Articles de M. Alain Madelin, vice-président du PR, dans "Le Monde" du 23 avril 1997 ("L'enjeu libéral"), "Libération" du 3 mai ("Pour un travaillisme à la française") et "Libération" du 8 mai ("Sur l'ultralibéralisme"), sur les enjeux des élections législatives de 1997 et la nécessité d'une politique libérale.

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Circonstance : Elections législatives anticipées les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - Libération

Texte intégral

Date : 23 avril 1997
Source : Le Monde

Les prochaines élections législatives ne sont pas faites pour servir le pouvoir, mais pour être utiles au pays. Être utile au pays, c’est donner aux Français l’occasion de faire les choix clairs qui permettront de retrouver le chemin de la création d’emplois, de la prospérité et du progrès social. Ces élections ouvrent une nouvelle période. La nouvelle Assemblée terminera le siècle et commencera le troisième millénaire. Elle accompagnera toute la seconde partie du mandat présidentiel de Jacques Chirac.

Cette campagne a d’ores et déjà un enjeu : la France choisira-t-elle la voie libérale ? Ne pas faire ce choix, vouloir prolonger encore ou aggraver l’étatisme, le dirigisme français, comme le proposent les socialistes, comme le proposent les socialistes serait aujourd’hui l’assurance du déclin.

Le choix libéral est un choix de confiance dans la liberté et la responsabilité de l’homme. C’est celui qui libère les énergies les talents, les initiatives, favorisant ainsi le mouvement de la société, la mobilité sociale, et permettant de donner à chacun sa chance et sa place.

C’est le choix de bon sens des chrétiens-démocrates et des libéraux en Allemagne ; celui des libéraux et des travaillistes en Hollande : c’est en Grande-Bretagne celui des libéraux et des travaillistes en Hollande ; c’est en Grande-Bretagne celui des conservateurs… et même aussi celui des travaillistes.

Au-delà des étiquettes et des querelles de mots, c’est le choix des modernes contre les anciens, celui des innovateurs contre les conservateurs. Mais, face à ce choix libéral, la France hésite encore. La mondialisation de l’économie, la réduction es distances et l’accélération du temps, la révolution des technologies de l’information annoncent une transformation sans précédent. La civilisation de l’usine fait place à la civilisation du savoir qui remet l’homme au cœur de la société.

Pour entrer pleinement dans ce nouveau monde nous devons avoir le courage de remettre en cause non seulement notre système d’économie mixte, mais encore ce modèle étatiste d’organisation et de décision hiérarchique qui fait certes « l’exception française », mais aussi la faiblesse française.

Il ne s‘agit plus de multiplier les initiatives de l’État, mais de libérer les initiatives de la société. C’est cet élan libéral qui était attendu par les Français au lendemain de l’élection présidentielle, tout particulièrement par la France entreprenante, et par la jeunesse.

La voie qu’avait tracée Jacques Chirac était celle d’une politique de remise en ordre et l’assainissement de nos finances publiques. Elle était aussi, dans le même temps, la promesse d’une libération et d’une stimulation des forces vives du pays. Je reste convaincu que cette voie est la bonne. J’aurais souhaité que ces deux politiques soient menées de front.

Le gouvernement a fait un autre choix. Il a donné la priorité à la rigueur budgétaire, tout en amplifiant un certain nombre de mesures traditionnelles de baisse de charges en faveur de l’emploi, en l’accompagnant de mesures conjoncturelles ou sectorielles tournées vers la consommation et en ouvrant d’important chantiers de réformes.

Pour être utile, le débat électoral des législatives ne devra pas cacher aux Français les problèmes et les difficultés qui sont devant nous.

La France choisira-t-elle la voie libérale ? Ne pas faire ce choix, vouloir aggraver l’étatisme, serait l’assurance du déclin

Comme tous les grands pays, il nous faudra revoir notre système de retraites, à commencer par la retraite des fonctionnaires et des régimes spéciaux. On ne réglera pas ces problèmes demain en les mettant de côté aujourd’hui.

