas toujours plus. Ils veulent qu'on leur donne les moyens de soigner leurs concitoyens et qu'on les aide à le faire. En dialoguant avec eux, en informant le public, en organisant les État généraux, nous parviendrons à une prise en charge égalitaire et ensuite à la maîtrise.

Ce que nous entendons faire, ce n'est pas faire peser une contrainte aveugle, uniforme, sur l'ensemble du système de santé, mais ajuster les ressources disponibles en fonction des besoins.

Oui, il y a des sources de dépenses inutiles et parfois dangereuses. Il y a aussi des domaines dans lesquels il faut des moyens supplémentaires si l'on veut davantage de qualité et de sécurité.

Dépenses inutiles et parfois dangereuses. La surconsommation de médicaments en offre bien sûr un exemple, même si elle n'est pas seule en cause.

Vous savez que la France détient quelques records :
      - 19 fois plus d'achats de veinotoniques et de vasodilatateurs qu'en Angleterre, deux fois plus qu'en Allemagne ;
      - 15 fois plus d'achats d'hypolipémiants qu'en Angleterre ; 2,4 fois plus qu'en Allemagne ; 2 fois plus d'antibiotiques qu'en Angleterre ; 2,5 fois plus qu'en Allemagne ;
      - 3 fois plus de psychotropes que chez nos deux voisins.
      
Nous avons demandé à l'Observatoire national de la prescription et de la consommation de médicaments en ville et à l'hôpital de confirmer et d'analyser plus finement ces chiffres et de les confronter aux besoins réels de la population.

Il y a là matière à dépenser moins en soignant mieux, en évitant un certain nombre de ces effets indésirables mis en évidence par une étude menée dans l'ensemble des centres régionaux de pharmacovigilance. 10 % des personnes hospitalisées présentent au moins un effet indésirable dû au médicament, dont au moins un tiers souffrent d'effets graves.

C'est pour lutter contre cette surconsommation, problème majeur de santé publique, que nous vous proposons d'augmenter la taxe sur les dépenses promotionnelles et de la rendre progressive. Nous préférons agir ainsi plutôt que, comme le gouvernement précédent, créer une taxe exceptionnelle et uniforme, – beaucoup plus lourde et que nous n'aviez pas dénoncée –, qui touche indifféremment les efforts de recherche et les excès de dépenses exceptionnelles, ne modifiant rien aux comportements.

C'est pour aider les prescripteurs que nous mettrons en place une information indépendante en matière de médicament. La formation médicale continue, justement rendue obligatoire ne doit pas dépendre de l'industrie pharmaceutique et donc, ni de la presse médicale, ni de la visite médicale.

Ces objectifs nous les inclurons dans l’accord-cadre que nous discutons avec l'industrie pharmaceutique car nous entendons donner un véritable contenu à la politique conventionnelle pour les trois années à venir. L'industrie pharmaceutique doit connaître les objectifs du gouvernement et prendre des engagements que les conventions ont vocation à faire respecter de manière concertée.

Mais il y a des domaines vers lesquels il faut savoir réorienter les ressources dont nous disposons, pour mieux soigner. Je pense notamment à la sécurité dans les hôpitaux. Rien ne sert d'ériger des normes si l'on ne donne pas les moyens aux hôpitaux de les respecter, si on n'en contrôle pas les conditions d'application.

Si nous donnons un peu plus de respiration aux hôpitaux, c'est notamment dans cette optique. Indispensable, lorsqu'on connaît les chiffres des affections nosocomiales, et la rigueur des règles d'hygiène et de stérilisation que nous avons dû, encore très récemment, rappeler par voie de circulaire, pour que ces règles soient respectées dans le secteur public et le secteur privé.

Vous le savez, notre politique hospitalière consiste à viser l'égalité des chances sur tout point du territoire. Cela signifie concilier les impératifs de sécurité – avec lesquels on ne transige pas – et la proximité, quand elle est nécessaire, quand elle est justifiée. Elle conduit – et nous l'avons fait – à aider certains petits établissements qui doivent non seulement être maintenus mais aussi être renforcés. Elle conduit à favoriser les expériences innovantes, à encourager la solidarité inter hospitalière, au-delà des différences de statut. J'ai eu l'occasion de le voir à Villeneuve-sur-Lot comme à Lillebonne, à Brive et Tulle comme en région parisienne, à Dourdan très récemment. Il faut du temps et du tact pour tout cela. Et, un refus de la méthode brutale.

Cette politique, c'est le contraire de l'immobilisme. L'hôpital est un peu comme un organisme vivant. Sans oxygène, le muscle est tétanisé. C'est ce que nous avons vu l'année dernière. Avec de l'oxygène, le muscle retrouve la force nécessaire au mouvement. Nous entendons redonner une dynamique à l'hôpital, le remobiliser pour qu'il puisse accomplir ses missions.

Pour cela, l'enjeu central est celui de la qualité.