Malgré les efforts accomplis, nos finances publiques vont être soumises à rude épreuve. Depuis plusieurs années, les recettes fiscales rentrent moins bien que prévu, la sécurité sociale accumule des dettes qu’il faudra bien rembourser un jour ; la ressource exceptionnelle tirée de France Télécom en 1997 n’est pas reconductible ; les recettes de privatisations, s’épuisent, alors qu’il faut faire face à des besoins de recapitalisation et aux factures des grands sinistres du passé comme le Crédit Lyonnais.

Il doit être exclu d’augmenter ou de multiplier les impôts ; en matière de courbes budgétaires, on est déjà allé très loin ; pour dépenser moins, il faut dépenser autrement. Et donc réorganiser en profondeur les structures, les missions et les interventions de l’État.

Si l’on ne veut pas que ces élections débouchent sur une nouvelle politique de rigueur, il faut faire le choix claire d’une politique de vigueur. Ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition que nous pourrons réussir l’euro.

Je souhaite que ces élections législatives permettent l’émergence d’une majorité libérale ayant passé avec les Français un nouveau contrat autour de choix clairs pour entraîner, redonner confiance et espoir. Ce contrat, c’est avant tout celui d’une nouvelle croissance par les libertés économiques, celui d’une France moderne par la redistribution des responsabilités.

Une nouvelle croissance s’installe dans le monde, riche en emplois, tirée par les innovations, nouvelles technologies, nouveaux produits, nouveaux métiers, nouveaux services, les nouvelles formes de travail et d’emploi. Les emplois sont à inventer, pas à partager. Le pouvoir d’achat nouveau n’est pas à redistribuer mais d’abord à fabriquer.

Pour découvrir cette nouvelle croissance et en tirer parti, il faut :
    – miser massivement sur l’entrepreneur, la création d’entreprises, le travail indépendant et le tissu des petites et moyennes entreprises ;
    – engager une action déterminée, énergique, méthodique, pour alléger l’ensemble des réglementations qui pèsent sur l’initiative, supprimer les obstacles à la création d’activité, ouvrir de nouveaux espaces de liberté et de concurrence ;
    – mieux récompenser le travail, le mérite et l’effort de tous, en laissant aux Français une part plus grande du fruit de leur travail.

Cela passe par une remise à plat de l’ensemble constitué par les impôts, les charges sociales et les allocations de toutes sortes.

La récompense du travail, du mérite et de l’effort passe aussi par le développement des formules d’intéressement et de participation, au sein de l’entreprise comme au sein de la fonction publique. Elle passe, enfin, au-delà de la réforme fiscale engagée, par quelques mesures simples et fortes susceptibles d’avoir un effet de leviers sur l’initiative, la création d’activités nouvelles ou l’investissement.

De nombreuses rigidités empêchent aujourd’hui l’évolution du travail en le rendant plus rare ou plus précaire. Entre l’extrême rigidité de certains contrats et l’extrême précarité, il y a un espace de liberté et d’innovation pour laisser le contrat individuel et collectif organiser autrement les rapports de travail. Moderniser la France, c’est rapprocher les responsabilités de ceux qui peuvent le mieux les exercer… Si nous rencontrons tant de difficultés à faire évoluer notre société, c’est parce que, trop souvent encore, on cherche à régler les problèmes d’en haut à partir des bureaux parisiens. Dans une société moderne et complexe, les solutions ne viennent plus d’en haut mais d’en bas. Ce que les citoyens, les entreprises, les associations sont capables de faire, il faut leur laisser faire. Ce que les collectivités locales sont capables de faire mieux que l’État il faut leur laisser faire.

Redistribuer les responsabilités, faire le choix de la proximité, c’est faire confiance aux communes, aux pays, aux départements, aux régions. C’est clarifier leurs responsabilités, leur donner des pouvoirs plus larges et de nouveaux moyens. Les élections législatives doivent donner aux Français l’occasion d’exprimer un choix fort en faveur de la décentralisation.

Redistribuer les responsabilités, c’est aussi un changement de pratique gouvernementale. Gouverner aujourd’hui, ce n’est pas multiplier les lois, les interventions et les dépenses. C’est chercher, chaque fois qu’on le peut, des solutions alternatives à l’action publique. C’est substituer, autant qu’on le peut, le contrat à la réglementation publique. C’est, enfin, réformer avec détermination et méthode, convaincre l’opinion et savoir intéresser les acteurs du changement aux fruits des réformes.

Redistribuer les responsabilités, c’est ouvrir des espaces d’autonomie, d’initiatives et d’expérimentation, au sein de nos grands systèmes publics bloqués, comme l’éducation ou notre système de santé. C’est leur permettre de s’adapter en libérant, là aussi, les initiatives et les énergies, en responsabilisant et en faisant confiance.

Choisir à notre tour cette voie libérale, c’est mettre la France à l’heure de l’Europe et du monde. C’est redonner aux Français des perspectives d’avenir et d’emplois. C’est donner aux jeunes un autre horizon que celui d’une société bloquée, d’une montagne de dettes et d’un ascenseur social en panne.

C’est retrouver l’esprit de conquête.


Date : 3 mai 1997
Source : Libération

Il est de bon ton de rejeter avec dédain le modèle libéral britannique. Un modèle qu’au demeurant personne ne propose d’importer dans notre pays et dont tout le monde connaît les faiblesses sociales.

Ce qui est intéressant dans le succès de Tony Blair, c’est qu’il a construit son programme et sa volonté de progrès social sur le socle libéral de la société britannique, et non sur sa remise en cause. Importer en France le quart du projet de Tony Blair pour l’Angleterre – entre ce qu’il propose de faire, et aussi de ne pas défaire – suffirait à vous classer parmi les plus « ultras » des libéraux. À l’inverse, comme l’a déclaré un dirigeant socialiste, « si Tony Blair reprenait en Angleterre un quart du programme de Lionel Jospin, il passerait pour un dangereux gauchiste », c’est la confiance dans la liberté. Dans la liberté des personnes, dans la liberté du marché, dans la liberté des entreprises. Une liberté enrichie par la dimension de la responsabilité. C’est le modèle de la promotion sociale par le mérite et la propriété privée, le projet d’une société « dans laquelle les gens progressent grâce à leur mérite et non pas grâce à des droits acquis à leur naissance ».

C’est le refus de « laisser les gens s’enfermer dans l’assistance » pour « bâtir un nouveau système de couverture sociale de la seconde génération, qui ne produise pas des mentalités d’assistés mais aide les individus à s’en sortir, un système qui soit un tremplin pour le succès et non plus un filet de sauvetage pour amortir la chute ».

Tony Blair fuse d’augmenter les dépenses publiques et, côté fiscalité, il veut baisser l’impôt sur les sociétés, ne pas augmenter l’impôt sur les personnes physiques (c’est-à-dire conserver le taux maximum de 43 %), ne pas toucher à la TVA (une TVA très sociale aux taux de 17,5 % et même de 0 % pour les produits de première nécessité). Et même baisser la TVA sur l’énergie domestique. Quant aux privatisations, pas question de revenir en arrière : les transports aériens, l’énergie, les chemins de fer, les télécommunications resteront des entreprises privées (quand on songe que dans le même temps Lionel Jospin refuse de privatiser Air France et envisage de renationaliser France Télécom !).

C’est le même Tony Blair qui s’est encore engagé à ne pas revenir en arrière sur la flexibilité du marché du travail, se félicitant même que « la Grande-Bretagne ait les lois les plus libérales d’Europe en matière sociale », en proposant de créer un « ministère de l’emploi et de la flexibilité ». Son avancée sociale, c’est le salaire minimum. Un salaire minimum comme la France l’a heureusement instauré depuis longtemps. Mais un salaire minimum institué de façon « réfléchie et souple », pour un montant sans doute voisin de 30 francs de l’heure. S’agissant des syndicats, Tony Blair promet d’être « irremplaçable dur avec les syndicats », de maintenir la consultation à bulletin secret de l’ensemble des salariés avant toute grève et de développer la liberté de créer de nouveaux syndicats dans l’entreprise. Concernant l’éducation, les propositions de Tony Blair s’inscrivent dans les idées d’autonomie de gestion des établissements scolaires, dans l’évaluation publique de leur performance, et même de la différenciation du statut des enseignants afin de faire entrer des professeurs associés et de récompenser les meilleurs enseignants, les meilleurs chefs d’établissement.