Vous soulignez, Monsieur le rapporteur, les retards à l'installation de l'ANAES. Il est exact que ces retards ont été importants. Il a fallu en effet un an, à quelques jours près, au précédent gouvernement pour prendre le décret précisant l'organisation et le rôle de l'ANAES.

Les choses se sont ensuite accélérées, quand il s'est agi de nominations, les membres de l'ANAES ont été désignés par arrêté du 30 mai 1997, entre les deux tours.

Cette accélération a été tellement brutale, qu'elle a soulevé de nombreuses protestations venant de tous horizons.

Il a donc été nécessaire de mener une consultation juridique sur ces textes et de proposer l'élargissement du Conseil scientifique, solution bien acceptée pour étendre le champ de compétences de cette instance.

La mise en place des différents conseils, ainsi que la désignation de leurs présidents, du directeur général et du secrétaire général ont eu lieu le 14 octobre dernier.

La période de consultations de l'été a été mise à profit pour progresser dans la constitution des équipes et pour continuer d'avancer sur le guide de l'accréditation.

Sans confondre vitesse et précipitation, le calendrier de travail fixé est extrêmement serré et ambitieux. En particulier la procédure d'accréditation sera opérationnelle dès juin 1998.

Vous vous plaignez de la respiration accordée aux hôpitaux, mais vous oubliez singulièrement le manque de praticiens hospitaliers, les postes vacants dans les hôpitaux : plus de mille ! Je doute fort qu'augmenter la contrainte financière sur ces établissements permette de recruter ces médecins. Or, il y a là un véritable enjeu de santé publique.

Nous nous sommes attachés pour notre part, à trouver des réponses concrètes à la pénurie de certains spécialistes et j'ai choisi de commencer par les quatre disciplines les plus déficitaires : l'anesthésie, l'obstétrique, la psychiatrie et la radiologie.

Une large concertation est actuellement conduite par un groupe de travail qui doit nous rendre ses conclusions pour fin décembre.

Les réponses ne se déclinent pas uniquement en termes de statut ou de salaire. Le fonctionnement des équipes médicales doit être différent. Des expériences originales d'astreinte communes sur plusieurs établissements doivent être mieux connues.

Par ailleurs, tant qu'il n'y aura pas de réforme de l'internat et une adéquation entre les médecins formés dans les différentes disciplines et les besoins du pays, nous devons chercher des moyens d'attirer les médecins vers ces spécialités déficitaires et de les garder à l'hôpital. Ce n'est pas en décriant l'hôpital que l'on y parvient.

De même, il nous faut manifester une volonté forte quand il s'agit de santé publique, ce terme terriblement absent au mois de novembre 1995.

Le rapport annexé à la présente loi décrit clairement les objectifs du gouvernement en matière de santé publique, objectifs que j'ai déjà longuement détaillés et que je ne reprendrai pas ici.

Il me paraît en revanche important d'insister sur les mesures de lutte contre le tabagisme.

Les façons de lutter contre le tabagisme sont connues : campagne d'éducation et d'information, interdiction de publicité et interdiction de fumer dans les lieux publics, augmentation du prix des cigarettes.

Cette dernière mesure est importante et efficace, nous le savons. Contrairement à des rumeurs, elle ne s'accompagne pas systématiquement du développement d'un marché parallèle : les importations illicites sont plus importantes en Italie et en Espagne où les prix sont plus bas que dans les pays d'Europe du Nord où ils sont élevés !

La taxe de santé publique, créée par ce projet de loi va dans ce sens, comme les discussions en cours pour éviter une guerre des prix du tabac dont les principales victimes sont les fumeurs ainsi encouragés. Notre objectif est clairement de diminuer la consommation.

Parallèlement, les fonds de prévention du tabagisme gérés par l'assurance maladie seront plus que doublés puisqu'ils passeront de 20 à 50 millions dès l'an prochain. Cela permettra de développer des actions de prévention, d'éducation et d'information sur les méfaits du tabagisme, en particulier à destination des jeunes.

Il en va de même de la lutte contre l'alcoolisme. Vous savez que nous avons refusé que la Coupe du Monde de football, qui intéresse la jeunesse de notre pays, soit la vitrine d'une marque d'alcool et que la loi de prévention de l'alcoolisme soit ouvertement bafouée ou détournée quand le monde entier aura les yeux braqués sur la France.

À travers deux exemples, je tenais à indiquer ma volonté de redonner ses lettres de noblesse à la santé publique. Nous avons eu tendance à magnifier les soins, à nous attacher aux performances techniques et à négliger que notre système de santé devait aussi répondre aux préoccupations quotidiennes de nos concitoyens.

Ceci, Mesdames et Messieurs les sénateurs, ne figure peut-être pas dans les dispositions qui vous sont soumises. Sachez que tel est l'état d'esprit du gouvernement et le cap que nous maintiendrons.