Enfin, côté santé, Tony Blair remet en cause le système britannique, c’est-à-dire, il faut le rappeler, l’héritage d’un système de santé nationalisé, partiellement libéralisé. Ce qu’il dénonce justement, c’est la gestion administrée de la santé et non, par exemple, le statut de trust des hôpitaux qui peuvent licencier, embaucher, fixer librement les salaires.

Ce que montre en réalité le succès de Tony Blair, c’est le formidable décalage qui existe aujourd’hui entre la France et le monde. Nous faisons idées à part. Il est dommage que la droite et encore plus la gauche s’enferment trop souvent dans une pensée étatiste d’une autre époque, incapable de guider les changements nécessaires aujourd’hui. Une société moderne a besoin d’un socle libéral et, pourquoi pas, d’une alternance entre une droite et une gauche libérales. Mais M. Jospin est bien loi de Tony Blair. Tant pis. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un Premier ministre travailliste.


Date : 8 mai 1997
Source : Libération

Le moment est venu pour la France de choisir une politique libérale. Franchement. Et qu’on ne vienne pas caricaturer ce que pourrait être une politique libérale en France. Le chômage, l’exclusion, la pauvreté, la précarité, nous les avons. La panne de l’ascenseur social menace notre progrès social. Et lorsque l’on évalue le poids de nos charges, celui de nos impôts, de nos dépenses publiques et de nos réglementations, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas le résultat d’une politique libérale, mais celui de plusieurs décennies d’étatisme et de dirigisme.

Qui peut sérieusement penser que l’on peut retrouver le chemin de l’emploi, de la prospérité et de la mobilité sociale par davantage d’intervention publique et de bureaucratie ? Entrer dans le nouveau mode, profiter de sa nouvelle croissance, c’est aujourd’hui faire le choix de l’initiative et de l’innovation, de la confiance dans la liberté et la responsabilité.

Les adversaires de la voie libérale cherchent à faire peur. Qu’ils cessent d’évoquer les États-Unis ou l’Angleterre. Personne ne propose de copier leur modèle ! Qu’ils cessent de faire croire que liberté rime avec précarité et insécurité ! Personne ne propose de supprimer le Smic. Personne ne propose de supprimer le RMI. Personne ne propose de privatiser notre assurance maladie.

Ce que nous voulons, c’est favoriser le dynamisme d’une économie qui fait confiance aux libertés et à l’esprit d’entreprise, tout en conservant un filet de sécurité pour tous, ainsi que nos systèmes d’assurances obligatoires et de prévoyance.

L’archaïsme, c’est faire confiance aux vieilles solutions dirigistes et étatistes d’hier. L’archaïsme, c’est refuser, à contre-courant du monde, de privatiser Air France ou Thomson, et vouloir refaire de France Télécom un grand service public. C’est proposer à contre-courant du monde, 350 000 emplois publics supplémentaires. C’est vouloir réduire autoritairement, à contre-courant du monde, la durée du travail.

Comment ne pas être frappé par le formidable décalage qui existe entre la France et le reste du monde, et plus particulièrement entre les socialistes français et les socialistes étrangers, tels, par exemple, les travaillistes britanniques.

Que cela plaise ou non, il existe aujourd’hui un certain nombre de bases modernes d’une société, que pour ma part j’appelle libérales, et qui sont des idées de bon sens. On peut construire une politique de droite ou de gauche à partir de ce socle « libéral », mais on ne peut refuser le socle lui-même. Or, entre Tony Blair et Robert Hue, Lionel Jospin a choisi Robert Hue.